L’anthropologie criminelle en 1885

Enrico Ferri, la Revue Scientifique — 9 janvier 1886
Mercredi 3 mars 2010 — Dernier ajout mercredi 20 mars 2024

Enrico Ferri, la Revue Scientifique — 9 janvier 1886

Rapport sur les travaux du premier congrès international d’anthropologie criminelle, exposé par M. le professeur Enrico Ferri dans la séance plénière de clôture du 23 novembre 1885 (Rome).

Le congrès international dont j’ai été chargé de vous exposer, dans une synthèse rapide, les travaux qu’il a accomplis dans une semaine de discussions, s’est divisé en deux sections qui correspondent aux deux branches principales de l’anthropologie criminelle, prise dans le sens le plus large de cette appellation : la section de biologie criminelle et la section de sociologie criminelle.

Des huit thèses proposées aux études et aux discussions de la première section, le congrès a épuisé les sept premières. La huitième avait pour objet l’influence de la température et de l’alimentation sur la criminalité en Italie, de 1875 à 1883, Le co-rapporteur, M. Rossi, a présenté son rapport, à l’appui duquel il avait exposé de remarquables cartes graphiques.

Pour chacune des deux sections, la première thèse était la plus importante et la plus caractéristique. C’est aussi, par conséquent, celle qui, dans chaque section, fut l’objet des discussions les plus vives.

La première thèse de la section de biologie criminelle était énoncée dans ces termes : « En quelles catégories doit-on classifier les délinquants et par quels caractères essentiels, organiques et psychiques, peut-on les distinguer ? »

M. Lombroso a exposé le rapport dont il avait été chargé, en s’étendant sur les principaux caractères organiques de l’homme criminel. Il a présenté, à l’appui de ses théories, un certain nombre de crânes, de cerveaux, de photographies, de dessins, fournis par ses collections et, de préférence, par celles d’autres exposants. Selon M. Lombroso, les anomalies que l’on rencontre chez les criminels sont de deux catégories : les anomalies atavistiques et les anomalies pathologiques. Il a énuméré les unes et les autres, en y ajoutant encore les anomalies fonctionnelles qui sont l’objet de ce qu’on pourrait dire la physiologie de l’homme criminel, et il a conclu que, si parfois ces différentes anomalies se retrouvent aussi chez les hommes normaux, c’est toujours plus rarement dans la série et en moins grand nombre dans l’individu, tandis qu’on les rencontre plus nombreuses et plus fréquentes chez les criminels, comme classe et comme individus. Cette même thèse a donné l’occasion à M. Benedikt d’exposer de savantes considérations sur les caractères névro-pathologiques des criminels et surtout des criminels de professions envisagés comme atteints d’une « névrasthénie Il physique, morale et intellectuelle, congénitale ou acquise dans la première enfance, considérations qu’il avait déjà développées au mois de septembre dernier, au congrès de phréniâtrie et de neuropathologie à Anvers. Et M. Lacassagne eut l’occasion de combattre la valeur exagérée, selon lui, que l’on tend à donner à l’hypothèse de l’atavisme et de soutenir, à sa place, l’idée du « type retardé » qui, cependant, à mon avis, coïncide au fond avec l’idée de l’atavisme. En effet, c’est par un arrêt de développement que l’individu présente, dans un état définitif, les mêmes caractères atavistiques, que les autres individus n’ont eu que transitoirement, en force de la loi bien connue, que l’ontogénie est une image abrégée de la phylogénie.

