La spéléologie, ses moyens, ses buts

R. de Joly, La Nature N°2998 et 2999 — 1er et 15 avril 1937
Mercredi 11 novembre 2009 — Dernier ajout mercredi 1er mai 2019

Première partie — La Nature N°2998 du 1er Avril 1937

La Nature a été la première à rendre compte des explorations de cavernes faites par son ancien rédacteur en chef, M. E.-A. Martel qui fut le précurseur et l’initiateur de ces difficiles et audacieuses recherches. Celles-ci ont eu un tel retentissement que l’exemple a été suivi : des disciples nombreux se sont groupés ; ils ont mis au point un matériel perfectionné ; ils se livrent ardemment à la prospection des anfractuosités du sous-sol, sport difficile autant que science précieuse.

Le président de la Société spéléologique de France veut bien présenter la spéléologie d’aujourd’hui, où il est passé maître, décrire son appareillage et ses techniques, définir ses résultats.

Chaque année des groupes nouveaux se forment un peu partout à la suite de lectures d’articles de vulgarisation, ou de conférences organisées par nos soins, dans le but de prospecter le sous-sol. D’importantes sociétés, comme par exemple le Club Alpin Français, créent des commissions de spéléologie. Des alpinistes distingués daignent abandonner les cimes ensoleillées pour la nuit profonde des gouffres et y trouvent un charme particulier.

Toutefois pour se risquer dans ces cavités naturelles : grottes et avens, il faut à la fois être bien outillé, avoir une solide constitution, et posséder diverses connaissances spéciales, sans quoi les risques déjà grands augmentent et on ne peut faire œuvre utile.

Les Moyens

Peu à peu, l’équipement, l’outillage, les techniques se sont grandement perfectionnés. Je décrirai le matériel que nous avons adopté ou imaginé, tel qu’il nous sert aujourd’hui.

Costume. : Éviter les chandails s’accrochant aux aspérités et couvrir les sous-vêtements de laine (à adapter aux températures des lieux visités) d’une bonne combinaison en toile de lin à col droit, fermée aux poignets et aux chevilles, possédant de nombreuses poches. Les clavicules, coudes, genoux et fesses seront rembourrés de plaques de caoutchouc mousse, utiles pour parer les coups et garantir de l’humidité.

Chapeau, en caoutchouc mousse sans revêtement métallique, donc léger et souple, bien assujetti par deux jugulaires : l’une occipitale et l’autre sous le menton. Pour éviter l’usure, il sera recouvert de toile de lin.

Bottes en phoque ou cuir chromé et suiffé, montant sous le genou et lacées dans des œillets. La semelle portera un patin d’acier vissé qui supportera 6 pointes acérées en acier nickel-chrome. Ce ferrage permet de tenir sur toutes les natures de sol et, en particulier, sur l’argile si fréquente dans les grottes. Les talons sont en caoutchouc pour amortir la marche sur les roches dures.

Les espadrilles sont à éviter à cause de leur peu de résistance. Elles ne protègent pas contre les coups, se font arracher par l’argile molle et glissent dès que le sol est mouillé et glaiseux.

Gants, très importants, car ils évitent le contact des mains avec des cordes ayant touché des animaux crevés.

Leur qualité devra être de premier ordre, épais, suiffés, sans ouverture dans la paume ; ils auront un crispin court. lis protègent de ces pointes aiguës de calcite qui coupent comme des rasoirs. Pendant les rappels, ils évitent les brûlures. En plus, lorsqu’on veut prendre des notes, on a des mains « à peu près » propres.

Les accessoires de poche comportent des briquets, au nombre de deux au moins. L’un, à essence, sera étanche ; l’autre pourra être à gaz, c’est-à-dire donnant simplement une étincelle de ferro-cérium. Les allumettes étant hygrométriques, ne pas s’en encombrer.

Une paire de pinces universelles, légères et petites, un couteau, de la ficelle (fouet), du fil de fer de divers diamètres, des pitons, une bougie, une montre étanche et blindée (Ermeto), un thermomètre, un serpentin et un calendrier éphéméride (pour le repérage dans les labyrinthes), un sifflet, une boussole (que nous portons sur un des bracelets de cuir de poignet) un mouchoir, un bonnet (comme ceux de chirurgien) en toile blanche pour les arrêts lorsqu’on est à l’abri des pierres, compléteront ces accessoires qu’on est fort heureux de trouver à portée.

