Jean-Charles-Rodolphe Radau, astronome, membre de l’Institut (Académie des Sciences) et du Bureau des Longitudes, vient de mourir à Paris, après une courte maladie, le 21 décembre 1912.
Il était né le 22 janvier 1835, de souche française, dit-on, transplantée en Allemagne, à Angerburg (Prusse orientale), où son père dirigeait un institut de sourds-muets. Sa mère, née Wohlgemuth, était fille d’Un directeur d’école moyenne.
Le jeune Radau fit ses études secondaires dans sa ville natale, jusqu’à la classe de seconde ; puis au gymnase « Kneiphöf », à Kœnigsberg, jusqu’au baccalauréat, dont il subit l’examen avec succès.
De 1852 à 1857, on le trouve à l’Albertus-Universität de Kœnigsberg, d’abord comme étudiant pour les mathématiques jusqu’en octobre 1853, puis comme étudiant astronome ; alors - il compta C. A. F. Peters parmi ses maîtres. En même temps, en 1855 et 1856, il fut élève volontaire à l’observatoire de la même ville, illustré par Bessel, et s’y exerça aux observations méridiennes et autres. Puis il écrivit en latin une thèse d’Astronomie sur laquelle nous reviendrons. Il prit aussi le grade d’Oberlehrer, qui correspond à peu près au titre d’agrégé de notre enseignement secondaire. Enfln il paraît bien être établi qu’à cette époque il fréquenta aussi le laboratoire du professeur de Physique, Carl Neuman : c’est celui-ci qui le mit en relation avec Antoine d’Abbadie, en 1856 ou 1857.
A partir de cette dernière année, Iladau collabora activement au calcul et à la rédaction des observaations de cet infatigable voyageur, qu’enfin il vint reejoindre en France vers la fin de 1859.
Fixé à Paris, Radau devint rapidement un des journalistes scientifiques les plus appréciés : en 1861, il collabore déjà au Moniteur Scientifique de Quesneville, et en 1862 aux Montes de l’abbé Moigno ; dès lors, il enrichit ces deux revues de mémoires nombreux et intéressants sur les sujets les plus variés ; souvent aussi il y trace de main de maître un tableau vivant des progrès de l’Astronomie.
Longtemps aussi il fut rédacteur scientifique à des journaux quotidiens importants, comme le Journal des Débats, etc.
Les brillantes qualités de son style avaient frappé le directeur de la Revues Deux Mondes, et il devint collaborateur en 1866, puis secrétaire de ce célèbre périodique, dont la maison fut en quelque sorte la sienne pendant une quarantaine d’années ; il y a vu passer d’innombrables et illustres représentants de la littérature et des sciences, toujours heureux de profiter de ses lumières et de son goût.
Dès lors, il est connu et apprécié pour l’étendue et la solidité de ses connaissances, qui embrassent les sujets les plus variés : Mathématiques pures, Mécanique céleste, Astronomie, Physique, Météorologie. Outre le latin et le grec, et même un peu d’hébreu et de sanscrit, il connaît les principales langues d’Europe ; enfin les beaux-arts ne le laissent pas indifférent et, lié avec Offenbach, il songe un instant à écrire pour lui un livret.
Sa réputation grandissante refluait jusqu’à la ville de ses études, car le 27 juillet 1871 l’Albert-Universsität lui décernait le titre de Docteur en philosophie, honoris causa « propter egregiam rerum mathematicarum , astronomicarum, physicarum cognitionem, quam magna scriptorum luculentorum numero comprobravit »,
Cet honneur, peut-être inopportun, fut du moins une des dernières joies de ses vieux parents, justement fiers d’un tel fils, qui d’ailleurs ne leur a jamais fait aucun chagrin. Éloigné de tous les siens, il ne laissait passer aucun anniversaire sans leur témoigner son affection ; et sa famille conserve pieusement les petits poèmes et les dessins qu’il lui envoyait alors, principalement à sa mère.
L’avenir souriait donc à sa seconde jeunesse, quand les événements de 1870 mirent aux prises sa patrie d’origine et sa patrie de choix. D’un naturel très doux et très timide, d’ailleurs n’étant pas encore naturalisé, il dut s’éloigner quelque temps de France, avec tous ceux qui venaient d’outre-Rhin ; il aurait d’ailleurs pu rencontrer une suspicion dont la crainte paraît même avoir pesé très longtemps sur lui.
Dès lors, ce mondain élégant, qui ne s’est jamais créé de foyer, se jette dans une retraite absolue, donnant au travail ses jours et une partie de ses nuits, jusqu’à fatiguer profondément sa vue qui, à la fin, était extraordinairement courte. Aussi il produit plus que jamais :
Dès 1871, il collabore au Bulletin des Sciences mathématiques, fondé l’année précédente par M. Darboux,
Après la mort tragique de Delaunay et le départ de Tisserand pour l’Observatoire de Toulouse, il fut question de confier à Radau l’achèvement des Tables de la Lune, à peine commencées par Delaunay ; mais ce projet ne devait se réaliser que beaucoup plus tard.