Pour achever le développement de la première thèse, j’ai eu l’honneur d’exposer moi-même les caractères psychologiques et psycho-pathologiques des criminels, d’après les études que j’ai faites sur près de deux mille détenus, fous et hommes honnêtes, ainsi que d’après un grand nombre de rapports médico-légaux sur des fous criminels. J’ai fait surtout de la symptomatologie psychique au point de vue de la genèse du crime, en spécifiant, pour la physiologie commune des criminels, environ soixante-dix caractères psychologiques de criminels instinctifs, relativement à leur insensibilité physiologique et morale, à leur mode d’agir pendant et après le procès, à leur non-répugnance à l’idée et à l’action délictueuse avant le crime, à l’absence de remords après le crime, à leur imprévoyance et insouciance des peines. Et, pour la psycho-pathologie criminelle, c’est-à-dire pour les caractères psychologiques des fous criminels, j’en ai spécifié environ cinquante, relativement à la délibération (lente ou instantanée) du crime, aux motifs du crime, au mode d’agir avant, pendant et après le délit, et à leur vie précédente, en énumérant surtout les symptômes, qui sont tout à fuit exclusifs et caractéristiques des fous criminels.

Après quoi, j’ai proposé la classification des criminels en criminels instinctifs, criminels aliénés, criminels passionnés, criminels d’occasion et criminels par habitude.

MM. Bianchi, Marro, Benedikt et Garofalo ont exposé, à ce sujet, des points de vue différents. Tout en étant bien d’accord sur les principes fondamentaux de cette classification, leurs vues diffèrent par des nuances sur la distinction énumérative des différents types criminels. La discussion, longue et animée, n’a pas abouti à une décision formelle. Le congrès s’est borné à adopter une conclusion de M. Benedikt, constatant l’accord sur les principes fondamentaux de la classification proposée.

La deuxième et la troisième thèse se rattachent étroitement à la première. Elles ont pour but de déterminer tous les caractères, qui pourront aider à bien déterminer la genèse du crime. M. le professeur Sergi a développé ses idées sur les caractères bio-pathologiques généraux qui prédisposent au crime el sur les différentes origines et modalités de ces caractères. Il en a constaté trois catégories, comme signes de dégénération atavique, primitive et secondaire (ou acquise). MM. Lacassagne et Angiulli ont demandé des explications à M. Sergi sur l’influence à attribuer au milieu social, dont M. Sergi avait cependant tenu compte dans son rapport, en distinguant les causes du crime en causes biologiques et causes sociales. Le congrès a approuvé les idées générales exposées par M. Sergi. Il a de même approuvé, sans discussion, les considérations développées par le rapporteur, M. le professeur Sciamanna, sur la classification des actions humaines au point de vue psychologique.

On passait, avec la quatrième thèse, à la discussion d’un sujet précis, qui s’éloigne de ceux qui avaient précédé. La question posée était celle-ci : Y a-t-il antagonisme entre le suicide et l’homicide ? M. Morselli, rapporteur, exposa sur ce sujet d’intéressantes considérations, dans lesquelles, examinant la question sous tous ses aspects, tenant compte du nombre annuel des homicides et des suicides, des influences du climat, de la race, des saisons, de l’âge, du sexe, des professions, etc., il concluait qu’il y a entre ces deux phénomènes, quelquefois parallélisme, et presque toujours antagonisme, mais qu’ils ne sont, l’un et l’autre, que deux aspects d’un même fait naturel : la défaite du faible dans la lutte pour l’existence.

MM. Moleschott et Lacassagne demandèrent et donnèrent, à cette occasion, des explications sur le suicide au point de vue historique et sur la fréquence des homicides-suicides. Je rappelai moi-même avoir observé dans ma monographie sur l’homicide-suicide, que certains parallélismes apparents se résolvent en un antagonisme essentiel. J’appelai, en outre, l’attention du congrès sur une communication de M. Colajanni, contraire aux idées du rapporteur, qui figurera dans nos comptes rendus. J’ajoutai aussi qu’un savant français, M. Tarde, publiera prochainement, dans la Revue philosophique, des considérations contre l’affirmation d’un antagonisme existant entre le suicide et l’homicide, considérations dont le résumé sera également inséré dans nos comptes rendus, et qu’il a observé un rapport d’antagonisme, selon lui, bien plus étroit, entre Je suicide et l’émigration. J’observai enfin que l’on ne saurait, en admettant l’antagonisme, en déterminer dès à présent les causes précises et positives, mais qu’il fallait nous restreindre, pour le moment, à enregistrer les faits.