On va s’écrier : « Mais tout cela doit peser lourd ! » Évidemment nous n’avons rien du coureur à pied, mais nous n’avons pas à faire le même travail ! Si certains descendent sous terre en tenue de scout, nous ne pouvons que les plaindre, car ils endurent une souffrance inutile au contact des rochers pointus, ou pendant les reptations sur les lits de torrents.

Chaque explorateur porte une ceinture de sangle bien ajustée ; trois mousquetons différents y sont fixés, un pour la corde de sûreté, un autre au bout d’une corde repliée soigneusement, pour les arrêts sur les échelles ou sur les relais, et le dernier pour accrocher la bouteille à gaz.

La pratique consistant à s’enrouler la corde de sûreté autour des reins est à rejeter, comme dangereuse et fatigante. En plus, on perd du temps pour faire et défaire les nœuds.

Une fois équipés, examinons le matériel nécessaire pour s’engager sous terre.

Éclairage. - L’éclairage est une question importante puisque nous sommes toujours dans la nuit. Forts de l’expérience des premiers spéléologues, nous l’avons perfectionné.

Notre préféré est certainement celui à acétylène dissous, mais disons que jamais nous n’avons de lampe à main. Il faut les mains libres - fort occupées par ailleurs - donc il est ridicule de les encombrer. La lampe de mineur peut être un danger grave dans les puits, en cas de chute.

Nos becs sont toujours sur un support frontal tenu par une sangle de caoutchouc. Ainsi, la lumière est automatiquement dirigée en même temps que le regard.

A côté du bec se trouve un briquet. Donc, pas de fastidieuses recherches si la lumière vient à s’éteindre pour une raison quelconque.

Nous utilisons, à cause de sa grande durée comparativement au poids emporté, le gaz butane. Mais à moins d’employer des manchons, toujours fragiles, il éclaire moins que l’acétylène.

Si nous devons circuler dans une caverne où règnent de forts courants d’air ou près de cascades risquant d’éteindre les becs à feux nus, nous avons un photophore étanche à feuilles de mica et briquet intérieur.

Nous avons aussi en réserve de légers photophores (50 gr) électriques alimentés par des piles (Pile-Ménage). L’éclairage est nettement moins puissant que celui de l’acétylène et nous ne l’employons que si nous y sommes forcés par la présence de gaz carbonique. A ce moment, la flamme de l’acétylène devient fuligineuse, son pouvoir éclairant diminue et c’est le meilleur avertissement. En présence de C02, les brûleurs à manchons, carburant beaucoup d’air, annoncent immédiatement le manque d’oxygène en vous plongeant dans la nuit.

Nous avons aussi une torche puissante à foyer réglable, mais son utilisation est rare, car il faut de grandes voûtes pour qu’elle réponde à un besoin.

Volontairement, nous ne voulons pas d’éclairage à pinceau étroit, mais au contraire une lumière non concentrée par une loupe ou un réflecteur.

Une nouvelle lunette électrique à ampoule située entre les deux yeux et piles sur les branches est commode dans certains cas (Lufix).

Nous avons aussi un photophore à essence dans un réservoir feutré. Il sert pendant les longues stations.

Matériel de descente. : Nous ouvrons là un chapitre qui pourrait être long ; nous tenterons de décrire l’outillage rapidement, sans rien oublier toutefois.

A notre avis, il est essentiel que l’outillage soit parfaitement adapté au travail qu’on lui demande, car ce n’est pas dans une situation délicate, au fond de quelque puits, qu’il faudra s’apercevoir d’un défaut. Dans un tel moment on a d’autres occupations.

Naturellement ce n’est pas dans le commerce que ces accessoires se trouvent, car ils n’auraient pas un débouché suffisant. Ce qui peut s’y trouver ne vaut rien pour nous et ne représente, à mes yeux, qu’un médiocre à peu près. Je suis heureux d’avoir pu imaginer et fabriquer ces fournitures, car elles évitent de la peine. Nous avons fait la chasse aux poids inutiles par un judicieux emploi des nouveaux métaux, alliages et matériaux.

Cordages : c’est d’environ 400 ou 500 m de cordes diverses qu’il faut pouvoir disposer. La corde téléphonique dont l’âme de chaque, toron contient un fil conducteur a 150 m. A chaque extrémité se trouvent des prises de courant raccordant avec le poste fixe (en haut) et le mobile (au cou). Une ganse se trouve du côté du poste mobile pour l’accrochage au mousqueton de ceinture du chef d’exploration.

