Bien que ces animaux n’aient, entre eux, aucun rapport au point de vue zoologique, j’ai dû les réunir par suite du caractère typhonien [1] que leur attribuaient les anciens mythes de l’Égypte.
La tortue. - On trouve, au temple de Deïr-el-Bahari, des reproductions parfaitement caractérisées de la grande tortue du Nil ; la couleur a disparu, mais la forme offre toutes les particularités propres à ce chélonien.
Le gymnopode d’Égypte ou trionyx a la carapace molle, très large et presque aplatie ; sa tête est allongée, son cou rétractile, ses yeux sont saillants et dirigés vers le haut. Il possède une petite trompe, une queue très courte, des pattes palmées pourvues de trois doigts terminés par des ongles robustes. Essentiellement aquatique il nage en roulant sur lui-même, de manière à montrer alternativement le dos et le ventre. Ce reptile est d’un ton verdâtre moucheté de blanc ou de jaune ; Il atteint quelquefois jusqu’à un mètre de longueur. Ses œufs sont sphériques et plus fragiles que ceux des autres tortues.
Cette espèce est douée d’une vitalité si extraordinaire, qu’on a pu voir des individus rester plusieurs années sans rien manger ; d’autres se sont traînés pendant six mois, privés de leur cerveau ; enfin, après d’inutiles efforts, on dut, pour tuer l’une de ces potamites, scier sa carapace sur les côtés et léser les parties sensibles. Les blessures de ces animaux sont des plus douloureuses car ils ne lâchent la proie qu’en emportant le morceau. Leur nourriture se compose de batraciens et de poissons ; ils ne dédaignent point, non plus, une alimentation végétale [2].
Dans les mythes égyptiens, la tortue nous apparaît comme un emblème de mort, de destruction et de ténèbres. Substituée parfois au serpent Apap [3], elle figure parmi les monstres typhoniens que doivent combattre les âmes cheminant vers l’autre monde. Au, chapitre LXXXlll du Rituel funéraire, le défunt se déclare « mystérieux par le mystère de la tortue » [4]. Dans une crypte du temple de Dendérah, nous voyons le roi Ptolémée, assimilé au dieu Horus, transperçant de sa lance l’un de ces reptiles.
La tortue ne semble pas avoir joué un grand rôle dans les arts, cependant on rencontre son image ciselée en or ou taillée en amulette dans diverses matières.
Le scorpion. - Cet arachnide au corps allongé est muni dans sa partie antérieure, de deux palpes à mains didactyles ; sur les côtés de huit pattes biongulées et postérieurement d’une queue grêle composée de six nœud dont le dernier se termine en aiguillon sous lequel deux ouvertures permettent au venin de s’échapper.
Les scorpions sont vivipares et se tiennent généralement dans les lieux arides, sombres, parfois même dans les maisons. Ils se servent de leurs serres pour saisir les crabes, cloportes, charançons, etc., dont ils font leur subsistance. Peu sociables, on les rencontre rarement ensemble ; si par hasard on en réunit quelques-uns, Ils ne tardent pas à se battre et à s’entre-dévorer.
Les Anciens ont souvent parlé du scorpion ; Aristote dit que sa piqûre a des conséquences différentes, suivant les pays et les climats ; Pline tient un discours analogue où se mêlent quelques fables. Il est aujourd’hui prouvé que si la piqûre du scorpion a parfois des suites funestes, les cas en sont assez rares.
Les Égyptiens nous ont laissé de nombreuses reproductions de cet insecte ; mais ces images sont d’habitude si conventionnellement traitées, qu’il est assez difficile d’en déterminer l’espèce. Toutefois l’une d’elles offre des indications suffisamment précises, pour qu’on puisse, je crois, tenter un essai d’identification.
Entre autres objets exhumés, lors des fouilles à Hiéraconpolis [5], se trouve un beau scorpion, taillé à Jour, dans un morceau de serpentine verte. Malgré la façon schématique avec laquelle ce travail est exécuté, il est facile de reconnaître, dans cette sculpture, une copte du SCORPION ROUSSÂTRE, scorpio occitanus, Amoureux.
