Les chemins de fer souterrains à Londres (en 1876)

P. NOLET, La Nature N°135 (1er Janvier 1876) et N°140 (5 Février 1876)
Lundi 1er novembre 2010 — Dernier ajout samedi 5 septembre 2015

Le Metropolitain, le Metropolitain district et le Saint John’s Wood Raiway.

L’installation d’un chemin de fer souterrain à Paris a depuis longtemps été discutée ; personne n’ignore même que les Halles possèdent des gares prêtes à recevoir les marchandises lui venant, par voie souterraine, des grandes lignes qui composent le réseau français. Malheureusement c’est là tout ce que nous avons réalisé de ce projet grandiose.

Au contraire, nos voisins d’Outre-Manche, dont la principale préoccupation est de faciliter les communications aux mouvements d’un commerce unique dans le monde, ont depuis longtemps construit à Londres un réseau de chemins de fer souterrains, qui assurent aux habitants de la Cité la rapidité du transport des voyageurs et des marchandises. Les tramways installés à Paris deviendront sans doute insuffisants dans un avenir peut-être proche ; on en reviendra forcément pour notre métropole aux projets de chemins de fer ; aussi croyons-nous utile de devancer en quelque sorte ces prévisions et de décrire les gigantesques travaux que les Anglais ont exécutés à Londres, pour la construction des railways souterrains.

La ligne formant ce que l’on nomme généralement le Inner circle, représenté par notre carte, part maintenant de Bishopsgate et, après un long circuit, atteint Mansion House à quelque distance de son point de départ. Ces deux gares se trouvent dans la Cité même, le quartier le plus resserré, le plus remuant de Londres, le centre des affaires en un mot. Cette œuvre colossale n’est pas le résultat d’un plan primitif, mais bien la conséquence d’un ensemble de travaux auxquels le Métropolitain railway, ligne ouverte en janvier 1863 (de Paddington à Farringdon road) donna en quelque sorle l’impulsion. De Bishopsgate à Mansion House on compte deux chemins de fer et deux compagnies travaillant sur une même ligne, le Metropolitain Railway et le Metropolitain Districts Railway ; on voit s’y ramifier les chemins de fer de Saint-John Wood, Hammersmith, et, successivement enfin, toutes les grandes lignes anglaises. Le public peut aujourd’hui non seulement se rendre à Londres d’un quartier à l’autre par voie de chemin de fer, mais encore prendre dans un quelconque de ces quartiers un billet pour toutes les stations du Royaume-Uni.

Metropolitain Railway - C’est en 1853 qu’une compagnie se forma pour la construction d’un railway devant relier la Cité à différentes parties de Londres. Après de longues discussions sur la manière de l’installer, le projet de tunnel fut adopté et le Parlement ratifia l’acte en la même année. Mais la guerre de Crimée vint interrompre l’œuvre ; l’argent était rare et la compagnie ne pouvait réaliser les capitaux. Cependant, après des efforts constants la compagnie parvint à obtenir l’assistance absolument nécessaire de la « Corporation de Londres », qui devenait actionnaire pour 200,000 livres (5,000,000 francs). Le capital de la compagnie se composait de 850,000 livres (21,250,000 francs) : nous verrons plus loin que ce chiffre fut dépassé de beaucoup. Cette somme fut divisée en part de 10 livres (250 francs ; le Great Western railway souscrivit pour 175,000 livres, et le reste fut pris par le public. On nomma entrepreneurs des travaux MM. Smith, Knight et Jay. L’ingénieur en chef fut M. Fowler, président de l’Institut des ingénieurs civils. En 1860 les travaux commencèrent et furent poussés avec la plus grande activité jusqu’à l’ouverture, en janvier 1863.

Des difficultés considérables allaient se présenter dans l’exécution du premier chemin de fer souterrain. On le comprendra, en se représentant que la compagnie devait construire la ligne sans gêner aucun des services publics et cela dans un quartier des plus populeux. On commença par se rendre acquéreur des propriétés où devait passer la ligne et l’on se mit en règle avec les vestries [1] quand on dut traverser la voie publique.

Après l’achat et le tracé fait, on démolit tous les propriétés achetées et l’on commença les travaux : mais non pas à la façon d’un tunnel ordinaire. En effet, on n’a pas perforé Londres pour y établir le railway, mais on a ouvert une tranchée qui a été recouverte ensuite. - Le recouvrement d’une partie du canal Saint-Martin peut donner une idée au lecteur parisien de ce que fut ce mode d’établissement de la voie ferrée — tout rapport gardé. — La distance entre le niveau du sol et la voûte n’est que de 0,60m à peine dans certains endroits. De cette façon on put s’avancer par section et marcher pas à pas, recouvrant successivement la partie faite, et rétablissant la chaussée. Ce procédé, bien supérieur dans ce cas à ceux que l’on emploie pour la construction d’un tunnel, offre en outre, des conditions de sécurité, de solidité et d’imperméabilité exceptionnelles. Ajoutons enfin qu’il est plus économique. Les propriétés démolies ont été reconstruites par la compagnie, et leur ont constitué plus tard un immense revenu.

