Les nouveaux métropolitains souterrains de Londres.

Daniel Bellet, la Revue Scientifique — 10 décembre 1898
Samedi 29 août 2009 — Dernier ajout vendredi 6 mai 2011

En face de ce problème réellement difficile des transports en commun dans les grandes villes, Londres a, sans hésiter, adopté franchement les voies ferrées souterraines ; et cela concurremment avec des omnibus légers qui marchent vite, quelques tramways, uniquement réservés aux voies peu encombrées des faubourgs, et aussi des voies ferrées aériennes sur arcades, prolongeant aussi loin que possible dans la ville les grandes lignes de province. Nous n’avons pas besoin de dire que, en dépit des sentiments nettement socialistes du County Council (quelque chose comme le Conseil municipal de Paris), ce sont des sociétés qui, à leurs risques et périls, sans le régime énervant des subventions, des monopoles, ont établi et établissent ces métropolitains aussi largement que possible, et non point sous la forme ridiculement étriquée qu’on nous fait espérer pour Paris.

Il n’y a pas à rééditer l’histoire des anciens métropolitains de Londres, histoire qui a été faite bien des fois ; nous inviterons seulement nos lecteurs à jeter un coup d’œil sur un plan indiquant les voies ferrées de la grande ville ; ils y constateront la multiplicité de ces voies, la façon dont elles s’embranchent, se réunissent les unes aux autres (nous ne disons pas s’enchevêtrent, ce qui pourrait impliquer une idée de confusion). Ils y suivront aussi les nouvelles lignes dont nous voulons spécialement parler, et verront comment elles vont compléter encore le réseau déjà si serré qui sillonne Londres.

L’intérêt de ces lignes est d’autant plus grand qu’elles comportent tous les progrès modernes et que la traction électrique y remplace la vapeur. Lé signal de cette transformation a été donné par la création du chemin de fer dit City and South London Railway, l’expérience ayant bien réussi, l’exemple est maintenant suivi sur une vaste échelle. Nous ne parlerons pas d’un projet qui n’a point encore reçu commencement d’exécution et qui aurait pour but de construire une voie ferrée transversale au grand axe de Londres et à l’axe même de l’immense boucle formée par les métropolitains existants ; ce. projet réunirait la gare de Waterloo, sur la rive droite de la Tamise, à Regent’s Park, en passant par la fameuse station de Charing-Oross, à l’entrée du Strand et de la Cité, et par le non moins fameux carrefour d’Oxford. Mais trois grandes lignes sont, soit en achèvement, soit déjà livrées à la circulation. L’une est dite Waterloo and City Railway, et, comme nous l’expliquerons plus en détail, elle donne accès sur la Cité aux lignes aboutissant à la gare de Waterloo.

L’autre est le prolongement du City and South London Railway, prolongement perpendiculaire à la Tamise. Enfin la troisième et la principale de ces lignes est le Central London Railway, dont le nom est fort explicite : elle forme justement l’axe de cette grande boucle dont nous parlions tout à l’heure, assurant le mouvement de l’est à l’ouest qui se produit de façon si intense dans toutes les villes en général, et tout particulièrement à Londres. C’est dire que cette importante voie est coupée par le prolongement du City and South London, et qu’elle-même coupe les réseaux métropolitains existants vers les extrémités de la boucle qu’ils forment.

Examinons maintenant en détail les travaux qui ont dû être exécutés pour chacune des ces lignes.

Les voies ferrées de Londres

Le Waterloo and City Railway n’a qu’une longueur assez faible, environ 2400 mètres. La compagnie du chemin de fer London and South Western avait jusqu’ici sa gare terminus sur la rive droite de la Tamise, sans accès dans la Cité ; les trains auraient bien pu, pour arriver jusqu’à la station de Charing-Cross, recourir aux voies du South Eastern Railway ; mais celui-ci avait des prétentions exagérées et exigeait le payement d’une somme considérable, environ 75 millions de francs, pour permettre au South Westem l’usage en commun de sa gare. En conséquence, la Compagnie intéressée n’hésita point à établir une voie électrique souterraine, passant sous la Tamise, dans deux tubes distincts qui descendraient jusqu’à 18 mètres environ au-dessous de la sur race du sol, et arrivant au cœur même de la Cité en face de Mansion-House. C’est ’là un nœud de circulation, le foyer pour ainsi dire de l’activité dans la Cité, et en ce point passent également le Central London et le prolongement du City and South London.