La cinquième thèse, consacrée à l’épilepsie et à ses rapports avec la folie morale et la criminalité, était par conséquent, importante et difficile à la fois. M. Frigerio présenta à ce sujet un remarquable rapport, appuyant ses conclusions sur un grand nombre de faits cliniques. M. Lombroso, se déclarant en parfait accord avec le rapporteur, développa l’idée d’une identité fondamentale, qu’il a été le premier à observer, entre la folie morale et la criminalité instinctive, d’une part, et l’épilepsie de l’autre, en rappelant les nombreux caractères organiques et psychiques communs à l’une et à l’autre de ces formes de dégénération et qui le conduisirent, sa.ns idée préconçue, à constater cette identité essentielle. Leurs conclusions communes ont été combattues, non dans le principe fondamental, mais dans l’extension qu’ils leur donnent, par MM. Tamburini, Motet, Moleschott, Lacassagne, qui soutinrent que si l’on peut bien admettre une « identité » entre la folie morale et la criminalité, par tendances congénitales, on ne peut pas admettre cette identité entre la criminalité et l’épilepsie, qui a tant de formes et de manifestations, qui ne sont pas toujours criminelles. M. Roussel a cité, par contre, le projet de loi française sur les aliénés, dans lequel les épileptiques sont égalés aux aliénés communs et aux fous criminels, lorsqu’ils ont commis un crime. A ce propos, je rappelai que mes études de psycho-pathologie criminelle m’avaient permis de constater que plusieurs symptômes, jusqu’alors insuffisamment expliqués, venaient à l’appui d’une identité fondamentale, sinon formelle et absolue, de l’épilepsie, de la folie morale et de la criminalité héréditaire : comme, par exemple, le meurtre, par impulsion soudaine et sans motif, devant plusieurs témoins, de plusieurs personnes inconnues, la férocité extrême dans le meurtre, la somnolence et l’amnésie après le crime, etc. Le congrès, sans affirmer une identité absolue entre l’épilepsie et la folie morale, s’est rallié sur un grand nombre de points aux idées de MM. Lombroso et Frigerio.

Sur la sixième thèse, consacrée à la simulation chez les fous et chez les criminels, le congrès a approuvé sans discussion le rapport de M. Venturi.

Quant à la septième thèse, on a approuvé, à l’unanimité, la proposition de M. Sergi, avec l’ordre du jour que j’ai cru devoir proposer comme répondant à nos aspirations communes :

Se référant aux vœux émis pour l’étude clinique des condamnés vivants, le congrès exprime le souhait qu’on institue un muséum d’anthropologie criminelle en le composant de pièces anatomiques obtenues des pénitenciers, et qu’on permette aux professeurs universitaires d’avoir à leur disposition les pièces anatomiques des pénitenciers les plus rapprochés de l’université où ils enseignent.

Passons maintenant aux travaux de la section de sociologie criminelle, dans laquelle sept thèses étaient proposées, qui ont été toutes discutées, excepté la cinquième, « par quels meilleurs moyens combattre la récidive », sur laquelle M. Barzilai a présenté son rapport, qu’on n’a pu discuter, mais qui, selon le vœu unanime du congrès, sera publié daus les comptes rendus.

La première thèse était énoncé dans ces termes : Les théories de l’anthropologie criminelle peuvent-elles être acceptées dans la rédaction du nouveau Code pénal italien, et quelle utilité leur adoption peut-elle présenter ?

