Du mouvement dans les fonctions de la vie, quatrième partie

E.-J. MAREY, La Revue Scientifique - 21 avril 1866
Dimanche 5 juillet 2009 — Dernier ajout lundi 4 mars 2024

IV De la vitesse de la propagation de l’action nerveuse

C’est sous ce titre que Helmholtz publia en 1850 une de ses plus brillantes expériences, en montrant qu’on peut détermi­ner d’une manière précise le temps que l’action nerveuse met à parcourir une longueur de nerf déterminée. Diverses méthodes furent employées pour obtenir cette détermination avec le plus de rigueur possible. Après Helmholtz, Valentin reprit ces expériences et confirma les résultats obtenus par son illustre devancier.

Dans tontes ces recherches, le plan que l’on suivait consistait en ceci : 1° Exciter un nerf dans le voisinage du muscle qu’il anime, et déterminer l’intervalle qui s’écoule entre l’ex­ citation du nerf et la contraction qui en résulte. 2° Exciter le nerf en un point plus éloigné du muscle et voir de combien le retard de la contraction sur l’excitation s’est accru. - Cet accroissement doit nécessairement s’expliquer par la plus grande longueur que le courant nerveux doit parcourir dans le second cas, il indique donc la vitesse du courant ner veux dans la longueur du nerf sur laquelle on a opéré, et permet de déduire la vitesse absolue de ce courant. Deux méthodes successives ont été employées par Helmholtz. Dans la première série d’expériences, le savant physiologiste cher­cha à mesurer les intervalles qui séparent l’excitation du nerf de la contraction du muscle, en estimant par la méthode de Pouillet la durée d’un courant qui traverse un galvanomètre au moment où se produit l’excitation du nerf, et qui cesse nu moment où le muscle se contracte.

Voici en quoi consiste la méthode de Pouillet. Étant donné un courant constant, celui-ci imprime une certaine déviation à l’aiguille d’un galvanomètre, mais il a besoin pour cela d’agir pendant un certain temps. Toutes les fois que la durée d’application du courant sera très-courte, l’aiguille du galvanomètre n’éprouvera qu’une déviation incomplète et de plus en plus faible quand le courant sera de plus en plus court. Or, on peut construire des tables qui indiquent la durée du courant pour chacune des déviations incomplètes du galvano­ mètre, ce qui permet, à la seule inspection de l’aiguille, d’estimer la durée du courant qui l’a influencée.

L’installation de l’expérience de Helmholtz était basée sut’ ce principe. Sur le trajet du courant qui traversera le galvano­ mètre est disposée une plaque métallique sur laquelle repose une pointe de métal attachée à l’extrémité d’un muscle sus­ pendu au-dessus de la plaque. La pointe et la plaque commu­niquant chacune avec un bout du fil de la pile établissent par leur contact la clôture du circuit. La moindre contraction du muscle éloignant la pointe de la plaque amènera la rupture de ce circuit. Cela posé, supposons qu’en d’autres points du circuit se trouvent une pile et un galvanomètre, l’aiguille sera déviée pendant le passage du courant à travers le fil, la plaque et la pointe métallique ; admettons enfin qu’en un point de ce circuit existe une rupture avec une touche qui permette à volonté, d’établir le contact. Cette touche n’agit pas seulement pour fermer le courant du galvanomètre mais pal’ un mécanisme facile à comprendre, elle rompt un autre courant et provoque ainsi la décharge d’une bobine d’induction qui va exciter le nerf en un point.

Il est clair que dans l’instant où l’on appuie sur la touche le nerf est excité, et qu’en même temps le courant du galvanomètre commence. D’autre part, à l’instant où le muscle se contracte, le circuit du galvanomètre est rompu. L’aiguille de l’instrument aura donc subi l’influence du courant pen­dant tout le temps qui s’est écoulé entre l’excitation du nerf et la contraction du muscle ; la durée de cet intervalle est estimée au moyen de tables, d’après la déviation que l’ai­guille a subie.