Le travail fut commencé à deux places différentes ; à Paddington et à King’s Cross, en raison de la proximité de ces places avec les lignes du Great Western et du Great Northern. De cette façon la masse des matériaux déblayés trouva facilement un débouché immédiat.

Dans un grand nombre de circonstances il fallut dévier de leur cours les tuyaux à gaz, conduits d’eau et les égouts. Grâce à l’intelligence et à la persévérance des ingénieurs, tous les obstacles furent vaincus ; du reste, nous verrons plus loin les mêmes hommes s’attaquer à des difficultés plus grandes encore pour la construction du District railway. Un accident grave se produisit en 1862 : un égout s’épancha tout à coup sur la voie. A trois reprises différentes les ingénieurs luttèrent avec persévérance : il fallait que cet égout traversât la voie,… aussi prit-on des mesures exceptionnelles pour assurer le succès. Cependant, l’ouverture de la ligne fut retardée de quelques mois pour cette cause. En janvier 1863 elle fut livrée au public.

La locomotive employée avait été construite de façon à « condenser sa propre vapeur et à mettre sa fumée en bouteille » ; telles sont les expressions de M. Fowler ; mais elle semble ne pas avoir tenu tout ce qu’elle promettait. Les machines ont été perfectionnées ; cependant le problème ne paraît pas encore être absolument résolu. Les locomotives devant fonctionner sur le Metropolitain ont été construites depuis, de telle sorte que, lorsqu’elles marchent à ciel ouvert, elles se trouvent dans les conditions des locomotives ordinaires, et que, passant sous un tunnel, leur mode de fonctionnement se trouve modifié. On obtient ce résultat de la manière suivante : pour ne pas répandre dans le tunnel la vapeur surchauffée, la locomotive l’envoie dans les vastes réservoirs placés sur ses côtés et contenant 4,500 litres d’eau qui la condense. Ces machines, de plus, ont une très grande surface de chauffe et, quand elles passent sous un tunnel, on interrompt tout tirage en fermant la trappe de la cheminée : la combustion s’arrête, et toute fumée disparaît. La vapeur étant élevée à une pression de 130 livres (anglaises) à l’entrée du tunnel, est fort suffisante pour leur faire franchir la distance, en admettant qu’elle tombe à une pression de 80 livres pour le temps de son passage. La meilleure qualité de coke qui puisse être trouvée (près de Burham) le plus attentivement trié, et brûlé 120 heures afin d’en détruire les sulfures et autres éléments nuisibles, est seule consumée par les machines. Ces locomotives des chemins de fer souterrains dues à M. Fowler sont construites sur ses plans par MM. Beyer, Pearock et Cie, de Manchester ; elles sont portées sur 8 roues ; les quatre premières peuvent pivoter sur elles-mômes, à la façon des voitures ordinaires, ce qui leur permet de franchir sans danger des courbes d’un petit rayon.

Quand on pénètre dans le Metropolitain, une odeur particulière se fait sentir. On pourrait croire que cette odeur vient des feux des machines ; il n’en est rien. Un docteur anglais, M. Lethbey, affirme qu’elle est due à la friction des freins de bois dont on se sert pour arrêter les trains aux stations fréquentes de la ligne. La combustion imparfaite du bois engendre, d’après lui, des produits pyroligneux, hydrogènes carbonés, etc., qui peuvent provoquer la toux, mais qui ne sont nullement nuisibles à la santé. Nous croyons devoir insister sur ces détails, pour montrer que la question de ventilation est un des points importants du problème des chemins de fer souterrains. La compagnie a eu souvent à subir à cet égard les plaintes du public. Dans les grandes chaleurs de 1867, des enquêtes furent faites à Londres sur deux ou trois personnes malades qui moururent soit durant le trajet, soit quelques heures après ; dans deux de ces cas le jury déclara, dans son verdict, que la mort, occasionnée par des causes naturelles, avait été accélérée par l’atmosphère suffocante du railwav. Dans les deux autres cas, où des sommités médicales et scientifiques furent consultées, ces imputations furent contredites et le verdict démontra que la mort avait été purement accidentelle. L’air des tunnels, recueilli le matin et le soir après le service ordinaire du jour et de la nuit fut analysé par le professeur Rogers, à la demande du coroner ; ce célèbre chimiste trouva qu’il contenait généralement une proportion d’oxygène égale à celle de l’air prélevé dans les tunnels des grandes lignes, avec une très petite portion de gaz sulfureux et carbonique, de telle sorte qu’il ne pouvait être nuisible à la santé. Il est prouvé, en effet, par la statistique de la commission médicale du service sanitaire de la compagnie, qu’un moins grand nombre d’employés se trouvent enlevés au service, pour cause de maladie, que dans les autres compagnies. Un journal anglais dit à ce sujet : « Nous croyons pouvoir attribuer ce fait à ce qu’il sont moins exposés aux vents froids, à la pluie, aux courants d’air meurtriers, que ceux qui travaillent sur des lignes moins abritées ; et nous ne doutons pas que les risques des voyageurs sur de tels maux, nés de ces trois causes, ne soient aussi diminués particulièrement dans la saison d’hiver et dans les temps incléments. »

