L’éventail

La Science Illustrée N° 568, 15 Octobre 1898
Samedi 28 février 2009 — Dernier ajout dimanche 17 mars 2024

La Science Illustrée N° 568, 15 Octobre 1898

La Science illustrée a déjà publié sur les éventails et leur fabrication un important article, très documenté, de notre collaborateur M. Maisonneufve, dans lequel nos lecteurs trouvèrent une foule de renseignements sur ces instruments, qui tiennent une place si honorable dans l’arsenal de la coquetterie féminine (Voir Science Illustrée, t. XII, p. 119, 134, 116.). Nous n’y revenons que pour mettre en évidence deux points spéciaux de leur histoire : leur universalité et leur symbolisme.

L’éventail a été rencontré dans toutes les régions de la terre habitée et à toutes les époques de la chronologie la plus lointaine.La feuille du figuier biblique fut peut-être, entre les mains de notre aïeule commune, le premier d’entre eux.

On le rencontre figuré sous diverses formes sur les monuments les plus anciens de l’Égypte, de l’Assyrie, de la Perse, de l’Inde, de la Chine, de la Grèce et de l’Italie.

En Chine, ou il était connu douze siècles avant notre ère, son usage est encore général aujourd’hui ; il est dans toutes les mains, même les plus rudes : les ouvriers le tiennent et l’agitent pour se rafraîchir pendant le travail ; les soldats ne le quittent jamais, même au feu.

La Grèce reçut sans doute l’éventail des mains des Phéniciens et le transmit à l’Italie, qui le porta bientôt dans tout le monde occidental, jusqu’au bord de l’Océan.

Christophe Colomb n’eut pas à introduire l’éventail en Amérique ; il y était déjà depuis longtemps et la civilisation aztèque avait bien peu de choses à envier à la nôtre, « ce qui prouve, dit M. Blondel, auteur d’une Histoire des éventails chez tous les peuples et à toutes les époques, que le génie humain est un sous tous les méridiens, et que l’homme, quelle que soit la couleur de son épiderme, éprouve naturellement le besoin de s’éventer par les temps chauds »,

Parmi les présents offerts par Moctheuzoma à Cortez, figuraient deux éventails de plumes, ornés d’une lune et d’un soleil d’or.

Au moyen âge, dans notre Europe occidentale, l’usage de l’éventail fut des plus restreints ; mais, pendant les croisades, les seigneurs apprirent en Orient à en apprécier le besoin.

En France, l’éventail figurait déjà, au XIIIe siècle parmi les objets de la toilette des femmes, mais il ne devint commun que trois cents ans plus tard, après les guerres d’Italie. Catherine de Médicis contribua beaucoup à le répandre dans les hautes classes.

L’éventail plissé, apporté de Chine par les Portugais, fut introduit en Europe sons Louis XIII. Peu après, les ouvriers français imaginèrent l’éventail brisé et commencèrent à donner à leurs produits ce cachet d’élégance qui les a toujours caractérisés depuis. Nos artistes les plus réputés, Lancret, Boucher, Watteau, les ornèrent. Le talent et le goût dépensés dans la fabrication de ces mignons chefs d’œuvre sont véritablement extraordinaires.

La valeur symbolique de l’éventail mérite aussi vraiment d’être mise en lumière : on en trouve des preuves dans le nouveau monde aussi bien que dans l’ancien.

Dans l’Inde antique, l’éventail était, avec le parasol et le chasse-mouches, un des attributs de la royauté. En Égypte, il figurait le bonheur et le repos célestes : aussi est-il dans les monuments anciens de ce pays, l’emblème distinctif des princes.

Les Aztèques, comme les Orientaux, en faisaient un symbole d’autorité. « En Chine, dit M.Blondel, où l’éventail sert d’album, un éventail de papier blanc, orné du sceau d’un grand personnage, d’un dessin, d’une sentence, parfois d’une pièce de poésie inédite et autographe, devient un souvenir et un gage d’amitié. Au Japon, un éventail, placé sur un plateau de forme particulière, annonce au criminel de famille noble l’arrêt qui le condamne. Les Grecs et les Romains se servaient de l’éventail pour activer le feu dans les Sacrifices. »

A l’exemple des anciens, les chrétiens introduisirent l’éventail dans la liturgie sacrée. Aux premiers temps de l’Église, deux diacres, placés aux deux extrémités de l’autel, agitaient incessamment des éventails depuis l’oblation jusqu’à la communion, dans le but, semble-t-il, d’éloigner les mouches des hosties consacrées et du célébrant. Les Latins ont abandonné cet usage dès le XIVe siècle, mais les Grecs et les Arméniens l’ont gardé. Peut-être même l’Église romaine n’a-t-elle pas tout à fait perdu le souvenir de cette coutume. On peut en voir une « survivance » dans les deux grands éventails en plume de paon qu’on porte devant-le souverain pontife, dans les grandes solennités, où ils figurent également comme des emblèmes d’autorité, des signes de souveraineté, se rattachant par là au symbolisme oriental.

Voir également à ce sujet : Les origines de l’éventail et sa fabrication Alfred Renouard, La Nature, N°982 - 26 Mars 1892

Revenir en haut