Si l’on fait ainsi deux expériences comparatives en excitant deux points différents du nerf, on voit que, si l’excitation porte sur le point du nerf le plus éloigné du muscle, on obtient un plus grand retard pour la contraction. Comme moyenne de vingt-deux expériences comparatives, Helmholtz trouva que, pour parcourir une longueur de nerf de 43 millimètres, le courant employait environ 0",00175 ce qui correspondrait à une vitesse de 24m,6 par seconde [1].

A cette méthode d’un emploi difficile, Helmholtz substitua bientôt la méthode graphique. Un cylindre tournant recevait le tracé de la contraction musculaire, ce cylindre, d’autre part, portait un excentrique qui, à un moment de sa rota­tion, rompait le courant d’une pile et produisait une secousse d’induction par laquelle le nerf était excité. La longueur de la ligne des abscisses, tracée sur le cylindre entre le point où l’excentrique provoquait l’excitation du nerf et celui où le muscle accusait sa contraction, servait à mesurer l’intervalle qui séparait ces deux phénomènes.

Valentin se servait d’un chronomètre à deux aiguilles dont l’une battait les dixièmes, et l’autre les millièmes de seconde. Les deux aiguilles, partant de zéro au moment où l’on excitait le nerf, étaient arrêtées dans leur course par un électro-aimant au moment de la contraction du muscle. L’espace parcouru sur le cadran indiquait le temps dont on cherchait la me­sure.

En vous décrivant ces différentes méthodes, je n’ai fait messieurs, que vous indiquer les principes sur lesquels elles reposent, mais ceux d’entre vous qui connaissent la complication du dispositif réel de ces appareils comprendront l’importance qu’il y aurait à le simplifier. Il faudrait que ces expériences, ramenées à un cas particulier de l’emploi des enregistreurs dont nous disposons, puissent être facilement répétées, afin qu’on puisse étudier l’influence qu’exercent différents agents sur la vitesse de transmission du courant nerveux. Helmholtz nous a appris déjà que le froid appliqué aux nerfs ralentit beaucoup cette vitesse. Quel serait l’effet des différentes substances médicamenteuses ou toxiques ?

Pour réaliser ces expériences à l’aide de l’enregistreur que vous connaissez déjà, voici la disposition que j’ai employée.

Description de l’appareil destiné à déterminer la vitesse du contant nerveux. - Au-dessus du volant de l’enregistreur et sur le prolongement dé son axe de rotation.j’établis un disque de verre enfumé D (fig. 129), tournant dans un plan horizontal. Valentin a déjà utilisé avec avantage cette disposition pour étudier les phases de la contraction musculaire. Ce disque devra, dans notre expérience, recevoir le tracé de l’excitation du nerf et celui de la contraction du muscle. Afin de déter­miner avec une parfaite exactitude la vitesse de rotation dont il est animé, j’emploie la méthode de Wertheim, c’est-à-dire j’enregistre sur sa surface les vibrations d’un diapason bien réglé qui exécute cinq cents vibrations simples par seconde.

Reste à décrire l’appareil qui inscrit, d’une part, l’instant où le nerf est excité, et d’autre part, le moment où le muscle se contracte, il cet effet, j’établis sur un support une plaque carrée de cuivre portée par une virole qui reçoit l’axe vertical du support, et qu’un bouton de pression permet de fixer il la hauteur convenable.

Sur celte plaque est couché le muscle gastrocnémien d’une grenouille, adhérent d’une part au fémur qu’une pince P maintient fixe, tandis que lé tendon C est accroché au petit bras d’un levier coudé dont le bras le plus long lm, va frotter par son extrémité pointue sur la surface du disque. Chaque contraction du muscle déviera le levier et tracera sur le disque l’indication de ce mouvement. Le nerf qui doit être excité est représenté dans la figure, soulevé en l’air et sus­ pendu sur de petits crochets métalliques qui sont les pèles des courants induits par lesquels il sera excité.