Trois rapporteurs avaient été nommés : MM. Garofalo, Porto et Puglia, dont le premier, dans un discours qui a été écouté avec la plus grande attention, a soutenu qu’au point de vue de la défense sociale contre les criminels, les derniers projets de Code pénal italien représentent un vrai danger et un empirement des législations actuelles, car on y a donné bien plus de valeur aux principes scolastiques et abstraits qu’aux nécessités pratiques de la lutte contre le crime. Et il a conclu pour le maintien des Codes actuels, avec des modifications dans les dispositions générales, qu’il a particulièrement développées, jusqu’à ce que les conclusions de la sociologie criminelle puissent être complètement acceptées dans une législation positive.

La question posée souleva dès les premiers instants une discussion animée à laquelle prirent part MM. Righi, Moleschott, Muratori, Bonomo, Pugliese, Porto, Garofalo, De Bella, Precone, Ferri, etc. Tous étaient d’accord sur ce point que le nouveau projet de Code pénal italien marque une exagération des théories de l’école classique et protège insuffisamment la société contre les délinquants. Les débats furent arrêtés par la question préalable posée par MM. Lacassagne et Magitot. Nos éminents confrères ont fait remarquer qu’étant donné le caractère international du congrès, l’assemblée ne pouvait s’occuper particulièrement de la législation italienne, mais devait fournir seulement des principes généraux.

Comrne cette thèse, d’un caractère national, avait été proposée lorsque le congrès même devait être national, à Turin, en 1884, et conservée même après qu’il était devenu - et bien heureusement - international, le congrès se rallia, à une forte majorité, à ce point de vue, en approuvant l’ordre du jour proposé par M. Moleschott, dans les termes suivants :

Le congrès,

Convaincu de la difficulté d’adresser des recommandaatiens aux Corps législatifs ;

Reconnaissant que les idées suffisamment mûries peuvent seules pénétrer dans la vie pratique, et seulement en vertu de leurs propres forces ;

Émet le vœu que les législations futures tiennent compte, dans leur évolution progressive, des principes de l’école d’anthropologie criminelle.

La seconde thèse était dédiée aux « applications des doctrines positives dans les procès criminels actuels ». Les rapporteurs étaient au nombre de trois : MM. Ferri et Porto, pour la partie générale ; M. Pugliese, pour les applications des doctrines positives à la législation Italienne.

Ce dernier retira ses conclusions, à cause du caractère international du congrès. Le rapport que j’avais eu l’honneur de rédiger avec M. Porto fut approuvé sans discussion sous la forme suivante :

Dans l’état actuel de la législation pénale, les doctrines positivistes, portées d’une manière erronée dans les tribunaux par des avocats et devant des juges imbus de tous autres principes juridiques, peuvent avoir, et ont deux effets principaux :

La symptomatologie anatomique, physiologique et psychologique des différents types criminels peut bien être utile à l’agent de police, au juge d’instruction et au juge définitif, dans tous les cas, assez fréquents, d’accusation fondée seulement sur des indices. On ne tend qu’à rendre scientifique ce qui jusqu’à présent n’est qu’une intuition empirique sur la physionomie, le mode d’agir du criminel, etc.

Le développement scientifique donné à l’étude des causes individuelles et sociales du crime peut aboutir réellement, dans cette époque de transition, à un affaiblissement de la répression par un plus grand abus de la force irrésistible et des circonstances atténuantes. Car, dans les procès, on accepte les prémisses des doctrines positivistes sur les causes qui ont déterminé l’individu au crime ; mais on prend des législations actuelles la conséquence, que, plus la volonté du criminel a été forcée et moins il doit être puni. Tandis que la conséquence vraie, selon les doctrines positivistes, est simplement celle-ci : que le criminel doit être puni (c’est-à-dire que la société doit se défendre) en raison de sa perversité (temibilitâ) qu’on établit justement selon la nature des causes naturelles du crime, mais non pas en raison toujours inverse de celles-ci.

De sorte que l’application complète des doctrines positivistes, dans la législation et dans les procès, aura l’utilité d’accroître le premier de ces effets et d’éliminer complètement le second.