La corde de sûreté des aides a 100 m au moins. Diverses cordes de 7, 10 et 11 mm de diamètre et de 20, 40, 50 cm complètent les cordages qui tous sont en manille premier choix à cause de la résistance de ce textile à l’humidité.

Un dévidoir en aluminium, portant une cordelle de 100 m, servira à faire un va-et-vient dans les gouffres subverticaux ou en hélice.

Ceinture à plateau. — Comme il faut prévoir le pire, nous avons établi une sorte de ceinture qui porte une sangle feutrée passant entre les jambes, pendue à quatre cordes, réunies sur une croix de bois ; assujetti contre cette croix, un disque de duralumin protège des chutes de pierres. Les quatre cordes sont réunies à un mousqueton à verrou qui se pose à la ganse de la corde de descente. Des raccords téléphoniques sont prévus entre la ganse et l’homme qui se place dans l’appareil.

Il sert à l’exploration de puits où des avalanches sont inévitables et se trouve à notre disposition si nous avions un blessé à remonter, même complètement inerte.

Freins de cordes. — Une pièce d’aluminium coulé porte une sorte d’étau réglable, commandé par un écrou à oreille. Par sa forme particulière ce « pince-corde » permet de fixer le filin pendant les arrêts, ce qui laisse le personnel se reposer et le libère.

Deux freins semblables s e trouvent montés au bout d’une corde qui est fixée à un arbre ou un rocher.

Poulies. — Il faut en avoir au moins trois : l’une d’elles sert à la ligne téléphonique, l’autre à la corde des aides, la troisième au besoin pour du matériel. Toutes sont spéciales et peuvent s’ouvrir soit par le côté, soit par le haut. Elles sont en acier, en aluminium et en gaïac. La poulie marine, entièrement en bois sauf l’axe, peut être utilisée.

Galets. — Dans le cas où l’aven s’ouvre au bout d’un couloir, sous un, porche, ou quand sa largeur est trop importante pour placer les cordes de poulies en travers, l’appareil à galets est indispensable. Chacun des trois rouleaux est monté sur un V en aluminium coulé, tournant sur un axe tubulaire en laiton. Chaque V est relié au suivant par une charnière. L’appareil, qui est en général fixé sur les premiers échelons de l’échelle par des cordelles, est souple et s’adapte au terrain. Il évite le « raguage » des cordes sur l’angle de départ.

Échelles souples — Si certains spéléologues, par raison d’économie de dépense et de poids, utilisent des sortes de griffes à cordes (appelées « singes ») pour descendre et monter à la corde lisse, nous préférons les échelles, plus sûres et d’utilisation plus rapide.

Il est nécessaire d’en avoir de divers types et au moins 100 m. Chaque élément sera de longueur différente pour être adapté aux « crans » rencontrés, sans perte de métrage.

Nous avons, pour notre compte, 220 m d’échelles en corde et bois, d’abord, pour grands puits, les échelles dont les barreaux de bois ont 30 cm de largeur, et dont les cordes sont de diamètres divers sans excéder 12 mm ; ensuite le type étroit à barreau de 15 cm, ce qui permet de gagner du poids et de l’encombrement.

Un autre type d’échelle en magnésium et acier, créé par nous, est un réel progrès dans le matériel spéléologique à cause de son faible volume et de son poids très réduit. Le poids du mètre varie de 44 à 110 gr. Si on compare ce poids à celui des échelles de nos devanciers, qui était d’environ 1 kg par mètre, on saisira les possibilités qu’il donne. Un homme en porte facilement 50 m sans gêne.

La largeur des barreaux est de 12 ou 14 cm. Grâce à l’alliage léger employé, ils pèsent de 7 à 16 gr chacun.

Les câbles (aviation) vont de 2 mm à 3 mm de diamètre. Les charges de rupture pour l’échelle sont, suivant le modèle, de 500 kg à 1 t.

Tous les éléments d’échelles sont raccordés au moyen de maillons fendus en nickel-chrome. On peut « mailler » deux éléments en 15 s, alors qu’autrefois il fallait compter 5 min. Nous avons modifié ces maillons d’invention italienne ; leur inoxydabilité est favorable à la conservation des cordes en contact.