La ligne est entièrement souterraine, à l’une comme à l’autre de ses extrémités : cependant une partie de la gare de Waterloo est à ciel ouvert, ce qui facilite l’aération des souterrains. Tout à côté de cette tête de ligne est l’usine de force motrice produisant le courant électrique et installée par les soins de la grande maison Siemens. Les quais et les bâtiments pour les voyageurs se trouvent sous la gare terminus des lignes extra-urbaines du South Westem, et à 12 mètres en contre-bas. Pour les établir ,.on était au milieu même des fondations de cette grande station ; sur un point on a eu la chance de rencontrer une voûte assez large pour donner l’espace nécessaire aux nouvelles voies, mais il a fallu du moins descendre considérablement les fondations de cette voûte. Le travail s’est effectué avec une sûreté remarquable, sans aucun affaissement, en dépit du trafic intense de trains qui continuait de se faire dans la gare supérieure. Pour permettre de passer facilement des voies de dépôt à la gare proprement dite, on dut même complètement remplacer un des murs de fondation de la gare supérieure par une immense arcade de maçonnerie de plus de 12 mètres d’ouverture. Ces opérations fort délicates ont été menées à bien par la maison Perry, de Bow.

On a eu soin de multiplier les rampes donnant accès de la surface du sol à la gare nouvelle ; on s’est contenté de rampes et d’escaliers, mais il y en a pour ainsi dire dans toutes les directions, et les voyageurs arrivant par un train et en un point quelconques de la gare du South Western, rencontrent toujours un passage qui les conduit rapidement aux trains desservant la Cité. Pour la station située en ce dernier point, la difficulté consistait en ce qu’on se trouvait, au milieu du fouillis inextricable des égouts, des conduites d’eau, de gaz, etc. La station en question sera pour ainsi dire solidaire de la gare qu’on finit d’établir pour le Central London ; et nous en reparlerons plus loin en parcourant ce vaste carrefour souterrain qu’on a creusé sous le carrefour à l’air libre où s’agite la foule des passants, des cabs et des omnibus, devant Mansion-House. C’est là une des plus extraordinaires curiosités des nouvelles lignes métropolitaines.

Les voies sont chacune dans leur tunnel métallique, suivant la disposition qui avait été adoptée pour le City and South London.

Nous n’avons pas besoin de dire que tout le creusement des tunnels s’est fait au moyen de la précieuse méthode du bouclier, suivant les procédés de M. Greathead, qui, jusqu’à sa mort, a dirigé les travaux avec MM. Gallbraith et Kennedy. On s’arrangea de manière que l’enlèvement des déblais ne troublât nullement la circulation normale ; aussi, comme le tracé traversait la Tamise, on commença le creusement par deux puits établis chacun sur une rive du fleuve. De ces points les excavations pouvaient être menées dans deux directions, tous les déblais étaient évacués par les puits sur des plates-formes installées le long des berges, et d’où ils se déversaient dans des chalands ; pour les matériaux de construction on procédait de façon inverse. Aucune complication n’est survenue durant tous ces travaux.

La distribution du courant pour la traction électrique se fait par un des rails, procédé bien facile avec une exploitation absolument souterraine ; il n’y a point de locomotives, mais des voitures motrices. Tous les véhicules (qui ont été fournis par la maison Jackson and Sharpe, des États-Unis) présentent le même type : ils sont montés sur des boggies à quatre roues, le châssis qui les supporte étant surbaissé entre les boggies. Un train comprend quatre voitures, dont celle d’avant et celle d’arrière sont motrices ; à l’avant de chacune de ces voitures motrices est une cabine pour le mécanicien. Les parois des wagons, qui comportent toute une série de glaces dormantes, sont un peu inclinées, de manière que la voiture a une section« transversale trapézoïdale ; les banquettes, transversales elles-mêmes, sont coupées suivant l’axe du véhicule par un passage qui aboutit à une porte à chaque extrémité : ces portes débouchent sur une plate-forme, mais, »dans les voitures motrices, l’une d’elles s’ouvre latéralement, à cause de la cabine du mécanicien électricien. Les wagons offrent 56 ou 46 sièges, sans compter l’emplacement disponible pour ceux qui veulent demeurer debout. Chaque train peut contenir 204 personnes, et il en part au moins un toutes les 5 minutes ; le trajet ne demande lui-même que 5 minutes, à l’allure de 38 kilomètres environ à l’heure. Ajoutons enfin que le tarif est de 2 pence (0 fr. 20) pour un voyage simple, et 3 pence (0 fr. 30) pour l’aller et retour.