Il fut un des collaborateurs de la première heure du Bulletin astronomique en 1884, qui, dès lors, fut même son organe de prédilection.
Depuis que le Bulletin de Le Verrier était devenu purement météorologique, les astronomes français n’avaient plus chez eux de revue spéciale pour publier rapidement leurs observations, et cette lacune était vivement sentie de divers côtés. Ainsi, Tisserand à Toulouse avait songé à la combler, mais il s’était convaincu bien vite combien cela serait difficile loin de Paris. D’un autre côté, avec Callandreau, nous avions également agité ce projet, particulièrement en 1883, et envisagé les moyens de réalisation ; mais nous étions arrêtés par des difficultés d’ordre matériel.
Fort heureusement, l’amiral Mouchez avait adopté de son côté la même idée, que, par son influence, il sut réaliser rapidement : Tisserand accepta la direction du nouveau Bulletin, et Radau, désigné par son savoir et sa grande expérience, voulut bien se joindre à nous ; on sait qu’il y a inséré de nombreux mémoires et d’innombrables analyses, véritables modèles du genre.
L’achèvement des Tables de la Lune, assumé d’abord par Tisserand, présentait des difficultés ; par exemple, la théorie des perturbations lunaires produites par les planètes était à peine ébauchée. L’Académie des Sciences ayant mis ce sujet au concours, Radau présenta un mémoire qui fut couronné et qui faisait faire à la question un véritable progrès.
Aussi, lors de la mort tristement prématurée de Tisserand, survenue le 19 octobre 1896, Radau fut naturellement désigné pour le remplacer, à l’Académie des Sciences d’abord (1897), au Bureau des Longitudes ensuite (1899). Depuis lors, tous ses efforts ont tendu à l’achèvement de ces Tables, qui forment le tome VII des Annales du Bureau des Longitudes, et dont il a eu la satisfaction de terminer l’impression il y a cinq à six mois ; par là, son nom restera intimement uni à celui de Delaunay.
La magistrale Introduction dont il les a fait précéder a été son dernier travail important. Elle lui avait causé une véritable fatigue, et pour la première fois il songeait à se reposer. Mais il ne sut encore se décider à prendre des vacances ; ainsi qu’il avait toujours fait, il passa tout l’été dernier à Paris et les chaleurs augmentèrent encore sa fatigue.
Cependant, il nous paraissait toujours le même. Mais le 4 décembre dernier une maladie mal définie lui donna un sérieux avertissement. Il se remit cependant et, le 13, il assistait encore à la séance du Bureau des Longitudes, peu changé en apparence. Toutefois, depuis, il s’affaiblit rapidement et, le 18, quand il voulut, comme d’habitude, rédiger la Table du numéro de janvier 1912 du Bulletin Astronomique, il dut se faire aider.
Le 21, vers 4 heures du soir, il s’entretenait encore avec une parfaite lucidité de travaux qui l’intéressaient, et deux heures après il s’éteignait sans agonie.
Radau était la modestie même, comme on pourrait le prouver par des traits nombreux ; mais un seul suffira : on composait la dernière feuille de l’Introduction des Tables de la Lune, et, sans l’insistance du Bureau des Longitudes tout entier, il allait en donner le bon à tirer sans y mettre son nom.
A cette modestie, il joignait une obligeance sans bornes.
Tel fut l’homme. Ajoutons quelques mots sur ses travaux.
Nous ne rappellerons pas, malgré leur intérêt, ses nombreux ouvrages de haute vulgarisation, qui sont principalement relatifs à la Physique et à la Météorologie, comme Le spectre solaire (1863), L’Acoustique (1867), Le Magnétisme (1870), La Lumière et les climats (1877), L’Actinométrie (1877), La Météorologie nouvelle… (1883), etc. .
Nous ne pouvons insister non plus sur ses recherches de géodésie expéditive, occasionnées par la rédaction des travaux de d’Abbadie, et nous ne rappellerons qu’en passant ses travaux sur les formules d’approximation ( Journal de Liouville, sept.-oct. 1880), sur les formules d’interpolation (Bull. estr., 1891) et sur les applications des méthodes graphiques (Bull. astr., 1886 et 1894). Mais nous dirons successivement quelques mots de ses recherches sur le problème des trois corps, sur les réfractions, sur la figure de la Terre et sur la théorie de la Lune.