Fixe-échelles. — Nous en utilisons deux modèles : l’un est un anneau de corde où deux raccords NiCr sont enfilés ; il permet des combinaisons autour d’un arbre, d’un rocher ou d’une stalagmite.

L’autre est un triple crochet monté sur un support à corde. Pouvant recevoir n’importe quelle largeur d’échelle, il supporte cet agrès par un échelon. Son emploi est extrêmement pratique dans les puits :où des allongements ou raccourcissements sont fréquents. La manœuvre peut être exécutée en quelques secondes.

Poulie à échelles. — Nous avons une poulie spéciale à large rouleau pouvant se placer sur l’échelle par une porte à charnière. Elle sert pour diminuer l’effort de relevage de ces agrès dans les grands puits.

Échelles rigides. — On peut en avoir en bois pour les explorations dans les rivières (flottage possible), mais elles sont encombrantes. Il existe dans le commerce un modèle métallique repliable dont les barreaux disparaissent dans l’intérieur des tubes (sectionnés suivant une génératrice), mais leur longueur ne peut être grande, car trop fragiles. Nous avons fabriqué un modèle en tube d’acier, dont les barreaux se posent séparément. Si elle permet une hauteur importante, elle a l’inconvénient d’être longue à monter. On peut toutefois la transporter aisément à cause de ses éléments séparés.

Poids : 10 kg pour 50 m. Ces échelles nous servent souvent de ponts sur les marmites de géants profondes.

Outils divers. : Des outils de démolition sont indispensables. Ils se composent de pics à manche court, aiguilles de carrier, tamponnoirs, barres à mine, serpettes, scies, haches, les uns pour l’intérieur, les autres pour l’aménagement de la bouche.

Explosifs. — Dans certains cas, l’emploi de mines est indispensable, mais de nombreuses précautions doivent être prises. En particulier, nous ne posons jamais de détonateur dans le trou à explosif, mais relions ce dernier à la mèche par un cordeau-détonateur spécial, ce qui évite le danger présenté par le bourrage.

Treuil. — Cet appareil doit être tout différent de ce qu’il est dans le commerce, car il pourrait autrement causer de graves ennuis. Le nôtre possède sur son dévidoir à deux manivelles (sans démultiplicateur) 150 m.de câble d’acier, un frein (ressemblant à ceux des automobiles) et un cliquet. Ses pieds sont télescopiques pour s’adapter au terrain en général irrégulier. Ce n’est pas son poids (15 kg) qui contre-balance celui de l’homme pendu au bout du fil, mais une.« patte d’oie » en corde qui se fixe en arrière. Il permet la réduction du personnel de service (2 hommes) à la bouche, tout en conservant la sécurité nécessaire.

Téléphones. — Nous disposons de trois postes valise ou sacoche. Les valises contiennent pour le transport les combinés fixes et mobiles et les piles. Le poids de la valise est de 4 kg. Des prises de courant s’adaptent soit à la corde téléphonique, soit au dévidoir-trolley.

Le poste sacoche pesant moins de 2 kg comprend deux petits combinés, un dévidoir en électron et son fil de 80 m, plus les piles. Dans les puits, il relie les explorateurs.

Dévidoir-trolley, — Lorsqu’on est forcé d’installer un « standard » au milieu d’un gouffre très profond, c’est-à-dire une liaison de l’employé au relais avec le haut et avec le bas, il est utile d’avoir cet appareil peu encombrant malgré ses 150 m de fil ; il permet de parler pendant le dévidage ou le bobinage (poids env. 5 kg).

Comme la voix porte mal et que les phénomènes des résonances empêchent les spéléologues de correspondre, le téléphone est indispensable pour la liaison dans beaucoup de cas.

Sondes. — Nous avons deux sortes de sondes :

De hauteur : la trousse pour mesurer la hauteur des voûtes se compose de deux bouteilles d’acier (une grosse et une petite) contenant de l’hydrogène à 150 kg de pression, de plusieurs ballons de caoutchouc (diamètre 70 cm), et d’un dévidoir à fil fin de 100 m. De profondeur : un dévidoir à 2 poignées en bois ou en électron, porte une ligne de pêche au thon lestée à une extrémité d’ovules de plomb. Sa longueur est de 200 m. Chaque mètre est marqué par un nœud. Tous les 10 m, il y a autant de nœuds que de dizaines. Les marques sont de couleur différente dans chaque centaine.

Une sonde légère se trouve dans le sac d’exploration.