Dans les travaux qui sont exécutés pour le prolongement du City and South London, on applique les mêmes méthodes qu’à la première partie de ce métropolitain électrique tubulaire, qui a été décrite ici en son temps. Cette première section va du Monument, tout près de la fameuse Tour, au quartier sud de Stockwell, et il s’agit maintenant de la prolonger dans le nord sur Islington, transversalement à l’axe de Londres. Parmi les différentes stations de cette ligne, il en est une qui mérite qu’on y insiste, c’est celle de Lombard street, rue célèbre qui aboutit en face de la Banque, à ce carrefour si mouvementé où le Waterloo City rejoint le Central London. L’emplacement réservé à cette station (souterraine s’entend) est précisément celui où s’élève, au coin de Lombard street et de King William street, la vieille église de Saint Mary Woolvooth. Primitivement il avait été entendu que la Compagnie du chemin de fer pourrait abattre ce monument ; mais, pour des raisons qu’il serait inutile d’exposer, on s’est décidé à établir la station sous l’église, en faisant subir à celle-ci d’énormes travaux de réfection et surtout de consolidation qui sont du plus haut intérêt ; un large puits où fonctionneront des ascenseurs électriques donne accès à la gare.

On peut dire que c’est là un véritable tour de force qu’on a accompli, et dont on ne pourrait bien juger qu’en examinant les dessins d’exécution, les plans et coupes de ces travaux. En somme, il se trouve actuellement sous l’église un double étage de chambres souterraines. Le premier comprend les salles d’attente ; la salle des billets ; on y accède de divers côtés, notamment par des escaliers parallèles à rentrée de l’église ; on y rencontre des ascenseurs qui permettent de descendre à l’étage inférieur, d’où l’on gagne l’une ou l’autre voie, et d’où ’l’on peut même, grâce à un passage souterrain, rejoindre la grande station du Central London et aussi du Waterloo City. Les ascenseurs, mus électriquement, seront susceptibles de transporter simultanément 350 voyageurs, ce qui est énorme ; ils se meuvent dans un puits ayant une section de plus de 22 mètres sur 7 mètres et demi. Une fois qu’on a descendu par l’ascenseur, il ne reste plus qu’à prendre un escalier assez court pour atteindre les quais, aménagés à 30 mètres environ au-dessous du sol de la rue. Les deux voies sont établies, sous le sol même de King William street, dans deux tunnels faits d’anneaux de fonte de 6m,40 de diamètre.

Tout naturellement on a substitué de nouvelles fondations aux anciennes fondations de l’église, avant môme que de creuser« les puits des ascenseurs, et cela s’est effectué sans le moindre tassement dans cet édifice pourtant assez considérable et doté de deux tours, Une des murailles longitudinales de l’église et une partie du poids de l’autre se trouvent supportées par deux grandes poutres métalliques. A l’intérieur du monument s’élèvent quatre files de colonnes parallèles, groupées deux par deux ; sous chaque groupe, au moyen de deux poutres parallèles’ elles-mêmes et réunies comme par des pièces de pont supportant une sorte de platelage métallique, on a établi un pont véritable, un plancher d’une résistance énorme. On ne pouvait procéder que fort lentement, en attaquant successivement » différents points de la base des colonnes. Pour la muraille qui devait reposer exclusivement sur une poutre, on forma en réalité celle-ci de deux demi-poutres, dont la première moitié fut posée après enlèvement de -la moitié correspondante de la maçonnerie ; cette demi-poutre étant soutenue par des charpentes, on put couper le reste de la muraille et compléter la poutre métallique, qui supporta vaillamment le poids qu’on lui a imposé. Quant à la seconde muraille longitudinale, elle ne repose bien que pour moitié sur une poutre, mais son autre moitié s’appuie sur des pièces transversales formant cantilever.