La troisième thèse avait pour objet « l’action de l’expert-médecin dans les procès judiciaires », Le rapporteur, M. Tamassia, étant absent, le congrès chargea M. Lacassagne, dont la compétence en cette matière est si connue, de présenter un rapport. Après son rapport, qui sera, comme les autres, entièrement reproduit dans les comptes rendus du congrès, et après une discussion à laquelle prirent part MM. Bonomo, Zucccarelli, Berenini, Precone, Pavia, etc., le congrès adopta les conclusions suivantes :

Les expertises criminelles, les seules dont le congrès ait à s’occuper, se distinguent, par leur importance et leur fréquence, en trois espèces :

Les expertises délictueuses. Un seul expert suffit et, dans la grande majorité des cas, peut donner des conclusions assez nettes pour offrir une base solide à l’appréciation des juges.

Les expertises de police municipale : levées de corps ou autopsies dans le cas de suicide, accidents, morts subites.

Les expertises criminelles : les plus importantes, mais aussi les plus rares. Elles doivent être entourées de tontes les garanties de contrôle possible. Ce sont surtout celles-ci qui ont été visées dans les nouveaux codes ou dans les projets de modification des codes actuels.

Ce qui précède étant admis, voici l’ensemble de réformes qui paraît nécessaire pour le bon fonctionnement de la pratique médico-légale .

Études spéciales et diplôme spécial ;

Relèvement du tarif des honoraires ;

Obligation pour tout médecin pratiquant une autopsie médico-légale, de suivre l’ordre et la méthode indiqués par un règlement fixant la teneur des feuilles d’autopsie ;

Deux médecins, au moins, désignés soit par le magistrat instructeur, soit encore l’un par l’accusation et l’autre par la défense, sont nécessaires dans les expertises criminelles, mais ne le sont que pour ces sortes d’opérations.

Pendant sa mission, l’expert doit être considéré comme un fonctionnaire public. Il a tous les droits résultant de l’exercice de sa profession dans un service commandé.

A ces conclusions, le congrès, sur la proposition de MM. Berenini et Precone, ajouta la suivante, qui figurait déjà, sauf de légères variantes, dans le rapport de M. Tamassia :

En cas de dissentiments entre l’expert de l’accusation et celui de la défense, on devra, avant de recourir à la décision juridique du tribunal ou des jurés, interpeller, à titre consultatif, une commission composée de représentants des diverses branches de la science médico-légale, et présenter sa décision comme vœu à la magistrature.

La quatrième thèse, sur laquelle l’un des l’apporteurs, M. Fioretti, exposa ses conclusions, donna lieu à une discussion approfondie. Elle avait pour sujet : Des meilleurs moyens pour obtenir le dédommagement du crime. Et elle touchait à une des inductions juridiques et applications pratiques plus importantes de la sociologie criminelle ; car si le dédommagement du crime est écrit aussi dans les lois actuelles, il ne reste que trop souvent un mot vide de valeur pratique, et il s’agit, au contraire, d’en obtenir la plus fréquente application, comme un des moyens des plus utiles de défense sociale, avant et après le crime.

Le rapport de M. Fioretti examinait la question au point de vue de la condition juridique de la partie lésée et de l’offenseur, et au point de vue de la procédure. Sur la première partie, il distinguait le cas où l’offenseur est solvable de celui où il est insolvable. Les points qui soulevèrent la discussion la plus nourrie furent les suivants, que je signale dans les propres termes du rapporteur :

« Dans les délits contre la propriété, le dédommagement pécuniaire offert par le coupable avant ou après la condamnation amène la réduction de la moitié de la peine.

« Dans les délits contre les personnes, le dédommagement pécuniaire offert par le coupable à l’offensé ou à ses héritiers amène la réduction d’un quart de la peine.

« Dans les deux cas, l’offre d’une réparation partielle amène une réduction proportionnelle de la peine.