Ou sait que cet individu appartient au genre Androctone [6] et se distingue par douze yeux placés, les deux plus gros au vertex, les autres sur les bords latéraux et antérieurs du thorax. Il est de couleur fauve, strié longitudinalement et annelé. Sa longueur totale mesure environ 85 millimètres. Animal des plus venimeux, on le considère comme pouvant donner la mort à l’homme lui-même ; aussi les Arabes le craignent-ils plus que le scorpion de couleur noire.
On le rencontre en Égypte, surtout entre Thèbes et Dongolah, en Grèce, en Italie, en Algérie, en Espagne, en France aux environs de Montpellier. Il vit sous les pierres dans les endroits montagneux exposés à une vive chaleur, jamais dans les lieux humides. Sa nourriture consiste en insectes et en larves ; il peut, dit-on, supporter une abstinence de plusieurs mois [7].
En raison de la matière, notre image en serpentine offre moins de délicatesse que l’Occitanus, mais possède quelques particularités qui lui sont propres. Comme chez celui-ci, la queue, plus longue que le corps, se termine par un dard disposé de la même manière ; les pattes, indiquées par une simple masse, ne sont pas toutes groupées en avant, mais elles s’étendent assez loin en arrière. Quant au quadrillé, formé par les anneaux et les stries longitudinales, Je lapidaire égyptien l’a traduit par des facettes qui couvrent le dos sur toute la surface. Ce qu’on voit des mandibules est finement traité et rappelle la partie équivalente de l’Occitanus.
D’autres images de scorpions, recueillies, soit dans des temples, soit sur des sarcophages de momies, ne se laissent pas identifier.
Le scorpion était fort redouté des Égyptiens qui le nommaient hedj’dj’, le destructeur, et cherchaient à se garantir de ses atteintes par des formules magiques. lis avaient consacré ce fléau à la déesse Selk , personnification de la chaleur solaire et l’une des divinités protectrices des entrailles conservées dans les vases canopes. La déesse Isis est quelquefois représentée la tête surmontée d’un scorpion.
Elien, parlant du scorpion de Coptes, dont la piqûre était mortelle, raconte que, malgré la crainte qu’il inspirait, par respect pour la déesse Isis, particulièrement adorée dans cette ville, les femmes allant lui rendre hommage se promenaient nu-pieds ou se couchaient sur le sol, sans recevoir de ces animaux le moindre mal [8].
Suivant Macrobe [9] le scorpion était un emblème du soleil, aussi avait-il sa place dans le ciel où, indépendamment des sept scorpions célestes, il formait, sous le nom de pétet, une des constellations du Zodiaque.
Le rituel funéraire nous le montre dans les enfers, jouant un rôle de justicier. S’adressant au serpent vaincu par le soleil : « Le grand Apap est tombé, lui crie le défunt, ton cœur goütait les délices, mais le scorpion a fait ta bouche malade, par le venin qu’il contient éternellement [10]. »
Sur des amulettes, nous voyons parfois le scorpion associé au crocodile ou à la grenouille.
Les artistes pharaoniques ont souvent employé cet insecte comme motif de décoration et taillé son image dans diverses matières : serpentine, cristal de roche, etc. Nous le trouvons traité en bas-relief sur des vases de pierre calcaire où il figure, soit isolément en manière d’anse, soit formant une théorie entre deux rangées de volatiles. Des poteries en terre cuite portent aussi, comme ornement, des effigies de cet arachnide.
Un si dangereux Insecte ne pouvait manquer de faire naître de nombreuses fables. Les uns racontaient, qu’entouré de charbons ardents, le scorpion se donnait lui-même la mort, pour ne point périr par le feu. D’autres ont assuré qu’il émanait des cadavres de crocodiles en décomposition. Pline nous a laissé, pour guérir la piqûre du scorpion, une infinité de recettes, qu’il serait puéril d’énumérer.
Les Arabes nomment le scorpion agrab et croient se préserver de ses atteintes en portant des phylactères sur lesquels sont écrits des versets du Koran. Mon serviteur Célémann en est littéralement couvert.
— A quoi te servent ces talismans ? lui demandais-je un jour.
— Ce sont, répondit-il, des Calam-Allah (paroles de Dieu) qui me garantissent contre la piqûre des scorpions et des serpents.
Quelques jours plus tard, ne le voyant point paraître, je me dirigeai vers son trou, pour savoir ce qu’il était devenu. Je le trouvai affalé sur une natte, en train de geindre, de se lamenter.
— Qu’as-tu donc, Célémann ?
— Ah ! ah ! ah ! ah !