Réserves. — Au camp, nous avons toujours des bouteilles de grande capacité d’acétylène, de butane, d’oxygène, d’hydrogène, des kilogs de bougies, des piles. Comme nous transportons les gaz employés à la soudure autogène, il nous est facile d’en profiter pour certaines réparations et un chalumeau avec un jeu de becs se trouve dans l’outillage qui comprend de nombreux outils, et jusqu’à un compresseur d’air.

Ancre.— Pour pouvoir aborder dans les grottes de falaises situées en retrait par rapport à l’aplomb de l’échelle, nous avons une ancre à crampons à 120° (en Ni Cr) fixée au bout d’une solide cordelle.

Nous en avons presque terminé avec ce qui est nécessaire pour les explorations dans les cavernes « fossiles ». Il faut mentionner encore le sac du chef d’exploration contenant de petits accessoires de rechange pour les lampes ; les thermomètres, baromètres, hygromètres, boussoles, sitomètre ; appareil photographique ; magnésium en poudre, chocolat, biscuits, thon, marteau, pitons, serpentins, éphémérides pour le repérage dans les labyrinthes, etc [1].


Seconde Partie — N° 2999, 15 Avril 1937

Les explorations dans les cavernes « vivantes », c’est-à-dire contenant des « laisses » ou des rivières, nécessitent un complément de matériel.

Bateaux. — Nous avons, depuis leur introduction en France, employé les bateaux pneumatiques, car leur résistance est grande, et leur poids faible. Seuls ils peuvent se rouler et passer dam les « étroitures » où nous nous faufilons. Nous en avons un de 2 m de long et un de 1 m 40. Remarquables par leur stabilité, ils portent leur charge, même pleins d’eau.

Scaphandre-flotteur, — Ce vêtement permet de rester des heures dans l’eau froide sans grelotter. Il flotte, porté par le gilet en caoutchouc-mousse qu’on revêt par-dessus. La stabilité verticale est obtenue par un plombage des semelles. On peut passer ainsi équipé aux endroits où le bateau ne peut-plus circuler gonflé. Il nous permet de libérer une embarcation et d’aider les camarades qui en sont dépourvus. Le poids complet est de 16 kg. Nous en avons deux à notre disposition. Dans les torrents rapides où l’on risque d’être arraché du bateau nous en sommes toujours revêtus.

Gilets de sauvetage. — Deux en « mousse » et un en liège servent dans les cas difficiles, car il ne faut pas oublier qu’une chute dans un lac profond, complètement équipé et chargé, serait la noyade certaine.

Cet ensemble est complété par les cordelles de va-et-vient, les soufflets, pagaies, trousses de réparation. En plus, pour le cas de noyade ou d’indisposition par gaz carbonique, nous disposons d’une bouteille d’oxygène et d’un masque respiratoire.

Comme il est toujours intéressant de connaître l’écoulement des eaux souterraines, chaque fois que nous le pouvons, nous faisons une étude hydrologique. Pour suivre la marche des courants, nous teintons l’eau avec de la fluorescéine ; il faut donc en avoir en stock à la voit ure et une certaine quantité sur soi. On peut parfois obtenir les mêmes résultats en troublant l’eau avec de l’argile, mais on ne peut suivre bien loin cet indice.

Moyens de transport. — A cause des nombreux objets nécessaires, on comprend l’impossibilité d’employer le chemin de fer pour se rendre à pied d’œuvre. Seule l’automobile répond aux besoins. Très rares sont celles qui peuvent convenir. Il faut, en effet, que la voiture soit puissante, robuste, très haute, pour passer sur les pistes, et munie d’un braquage d’au moins 40°. Naturellement, elle sera carrossée en tôle, car les branchages auraient vite raison des tissus enduits. L’arrière sera vide de coussins pour contenir le matériel, en utilisant toute la place disponible.

Si possible on aura organisé les places avant, de telle façon que la voiture puisse servir de chambre à coucher (stores, éclairage). Une importante réserve d’eau se trouvera à disposition sur un marchepied, à côté d’un nécessaire de toilette, car n’oublions pas que les lieux que nous fréquentons sont, en général, dépourvus d’eau de surface.

Camping. — Il est rare, dans les pays perdus où nous faisons nos recherches, de trouver le logement pour le personnel. Ou s’il y en a, il ne répond pas à nos désirs … quand ce ne serait que pour la propreté. Force est donc d’emporter le campement.