« Le payement doit être réel et ne pourra pas être remplacé par le renoncement de la partie lésée. Lorsqu’il aura été découvert que la réparation a été seulement simulée, le coupable n ’aura plus droit aux bénéfices accordés et escomptera la peine infligée, avec augmentation de la moitié. L’offensé et le coupable seront solidairement tenus à rendre à la Caisse des amendes ce que l’un avait feint de payer.

« Quand un délit commis par une personne insolvable a causé à l’offensé la perte de ses moyens de subsistance, la Caisse des amendes sera tenue à la réparation des dommages-intérêts jusqu’à concurrence de 1200 francs de rente inscrite sur la Dette publique. Pour les cas extraordinaires, le tribunal pourra élever ce chiffre jusqu’à 1800 francs de rente. »

Le second des rapporteurs de la même thèse, M. Venezian, a exposé ses conclusions sur le dédommagement envisagé comme forme de responsabilité sociale selon les principes de l’école positive de droit criminel. Non seulement, selon lui, l’action en dédommagement doit être exercée d’office par le juge et le ministère public, mais encore il doit y avoir, pour les insolvables, la contrainte au travail, et le dédommagement doit être une condition nécessaire à la libération des condamnés. Ceux-ci doivent en outre pourvoir à leur propre subsistance par leur travail. Le receleur est solidaire du coupable principal.

Après une discussion animée, à laquelle prirent part MM. Precone, Berenini, etc., le Congrès, se ralliant à mon observation, qu’il fallait s’en tenir à l’affirmation des principes généraux sans entrer dans des propositions particulières, approuva à l’unanimité l’ordre du jour Fioretti-Venezian, auquel j’eus l’honneur d’adjoindre mon nom.

Le Congrès,

Convaincu qu’il est nécessaire d’assurer le dédommagement civil, non seulement dans l’intérêt de la partie lésée, mais encore parce que le dédommagement est un des moyens de défense sociale, répressive et préventive, contre le délit.

Exprime le vœu que les législations positives recherchent et adoptent le moyen le plus efficace pour le rendre pratiquement praticable, dans tous les procès criminels, contre les délinquants, leurs complices et receleurs, en reconnaissant que le soin d’en obtenir l’application appartient, comme fonction sociale, au ministère public, pendant le cours du procès , au juge dans la condamnation ; à administration des prisons. dans la récompense économique due au travail pénitentiaire et dans les propositions de libération. conditionnelle.

Venait ensuite, dans le programme de la seconde section, la thèse particulièrement délicate du « délit politique », qui avait pour rapporteurs MM. Laschi et Lombroso. M. Laschi exposa son rapport, en se servant pour l’illustrer de photographies et de tables géographiques et graphiques. La discussion fut longue et animée, MM. Benedikt, Lombroso, Giampietro, Zuccarelli, De Bella, Pugliese, etc., prirent la parole à plusieurs reprises.

Je crus devoir relever que peut-être les discussions venaient de ce que le nom de délit politique manque d’exactitude au point de vue moral et social ; en effet, le délit politique peut être tel au point de vue légal, sans l’être au point de vue moral et social. Cela expliqué, j’ai soutenu que l’on ne saurait toutefois soustraire l’étude de ce phénomène à la science anthropologique, en relevant aussi la conclusion principale du rapport de M. Laschi sur la distinction à établir entre celui qui commet le délit politique par suite d’une tendance criminelle héréditaire ou par suite d’une aliénation mentale, prenant la direction spéciale de celui qui agit par l’impulsion d’un idéal humanitaire.

