Charles Dallery (1754-1835)

Robert Lallié, La Nature N°2009 — 25 novembre 1911
Lundi 12 octobre 2009 — Dernier ajout mardi 30 juin 2020

Né à Amiens, le 4 septembre 1754 et mort à Jouy près de Versailles en 1855, Charles Dallery fut un de ces inventeurs malheureux, jouets de la fortune, qui creusent péniblement un fécond sillon partout où ils passent, mais qui n’ont point le légitime bonheur de voir jaunir la moisson.

Buste de Dallery

La Société industrielle d’Amiens vient d’avoir l’excellente pensée, en fêtant son cinquantenaire, de rendre un solennel hommage à un grand inventeur longtemps méconnu et trop oublié aujourd’hui, Charles Dallery.

Né à Amiens, le 4 septembre 1754 et mort à Jouy près de Versailles en 1855, Charles Dallery fut un de ces inventeurs malheureux, jouets de la fortune, qui creusent péniblement un fécond sillon partout où ils passent, mais qui n’ont point le légitime bonheur de voir jaunir la moisson.

Fils d’un constructeur d’orgues de la ville d’Amiens, le jeune Charles ne tarde pas à manifester ses remarquables aptitudes de mécanicien. Une harpe tombe sous sa main, il y adapte un mécanisme propre à produire les demi-tons. L’instrument modifié est accepté par un constructeur de Paris qui l’exécute avec succès, mais qui prend un brevet d’invention en son propre nom et exploite à la fois l’invention et l’inventeur. Bientôt découragé, Dallery revient chez son père : il introduit dans la facture de l’orgue divers perfectionnements importants, notamment le système de soufflerie qui y est encore employé aujourd’hui. Ces travaux habituels ne suffisent pas à occuper son esprit inventif. Au lendemain de l’invention des Montgolfières, il donne à Amiens le spectacle d’une ascension aérostatique.

Alors il étudie la machine à vapeur et il en construit une, de petites dimensions, dans le but de faire marcher une voiture pour la locomotion sur routes. C’était peu après 1780. La voiture est amenée à Paris et déposée chez Brésin, célèbre constructeur de cette époque, où beaucoup de personnes peuvent la voir [1]. Dallery attache toutefois peu d’importance à cet essai et ne songe point à prendre un brevet pour la chaudière tout à fait originale qu’il y a placée. Il ne tarde pas à utiliser le moteur dans ses ateliers pour battre l’étain des tuyaux d’orgue au moyen d’un martinet qu’il soulève rapidement.

L’établissement de facteur d’orgues, qu’il dirige prend de l’importance. Un orgue manque à la magnifique cathédrale d’Amiens. Ce travail, dont le devis s’élève à 400 000 livres, est confié à Dallery, mais la révolution éclate ; les orgues sont muettes alors, leur temps est passe et le facteur n’a qu’à changer de carrière.

Il songe d’abord à la construction d’instruments de musique ; il fait des clavecins, dits à bombarde, auxquels il donne un volume de son extraordinaire ; toutefois, ces clavecins, objets de luxe, se vendent mal, et, malgré leur prix élevé, ne lui laissent aucun profit. Il songe à devenir meunier. Aux portes de la ville d’Amiens, il établit un moulin à vent, d’après un système nouveau, avec des ailes qui tournent horizontalement ; aussi on compare le moulin à des chevaux de bois et on le surnomme le moulin de la Folie.