Deux moyens sont en présence : les tentes ou la remorque-caravane (comme disent les Anglais).

En fait, il faut avoir les deux, car si l’exploration prévue est longue et importante, loin de toute route ou piste, on sera très heureux de pouvoir installer le camp à proximité. Nous avons pour principe de ne pas entreprendre de descente avant que celui-ci soit organisé, et nous nous en sommes toujours bien trouvés. Comme il arrive que nous ressortions la nuit, ce n’est pas à ce moment qui nous trouve fatigués, affamés et sales que 2 h de besogne doivent être ajoutées.

Si le camping sous la tente a son charme, il ne manque pas d’inconvénients : humidité, température variable, installation précaire ; ce n’est donc "qu’un. pis aller qui fait perdre beaucoup de temps et coûte de la peine.

Par exemple, un gouffre, très profond, paraît-il, est signalé. Nous ne pouvons faire autrement que de nous installer avant de descendre. Malheureusement, malgré sa profondeur, de 100 m, par exemple, l’exploration est terminée en 2 h ; le fond était colmaté, et seul, le chef est descendu. Il faut aller ailleurs pour le suivant, et le camp doit être levé. Deux nouvelles heures sont encore perdues, la journée est compromise, nous avons perdu notre temps en détails accessoires.

Caravaning. — Grâce à la ce caravane » cela est évité. Le couchage est toujours prêt, la cuisine est installée, les vivres sont en place, tout est en ordre, la bibliothèque, le bureau et sa machine, les vêtements, la toilette, la T. S. F. Le jour entre par de larges baies, on jouit du paysage choisi avec soin. La ventilation est largement assurée, au besoin aidée par un ventilateur électrique. Il fait froid, les fenêtres à auvent se referment hermétiquement, les parois doubles (isothermes ou à circulation par thermo-siphon) protègent ; au besoin on allume le chauffage. Ici, plus d’humidité, de forficules sous les lits, mais l’ordre et la propreté. Sur la route, la moyenne horaire est nettement moindre, mais malgré cela, que d’heures gagnées et si les explorations sont courtes et éloignées, que de peine évitée.

Si à cet ensemble on ajoute les objets personnels de chacun on se rend compte de ce que représente le matériel transporté dans la voiture ou sous terre. Il faut, que l’ordre règne dans son organisation et qu’un inventaire soit fait à chaque excursion.

Quel poids représente tout le matériel décrit qui tient dans les véhicules dont on a parlé ? Avec les vivres et les vêtements, il doit être voisin de 1 tonne.

Naturellement, cet outillage permet de faire de grandes explorations, mais il faut savoir s’en servir. Toute une technique, basée sur une longue expérience, a été créée, dont on comprendra l’importance en songeant qu’une faute peut coûter la vie d’un ou plusieurs hommes [2].

Les hommes

Le nombre des collaborateurs doit être fonction de l’importance de la cavité à explorer ou des complications qu’on y rencontre, ce qui est impossible à prévoir. Le minimum est de trois, et dans certaines grandes explorations nous avons été quatorze.

Moins on est, mieux cela vaut, car la différence de valeur sportive se fait toujours sentir, et les explorations en sont ralenties. Afin de diminuer les risques, le chef devra connaître les qualités et les défauts de chacun pour organiser l’équipe. Une discipline librement consentie doit régner, sans quoi le danger augmente nettement, ainsi que le temps perdu.

Lorsqu’on saura que dans certains gouffres la descente et la remontée d’un seul homme représentent 6 h de séjour de plus pour le chef d’expédition, on comprendra que le nombre de ceux qui doivent toucher le fond soit limité. Nous avons pour principe d’entrer le premier et de sortir le dernier, pour de multiples raisons. On ne nous tiendra pas rigueur de limiter au strict nécessaire un séjour qui souvent est pénible.

On peut aisément deviner que si celui qui est chargé des observations scientifiques se préoccupe trop de sa sécurité,il ne fera pas de bon travail. Il faut donc qu’il acquière confiance en soi, en ses bras, en ses jambes, pour ne pas avoir à penser à ces contingences une fois sur les lieux. Pour y arriver, si le reste de l’année sa vie est sédentaire, il devra faire des agrès dans un gymnase, se durcir la peau des mains, entraîner ses muscles des bras, pour, si besoin est, rester pendu un moment par une seule main. L’entraînement devra être continu pendant toute la morte-saison.

