Créer du nouveau en fait de montres paraît difficile. La précision de la construction actuelle laisse peu de marge au progrès, et les indications qu’on est parvenu à faire donner à ces petits instruments sont tellement nombreuses et en gênent si peu la bonne marche, qu’on pourrait considérer la perfection comme à peu près acquise en petite horlogerie.
Un horloger français établi à Genève, M. Sivan, est cependant parvenu à sortir des sentiers battus en imaginant un chronomètre qui parle les heures au lieu de les sonner. Cela par une heureuse application du phonographe.
La montre à répétition ordinaire porte un poussoir grâce auquel on peut déclencher un petit mouvement actionnant des marteaux légers. qui frappent sur des ressorts timbres. On peut sonner ainsi les heures, les quarts et même les minutes à volonté. Cette sonnerie, essentiellement monotone, exige, de plus, une grande attention de la part du propriétaire de la montre, forcé de compter les coups et de distinguer les intervalles entre heures et quarts, entre quarts et minutes. Aucun de ces inconvénients dans la montre Sivan. Les ressorts timbres sont remplacés par une plaque circulaire en caoutchouc vulcanisé portant des sillons striés, et les marteaux par une pointe appuyée sur les stries. Les gravures qui accompagnent cette Note permettent de se rendre très facilement compte du fonctionnement.
La figure 1 représente la montre ouverte avec sa plaque phonographique qui porte 48 sillons correspondant aux 12 heures et aux 356 quarts parcourus par l’aiguille dans un tour de cadran. La figure 2 est la même montre dont on a retiré la plaque pour laisser voir le mécanisme. La plaque retirée est vue du côté qui ne porte pas les stries.
Lorsque l’on appuie sur le poussoir, la plaque de caoutchouc se met à tourner, la pointe qui en suit les sinuosités vibre, et ses vibrations se traduisent par des phrases : il est huit heures ; il est midi et demi, etc. Les stries sont en effet la reproduction exacte sur un plan du sillon hélicoïdal produit par une voix humaine sur un cylindre de phonographe.
Naturellement les montres ne sont pas les seules pièces d’horlogerie auxquelles ce système ingénieux soit applicable. Toutes les pendules peuvent en être munies, et, pour l’instant, M. Sivan construit déjà des réveils qui, au lieu du carillon strident et agaçant que tout le monde connait, ont des plaques parlantes. On peut ainsi se faire réveiller par le chant du coq, ou par quelques accents énergiques d’une voix connue. L’inventeur construit des réveils qui, avec une plaque de 6 ou 7 centimètres, vous crient d’une pièce à l’autre, portes closes, des phrases comme debout, lève-toi, ou allons, réveille-toi, assez fort et assez longtemps pour vous arracher aux bras de Morphée.
Outre la difficulté résultant de la disproportion entre la petitesse des stries et la force qu’il est nécessaire de donner au son, M. Sivan en a eu plusieurs autres encore à résoudre. Il fallait d’abord introduire le système dans un boitier de montre sans exagérer les dimensions de celui-ci, ensuite trouver une matière plastique quoique résistante pour les plaques, Ces obstacles ont été heureusement surmontés : les montres de M. Sivan ressemblent aux montres à répétition ordinaires, et ses plaques, malgré la pression de la pointe, peuvent parler plusieurs milliers de fois sans qu’on y puisse constater d’usure appréciable.
Bien plus, en retouchant les stries phonographiées, en en supprimant certaines, en en exagérant d’autres, il est arrivé à donner aux paroles prononcées les accents particuliers caractéristiques de telle ou telle province.
Les amateurs qui ne voudront point se contenter des plaques ordinaires pourront ainsi en commander qui seront de véritables souvenirs de famille. Il n’y a plus de limite à la variété des combinaisons dont la réalisation devient possible avec ce système.
Une chose toutefois à laquelle il faudra veiller, ce sera que, dans les maisons qui possèderont plusieurs montres ou pendules parlantes, toutes marchent bien ensemble. Autrement leurs disputes, sources de pernicieux exemples, risqueraient de troubler la tranquillité des ménages sérieux et de désorienter les gens rangés ; mais la précision de l’appareil permet facilement d’éviter cet inconvénient.