Si la compagnie du Métropolitain a eu bien des problèmes à résoudre, on voit qu’elle a trouvé aussi bien des mécontents à satisfaire. Cependant, et telle est la nature humaine, après des plaintes sans nombre sur le mauvais état de l’atmosphère, le public a fini, sur ses instances, par contraindre la direction de mettre des wagons de fumeurs (smoking carriage), pendant longtemps formellement interdits, sur la voie. Je vous laisse à juger ce que peut être par un temps de brouillard l’atmosphère d’un de ces wagons quand une trentaine de fumeurs s’y trouvent et que la locomotive faillit à ses devoirs en laissant échapper quelque peu de sa fumée ! Le public exigeant souffre l’asphyxie volontaire, mais il n’admet pas qu’elle soit due à une autre cause.

En définitive, le Métropolitain, malgré quelques récriminations isolées, obtint un immense succès, et sa construction répondit à un besoin réel, comme le montre le tableau des voyageurs transporté de

Juillet à Décembre 1864 Janvier à Juillet 1865
1e classe 635,651 833,112
2e classe 1,210,259 1,519,887
3e classe 3,361,425 5,110,823
5,207,335 7,462,825

Chose singulière, les omnibus de Londres ne souffrirent pas de la concurrence du chemin de fer. Le nombre de voyageurs, en supposant les trains complets à chaque voyage, devait être, selon la compagnie, de 744,600 par semaine ; il ne fut que de 390,904 ; cela peut servir de base de calcul pour des opérations de ce genre. Les actionnaires à cette époque reçurent 3,5%, environ 1/2 pour 1,000,000 de voyageurs.

Le jour de la Pentecôte 1865, le Métropolitain transporta 84,440 voyageurs — le nombre total, pour cette même semaine, fut de 570,845 et la recette de 3,414 livres, soit 85,550 francs ; — ce qui donnait, en raison de la ligne à cette époque, une recette de 910 livres par mille [2], soit 22,750 francs. Une remarque digne d’attention, c’est que pas un accident ne fut à déplorer. Le rôle des signaux occupa d’ailleurs une large place dans la création du chemin de fer souterrain. Il fallut, en effet, faire un code commun aux nombreuses lignes qui sillonnaient déjà le Métropolitain, et, de plus, la grande quantité de trains exigés demandait un service spécial (environ tous les cinq minutes un train passe). Plusieurs systèmes furent adoptés, puis rejetés. Voici ce qui s’exécute maintenant. La distance d’une station existe toujours entre un train et celui qui le suit ou le précède. On télégraphie de station à station suivante l’arrivée et le départ ; des signaux sémaphoriques, faits en concordance avec ces renseignements, indiquent aux mécaniciens l’état de la voie ; de la sorte un train ne quitte jamais une gare avant que celui qui est en tête n’ait quitté lui même la gare où il stationne ; il est aisé de comprendre qu’avec un tel service tout danger est éloigné. Ajoutons du reste que le Métropolitain n’a pas eu de cas de morts sur la ligne.

Les wagons du Métropolitain railway sont éclairés au gaz par un moyen fort simple. Sur leurs toits est fixé un long récipient de bois dans lequel se trouve enfermée une enveloppe de caoutchouc faisant office de gazomètre ; on emplit ce réservoir à l’aide d’un tuyau qui longe un des côtés du wagon et aboutit à un robinet de forme spéciale. Quand le train arrive aux têtes de lignes, des hommes vissent rapidement des tuyaux de caoutchouc aux tubes des wagons, et le tout s’emplit en 2 minutes 1/2, grâce à une pression suffisante, exercée à la source même d’alimentation du gaz. Ces tuyaux sont fixés dans le sol ; leur nombre et leur distance sont en rapport avec le nombre des wagons et leur éloignement de l’un à l’autre.

