C’est seulement vers l’année 1664 que fut importé en France, par la Compagnie des Indes anglaises, le premier thé qui, alors, était considéré seulement comme une plante médicinale, ainsi qu’en fait foi une lettre datée du 24 janvier 1664, et adressée par le duc de Saint-Aignan à Brunyer, ancien médecin des enfants de Henri IV.
J’ouvre ici une parenthèse pour rappeler qu’Abel Brunyer, reçu bachelier en médecine en1596 (il était né en 1573) fut successivement médecin de Henri IV, de Louis XIII et de Gaston duc d’Anjou. Il peut être considéré comme le fondateur du premier jardin botanique créé en France, à Blois. Quoique n’étant pas docteur en médecine, puisque ayant embrassé le protestantisme, il ne pouvait prendre aucun grade universitaire, il fut l’un des plus habiles médecins de son époque, ce qui a fait dire spirituellement à son historien, J. de Pétigny que « si les titres suppléent trop souvent au manque de science, la science peut aussi quelquefois suppléer au manque de titres », Brunyer mourut le 14 juillet 1665, à l’âge de quatre-vingt-douze ans.
Le duc de Saint-Aignan était donc dans une grancle perplexité rel,ltlvement aux propriétés et à l’emploi du thé ; il écrit il Brunyer :
Monsieur,
Pardonnez s’il vous plaist il un père de famille sy le soin qu’il doit avoir de sa santé le rend importun et il un homme qui est pressé de s’en retourner à la Ferté par quelques affaires s’il vous escrit au lieu d’avoir l’honneur de vous voir. Le thé a des effets si considérables que je souhaiterais fort de savoir où il se trouve, de quelle 1"1< ;on il se prend, s’il oblige il s’en servir souvent, sy on peul quitter après l’avoir commencé sans craindre d« s’en trouver incommodé, s’il empesche les vapeurs de monter en hault et s’il est stomachal ; n’ayant jamais d’incommodités que lesdites vapeurs et hors cela ne me trouvant mal d’aucune chose que je face .. Je voy bien, Monsieur, que vous direz que je vous engage il une longue lettre el que j’abuse avec assez d’incivilité des bontés que vous avez pour moi ; mais souvenez-vous, s’il vous plaist, lorsque ces pensées vous viendront que, vous estant tout acquis, je reconnoitrai ce soin obligeant par tous ceux que veut avoir à jamais des choses qui vous regarderont.
Monsieur,
Votre très humble et très obéissant serviteur,
SAINT-AIGNAN.
Ma femme vous supplie, Monsieur, d’y vouloir adjouster si les femmes peuvent user du thé comme les hommes.
M. de Saint-Aignan avait souci de ses vapeurs ; il est vrai que quand il écrivit à Brunyer, il venait d’être fait duc et pair.
A cette époque, il n’était pas encore facile de se procurer du thé, car, en 1668, la Compagnie des Indes n’en avait encore introduit que 100 livres en Europe. Dix ans plus tard, elle en importait 4713 livres et, en 1837, 63 millions de livres.
La réponse de Brunyer à Saint-Aignan ne nous est pas parvenue, et nous serions fort embarrassés pour connaître quelles étaient les propriétés attribuées alors au thé, sans un petit ouvrage, aujourd’hui très rare, intitulé : « De l’usage du caphé, du thé et du chocolate, Lyon, chez Jean Girin et Barthelemy Rivière en ruë Mercière, à la Prudence , in-16, 1671. » Le titre ne porte pas de nom d’auteur, mais l’ouvrage est précédé d’une épître dédicatrice adressée au Révérend Père Jean de Bussières et signée Jean Girin. Il est vrai que ledit Jean Girin attribue à un anonyme la paternité de ce petit livre, mais n’en serait-il pas lui-même l’auteur.
Quoi qu’il en soit, on y trouve tous les renseignements concernant le thé depuis la récolte jusqu’au mode de préparation. Les Chinois se contentent de faire infuser les feuilles, tandis que les Japonais réduisent celles-ci, en poussière qu’ils jettent dans l’eau bouillante, puis ils avalent le tout (nous sommes en 1671). « Les Chinois loüet et font beaucoup d’état des vertus et qualités de cette boisson, en usent nuit et jour et en présentent ordinairement à ceux qu’ils régalent. Or il y en a de tant de sortes et elle est si différente pour l’excellence et la bonté, qu’il y en a bien dont la livre vaut cent francs, et davantage, et d’autres que l’on peut avoir pour douze écus, pour dix, pour deux, voire même pour sept deniers : elle a pour le moins cette faculté d’êpescher la goutte et la gravelle. Si on prend après le repas, elle oste toutes les indigestions, et crudités d’estomach, sur tout elle ayde, et facilite la digestion ; bien plus elle desenyvre, et donne de nouvelles forces aux yvrognes pour recommencer à boire ; de façon qu’elle les soulage des incommodités qu’apporte ce brutal excès, à cause qu’elle deseiche et netoye les humeurs superfluës, et peccantes, qu’elle chasse les vapeurs qui causèt le sommeil et qui accablent lors qu’on veut veiller. »
Brunyer qui était l’un des plus instruits et des plus habiles médecins de son temps connaissait sans nul doute ces propriétés du thé qu’il dut communiquer au duc de Saint-Aignan.