Sur ces entrefaites, un fabricant de limes lui demande, pour ses deux usines d’Amboise et de Nevers, deux machines motrices. Les machines à vapeur construites par Dallery servent à forger l’acier et à faire fonctionner divers appareils accessoires. Quelques années plus tard, Dallery vient se fixer à Paris. Il propose son moteur à vapeur à l’hospice de Bicêtre pour un service d’eau ; on lui préfère un système manœuvré à bras d’hommes. Il se croit plus heureux de ce que la Ville de Paris lui promet des fonds pour l’établissement de moulins à farine. Arrive 1793 et ses tristesses ; les fonds ne sont point versés. Et en attendant des temps meilleurs, Dallery devient horloger. Il fut le premier en France à faire des montres qui se fixent sur des bagues, et dont le cadran n’est pas plus grand qu’une pièce de cinquante centimes. Il réussit même à en faire à répétition de ce modèle d’un système simplifié. Dallery crée les instruments pour la confection de ces merveilles d’horlogerie. Il. fabrique des montres en or avec des boîtiers ovales et les tours nécessaires pour obtenir cette forme. Il imagine des moyens nouveaux en orfèvrerie pour les façons de l’or. Pendant près de vingt-cinq ans, la bijouterie d’or à Paris a eu pour base le taraud, le moleté, le grainé, le découpé de Charles Dallery. Un des buts à atteindre, c’était la confection de tarauds — tige ou fil d’or sur lequel s’enroule une profonde rainure hélicoïdale — sans faire de déchet. Dallery obtient ce résultat en refoulant le métal sans le couper, avec une filière d’un système tout à fait nouveau et original. Nous avons eu entre les mains un de ces petits appareils conservé dans la famille de Dallery et qui est extrêmement curieux ; nous avons vu aussi des chaînes de montre en or de sa fabrication composées d’une triple rangée d’anneaux si bien entrelacés les uns dans les autres qu’on ne put récemment trouver aucun bijoutier pour le raccord de deux bouts de chaîne disjoints.

Ce travail de l’or occupa Dallery jusqu’en 1825 d’une manière profitable et il aurait pu sans doute, s’il eût été plus commerçant, y trouver une source de fortune, mais il avait trop d’imagination pour ne pas ambitionner une célébrité dont il se sentait digne. Il conçoit le projet de révolutionner la navigation — le mot n’est pas trop fort — en appliquant l’hélice aux bateaux.

Projet de bateau à hélice et chaudière tubulaire de Dallery

En 1785, un Français, le marquis de Jouffroy, avait, le premier, fait naviguer sur la Saône un bateau à vapeur à roues, Dallery est de même incontestablement le premier qui ait eu l’idée de faire mouvoir les hélices d’un bateau à l’aide de la machine à vapeur.

Charles Dallery obtint son brevet d’invention pour « un mobile perfectionné appliqué aux voies de transport par terre et par mer ». On y trouve décrit, en termes fort simples, « un vaisseau insubmersible et une voiture mus par une pompe à feu dont l’effet est d’augmenter les forces à volonté ».

La voiture à chaudière tubulaire de Dallery

L’agent propulseur du bateau consistait en une hélice à deux spires de révolution désignée dans le brevet en ces termes : « un arbre tournant garni de feuilles de cuivre un peu bombées qui forment l’escargot ; leur diamètre est de six pieds et leur plan incliné de 3 pieds par tour », Cet escargot, immergé au-dessous de la ligne de flottaison, était placé à l’arrière du bateau, tandis qu’un autre escargot semblable était disposé à l’avant, mais mobile de façon à servir de gouvernail.

Les figures ci-jointes sont des reproductions de celles du brevet ; on y voit la machine à vapeur à deux cylindres dont les pistons agissent sur des chaînes qui communiquent un mouvement de rotation aux poulies à gorge faisant Corps avec les escargots. La disposition mécanique est à coup sûr assez défectueuse, mais on peut admettre facilement que l’ingéniosité de Dallery aurait surmonté les difficultés pratiques. La partie de la machine particulièrement intéressante ici, c’est la chaudière dont Dallery a parfaitement compris l’importance. « On augmente, dit-il dans son brevet, la force à volonté par la division de la chaudière ; on sait qu’en multipliant les surfaces, on fournit à l’action du feu plus de points de contact ; l’application de ce principe à la disposition des fourneaux a dû obtenir une quantité supérieure aux résultats de tous les procédés connus ; aussi, au lieu à un nombre déterminé d’impulsions, s’en procure-t-on un nombre presque indéfini. Le nombre des fourneaux est de six, chacun desquels a douze corps cylindriques en cuivre qui contiennent l’eau à réduire en vapeur… ils décrivent une ligue circulaire qui permet de mettre le feu au centre, d’où il peut embrasser toutes les surfaces. » Chaque tube avait deux pieds et demi de haut et quatre pouces de diamètre et était relié par sa partie supérieure à un réservoir commun, d’où partait un conduit de vapeur se rendant aux extrémités supérieures et inférieures des cylindres moteurs.