Arrivons à présent à ce qu’a fait la compagnie pour l’aérage et considérons de combien de tunnels et de combien de prises d’air se compose la partie dont nous nous occupons, c’est-à-dire de Paddington à Farringdon Road, Nous donnerons la parole à sir Cusack Roney auteur d’un ouvrage fort intéressant (Rambles ou Railways [3]), dans lequel nous trouvons un compte exact de la longueur de chacune des sections dont se compose la ligne.

« La longueur totale du Métropolitain, proprement dit, de Bishop’s Road, près la gare du Great Western railway à Paddington, à Morgate Street [4], est environ de 4miles 1/2 (7,240 mètres). La portion souterraine est de 2 miles et 1911 pieds (5,370 mètres) d’Edgware Road à King’s Cross ; mais dans cette distance, fait remarquer sir Honev., se trouvent trois moyens puissants de ventilation : le premier a Ballen’s Street station, à un 1/4 de mile de Edgware Road (805 mètres) ; le deuxième se trouve à Portland Road, à 1 mille et 358 pieds de Baker Street (1712 mètres) « Portland Station est la plus ouverte des stations souterraines » ; la troisième se trouve à Gower Street, à 1.920 pieds de Portland Road (675 mètres). De Gower street à King’s Cross station se trouve le plus long intervalle entre leurs stations, soit 3,900 pieds (1,278 mètres). »

Comme on le voit, les conditions d’aérage sont meilleures que l’on pourrait le supposer. Ajoutons que Paddington, King’s Cross, Farringdon, Aldersgate Street et Morgate Street sont à ciel ouvert. Nous rencontrerons moins de ces stations dans le district railway.

Afin d’obtenir une ventilation supérieure encore, la compagnie demanda et obtint l’autorisation d’établir des prises d’air sur la voie publique. On peut les voir dans Euston Road ; cela ressemble assez à un de nos refuges en petit ; placés au milieu de la rue, un bec de gaz les ornant, une grille de fer en limitant l’accès, ils servent, du reste, assez souvent à cet usage.

Quand le succès du Métropolitain fut assuré, plus de trente compagnies présentèrent des projets au Parlement afin d’établir de nouveaux chemins de fer à Londres, les unes sur le même modèle, les autres sur un système différent. La plupart furent rejetés. Cependant peu de temps après, le Métropolitain ouvrait une nouvelle ligne au public et poussait jusqu’à Kensington. Rien de remarquable ne se présenta dans ces travaux qui s’exécutèrent de la même manière que les précédents.

La voie était définitivement ouverte ; on n’avait plus qu’à s’y engager, En 1867-1868 on exécute entre King’s Cross et Farrinqdon Street de nouveaux travaux, qui méritent une mention spéciale en raison des énormes difficultés vaincues et des résultats obtenus, Celte section du railway, longue de 1,600 mètres environ, sert conjointement à l’usage du Métropolitain, du Great Western, Midland, Great Northern, et enfin du London Chatam et Dover Railway ! Les rails sont d’une dimension mixte qui permet aux compagnies l’usage de leurs wagons, A la station de King’s Cross, le Midland et le Great Northem forment une jonction avec le Métropolitain, qui leur donne accès dans la cité. De Farrinqdon Road, le London Chatam et Dover conduit les voyageurs dans toutes ses branches suburbaines. Depuis quelque temps seulement une station s’est ouverte à Bishopsgate .

Le Metropolitain continuant lentement sa marche souterraine, s’est de plus rallié à Liverpool Street, au Great-Eastern. Dans quelque temps il se reliera au Blackwall Railway et là sa tâche sera accomplie et ses promesses réalisées. Comme on peut le voir sur la carte, à l’aide du Métropolitain district, il se relie encore à nombre de lignes et complète ainsi son vaste système de communications. De ce qui précède, le lecteur verra clairement l’importance de cette petite partie du Métropolitain dont nous parlions plus haut et sur laquelle passe, pour ainsi dire, tout le service de la métropole, trait d’union des grands railways nationaux divergents vers le nord, le sud, l’est et l’ouest de Londres et traversant le Royaume entier ! Si nous considérons le nombre de voyageurs transportés en 1867 par le Métropolitain, dans les douze mois de l’année, il a été de 23,000,000 : le lecteur pourra se faire une idée de ce que peut être maintenant l’énormité des transports effectués sur celte partie de ligne, par la compagnie elle-même, ou par celles qui lui sont subsidiaires.