Dans le traité publié par les soins de Jean Girin, nous trouvons aussi un intéressant chapitre sur « les très excellentes vertus de la Meure appelée Coffé. »
Coffé est une Meure qui croist dans les désers d’Arabie seulement, d’où elle est transportée dans toutes les dominations du Grand Seigneur, qui estant beuë, desseiche toutes humeurs froides et humides, chasse les vents, fortifie le foye, soulage les hydropiques par sa qualité purifiante, souveraine pareillement contre la galle, et corruption du sang : rafrraischit le cœur et le battement vital d’iceluy ; soulage ceux qui ont des deuleurs d’estomach et qui ont manque d’appétit i Est bon pareillement pour les indispositions du cerveau, froides, humides et pesantes. La fumée qui en sort, est bonne contre les deffIutioas des yeux et bruit dans les oreilles : souveraine aussi pour la courte haleine : pour rhumes qui attaquent le poulmon et douleurs de ratte : Pour les vers, soulagement extraordinaire, après avoir trop beu ou mangé : rien de meilleur pour ceux qui mangent beaucoup de fruict. L’usage journalier pour quelque temps, fera voir les effets cy-dessus, à ceux qui indisposez s’en serviront de temps en temps. Parce que dessus, l’on void que la boisson du dit café est très profitable côtre les vents, la faiblesse de foye, l’hydropisie, I’abondance de la bile, la corruption du sang, la faiblesse du cœur, la douleur de l’estomac, la perte de l’appétit, la lai
blesse du cerveau, les fluxions qui se font sur les poulmons, sur les yeux, et sur les oreilles, et contre les douleurs de ratte.
Mais le café avait aussi des détracteurs, entre autres « Morifiern Simon Paulli, très excellent homme, qui condamne tout à fait l’usage du caphé dans un commentaire qu’il a fait de l’abus du tabac et de l’herbe du thé, d’autant qu’il effémine le corps et l’esprit, ce qu’il ne fait pas en rafraichissant par trop : mais parce qu’il desseiche insensiblement par le moyen de son propre soûlfre , dont il abonde comme le tabac et l’Agnus caftus. »
Jean Girin s’empresse de corriger le mauvais effet que peut produire l’appréciation de Simon Paulli : « Mais, dit-il, l’on doit interpréter ce que dit ce grand homme de l’abus et non du droit usage dudit caphé. Autrement il faudrait aussi bannir l’usage de la rhubarbe, de la fuchine, du falfafras, des tantaux et autres médicaments qui croissent hors de l’Europe. Pour moy ie ne blasme pas moins l’abus du caffé que celui du vin. »
Mais l’usage du café a, depuis 1671, fait quelques progrès et que dirait notre auteur s’il vous voyait prendre la succulente liqueur autrement que comme médicament : « Si tous ceux, dit-il, qui se servent du caphé , le faisoient par un principe de délicatesse , le discours cy-dessus suffirait pour satisfaire leurs curiosités. Mais comme la plupart de ceux qui en usent y sont réduits par nécessité, et le prennent plustôt comme un médicament que comme un régal. » Autres temps, autres mœurs.
En terminant cet aperçu historique sur le café, je rappellerai brièvement qu’il croît à l’état spontané sur les côtes de Guinée et de Mozambique, en Abyssinie et au Soudan. Il n’est pas indigène au Brésil pas plus qu’aux Antilles. Son usage remonte, en Abyssinie à un temps immémorial. A la fln du XVIe siècle, Prosper Alpin le signale en Égypte en désignant l’arbuste sous le nom de Bon : arbor Bon cum fructus sus Buna. Quant au mot café, il tire son origine des expressions cahue, cahua, chaubé cavé qui désignaient la liqueur elle-même.
Les premiers plants de caféier vivant furent introduits en Europe en 1690. Ils furent envoyés au Jardin Botanique d’Amsterdam par Van Hoorn, gouverneur de Batavia, à Nicolas Witsen, borugmestre d’Amsterdam et directeur de la Compagnie des Indes. Ces plants provenaient de graines que Van Hoorn avait fait venir d’Arabie et cultivées à Batavia. Ce n’est qu’en 1714 que le premier pied de caféier fut importé en France : Louis XIV le reçut du bourgmestre d’Amsterdam et le fit planter dans le jardin de Marly.
Enfin, ce sont les Hollandais qui, en 1718, plantèrent en Amérique les premiers caféiers. Le précieux arbrisseau fut introduit à la Martinique en 1720 ou 1723, à la Guadeloupe en 1730. Sa culture est aujourd’hui très répandue à Ceylan, à Java, aux Antilles et au Brésil.
L. Franchet