Problème des trois corps, — Le premier travail de Radau, contenu dans la thèse latine de 1857, avait déjà du rapport avec cette question. Cette thèse, dont le manuscrit fut perdu accidentellement, avait pour titre : Problema de motu nodorum orbitarum planetarium adhibitis functionibus ellipticis tractetum. Elle offrait alors une des premières applications des fonctions elliptiques aux problèmes d’Astronomie, mais ne fut publiée qu’en 1864, dans les Mondes, sous ce titre : Sur un problème d’Analyse proposé par Lagrange. Radau y ramène à la forme linéaire les équations différentielles très compliquées de Lagrange, et montre qu’elles peuvent s’intégrer par les fonctions elliptiques. Tisserand reprit la même question en 1882 (Ann. de l’Obs. Mémoires, t. XVI), puis Radau y revint encore en 1893, pour la résoudre complètement.
Comme la solution rigoureuse du problème des trois corps parait impossible, Radau s’est attaché à simplifier les équations différentielles du mouvement.
Dans une série de mémoires insérés dans le Journal de Liouville, dans les Annales de l’École Normale et dans le [Bulletin Astronomique, il expose tout ce qui a été fait avant lui, puis il donne une démonstration très simple de ce fait qu’une seule intégrale des aires suffit pour éliminer deux variables.
Sur les réfractions astronomiques (Ann. de I’Obs, de Paris, Mémoires, t, XVI et XIX). On sait toute l’importance que présente pour l’Astronomie la connaissance de la réfraction, puisque toujours nous obserrvons les astres à travers l’atmosphère qui enveloppe la Terre.
Tant que la distance zénithale de l’astre considéré est inférieure à 75°, le calcul de la réfraction est facile, car il est sensiblement indépendant de la loi inconnue que suit la diminution de la température quand on s’élève dans l’atmosphère. Mais, plus bas, il n’en est plus de même, et notamment entre 80° et 90° ; alors il faut recourir à des hypothèses sur la loi de variation de la densité ou de la température avec la hauteur, ou de la densité avec la température. On s’explique ainsi le nombre considérable de Mémoires écrits sur ce sujet.
Dans un premier travail, Radau compare entre elles toutes les théories existantes, et porte surtout son attention sur la manière dont elles représentent les décroissements de la température observés en ballon. Cet examen lui prouve qu’on peut prendre pour point de départ l’hypothèse d’Ivory, c’est-à-dire admettre un rapport constant entre le décroissement de la densité et celui de la température. Il remplace les formules d’Ivory par d’autres plus rapidement convergentes et où l’élément important est une transcendante bien connue, étudiée successivement par Kramp, Laplace, Bessel…, et il calcule des tables de cette transcendante plus étendues et plus précises que celles de ses devanciers.
Finalement, il arrive à construire des Tables de réfraction très complètes, dans lesquelles on tient compte aisément de la température, de la pression barométrique et même de l’humidité de l’air au point d’observation. Une table additionnelle permet de calculer la variation correspondant à un certain changement du nombre qui représente le décroissement de la température pour une hauteur donnée. Ces Tables sont aujourd’hui les plus complètes et les plus exactes.
Sur la figure de la Terre (Comptes Rendus, t, C, p. 972 ; Bull. astron., avril 1885 et février 1890). — En combinant la valeur observée de la précession avec les conséquences de l’équation bien connue de Glairant, Radau montre que l’aplatissement de la Terre doit être inférieur à 1/297, tandis que l’on admettait alors la valeur notablement supérieure 1/292, d’après l’observation même. Et il est remarquable que, depuis, des observations plus étendues et plus précises aient conduit à un nombre très voisin de 1/297, celui même que Radau avait trouvé théoriquement.
Sur la théorie de la Lune. — On sait que la Lune n’obéit pas, avec toute la précision désirable, à la théorie actuelle de la gravitation ; dans l’intervalle de deux à trois siècles, elle s’écarte progressivement de la position calculée d’une quantité qui peut atteindre ± 30’’. Nous avons dit que l’Académie des Sciences avait mis au concours l’étude approfondie de cette question (prix Damoiseau pour 1892) et que le mémoire de Radau fut couronné, Il complète un travail de Hill et enseigne à déterminer rapidement le coefficient d’une inégalité lunaire, supposée a priori avoir quelque influence, puis il examine les inégalités d’origine planétaire qui peuvent avoir une action sensible sur notre satellite, au nombre de 70 environ ; et finalement il retient 12 d’entre elles dont l’ensemble peut s’élever à ± 3« . Ce résultat est sans doute bien éloigné d’expliquer les ± 30 » d’écart, mais il n ’en est pas moins important ; en effet, il régularise les erreurs des Tables et peut ainsi faciliter la recherche des inégalités à découvrir, dont Radau, à la fin de sa vie, penchait à voir la cause dans un essaim de petites planètes intra-mercurielles, circulant à proximité du Soleil (voir l’introd. aux Tables de la Lune, p. 12 et 85).
G. Bigourdan, Membre de l’Académie des Sciences et du Bureau des Longitudes.