Dans les années 1867-1868 la compagnie, avec l’aide de M. Fowler son ingénieur en chef, fit des efforts considérables pour obtenir le plus grand nombre de trains possible, malgré la multiplicité des précautions à prendre dans un tel service. Un travail remarquable s’exécuta à cet effet en 1867 ; il consista en l’élargissement de la Clerkenwell section dont on doubla la ligne et qui nécessita un second tunnel longeant le premier et passant sons un autre corps de bâtiments. Il fallut détourner des égouts, des conduites d’eau et de gaz, démolir l’ancienne ligne, pour la reconstruire provisoirement. Et cela sans interruption dans la marche des trains ; (il en passe 350 par jour à des intervalles de 5 à 10 minutes.) Le nouveau tunnel, commençant à King’s Cross, marche parallèlement au tunnel du Métropolitain propre, et, comme lui, sort à RayStreet près Farringdon, mais à 15 pieds au-dessous du niveau du premier. A ce point et à cette profondeur, les lignes se croisent, l’une allant à l’ouest de la station de Farrinqdon-Road, l’autre à l’est, et de là à Morgate Street. Notre gravure montre le croisement des lignes à l’entrée du tunnel de Clerkenwell. À cet endroit, une arche fut bâtie à 30 pieds au-dessus de la nouvelle ligne afin de supporter une partie de la rue. Le procédé pour bâtir ce pont, sans arrêter le service, nécessita des travaux lents et difficiles. Les vieux murs d’appuis furent repris en sous-œuvre, de chaque côté de la ligne, jusqu’à une profondeur de 20 pieds afin d’en doubler la solidité.

Des puits d’aérage donnent de l’air à ce tunnel construit sous un tunnel : sur son parcours il rencontre en outre une large ouverture de 45 mètres ; puis les deux lignes rencontrent alors, quelque temps après, une autre station de 300 pieds de long qui sert au service des lignes déjà mentionnées. A l’ouverture de 45 mètres on a placé une station de signaux, munie d’un code spécial qui permet aux compagnies de faire passer les trains à 2 minutes d’intervalle en parfaite sécurité. A la station de King’s Cross, on voit l’entrée de trois tunnels qui forment encore un travail fort remarquable, Le tunnel du milieu se rend à la gare nouvelle du Midland railway ; à sa droite prend place celui qui se rend au Great Northern, à sa gauche on voit le tunnel de King’s Cross à Gower Street du Métropolitain lui-même ; ils sont vus de la plateforme centrale de la station. Comme le niveau du Métropolitain est de beaucoup au-dessous du niveau de la gare du Midland, la compagnie de ce dernier fait passer sous sa gare la ligne en question et par une rampe assez douce lui fait gagner la sienne propre.

Le raccordement est complet et le Midland peut voyager sur le Metropolitain, aller et retour. Pour cet avantage, le Midland doit payer au Metropolitain 14000 livres par an (350,000 francs).

Les dépenses des travaux du Métropolitain railway s’élevèrent à la somme de 1,300,000 livres, soit. 32,500,000 francs. Le capital de la société était, nous l’avons dit, de 850,000 livres ; il a donc coûté presque le double et nécessité des emprunts successifs.


Saint-John’s Wood Railway. - Le lundi de Pâques (avril) de l’année 1858, on inaugura une nouvelle ligne qui s’unit au Metropolitan à Baker Street station. C’est une ligne d’intérêt local pur et d’un parcours restreint ; mais dans un avenir prochain, si elle se relie aux grandes voies, elle pourra devenir importante. Sa longueur totale est de 2 milles environ (3,218 mètres), pas même une lieue. Toutes les stations sent établies au travers même de la voie et reposent sur une puissante charpente en fer. La ligne passant en partie sous des propriétés privées permit aux ingénieurs de faire des gares à ciel ouvert, ce qui fut impossible pour les trois stations du Metropolitan dont nous avons parlé : Baker Street, représentée ci-dessus, Portland Road et Gower Street. Une des plus grandes difficultés se trouva dans la dureté incroyable du sol ; mais la plus considérable d’entre toutes consista à faire passer la ligne au-dessous d’un canal (Regent’s canal) et de l’élever à l’aide d’une forte rampe. Il fallu dévier les égouts et les faire passer au-dessous du canal à une profondeur telle, qu’ils fussent toujours à près d’un mètre des eaux. Cette œuvre fut accomplie en descendant des cylindres de fer au-dessous du canal et quoique le travail s’exécutât parfois à 3 pieds à peine de la quille des barques passant au-dessus, il n’y eut ni fuite d’eau, ni accident qui pût retarder la construction et interrompre le service du canal.