Dallery est donc, sans conteste, l’inventeur de la chaudière tubulaire telle qu’elle a été appliquée depuis par Arnier (1875), Belleville, etc …. Les tubes pleins d’eau chauffés extérieurement, au lieu de l’être intérieurement suivant la disposition Séguin (1828), permettent, on le sait, d’obtenir plus aisément les très hautes pressions de vapeur pratiquées aujourd’hui. Comme complément à son invention, Dallery fait figurer un ventilateur à hélice qui lui procurait tous les avantages du tirage forcé en vue d’activer l’intensité de la combustion dans le foyer. « Il imagine, dit M. Chopin-Dallery [2], tous les éléments qui d’un seul coup le font toucher aux dernières limites du progrès ; car aujourd’hui ce sont ses appareils qui parcourent les deux mondes et sillonnent toutes les mers. Il faut bien le reconnaître, sans la chaudière tubulaire, il n’existerait ni une locomotive, ni un bateau à vapeur. »

En 1775, Cugnot avait construit à Paris la première voiture à vapeur, mais elle ne pouvait marcher de suite plus de quinze minutes ; elle s’arrêtait dès que la provision de vapeur accumulée était épuisée. On conçoit donc que Dallery ait eu le projet de se servir de sa chaudière tubulaire pour la propulsion sur route de sa voiture qui avait « la forme d’une chaloupe », et qui doit être à bon droit considérée comme une vénérable ancêtre de toutes les automobiles à vapeur actuellement réalisées. Les voitures du type Serpollet n’en diffèrent pas essentiellement.

En décrivant son bateau, Dallery signale aussi un mât à tubes rentrant en lui-même ou s’allongeant à volonté pour faciliter l’emploi des voiles quand le vent est favorable.

Dallery fondait de grands espoirs sur le succès de son bateau à vapeur. Une circonstance favorable semblait se présenter à lui par suite de la formation du camp de Boulogne ; il se flattait de voir son système accepté par le gouvernement au moment où le premier Consul projetait une descente en Angleterre. Aussi il engage résolument dans son entreprise les 50 000 francs laborieusement amassés dans ses travaux de bijouterie. Son bateau est mis à flot à Bercy ; malheureusement son pécule est épuisé avant l’installation complète des appareils. Dallery ne peut obtenir l’appui du gouvernement.

Napoléon 1er ne comprit jamais quelle pouvait être l’importance au point de vue social ; de la machine à vapeur. Dallery, dépité, le marteau en main, donne à la fois l’ordre et l’exemple pour mettre son bateau en pièces. Tel fut le sort de cette invention, objet de ses longues méditations, telle fut la fin de son rêve. Il dut reprendre son humble métier d’apprêteur d’or jusqu’au jour où, vieilli, il se retira près de Versailles. Il y mourut âgé de 81 ans le 1er juin 1835.

On a donné le nom de l’inventeur amiénois à l’une des rues de sa ville natale, et à un passage du quartier de la Roquette à Paris ; une inscription commémorative signale, dans la Chaussée Saint-Pierre, la maison où naquit. Son buste en marbre blanc offert par l’État (1868) figure au Musée d’Amiens. La Société industrielle de cette ville a inauguré le 12 novembre dernier, un buste en marbre de Dallery, œuvre de M. Albert Roze. Est-ce donc assez ! Comment ne pas s’associer au vœu de M. Chopin-Dallery : « Puisque nous parlons de justice, nous ferons remarquer que le nom de l’inventeur de l’hélice propulso-directeur et de la chaudière tubulaire n’a pas encore été donné à un seul bâtiment français, lorsque ces deux appareils font manœuvrer, non seulement nos navires, mais ceux de toutes les marines. Réparer cet oubli ne serait qu’un acte de justice. »