A coté du levier musculaire lm, il en est un autre tout semblable le, destiné à signaler lé contact par lequel sera fermé le courant électrique qui provoquera l’excitation du nerf. ce levier, à sa base, est formé d’une pièce métallique qui communique par une borne placée au-dessous de la plaque avec un pôle d’une pile, dans la figure, c’est le pôle négatif. Le levier-contact est flexible à sa base ; on peut, à un moment donné, faire battre contre lui une tige de cuivre p qui communique avec le pôle positif de la pile. ce choc, en fermant le courant voltaïque, déviera le levier-contact et signa­lera par conséquent dans le tracé l’instant précis de la clôture du courant.

Voici comment je produis ce contact sans toucher directe­ ment à l’appareil dont un ébranlement même léger pourrait troubler les indications. Au-dessous des pièces précédemment décrites est placé dans le plan vertical un tambour métal­lique semblable à ceux du cardiographe. La face de ce tambour qui est visible dans la figure est fermée par une mem­brane de caoutchouc qui se soulève, lorsque par le tube t on insuffle de l’air dans le tambour. Cette membrane, en se gonflant, fait basculer la pièce métallique dont l’extrémité p vient frapper le levier-contact et fermer le courant. Pour produire cet effet, je me sers d’un autre tambour T’ semblable au précédent, et dont le tube t’, représenté rompu dans la figure, se continue avec le tube t, Ce second tambour étant placé à quelque distance de l’appareil, il suffit de presser brusque­ ment sa membrane pour produire la clôture du courant et la déviation du levier qui la signale.

Au-dessous des deux leviers est une bascule en forme de T qui se lève quand on presse pur le bouton B et qui soulève ainsi les deux leviers à la fois, de façon à les empêcher de frotter sur le disque. Celte disposition permet de commencer 011 d’arrêter à volonté le tracé à un moment quelconque, cl par conséquent de. ne recueillir au besoin que la contraction de clôture ou celle d’ouverture du courant.

Enfin, pour exciter le nerf, j’ai disposé en haut de l’appareil et sur le prolongement de l’axe que figure une double ligne ponctuée, j’ai disposé, dis-je, une pièce qui soutient en les isolant les unes des autres, les quatre extrémités de fils électriques dont les bouts contournés en crochets supportent le nerf qu’ils doivent exciter. Ces fils communiquent avec une bobine d’induction que l’on peut, au moyen d’un commutateur, mettre en rapport tantôt avec les deux excitateurs les plus rapprochés du muscle, tantôt avec ceux qui en sont le plus éloignés. (La figure représente à tort ces deux couples de crochets excita­teurs beaucoup trop rapprochés l’un de l’autre ; dans l’intérêt de l’expérience, il faut, au contraire, les éloigner l’un de l’autre le plus qu’il est possible.)

L’induction dans la bobine est produite par le courant vol­taïque dont le levier le, accuse la clôture et l’ouverture. On peut, sans crainte d’erreur, considérer comme synchrones la clôture ou la rupture du courant inducteur avec l’excitation du nerf par les courants induits qu’elles déterminent. Ceci connu, je vais, messieurs, exécuter devant vous l’expérience.

Expérience. - Je prends la grenouille la plus grosse que je puisse trouver, afin d’obtenir une longueur de nerf aussi grande que possible entre le plexus lombaire et la pénétration du nerf dans le gastrocnémien. Après avoir isolé le nerf et ruginé le fémur, je détache le tendon du gastrocnémien et décolle ce muscle dans toute sa longueur, puis je coupe la patte de la grenouille au-dessous du genou, en laissant le gastrocnémien seul adhérent au fémur. Je fais alors dans le ten­ don du muscle une ouverture qui sert à l’accrocher à l’extré­mité du levier coudé, puis je serre le fémur dans les mors de la pince P qui le maintient fixe. Une légère traction exercée sur cette pince tend le muscle très-faiblement, mais assez toutefois pour que sa contraction agisse immédiatement sur le levier. Je place alors le nerf sur les crochets excitateurs et je vais placer les leviers sur le cylindre qui recevra leur tracé. Pour cela, je presse sur la bascule B et soulève ainsi les le­viers qui ne touchent pas la surface du disque, pendant que je les mets en position, c’est-à-dire que je place leur pointe sur le prolongement d’un rayon du cercle représenté par le disque. Ceci étant fait, je laisse retomber la bascule, elles deux leviers, venant appuyer sur le verre, tracent par leurs pointes deux cercles concentriques.