Si l’état physique doit être bon, le moral ne doit le lui céder en rien, car il est des moments pénibles où l’on souffre du froid, de la chaleur, de l’humidité, des positions fatigantes, de l’argile sur les mains, de l’odeur fétide des cadavres, que sais-je encore ? C’est sous terre que dans les « coups durs » on peut juger de la valeur morale d’un homme, il est alors lui-même, le masque tombe.

Enfin, s’il n’est pas utile que tous les membres d’une expédition souterraine soient des scientifiques, il vaut mieux, toutefois, que ceux-ci , soient aussi nombreux que possible.

Les buts de la Spéléologie

Malgré ses aspects sportifs, la spéléologie est une science qui poursuit des buts pratiques et théoriques dont l’importance ne fait que croître.

Les explorations de cavernes peuvent se proposer :

a) des recherches d’eau, car l’eau est rare en surface dans les pays calcaires fissurés et contenant des cavités ;

b) la recherche des pollutions des captages communaux, imprévisibles de l’extérieur ; c’est en cheminant dans les réseaux compliqués situés sous le sol qu’on réussit à saisir la marche des courants, leur origine, leur perte. C’est par les colorations à la fluorescéine qu’on découvre pourquoi tel captage voit son débit diminuer ;

c) des recherches d’engrais, car le guano des chéiroptères est parfois en telle abondance qu’il peut devenir une source de revenus pour le propriétaire de la grotte. Les phosphates se rencontrent aussi dans certains avens qui furent des charniers. Des ossements plus récents d’animaux domestiques, jetés par centaines au cours des siècles, dans les avens-dépotoirs, peuvent être aussi utilisés ;

d) des recherches de cavernes-abris. A des fins militaires, les cavernes des zones frontières pourraient être employées, soit comme abris pour les hommes, soit comme cachettes pour les munitions ou le matériel. Nous nous étonnons même qu’on ne nous ait pas encore demandé officiellement d’en faire un inventaire ;

e) les recherches de grottes touristiques. La mise en exploitation de grottes richement décorées par la nature, ou grandioses, dans divers pays, a incité des chercheurs, à visiter les « trous » mais sans beaucoup de succès. Les belles cavernes sont l’exception et elles doivent en plus se trouver près des grands itinéraires, à basse altitude, à proximité de centres de logement ou de séjour, pour avoir un intérêt.

En dehors de ces buts pratiques, on peut encore entreprendre :

a) des recherches préhistoriques, car la chance a parfois conduit dans des grottes-stations ou sépulcrales, riches en objets de fabrication humaine, ou en squelettes, vieux de nombreux millénaires ;

b) des recherches géologiques ou géophysiques, qui révèlent des pendages, la nature et la roche des parois, des phénomènes d’érosion, de corrosion, etc. ;

c) des recherches paléontologiques, puisqu’en scrutant les parois, on extrait parfois des fossiles qui permettent de déterminer l’étage géologique. Parfois la chance conduit à des gisements’ de la faune quaternaire disparue de la région ;

d) des recherches faunistiques et botaniques, puisque tout un monde de crustacés et surtout d’insectes vit dans les milieux obscurs et semble s’y être adapté ;

e) enfin des recherches de physique, notamment sur la propagation des ondes, y compris celles de T. S. F., même les plus courtes.

On devine que les multiples problèmes que la spéléologie pose à ses adeptes, ne peuvent être abordés par un seul cerveau. C’est précisément cette diversité qui en fait une science passionnante. Si on ajoute à cela les moments de jouissance incomparable que donne la vue de sites aussi beaux que nouveaux, on comprendra la joie et la passion de ceux qui s’y consacrent [3].

R. DE JOLY.

Président de la Société spéléologique de France.

[1Nous tenons à signaler qu’un « Manuel du spéléologue » donnant de nombreuses indications techniques va être publié sous peu. Contenant près de 50 pages, il est indispensable à ceux qui vont sous terre. Le demander à la Société Spéléologique de France, Muséum d’Histoire naturelle de Nimes (Gard).

[2Un Manuel du Spéléologue va être publié prochainement, le demander au siège de la Société spéléologique de France, Muséum d’histoire naturelle de Nîmes (Gard).

[3C’est avec plaisir que nous accepterons toutes les suggestions que l’on voudra bien nous faire. S’adresser : Société Spéléologique de France, Muséum d’Histoire Naturelle, il Nîmes (Gard).

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