L’usage de la canne est immémorial, mais il a suivi, comme toute autre chose, les caprices de la mode, ici symbole d’autorité, comme encore chez nos suisses d’église et nos tambours-majors ; là , simple objet de fantaisie ou d’utilité.
Nous nous proposons de passer en revue quelques cannes munies d’accessoires divers ou agencées de façon plus ou moins ingénieuse, de manière à les faire servir à plusieurs fins.
La canne est par elle-même une arme défensive, si elle est assez grosse, lourde et résistante ; c’est alors un porte-respect auquel convient bien le nom vulgaire de permission-de-minuit. L’honnête homme peut bien s’en servir pour se protéger quand le malandrin qui en veut à sa bourse l’utilise pour l’attaquer.
Pour augmenter sa puissance, on imagina la canne à épée qui ne vaut pas un bon revolver, pour répondre aux attaques des messieurs dont nous parlions tout à l’heure, mais qui a bien parfois sa valeur. D’ailleurs il existe des cannes-revolver renfermant cette arme à feu dans leur partie supérieure d’où on la retire en cas de besoin. La canne-revolver à baïonnette qu’on vit figurer à l’Exposition de 1900, est une combinaison des précédentes, elle possède un revolver à l’extrémité qu’on tient à la main et, à l’autre bout, une pointe eu acier enfermée dans un étui qu’on peut retirer rapidement.
La canne-fusil et la canne-à-vent ou sarbacane, qu’on trouve chez tous les armuriers, peuvent transformer instantanément en chasseur, à ses risques et périls, le plus paisible promeneur, tandis que la canne-à-pêche, lui permet s’il passe au bord de l’eau, de taquiner mélancoliquement le goujon pendant quelques heures.
La catégorie des cannes lumineuses est des plus chargées. C’est d’abord la canne à briquet pneumatique pour avoir du feu au grand air, puis la canne-bougie dont la pomme se dévisse et protège une courte bougie que l’on peut allumer pour rentrer le soir. Une autre canne-lumineuse, inventée il y a quelques années, renfermait un treillis de toile métallique, dans lequel brûlait un charbon aggloméré spécial. La canne-lanterne contient à sa partie supérieure une lanterne de papier qui s’ouvre par des ressorts avec, au centre, une petite bougie.
En 1863, fut construite la canne-flambeau ou canne à gaz renfermant du gaz comprimé. La poignée se dévisse ; en poussant un petit ressort on donne issue au gaz que l’on allume et l’on a dans la main un flambeau qui s’éteint difficilement et qui peut durer assez longtemps en raison du peu de volume occupé par le gaz comprimé.
La canne à lumière électrique qui date d’une douzaine d’années, a pour source d’éclairage une petite lampe à incandescence. Elle est plus pratique que la précédente, mais ne paraît pas cependant avoir rencontré la faveur du public [1].
Il est nécessaire sans doute de se défendre et utile de s’éclairer, mais s’asseoir quand on est fatigué, se mettre à l’abri quand il pleut, boire quand on a soif, ont bien aussi leur charme. La canne peut réaliser ces désirs, non tous à la fois, sans doute, à moins de traîner avec soi une collection de cannes spéciales, mais l’un après l’autre ce qui est bien quelque chose.
La canne-tabouret à chaîne, la canne-siège, la canne-pliant, voire la canne-fauteuil, sont à recommander aux personnes fatiguées par une marche même courte. II n’y manque que la canne-trône pour souverains, Les modèles de canne-parapluie sont innombrables ; il existe même une canne-abri de laquelle peut sortir, comme un mètre cube de papier du chapeau d’un prestidigitateur, une vaste toile formant une tente portative, La canne-gobelet, bien connue, laisse surgir de sa pomme plate qu’on dévisse, une série d’anneaux métalliques formant un gobelet. La canne pique-nique, complément presque indispensable de la précédente, renferme un couteau, une fourchette et un tire-bouchon, il n’y manque qu’un poulet rôti, du pain et une bouteille de vin. Cela viendra peut-être ; on a bien imaginé,du temps où il y avait encore des maîtres de danse, une canne-pochette renfermant un étroit violon. Celle que représente notre gravure est un petit bijou en ébène incrustée d’ivoire, datant du XVIIIe siècle. Pour s’en servir. il fallait d’abord enlever la partie supérieure de la canne après avoir dévissé la poignée et retiré l’anneau de corne qui la maintenait. L’instrument ainsi mis à jour, on tirait le chevalet couché à plat sous la touche, on le plaçait à la hauteur de l’aine et, après avoir retiré de l’intérieur même du violon l’archet, dormant à côté de la sourdine, on vissait la poignée de la canne pour l’appuyer contre l’épaule et l’élégante séance commençait. La canne de l’aquarelliste, plus moderne, renferme des tablettes de peinture en même temps qu’une série de pinceaux ; celle du minéralogiste contient un marteau, des ciseaux à froid, des tiges de fer ; la canne-filet à papillons enferme dans son sein la monture métallique pliante et le filet, accessoire indispensable du chasseur d’insectes, la canne-toise sert aux éleveurs et aux écuyers à mesurer les chevaux, etc., etc.
Les inventeurs n’ont pas besoin de se creuser la cervelle, Il est toujours aisé de mettre dans une canne un certain nombre d’objets d’usage quelconque, s’ils ne sont pas trop encombrants. Nous citerons seulement en terminant la canne-photographique et la canne-hydraulique. La première, vraiment ingénieuse, possède un objectif à l’extrémité de la pomme, et une chambre noire dans la pomme elle-même, La glace sensible est au milieu, Un magasin minuscule en renferme une douzaine qu’un mécanisme permet d’escamoter.
La canne hydraulique est un simple tube pourvu d’une soupape à sa partie inférieure. On peut l’employer à élever de l’eau en lui imprimant un mouvement de va-et-vient. Elle date du XVIIe siècle mais, comme tant d’autres des modèles ci-dessus énoncés, elle n’a été qu’un objet de curiosité.
G. Angerville