Le commutateur est actuellement placé de telle sorte que le courant induit va exciter la partie du nerf la plus éloignée du muscle. Je presse sur le tambour T, le courant. inducteur est fermé, et le levier-contact le, dévié à gauche. Le courant induit excite le nerf, et le muscle se contracte, déviant à droite le levier musculaire lm. A ce moment j’arrête l’expérience, et pressant de nouveau sur le bouton B, je soulève les leviers au moyen de la bascule, et empêche la rupture du courant de compliquer ce premier tracé en produisant une nouvelle contraction du muscle.

Je passe alors à la seconde expérience, et plaçant les leviers au-dessus d’un autre point du disque, je m’apprête à y produire un nouveau tracé. Je dispose cette fois le commutateur de manière il exciter le point du nerf le plus rapproché du muscle, et je procède comme tout à l’heure. Une fois que j’ai obtenu le tracé de la contraction et le signal de la clôture du courant, j’enlève de nouveau les leviers, et l’expérience est finie.

Reste à déterminer la signification du tracé obtenu. Pour cela, je commence par déterminer la vitesse de rotation du disque, et pendant que celui-ci continue à tourner, je fais vi­brer ce diapason de cinq cents vibrations simples, et j’inscris les mouvements du style que porte une des branches de ce diapason, J’arrête alors le disque et je trouve qu’il présente les tracés suivants.

La figure 130 représente, réduit au demi-diamètre, le disque enfumé et les tracés qu’il a reçus. A la circonférence du disque, vous voyez des courbes onduleuses tracées par les vi­brations du diapason. Chacune de ces courbes correspond à une durée de 1/250e de seconde, C’est d’après cette graduation que nous estimerons l’intervalle qui sépare l’excitation du nerf de la contraction musculaire qui la suit. - En nous l’approchant du centre du disque, nous trouvons une double ligne circulaire tracée par les pointes des deux leviers ; le trait le plus extérieur appartient au levier-contact, le plus intérieur est tracé par le levier musculaire. Le moment où le courant inducteur est fermé, et conséquemment l’instant de l’excitation du nerf, est signalé pur une déviation du levier contact un point C’. ce levier trace une courbe qui se détache assez nettement de la ligne circulaire en se portant vers la circonférence. 0n n’a représenté que l’origine de cette courbe afin d’éviter la confusion dans la figure. (Une flèche indique le sens dans lequel tourne le disque.) A peu de distance à gauche du point C’, on voit se détacher du cercle tracé par le levier musculaire une courbe analogue, qui, produite par la contrac­tion du muscle, indique, par son début en W, l’instant précis où ce mouvement prend naissance.

Pour évaluer le temps qui s’écoule entre ces deux si­gnaux, il suffit de déterminer combien de vibrations du dia­pason et combien de fractions de ces vibrations sont comprises dans l’espace angulaire qui sépare les points C’ et N’. Pour cela, un fil terminé en anse est attaché à l’axe du disque, et, tendu d’autre part sur la circonférence de ce disque, il représente exacte­ ment le rayon du cercle. Fai­sons-le passer d’abord par le point C’, et traçons sur le disque la direction de ce rayon ; tendons maintenant le fil en le faisant passer par le point M’, et traçons ce nouveau rayon : il est bien évident que les intervalles compris entre les rayons C’ et M correspondent à des temps égaux, puisque, pour tous, la vitesse angulaire est la même. L’espace C’M’ sera donc égal en durée au nombre de vibrations du dia­pason comprises entre les deux rayons, c’est-à-dire qu’il correspondra à $$$ \frac{8,5}{250}$$$ de seconde, On mesurera de la même manière l’intervalle qui sépare les points C’ et M’, c’est-à-dire le temps qui s’est écoulé entre l’excitation du nerf et la secousse musculaire dans la deuxième expérience, et l’on trouvera cet intervalle égal à $$$ \frac{9}{250}$$$ de seconde. Or, la première expérience était faite en excitant le point du nerf le plus rapproché du muscle ; la deuxième, en excitant le point le plus éloigné ; la différence, égale à $$$ \frac{1}{500}$$$ de seconde, représente le temps employé par le courant nerveux à parcourir la longueur du nerf qui sépare les doux points excités successivement, cette longueur est, dans le cas présent, de li centimètres, On en déduira facilement la vitesse absolue du courant nerveux qui, pour ce cas, serait de 20 mètres par seconde.