— Mais qu’as-tu ? Voyons, parle !
— J’ai été piqué par un scorpion ; c’est une souffrance intolérable.
— Et tes Calam-Allah, donc, ils ne t’ont pas protégé ?
— Je n’en avais pas assez, mais, quand je serai guéri, j’en mettrai davantage. Ah ! ah ! ah !….
On raconte que, peu à peu, notre organisme s’habitue au venin du scorpion. Une deuxième atteinte est, paraît-il, moins violente que la première, la troisième plus faible que la seconde et on arrive enfin à n’éprouver qu’une douleur passagère produite par la piqûre du dard [11].
En dépit de ces affirmations, j’ai vu, à Thèbes, différentes personnes, fellahs et fellahines, plusieurs fois piquées par des scorpions, et qui n’en étaient pas plus Vaccinées pour cela.
Le lézard. - - Entre autres reptiles qui entrent dans la formation de l’écriture hiéroglyphique figurent le Lézard proprement dit et le gecko.
Les hypogées de Beni-Hassan nous ont conservé la reproduction d’un lézard qui, par son ensemble et quelques détails caractéristiques, offre une grande ressemblance avec le LÉZARD BOSQUlEN, lacerta bosquiena Daud. auquel je crois pouvoir l’identifier.
Cette espèce est d’un bleu foncé, à l’exclusion des plaques de la tête qui sont plus pâles et bordées de blanc. Des raies brunes longitudinales, interrompues, de distance en distance, par des taches claires, partent de l’occiput et courent le long du corps pour se rejoindre sur le dos ou se perdre à l’extrémité de la queue. Celle-ci, dans sa partie supérieure, est couverte d’écailles pointues et carénées. Sur les flancs se découpe une dentelure noirâtre et très fine [12] ; particularités qui, toutes, sont fidèlement reproduites sur l’image égyptienne.
Dans les hiéroglyphes, le lézard signifie beaucoup, un très grand nombre, sa valeur phonétique est ascha.
Le gecko s’emploie fréquemment pour le lézard et a la. même signification. J’en ai relevé un, sur le temple de Deïr-el-Bahari, qui appartient à l’espèce nommée par Cuvier platydaclyle d’Égypte, Ce reptile se distingue par un corps lisse, déprimé, de grands yeux, des membres courts, trapus ; sa queue, entourée de bandes circulaires, est. plate à sa naissance et arrondie vers son extrémité. Lorsqu’elle se casse, par suite d’un accident quelconque, elle repousse, mais ne reprend jamais sa première forme. Les doigts, au nombre de cinq, sont aplatis sur toute leur longueur. Il arrive parfois, chez les platydactyles, que le pouce est très court ou rudimentaire ; comme c’est le cas de notre sujet qui, de ce fait, n’a que quatre doigts apparents, on ne peut mettre en doute son identité. Ce saurien, d’un vert foncé en dessus et de même tonalité plus claire en dessous, est caractérisé par quatre taches d’un blanc pur cerclées de noir et placées sur Je dos entre les deux épaules. li mesure environ 22 centimètres de l’extrémité du museau il celle de la queue [13].
Comme tous les geckos nocturnes, cette espèce fréquente les lieux sombres et humides où elle vit de larves, de chenilles et d’insectes. On prétend que son nom est une onomatopée de son cri gec-ko.
Ce platydactyle est un animal inoffensif plus utile que nuisible, car il détruit une grande quantité de moustiques et autres insectes. Quelques naturalistes l’ont confondu avec le gecko des maisons, espèce fort venimeuse, très répandue en Égypte et que les Arabes nomment abou-bours, père de la lèpre.
Aristote appelle le gecko ascalabote et, de même que Pline, quelques auteurs latins ont traduit cc nom par stellion. Avec leur couleur sombre, leur tête aplatie, leurs grands yeux découverts et immobiles, les geckos sont partout un objet d’horreur et de répulsion ; aussi est-il peu d’animaux sur lesquels on ait écrit autant de fables.
Le lézard était consacré à Bouto, personnification des ténèbres primordiales. Sur un papyrus funéraire du « British Museum », ce reptile figure entre les mains de diverses divinités, et un cercueil de momie, du musée de Leyde, nous montre un génie mumiforme, à tête d’âne, tenant par la queue un gigantesque gecko.
P. Hippolyte-Boussac