Toutes les poutres sont supportées par des colonnes verticales métalliques, portant elles-mêmes par l’intermédiaire de plaques d’acier sur des fondations de béton ; on’ a noyé du reste tout le métal dans le béton.

Pour mener à bien ces importants travaux, la Compagnie intéressée a eu recours à sir Benjamin Baker, le célèbre ingénieur, et à MM. David Hay et Basil Mott.

Le passage souterrain qui conduit de la station que nous venons d’étudier à celle du Central London peut nous mener aux travaux si considérables de cette dernière ligne métropolitaine.

Notre savant et sympathique confrère Engineering caractérisait fort bien cette voie en disant que c’est la « direction de plus grande circulation continue » de tout Londres, C’est précisément ce grand axe d’ellipse auquel nous avons fait allusion plus haut. La station extrême. l’ouest est celle de Shepherd’s Bush, où l’on croise une des lignes métropolitaines, bien au delà du fameux Hyde-Park. En nous dirigeant vers l’est nous trouverons une première station à quelque 900 mètres ; les distances successives de station en station seront de 720 mètres, 705, 900, 1170, 585, 640, 602,621, 676, 1060 et 750 mètres. Ce ne sont là que des chiffres approximatifs, mais qui montrent combien sont multipliées les gares sur cette ligne, et quelles facilités y trouvera la circulation urbaine et même extra-urbaine quand la mise en exploitation sera chose faite. Au total la voie nouvelle présentera une longueur de 9293 mètres ; et encore avait-on primitivement l’intention de la prolonger jusqu’à Liverpool street. En ce point est située une grande gare, la plus importante peut-être de Londres ; celle du Great Eastern Railway, sur laquelle se dirigent la plupart des lignes d’omnibus ; pour l’instant, cette partie du projet semble abandonnée, mais elle sera certainement reprise, car elle compléterait merveilleusement cet admirable réseau des voies ferrées de la Métropole. Tel qu’il est d’ailleurs, le Central London est appelé à’ rendre les plus grands services aux affaires et aux innombrables personnes qui se rendent quotidiennement de l’ouest dans l’est de l’immense agglomération.

Nous n’avons pas compté dans le développement de la ligne l’embranchement de près d’un kilomètre qui, à Shepherd’s Bush, conduit aux dépôts de la Compagnie, à la station centrale de force motrice, etc., ni un prolongement pour la formation des trains et les manœuvres au delà de la station terminus de la Bank.

Le travail d’établissement d’une pareille voie est grandement facilité par ce fait qu’on n’a pas hésité à descendre à une assez grande profondeur : de la sorte on passe, comme on a dit, dans un .sol vierge,au-dessous des égouts, des conduites d’eau ; on s’est astreint à suivre la : direction des rues, notamment la fameuse Oxford street et Cheapside, dans la Citë ; en un certain point où la rue est étroite, on il fait les deux tunnels l’un au-dessous de l’autre, pour ne point miner le sous-sol des maisons. Comme on a employé uniquement le bouclier (du système Greathead), on ne s’est pas exposé à ces affaissements innombrables qui se produisent actuellement à Paris dans la confection d’un simple égout collecteur.

On s’est décidé à donner à chaque voie son tunnel, ce qui a des avantages multiples, notamment au point de vue de la ventilation. ; les deux tunnels sont le plus généralement côte à côte. Ils ont 3m,50 de diamètre intérieur, et peuvent par conséquent admettre un matériel de grandes dimensions ; ils sont revêtus ou formés, comme on voudra, d’anneaux en fonte, suivant un système aujourd’hui très connu ; l’épaisseur de ces anneaux est de 22 millimètres. Aux gares, le diamètre augmente naturellement beaucoup, puisqu’il est 6m,40 pour chaque tunnel, sur une longueur de 114 mètres ; pour ces stations on a commencé par creuser le tunnel courant, puis on l’a élargi au diamètre voulu au moyen d’un autre bouclier de dimensions plus considérables. On a pu ainsi ménager l’espace nécessaire pour un large quai à niveau du plancher des wagons. Ajoutons qu’en plusieurs points on a réuni le tunnel de la voie montante et celui. de la voie descendante pour permettre. les passages d’une voie sur l’autre.