Cette disposition de l’expérience n’est peut-être pas la meilleure d’une manière absolue, car elle complique un peu la lecture du tracé. Ce­lui-ci, en effet, n’est plus rapporté aux abscisses recti­lignes que nous ayons em­ployés jusqu’ici, mais à des abscisses circulaires. Un autre inconvénient, c’est que le tracé recueilli sur un verre enfumé doit être enfumé après chaque expérience , tandis qu’il serait très-utile de conserver les tracés obtenus pour les comparer entre eux. Si j’ai employé ce procédé, c’est uniquement pour vous montrer que l’enregistreur ordi­naire peut au besoin servir à cette délicate expérience. Mais il est préférable d’employer, à la place du disque, un léger cylindre tournant, ce qui reproduit à peu près l’expérience de Helmholtz.

Sur l’axe du volant d’un régulateur de Foucault, je place ce léger cylindre enfumé, et, couchant l’instrument sur le coté, j’obtiens la rotation du cylindre autour d’un axe hori­zontal. J’applique sur ce cylindre les extrémités des leviers de l’appareil, et j’opère comme tout li l’heure. Après chaque expérience, je place les extrémités des leviers sur un point différent du cylindre, et je puis ainsi obtenir une série d’expé­riences successives. Le tracé obtenu dans ces conditions est le suivant (fig. 131) : vous y voyez les mêmes résultats que tout à l’heure, avec cette différence, qu’ils sont rapportés à des abscisses horizontales, ce qui rend la lecture plus facile.

Le point C, dans chaque expérience, exprime l’instant du contact électrique ; le point M, l’instant de la secousse musculaire. La flèche, en bas de la figure, indique le sens de la rotation du cylindre.

Pour connaître l’intervalle qui sépare l’excitation du nerf de la secousse musculaire, on porte au compas chacune des longueurs CM sur la ligne du diapason.

La différence de cette longueur pour les expériences pre­mière et deuxième est d’environ f3/4 d’une vibration double du diapason, soit $$$ \frac{1}{333}$$$,. Il en est de même pour les expériences troisième et quatrième comprises entre elle. Enfin, les expériences cinquième et sixième donnent pour différence environ $$$ \frac{1}{250}$$$ de seconde. - La longueur du nerf qui sépare les deux points successivement excités est de 45 millimètres pour tous les Cas.

De là peut se déduire la vitesse de transmission du courant nerveux qui est, pour les expériences première et deuxième, troisième et quatrième, de 14 mètres par seconde, et pour les expériences cinquième et sixième, de 11 mètres seulement.

De toutes ces expériences ressort un fait curieux signalé par Helmholtz : c’est que Ia plus grande partie du temps qui s’écoule entre l’excitation du- nerf et la secousse du muscle n’est pas occupée par la transmission du courant nerveux ; celle-ci, par exemple, ne dure que $$$ \frac{1}{500}$$$ de seconde ; mais un temps beaucoup plus long,$$$ \frac{1}{30}$$$ environ de seconde, s’écoule entre le moment où le muscle doit avoir reçu l’excitation et celui où il réagit. A moins d’admettre que le courant nerveux parcoure avec une lenteur extrême la partie du nerf intra­ musculaire, il faut bien supposer qu’il existe entre l’excitation reçue et la secousse une pause ou temps perdu d’assez longue durée. On peut, du reste, constater l’existence de cette pause en excitant directement le muscle et non plus le nerf qui l’anime.