Le Metropolitan District Railway. - Cette ligne était destinée à réaliser ce que les Anglais nomment le inner circle, projet de M. Fowler, et qui constitue l’ensemble des travaux dont nous nous occupons. Ce cercle intérieur n’est pas parfait : c’est un cercle brisé ; mais il est facile de voir par la carte publiée précédemment, que les extrémités n’en sont pas fort éloignées. En additionnant à cette ligne dont la longueur totale est de 6 milles 1/2 ou 2 lieues 1/2 environ, on rencontre deux branches importantes, l’une de Brampton et l’autre de Kensington. laquelle se réunit au West London Railway, entre la station de Kensington et celle de West London. Ces branches, d’une longueur d’environ 2 milles, forment une complète union entre l’inner circle et les chemins de fer suivant : London et South Coast, Great Western, South Western, Brighton et Southwart, et enfin avec le London Chatam et Dover Railway, que nous retrouvons de ce côté ; de cette façon tout train partant d’une partie quelconque de Londres peut se rendre sur ces lignes.

Nous insistons sur ces détails, afin de donner une idée du but que l’on s’est proposé d’atteindre en développant ainsi la première idée du Metropolitan pour arriver à l’exécution d’une œuvre d’ensemble que l’on peut appeler une des merveilles du monde.

En 1806 toutes les propriétés étaient entre les mains des directeurs, La compagnie eut encore à discuter longuement avec le dean de Westminster Abbey et avec le Metropolitan Board of Work [5] ; avec le premier parce que la ligne passe près de la fameuse église, avec le second, au sujet des quais de la Tamise, alors en construction, et que la nouvelle ligne longe sur un assez long parcours. Ce qu’il y eut de difficultés à vaincre pour construire cette ligne est impossible à dire ; ce fut une lutte continuelle des ingénieurs contre les égouts, les tuyaux à gaz et à eaux, qui traversent la ligne en maints endroits à des hauteurs et sous des angles variant sans cesse. Dans plus d’un cas il fallut faire des tuyaux d’une forme spéciale adaptée aux besoins. Les deux croquis publiés plus loin (p. 148) peuvent donner une idée de la construction du chemin couvert.

La figure 1 représente un des côtés, la figure 2 la coupe de la ligne, prise près de Westminster Abbey.

Comme on le voit, des deux côtés de la voie se trouve un égout détourné de son cours naturel et longeant la ligne. Ces égouts ont été construits avec le plus grand soin et offrent des conditions de solidité et d’imperméabilité exceptionnelles. Les briques sont unies et noyées dans du ciment. A cet endroit passent aussi, diagonalement, quatre gros tuyaux à gaz : ils ont été divertis de leur cours et fixés au travers de la ligne, au sommet, à l’aide de solides poutres en fer. Cette opération a demandé un temps fort long : des solives et des tuyaux spéciaux ont dû être fabriqués pour le travail. Les tuyaux à gaz sont en fonte et renforcés par des cercles en fer. Les solives les plus fortes ont 80 centimètres de hauteur et pèsent 4600 kg environ, elles reposent sur une assise en brique comme l’indique la figure 1. Ces assises de briques de centre à centre, sont distantes de 8 pieds anglais. Quand la hauteur du sol est limitée on emploie des solives d’une hauteur de 45 centimètres. La portée est de 7 mètres 50 et la longueur des solives de 9 mètres. Ces poutres de fer ont été essayées sous une pression triple au coefficient requis, sans éprouver de flexion sensible.

Une autre cause vint troubler les travaux en plusieurs points ; ou rencontra des nappes d’eau si considérables, qu’il fallut installer des pompes à vapeur. Entre Victoria Station et Buckingham Road des pompes marchèrent nuit et jour, et quoique déchargeant 18000 litres d’eau par minute, elles ne suffisaient pas toujours à l’asséchement nécessaire au travail. Un des tours de force les plus remarquables et dont on parla longtemps, fut de faire passer au dessus de la ligne un des plus grand récipients des égouts de Londres, connu sous le nom de Scholars Budsewer, Le mode de construction de cet égout est fort remarquable. L’espace entre le tunnel et le sol étant limité, on construisit en fonte un égout de forme spéciale et on le soutint par des poutres de fer d’une résistance à toute épreuve. Chacune des stations représente un obstacle vaincu, un problème résolu, et il faudrait tout un volume pour décrire la multiplicité de tant de travaux. Nous nous arrêterons donc ici et passerons en revue les progrès nouveaux, les résultats obtenus, et, enfin, nous donnerons un dernier coup-d’œil à l’ensemble général de cette artère de Londres, qui vit d’une vie de feu.

Nous devons à l’obligeance de M. Myles Fenton, le directeur général du Metropolitan, des renseignements sur l’état actuel de la ligne, qui nous permettent de donner à nos lecteurs une idée exacte de la marche progressive de celte compagnie.

Le tableau suivant indique le nombre de passagers transportés et les sommes reçues depuis l’ouverture du Metropolitan.