Certaines stations sont’ jusqu’à 30m,80 au-dessous du niveau du sol ; mais, d’une façon générale, la voie est établie à une profondeur variant entre 24 et 27 mètres. Un point à noter (qu’on retrouve sur le métropolitain de Glasgow), c’est que la voie, en entrant en gare, présente une rampe de 1/60 sur 180 mètres environ, et, en sortant, une pente de 1/30 sur 91 mètres, et cela pour amortir la vitesse et faciliter les démarrages des convois. )

Plan de la station de la « Bank » sur le « Central London »

Puisque nous en sommes sur le chapitre des stations, nous devons consacrer quelques lignes à la gare souterraine de la Bank (fig. 48), si bien comprise à tous égards, et peut-être une des plus curieuses que nous connaissions. Disons tout de suite que les accès’ souterrains qui y sont ménagés n’auront pas seulement pour but d’amener les voyageurs aux guichets de la station, mais permettront encore à tous les passants de traverser, sans être arrêtés par le trafic des voitures, ce carrefour si mouvementé qui se trouvera au-dessus de leurs têtes, et qui s’étend devant les principaux monuments de Londres, la Bank of England, l’Union Bank, Mansion House, le Royal exchange. Les passages souterrains en question dessineront un vaste ovale qui donnera toutes facilités, au m yen d’une série d’escaliers, de passer de l’une à l’autre des différentes rues aboutissant au carrefour. Ces sortes de corridors, creusés immédiatement sous la surface du sol, ont 4 m,50 de largeur ; ils sont tapissés de carreaux émaillés blancs, et éclairés à la lumière électrique. En dessous et suivant le même ovale, viennent les tunnels consacrés aux égouts, aux tuyaux d’eau, de gaz, et qu’il a fallu dériver pour réserver l’emplacement de la gare proprement dite. A ce qu’on peut appeler le premier étage (en descendant) de cette gare, sous une espèce de pont en acier et ciment supportant le pavage de la rue, sont les bureaux de distribution des billets et les salles d’où partent les ascenseurs, au nombre de 5, qui descendent chacun 100 personnes par voyage jusqu’au niveau des quais, et à une allure de 45 mètres à la minute. La figure 49, p. 746, achèvera de faire comprendre la disposition de la gare, qui diffère peu des autres stations du même chemin de fer.

Section transversale de la station de la « Bank » sur le « Central London »

Tout est intéressant dans l’établissement de ce métropolitain : les procédés mêmes employés pour les terrassements ont présenté certaines particularités remarquables. Pour commencer on avait foncé, sur l’emplacement de chaque station, les puits qui’ devaient plus tard donner passage aux ascenseurs ; ces puits’, généralement au nombre de 3 par gare, dont 2 de 6m,90 de diamètre et l’autre de 5m,40, sont formés d’anneaux de fonte qu’on faisait descendre autant que possible par leur propre poids ; le bas du tube. vertical repose sur un massif de béton. C’est par ces puits qu’on remontait tous les déblais : on arrivait à extraire quotidiennement, et pour ainsi dire à chaque station’, un millier de tomberées de terre, qu’on transportait le long de la Tamise pour les décharger dans des chalands ; en même temps on descendait 60 charretées de matériaux de construction, briques, ciment, anneaux métalliques, etc.

Nous avons indiqué tout à l’heure qu’on à employé deux types de bouclier : on peut dire trois, car il y en avait un spécial pour les courbes, où il fallait une section transversale un peu plus grande. Nous n’insisterons pas sur la disposition de ces appareils, toujours constitués d’anneaux et de plaques d’acier solidement rivés ; ceux qui étaient destinés au creusement des stations comptaient 22 vérins hydrauliques ; de plus, 6 autres vérins du même genre avaient pour rôle de maintenir le front de taille, Les boucliers courants n’avaient que 6 vérins d’avancement, qui sont doubles en réalité, en ce sens qu’ils, comportent un piston large et un autre étroit ; on recourt à l’un ou à l’autre, suivant le plus ou moins de résistance que l’on rencontre devant le couteau du bouclier.