Tels sont, messieurs, les principaux faits que l’expérimen­tation nous apprend relativement à la vitesse de transmission de l’agent nerveux, Ils semblent, au premier abord, fort concluants ; et pourtant, ces masures que je viens de prendre moi-même devant vous me laissent encore des. doutes. Peut­-être partagerez-vous mon incertitude quand nous aurons com­paré, au point de vue de la transmission, l’agent nerveux et le fluide électrique. De la propagation des courants électriques comparée à celle de l’agent nerveux.- L’idée qui présida aux recherches de Helmholtz et de Valentin, semble avoir été la suivante : Il existe entre le fluide électrique et ce qu’on nomme fluide ou agent nerveux de nombreuses ressemblances, mais il semble exister aussi des différences importantes. La détermination de la vitesse du courant nerveux, comparée à celle de l’électricité, doit-elle rapprocher l’un de l’autre les fluides électriques et nerveux, doit-elle au contraire les différencier davantage ?

Or, l’expérience a montré à Helmholtz que le courant nerveux semble parcourir une longueur de 24 mètres par seconde ; vous venez de voir dans les expériences précédentes des vitesses encore moindres, 20, 14 et même 11 mètres, ce qui est une lenteur extrême lorsqu’on compare cet espace à celui que parcourrait l’électricité dans le même temps avec la vitesse qu’on lui assigne d’ordinaire. On a supposé en effet que la vitesse de l’électricité serait égale à celle de la lumière, et qu’elle parcourrait environ 318 000 ki­lomètres par seconde.

Sur ce sujet, messieurs, les idées scientifiques ont subi des modifications profondes pendant ces dernières années surtout. Ce que l’on croyait comprendre clairement sous le nom de vitesse de l’électricité a perdu sa signification première, et n’en a plus guère aujourd’hui. En 1827, Ohm avait calculé les lois de la distribution des tensions dans un fil conducteur pendant les instants qui suivent la fermeture d’un courant électrique. Il avait vu que l’électricité se transmet comme la chaleur, c’est-à-dire qu’elle n’arrive à sa répartition définitive dans le fil métallique qu’après avoir traversé une première phase d’état variable. La comparaison de Ohm va fournir un excellent moyen de faire comprendre en quoi consiste l’état variable et l’état permanent. - Soit un barreau de fer qu’on plonge par une de ses extrémités dans de l’eau bouillante qui constitue une source constante de calorique. Ce barreau à son extrémité immergée va se mettre en équilibre de température avec l’eau bouillante, et ce­ pendant les points non immergés seront encore bien peu échauffés, ils pourront. même être froids pour peu qu’on observe un point assez éloigné de la source de chaleur. Si l’on attend quelques instants, on voit que la température de la tige s’est élevée dans les points distants de la source de cha­leur, et qu’il faut s’éloigner davantage de cette extrémité pour trouver une partie qui semble froide au toucher. Plus tard encore, la chaleur se sera propagée plus loin dans la barre, elle pourra même l’avoir envahie tout entière. Dans ces trois moments successifs, si l’on eût appliqué des thermomètres sur différents points du barreau, on eût vu que dans le voisinage de la source de chaleur la température a atteint dès les premiers instants le degré maximum, celui de la source de chaleur elle-même, tandis que dans les autres points les températures allaient en décroissant à mesure qu’on l’éloignait de cette source. A chaque observation successive on eût vu que la température restait fixe au point par lequel la chaleur entrait dans le barreau, et que ce qui variait c’était le niveau des thermomètres plus éloignés de la source, et la position du point où s’arrêtait l’échauffement. Enfin que, dans tous les cas, l’intensité de la chaleur décroissait à partir de l’extrémité soumise à l’action de la source de chaleur. En étudiant sur des barreaux de métal les lois de la transmission de la chaleur, Biot a vu que les thermomètres indiquaient par leurs niveaux la décroissance de la température dans les différents points du barreau ; il a vu aussi que ces thermomètres, sauf le premier, donnaient d’instant en instant des indications variables. Mais, à un moment donné, au bout de trois ou quatre heures quelquefois, tous ces instruments s’arrêtaient chacun à un degré fixe, exprimant, par la pente générale de leurs niveaux, la répartition de la chaleur dans la barre, et prouvant par leur fixité qu’après son état variable la distribution du calorique avait atteint son état permanent.