AnnéesNombre de voyageursRecette brute (passagers, marchandises, minéraux) en livres
1863 9 455 175 101 707
1864 11 721 889 116 513
1865 15 763 907 141 513
1866 21 273 104 200 242
1867 23 405 282 233 180
1868 27 708 011 284 243
1869 36 895 791 374 083
1870 39 160 849 385 372
1871 42 765 427 396 068
1872 44 392 440 401 390
1873 43 533 973 408 382
1874 44 118 225 411 550
1875 (1e semestre) 25 543 567 222 988
Total 583 755 640 3 687 207

En douze ans et demi comme on le voit, le Metropolitan SEUL, a transporté 383 735 640 voyageurs, une moyenne de plus de 30 000 000 par an environ ! La recette totale durant ces douze ans et demi a été de 3 687 207 livres, soit en argent français de 93 180 175 francs ; une moyenne de 7 700 000 fr par an environ.

Trains ouvriers - Quand le Parlement autorisa la ligne à se continuer jusqu’à Morgate, on se souvient qu’elle n’atteignit d’abord que Farringdon Road ; il établit pour condition que la société mettrait tous les jours au service des ouvriers un train d’aller pour le matin, et un train de retour pour le soir, faisant le service de la City ; en outre, que le prix, pour tout ce trajet, ne pourrait aller au delà d’un penny (10 centimes). Inutile de dire les services considérables que rendent ces trains, dont les heures de départ le matin, et de retour vers la cité le soir, varient naturellement avec la saison. Quantité d’ouvriers peuvent de la sorte demeurer à une certaine distance de leurs travaux sans aucun inconvénient et par cela même se procurer des logements plus confortables, pour le même prix, en s’éloignant du centre. A Paris, où le loyer tue la famille ouvrière, combien serait utile un pareil état de choses !

Afin de donner une idée du nombre de trains quittant Morgate street, nous dressons un tableau des départs compris entre 2 heures et 4 heures de l’après-midi :

Metropolitan Railway. -Morgate Street. - Départs : 2h2’ - 2h7’ - 2h9’ - 2h12’ - 2h,22’ - 2h25’ - 2h27’ - 2h32’ - 2h39’ - 2h42’- 2h47’ - 2h52’ - 3h2’ - 3h7’ - 3h9’ - 3h12’ - 3h22’ - 3h27’ - 3h32’ - 3h39’ - 3h42’. De 2h2’ à 3h42’ il part donc, pour le service du Metropolitan seul : 21 trains.

Si nous ajoutons à cela les trains nombreux des lignes qui aboutissent à Morgate, nous aurons durant ce temps, un chiffre de près de 45 à 48 trains ! Je dois ajouter que le matin et le soir ce nombre, à certaines heures, est plus grand de près d’un tiers, surtout les samedis soir où, bien souvent, on est obligé de se tenir debout dans les wagons.

Remarquable travail de ventilation. - En juillet 1874 un certain nombre d’hommes éminents dans les arts et les sciences furent invités par la compagnie à faire l’expérience d’un ingénieux moyen de ventilation mis en œuvre depuis peu par la compagnie du Metropolitan Railway. Nos lecteurs se souviennent que, depuis Edgware Road jusqu’à King’s Cross, on rencontre trois gares souterraines, Baker street, Portland Road et Gower street. La partie jusqu’ici restée la plus rebelle à tout aérage est celle qui s’étend entre Gower street et Portland Road. Entre ces deux stations la voûte dn tunnel est traversée à angle droit par le large tube de la Pneumatic Despatch Company, un travail remarquable dont nous parlerons peut-être un jour. Les ingénieurs eurent l’idée heureuse d’employer au service de la ventilation ce tube qui s’ offrait de lui-même. On s’entendit avec M. Wylde, l’ingénieur de la compagnie des transports pneumatiques et. M. Tomlison aidant l’ingénieur du Metropolitan, on parvint à réaliser le travail dont nous allons donner une description.

Le croquis idéal ci-dessus nous aidera dans notre démonstration.

Supposons AB représenter le tube de la compagnie pneumatique, A’ B’ le centre de la voûte du tunnel, et CD, C’D’ une paire de soupapes fixées à la voûte et en communication avec le tube AB. La motion dans le tube est transmise aux petits wagons pneumatiques de la compagnie, à l’aide de l’usage alternatif du système de pression et d’aspiration. C’est seulement lorsque l’aspiration a lieu que les soupapes peuvent s’ouvrir. En un mot, les soupapes n’agissent que lorsqu’il y a aspiration et que les wagons pneumatiques suivent la même marche. Si nous supposons un de ces petits wagons W, allant de B à A ; lorsqu’il passe sur les soupapes, il agit sur un système spécial et qui les retient closes. Dès qu’il les dépasse, les soupapes basculent sur leur centre, n’étant plus retenues, la pression de l’air dans le tunnel étant supérieure ; elles s’ouvrent, l’air vicié du tunnel s’engouffre dans le tube avec une rapidité vertigineuse, Le courant d’air est si violent, qu’un journal entier, placé à l’ouverture, est rapidement absorbé par le tube et disparaît dans un tourbillon d’air. Quand les wagons pneumatiques ont atteint la fin de leur course, la pression de l’air referme les soupapes. L’agencement est des plus ingénieux et le lecteur se rendra compte de la difficulté du travail en apprenant que le wagon qui agit à son passage sur les soupapes, marche en raison de 24 milles à l’heure, plus de 9 lieues, et pèse 1125 kg environ. On modifia plusieurs fois le système, et, maintenant il fonctionne d’une manière entièrement automatique. La compagnie des dépêches pneumatiques fait passer de 16 à 18 trains par jour dans ce tube ; les soupapes fonctionnent naturellement un nombre égal de fois : elles restent ouvertes de 2 à 3 minutes, absorbent plus de 5000 mètres cubes d’air à chaque opération, soit 48 000 à 54 000 mètres cubes par jour.