Norbert Lallié

En complément à l'article ci-dessus, voici l'article le concernant publié en 1884 dans le dictionnaire encyclopédique et biographique de l'industrie et des arts industriels. DALLERY (Thomas-Charles-Auguste), l’inventeur de l’hélice et des chaudières tubulaires, est né à Amiens, le 4 septembre 1754. Il fut d’abord facteur d’orgues, comme son père, auquel il succéda. Mais la Révolution ayant fermé les églises, il dut chercher une autre industrie. C’est ainsi que nous le voyons successivement perfectionner les clavecins à bombarde, fabriquer des montres à répétition d’un système nouveau et petites comme des pièces de dix sous, imaginer un procédé plus simple que celui alors en. usage pour la fabrication de la bijouterie en or, etc., tout cela sans beaucoup s’enrichir. Dallery rêvait, d’ailleurs, mieux que la fortune. Doué d’un génie particulier pour la mécanique, il voulait faire marcher les bateaux par la vapeur. Déjà en 1780, il avait construit une machine à vapeur, munie d’une chaudière tubulaire, pour imprimer le mouvement à une voiture. En 1803, il prend un brevet d’invention pour « un mobile perfectionné appliqué aux voies de transport par terre et par mer. » L’idée n’était pas nouvelle, puisqu’elle datait de Papin et que Fulton avait attiré l’attention publique sur le même objet. Ce qui appartient bien à Dallery, c’est d’abord l’emploi de chaudières à bouilleurs tubulaires verticaux communiquant avec un réservoir à vapeur. (Contrairement à Séguin, Dallery faisait circuler l’eau dans les tubes et la flamme à l’extérieur.) Dallery employait, en outre, l’hélice immergée comme moyen de direction et de propulsion ; il en mettait deux à son bateau, l’une à l’avant, l’autre à l’arrière. Il se servait aussi de mâts particuliers, c’est-à-dire dont les parties rentraient les unes dans les autres, comme les fragments d’une longue-vue. Enfin, Dallery employait une hélice verticale placée dans l’intérieur de la cheminée et qui faisait fonction de ventilateur pour activer le tirage des foyers. Le rapport présenté en 1845 à l’Académie des sciences, par Morin, constate ces perfectionnements, dont les deux premiers étaient considérables, bien que, dès 1752, Daniel Bernouilli eût remporté le prix proposé par l’Académie des sciences pour l’application de l’hélice à la navigation, et que Paucton, en 1758, Littleton, en 1792, eussent déjà fait quelques expériences non suivies de résultats. Celles de Dallery, tentées avec des moyens insuffisants, n’en eurent pas davantage. Il avait alors dépensé toute sa fortune. A bout de ressources, désespéré, il brisa son bâtiment, déchira son brevet et se retira à Jouy, près Versailles, où il mourut oublié le 1er juin 1835. Dix ans plus tard, l’Académie des sciences, sur le rapport du général Morin, reconnut les droits de Dallery aux inventions que nous venons d’exposer.

[1Nous sommes redevables de ce renseignement ainsi que des documents originaux concernant Charles Dallery à la bienveillante communication de Mme Angebaud, arrière-petite-nièce de Charles Dallery et qui aujourd’hui représente sa seule descendance directe.

[2Origine de l’hélice propulso-directeur et de la chaudière tubulaire. Paris. Firmin-Didot, 1855

Vos témoignages

  • Alain A. Cerf 21 octobre 2009 23:57

    Je recherche des archives concernant Charles Dallery dans le cadre de la construction d’une réplique du fardier de Cugnot - voir notre site : www.nicolascugnot.com

    Savez vous où elles se trouvent ? (si elles existent encore)

    J’ai appris dans votre website que Dallery avait déposé sa voiture chez Brésin. Le fardier à été construit par Brézin à Paris, sans doute la même personne. Notre but est de moeux connaitre la technologie existante en cette fin du 18e siécle sur les chaudières tubulaires.

    Merci

    Alain A. Cerf www.tbauto.org

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