L’énoncé de la septième thèse était le suivant : « Si et comment l’on doit admettre dans les établissements pénitentiaires les personnes qui s’adonnent aux études du droit pénal. » Vos rapporteurs étaient MM. Tarde (absent), Ferri et Aguglia. Les discussions qui eurent lieu sur ce thème montrèrent que, tout en étant d’accord avec les autres rapporteurs sur la nécessité d’admettre les professeurs à l’étude des détenus, qu’on ne peut soustraire aux observations d’anthropologie criminelle, comme on ne peut soustraire les malades des hôpitaux aux recherches de médecine, il faisait ses réserves quant à l’admission des étudiants, en vue de quelques inconvénients possibles, sinon probables. J’ai soutenu au contraire — par des raisons logiques et expérimentales, déduites de la clinique criminelle de plusieurs années de M. Lombroso et des visites des prisons que j’ai faites moi-même pendant deux ans avec des étudiants. — que ces derniers peuvent bien être admis sans inconvénients. J’ai émis encore, au nom de M. Tarde, l’idée que les étudiants ne devraient être admis aux cours de droit criminel, de psychiatrie et de médecine légale, qu’à la condition de se faire préalablement inscrire comme membres d’une société de patronage des prisonniers, présidée par leurs professeurs. En cette qualité, ils seraient conduits à des visites hebdomadaires aux prisons, surtout aux prisons cellulaires, les plus rapprochées du lieu de leurs études, et apprendraient de la sorte à connaître les délinquants et les criminels, en même temps qu’à pratiquer et à propager un des remèdes les plus efficaces contre le fléau de la récidive. L’utilité serait triple : pour les étudiants, pour les condamnés et pour le public.

Après une vive discussion soutenue par MM. Albrecht, Lacassagne, Moleschott, Lombroso, Mazza, etc., j’ai dû répondre aussi au doute de M. Lacassagne sur la possibilité que les étudiants en droit aient à profiter des observations d’anthropologie criminelle, en lui faisant observer que les professeurs de droit criminel, qui suivent la méthode expérimentale, peuvent bien donner, comme ils le font déjà à présent, les notions principales sur les caractères organiques et psychiques des criminels, en dehors des enseignements qu’on donne dans les cours de médecine légale et dans les cours libres d’anthropologie criminelle.

Après cela, le congrès adopta à l’unanimité l’ordre du jour que je proposai dans les termes suivants :

Le Congrès,

Voulant donner une direction scientifique à l’anthropologie criminelle.

Émet le vœu que l’administration des prisons, en prenant les précautions de discipline intérieure requises par la sûreté sociale et par la liberté personnelle des détenus condamnés, admette à l’étude clinique criminelle les professeurs et les personnes adonnées aux études relatives à la science criminelle, ainsi que les étudiants en droit criminel, en psychiatrie et en médecine légale, ces derniers sous la surveillance et la responsabilité de leurs professeurs, et de préférence sous forme de Société de patronage des prisonniers et des libérés de prison.

Ma tâche touche à sa fin. Pour achever le rapport que vous avez bien voulu me confier, il me resterait, messieurs, à vous dire quelques mots des communications scientifiques qui vous ont été faites au cours de vos travaux. Vous avez entendu successivement MM. Albrecht, Bertillon, Magitot, Tamburini, Giampietro, Tenchini, Roukavitchnikoff, Todaro, vous parler de ce qui, dans leurs études spéciales, a des rapports plus directs avec l’anthropologie criminelle. Mais votre temps est précieux, et je craindrais d’en abuser. Ces différentes communications, d’un intérêt si élevé, si varié, si humain, paraîtront in extenso dans les comptes rendus de vos séances et ne pourront qu’en augmenter la valeur aux yeux du public savant ou studieux.

Notre science est si vaste et a des attaches si étendues que les questions d’un ordre, à première vue, purement philosophique ont pu venir de temps en temps sur le tapis. C’est ainsi que la question du libre arbitre a été éloquemment débattue entre MM. Righi et Moleschott. Le premier, tout en acceptant la plus grande partie des conclusions pratiques de la nouvelle école de droit criminel, n’en pouvait pas admettre la prémisse de la négation absolue du libre arbitre, qui est, selon lui, puissamment démontré par le témoignage de la conscience intérieure ; auquel témoignage affirmatif, cependant, M. Moleschott, vivement applaudi par l’assemblée, opposait le témoignage négatif de sa conscience, à lui, et de celle de tous ceux qui ont étudié cette question à la lumière de la physio-psychologie scientifique.