Il y aurait des détails techniques fort curieux à donner sur la méthode d’avancement du bouclier, mais nous ne pouvons y insister : on en trouverait une grande partie dans les numéros de mars 1898 de notre confrère Engiineering. Nous noterons seulement que l’on achevait généralement, en dix heures de travail, une longueur de 1 à 2 mètres de tunnel.

Les différentes parties du matériel employé par les entrepreneurs présentent les derniers perfectionnements possibles, pompes de compression hydrauliques mues par l’électricité, locomotives électriques pour la- traction des wagonnets de matériaux. A l’intérieur même du bouclier, on a recouru à un excavateur construit spécialement pour ce travail : comme tous les excavateurs, il est muni d’une chaîne à godets qui vient attaquer les terres, mais qui s’allonge parallèlement à l’axe du tunnel, de manière à excaver toujours au front de taille. Partout où’ l’on a eu recours à cet excavateur, il a fallu naturellement modifier quelque peu certaines dispositions du bouclier, notamment pour laisser passer l’élinde portant la chaîne à godets. Grâce à cette combinaison, il y a une économie énorme de main-d’œuvre : en dix heures on avance de 1 m,50 avec une équipe composée seulement de 8 hommes.

La construction du Central London, y compris la fourniture du matériel roulant, des stations génératrices ; des ascenseurs, etc., se fait pour une somme de 82063000 francs, ce qui fait ressortir le coût kilométrique à 8 160 000 francs, chiffre bien plus élevé qu’on ne le prévoit pour Le métropolitain parisien qui rencontrera cependant dans le sous-sol certaines difficultés redoutables.

Nous n’avons pas encore parlé des dispositions électriques. Toute l’installation, à ce point de vue, a été confiée à la Compagnie Thomson-Houston. Le matériel vient des États-Unis.

On compte employer, en service régulier, 32 locomotives traînant chacune un train de 7 voitures, d’une capacité totale de 336 places ; la vitesse moyenne sera de 14 milles (22 1/2 kilomètres) à l’heure, cc qui correspond à la vitesse de marche de 30 milles, étant donné .qu’on s’arrêtera 22 secondes à chaque station. Il y aura d’abord ’un train toutes les deux minutes et demie, et, en cas de besoin, les départs se feront toutes les deux minutes. Les locomotives ressemblent comme apparence sensiblement à celles. du Baltimore and Ohio, que nous avons jadis décrites ici. Elles sont montées sur deux trucks à quatre roues, dont les centres se trouvent à 4m,46 l’un de l’autre ; le diamètre des roues est de 1m,06, l’empattement total de 6m,19. La longueur de chaque machine est de 9m,03, son poids de 42 tonnes, sa hauteur de 2m ,85 ; elle peut exercer un effort de 6350 kilos sur la barre d’attelage au départ, et de 3628 en cours de route, à l’allure de 22 milles. C’était une réelle difficulté que de construire un moteur aussi puissant sous un volume réduit. Le courant est pris sur un troisième rail, au moyen de deux sabots placés aux extrémités respectives du châssis de la locomotive. On espère que le rendement de ces machines atteindra 92 et même 93 p. 100.

La station génératrice est à Shepherd’s Bush ; on a disposé trois sous-stations de transformateurs qui reçoivent le courant des feeders à 5 000 volts et le distribuent à 500 seulement au troisième rail et même aux rails porteurs. On mettra en service une quatrième sous-station si l’on adopte l’horaire de deux minutes. La perle totale de la distribution sera de 4,75 p. 100. Ajoutons que le troisième rail est placé plus haut que les deux autres sur des isolateurs en bois créosoté ; les rails porteurs sont sur longrines.

Pour finir cette description un peu longue, nous dirons que les voitures de première et de deuxième classe sont faites sur le type américain ; très confortable, et qu’elles seront admirablement éclairées à la lumière électrique. . On estime que le mouvement annuel des voyageurs sera de 100 millions de personnes : il est évident qu’un trafic considérable viendra tout naturellement à cet excellent moyen de transport, car il ne faudra, par ce nouveau métropolitain, que 25 minutes pour effectuer un trajet qui demandait une heure et quart quand on prenait les petits omnibus pourtant si rapides de l’immense capitale anglaise.

Daniel Bellet

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