Ce qui se passe dans la transmission du calorique correspond sous une forme excessivement lente aux différentes phases de lu transmission de l’électricité dans un fil. Si l’une seulement des extrémités de ce fil est en rapport avec une source constante d’électricité, pendant que l’au Ire est en rapport avec la terre, la tension électrique s’élèvera aussitôt à son maximum dans cette première partie du fil, tandis qu’elle sera encore très-faible dans les points situés à une plus grande distance. Plus tard, les points du fil, de plus en plus éloignés, auront atteint une tension plus élevée, mais toujours inférieure à celle des portions initiales. Enfin, Il un moment donné, il y aura une certaine tension électrique pour chaque point du fil ; la tension ira en décroissant de l’entrée ft la sortie, mais, pour chaque point du fil, sera dans un état permanent.

Étant admis ce mode de transmission dans un fil, on conçoit que la tension décroissante du fluide électrique dans les points successifs du conducteur ne permettra pas de déterminer avec précision le point le plus éloigné auquel l’électricité sera par­ venue, La théorie fera admettre, dès les premiers instants de la clôture du courant, l’existence d’une tension infiniment faible, même dans des points très-éloignés de l’origine du fil ; mais quel moyen assez sensible emploiera-t-on pour constater l’existence de cette tension ? Supposons en effet le cas d’une ligne télégraphique, un courant. étant lancé dans le fil, il s’écoule un certain temps avant que le signal électro-magné­tique se produise à une certaine distance, Dira-t-on que l’électricité n’a fait son apparition au poste d’arrivée qu’au moment ou le signal s’est produit ? Assurément non, car on conçoit que l’action magnétique n’ait atteint le degré voulu, pour produire le signal, qu’après une certaine durée de l’état variable, pendant laquelle la tension électrique augmente d’intensité. Ces lois du transport du courant électrique sont aujourd’hui bien établies, non-seulement par les travaux de Ohm, mais aussi par les expériences récentes de M. Gaugain et de M. Guillemin. Le premier a surtout bien démontré la répartition des tensions pendant l’état permanent. Le second a déterminé avec une admirable précision les différentes phases des états variables de clôture et de rupture des courants.

Cette longue digression dans le champ de la physique était indispensable pour montrer comment on doit comprendre aujourd’hui la propagation du courant électrique et quelles conséquences devront induire relativement aux phénomènes nerveux tous ceux qui, frappés de l’analogie que présentent sur tant de points ’les deux fluides, voudront pousser la comparaison jusqu’au bout.

La question se pose aujourd’hui d’une manière nouvelle. Ainsi, il est reconnu que la durée de l’état variable des courants électriques dans les fils métalliques n’est pas propor­tionnelle à la longueur de ces fils, mais au carré de leur longueur, li faudra donc savoir si dans des expériences comparatives faites sur des longueurs de nerf plus ou moins grandes on trouve le retard proportionnel aux longueurs du nerf où à leurs carrés. - Enfin, il sera curieux de comparer la vitesse de transmission pour des courants de natures, de sens, d’intensités variables ; pour des nerfs sou­mis à différentes conditions, et dont les muscles auront à vaincre des résistances plus ou moins grandes. Je ne puis, messieurs, que soulever ces questions dont la solution ne pourra être obtenue qu’au prix’ de longues recherches, et j’aborde les phénomènes qui se passent dans les muscles pour y produire le mouvement.

MAREY.

[1Müller, Archiv. für Anatomie und Physiologie, 1850. - Analyse par M. Verdet, dans les Annales de chimie et de physique, 3e série. t. XLIII. p. 378.

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