C’est ainsi, encore, que les conclusions générales par lesquelles M. Albrecht achevait sa communication ont soulevé une discussion très animée, au point de vue de l’anatomie comparée, entre MM. Lombroso, Lacassagne, Benedikt, Motet, sur la descendance directe de l’homme, plus que des simiens ou des prosimiens, des insectivores mêmes ; et quant à son affirmation anthropologique qu’au point de vue naturel l’homme criminel serait le type normal, tandis que les hommes honnêtes seraient les anormaux, j’ai cru devoir lui répondre que, en dehors de la forme paradoxale de la conclusion, si le criminel se rapproche plus du type normal dans la nature, c’est-à-dire des animaux qui tuent et volent pour vivre, cela revient à dire qu’au point de vue de l’humanité, le criminel reproduit justement le type bestial, tandis que l’homme honnête s’est de plus en plus éloigné, physiquement et psychiquement, de ce type inférieur.

La question de la peine de mort, posée par MM. Lioy et Venturi, a été sur le point de vous passionner un moment. MM. Lioy et Venturi regardent cette peine, pour les délinquants vulgaires, comme un moyen d’élimination des criminels les plus dangereux en accord avec les principes anthropologiques. M. Venezian a opposé la question préalable à la continuation des débats et le congrès a écarté la thèse qui lui était incidemment proposée, ne la trouvant pas dans le programme de ses travaux.

Laissez-moi encore vous rappeler le salut éloquent qu’est venu vous apporter un de nos maîtres les plus illustres, M. de Holtzendorff, qui a voulu constater au milieu de vous, en s’en félicitant, de l’alliance étroite qui existe entre la science juridique et les sciences médicale et anthropologique, alliance qui existait déjà dans la pensée de Gall, Friedreich, Mittermayer, mais qui jusqu’à nos jours n’avait pas encore produit d’effets si nombreux et utiles dans le domaine pratique ; alliance heureuse et féconde, qui a trouvé, ainsi que l’a répondu en votre nom M. Lombroso, dans M. de Holtzendorff même un partisan des plus convaincus, un défenseur des plus chaleureux, comme le montre l’importance qu’il a toujours attribuée, dans ses œuvres magistrales sur le droit et la science pénale, à la psychologie du criminel.

On le voit par l’aperçu rapide que je viens de mettre sous vos yeux : les travaux du congrès ont été considérables et concluants. Ils ont surtout établi et affirmé l’accord unanime qui règne parmi nous dans les principes fondamentaux dont s’inspire la nouvelle école d’anthropologie et de sociologie criminelle. Mais les faits les plus éloquents par eux-mêmes ont été — outre l’ensemble de tant de documents anthropologiques dans l’exposition si finement et si consciencieusement illustrée par M. Motet — la réunion dans cette enceinte de savants illustres à côté de jeunes gens désireux d’apprendre et de lutter dans le champ impersonnel de la science, tous apportant en commun les qualités qui leur sont propres pour le raffermissement et la propagande de nos idées, qui étaient hier négligées, ralliées ou craintes, qui sont aujourd’hui sérieusement discutées, qui seront demain acceptées non seulement par le public des savants et des non savants, qui a déjà commencé à les accepter ; mais il n’en est pas ainsi des législateurs.

Le premier congrès international d’anthropologie criminelle a non seulement affirmé hautement la nouvelle école, mais par l’échange de sympathies personnelles et des idées scientifiques, il a ouvert une série de réunions dont la plus rapprochée aura lieu à Paris en 1889, et qui seront toutes, certainement, de plus en plus fécondes en résultats dans la lutte que nous combattons contre le mal sous toutes ses formes : le crime, la folie, la prostitution, l’ignorance, la misère.

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