Tableaux des prix,en francs, de Bishopsgate à SimpleAller et retour
1e classe 2e classe 3e classe 1e classe 2e classe 3e classe
Morgate-street 0,30 0,20 0,10 0,40 0,30 0,20
King’s Cross 0,60 0,40 0,30 0,90 0,60 0,25
Baker-street 0,80 0,60 0,40 1,25 0,90 0,60
South Kensington 0,80 0,60 0,40 1,25 0,90 0,60
Victoria. 1,25 0,90 0,60 1,85 1,25 0,90
Charing Cross. 1,25 0,90 0,60 1,85 1,25 0,90
The Temple 1,25 0,90 0,60 1,85 1,25 0,90
Mansion House 1,25 0,90 0,60 1,85 1,25 0,90

Les prix. - Le lecteur, d’après le tableau que nous avons dressé plus haut, jugera des prix du chemin de fer souterrain. Ils paraitront peut-être un peu élevés, mais souvenons-nous que nous sommes à Londres. Il existe d’ailleurs une grande différence entre les billets simples et les aller et retour ; en outre la compagnie offre des avantages de réductions aux nombreux écoliers de Londres, en leur donnant des abonnements à un prix des plus réduits. On peut obtenir les season tickets qui offrent des avantages d’économie réelle aux nombreux employés de la cité qui chaque jour font le trajet de leur demeure à leurs travaux. De plus, ces tickets vous permettent de voyager comme bon vous semble, et un nombre de fois illimité.

Le Metropolitan District. - Comme nous l’avons vu primitivement, le Metropolitan district n’atteignait que Westminster Bridge. Depuis 1871, il s’étend jusqu’à Mansion House et forme maintenant la branche rivale du Metropolitan, tout en étant son complément. La compagnie est absolument indépendante de celle du Metropolitan ; mais un jour ou l’autre, sans doute, elles s’uniront ; quoiqu’il en soit nous devons à l’obligeance de M. H. A. Denne, le superintendant, des renseignements exacts sur le nombre de voyageurs transportés et les recettes faites. Depuis l’ouverture de la ligne, jusqu’à Mansion House, le nombre total de voyageurs transportés en 4 ans est de 81 674 762, et nous ne comptons pas les season tickets, leur nombre ne pouvant se chiffrer.

La recette s’est élevée au chiffre de 826 024 livres, soit 20 650 600 francs. Une recette de près de 4 200 000 francs par an ; c’est un assez joli denier. Si nous ajoutons à cela la moyenne trouvée pour le Metropolitan, soit 7 700 000 francs, nous aurons une recette moyenne par an de 11 900 000 francs pour l’inner circle.

Nous aurions encore beaucoup à dire ; et nous trouvons dans nos renseignements quantité de choses intéressantes, mais elles ont un inconvénient, selon nous, c’est de perdre leur valeur en franchissant le détroit. Nous devons nous souvenir que nous parlons à un public français. Nous nous arrêterons donc, espérant avoir suffisamment donné à nos lecteurs une idée aussi exacte que possible d’un des plus remarquables et plus utiles travaux de notre siècle. Ces constructions grandioses ont été récemment imitées à New-York, à Baltimore et à Liverpool. La plupart des grandes métropoles des deux mondes ont aujourd’hui leur chemin de fer souterrain. Vienne a mis à l’étude un projet de Métropolitain. Faisons des vœux pour que Paris ne reste pas, sons ce rapport, plus longtemps en arrière des grandes capitales du monde.

P. NOLET.

[1Conseils de paroisse

[2Le mille anglais = 1 kil. 609 m.

[3Digressions sur les railways (Londres, 1868).

[4Suivre la carte (à cette époque, 1868, le M. R. atteiguait Morgate).

[5Direction des tramways de la métropole

Revenir en haut