« Si les admirables locomotives anglaises se meuvent avec une vitesse qui effraye l’imagination, disait Arago à la tribune de la Chambre des députés, le 24 juin 1837, elles le doivent à la belle découverte de notre compatriote Marc Séguin. » Cet illustre ingénieur était né le 20 avril 1786, à Annonay. dans cette ville active et industrieuse, la patrie des inventeurs des ballons et celle de l’un des pères des chemins de fer. Quelque temps après sa sortie du collège, Marc Séguin, soutenu et encouragé par son oncle, l’un des Montgolfier, quittait le magasin de draperie paternel pour se livrer à l’étude des arts mécaniques. Il s’était déjà fait connaître par divers perfectionnement de machines d’importation étrangère quand parut l’invention qui est devenue son principal titre de gloire : la chaudière tubulaire.
Pour qu’un générateur produise à tout instant et en quantité suffisante la vapeur nécessaire au jeu d’un mécanisme, il faut augmenter dans de très larges proportions celles de ses surfaces qui sont exposées à l’action du foyer. Or, s’il est possible d’accroître à volonté les dimensions d’une chaudière fixe, on ne le peut pour les chaudières des locomotives et des bateaux à vapeur. Cette difficulté fut longtemps la principale pierre d’achoppement contre laquelle vinrent se briser les efforts des savants et des ingénieurs qui tentèrent d’appliquer la machine à vapeur à la traction des voitures, soit sur les routes ordinaires, soit sur les premiers chemins de fer. Dès 1827, M. Séguin, après bien des recherches et des essais, imagina de faire traverser le corps de la chaudière, par suite l’eau à vaporiser, par des tubes de cuivre débouchant d’une part dans le foyer, de l’autre dans la cheminée, et de forcer la flamme et les gaz chauds de la combustion à passer par ces tubes pour se rendre du foyer dans la cheminée. Cette disposition permet d’accroître l’étendue des surfaces chaudes en contact avec l’eau et, avec cette étendue, le volume de la vapeur produit, tout en conservant à la chaudière des dimensions restreintes. Telle est la chaudière tubulaire qui vint rendre possible ce qui ne l’était guère avec la chaudière ordinaire. C’est par la supériorité que lui donna sur ses concurrents l’emploi d’un appareil du type Séguin qu’au célèbre concours de locomotives qui eut lieu à Liverpool, le 6 octobre 1829, Stephenson put remplir toutes les conditions du programme en faisant circuler sa locomotive, la Fusée [1], avec une vitesse variant suivant le poids à traîner de 6 à 10 lieues à l’heure, et battre tous ses concurrents qui ne purent arriver au but fixé.
L’appareil de Marc Sèguin permet donc à la France de revendiquer une part très large dans l’invention de la locomotive. Il n’est pas le seul titre de gloire de son auteur. En 1820, il avait inventé et fait adopter les ponts suspendus en fil de fer ; en 1825 et 1826, il faisait, de concert avec les fils Montgolfier, les premiers essais de navigation à vapeur sur le Rhône ; à la même époque il construisait le premier des chemins de fer français, celui de Lyon à Saint-Étienne, sur lequel il réalisa deux progrès importants : la substitution des rails en fer aux rails de fonte employés en Angleterre et celle des traverses en bois aux dés en pierre sur lesquels reposaient les rails.
Paul Laurencin