C’est seulement aujourd’hui, après un siècle d’efforts incessants que l’école géologique expérimentale est définitivement constituée, et le livre que publie M. Daubrée marquera le point de départ d’une nouvel période dans le développement de la géologie.
Il ne s’agit pas seulement il d’une série d’expériences entre prises sur des questions diverse et qui se trouvent plus ou moins résolues. C’est un corps de doctrines nouvelles que nous possédons, une méthode généra non appliquée encore d’une manière systématique à l’étude du globe : la synthèse expérimentale.
Le volume de M. Daubrée comprend deux parties, relatives l’une aux phénomènes géologiques proprement dits, l’autre à l’étude des météorites. De cette dernière, nous ne dirons rien ayant eu l’occasion d’en signaler ici même divers résultats, alors que l’auteur les communiqua à l’Académie des sciences. La partie géologique se divise elle-même en deux sections, dont l’une concerne les phénomène chimiques et physiques et l’autre les phénomènes mécanique Celle-ci est de beaucoup la plus nouvelle.
Parmi les phénomènes chimiques, l’auteur s’occupe surtout de la genèse des minéraux,et spécialement de ceux qui remplissent les filons métallifères et de ceux qui caractérisent les roches métamorphiques. Sous ces deux chefs se rangent de nombreuses expériences, dont les unes ont eu pour théâtre le laboratoire ordinaire du chimiste tandis que les autres se sont produites d’elles-mêmes dans la substance de substructions romaines imprégnées constamment d’eau thermale depuis deux mille ans.
Quant aux phénomènes mécaniques, nous nous y arrêterons un peu plus.
M. Daubrée étudie d’abord les contournements des couches stratifiées. Avec un appareil des plus simples, un châssis en fer muni de longues vis traversant deux de ses côtés contigus, il soumet des lames flexibles représentant les couches du globe aux pressions les plus variées au double point de vue de leur énergie et de leur direction. Sous ces efforts constamment mesurés, il voit se reproduire tous les traits caractéristiques de la géologie des pays tourmentés : vallées synclinales, crêtes anticlinales, surplombs et renversement de couches, couches en C, couches en S, etc.
Il fait plus encore et dépassant les limites d’élasticité des lames ployées il entre dans le grand chapitre de l’origine et du mode de formation des cassures terrestres. Dans cette voie nouvelle, les joints et les failles se sont trouvés imités avec tous leurs détails, et, chose très imprévue, l’étude des résultats d’expériences a révélé des traits de coordination mutuelle des cassures naturelles que l’observation seule avait à peu près méconnus.
Ceci mérite de nous arrêter.
Une plaque de verre rectangulaire GG ( fig. 1) est saisie par l’un de ses petits côtés entre deux mâchoires de bois serrés à vis, qui forment une sorte d’étau EE ; l’autre extrémité est encastrée dans un tourne-à-gauche TT. En faisant mouvoir celui-ci autour d’un axe horizontal, on tord la lame de verre, qui ne tarde pas à se rompre en mille morceaux. Si l’on a eu soin d’envelopper la glace dans une feuille de papier collée sur elle, de façon à conserver aux débris leur disposition réciproque, on reconnaît avec surprise que les cassures, loin d’être orientées d’une manière quelconque, dessinent dans le verre un réseau dont la régularité est géométrique. On y voit les cassures groupées suivant deux directions ou systèmes également inclinés sur l’axe de torsion. En général, ces deux systèmes ainsi conjugués se croisent sous des angles très ouverts, dont la valeur parait dépendre des dimensions relatives des deux côtés de la plaque ; cet angle, qui est quelquefois voisin de l’angle droit, se réduit dans d’autres cas à 70 degrés et au-dessous.
Or, ces cassures artificielles se trouvent avoir d’intimes analogies avec certains traits géologiques de diverses régions, et, parmi les exemples de localités où ressort la corrélation des fractures souterraines avec les reliefs de la surface, on peut citer les couches crétacées d’une partie du nord de la France. En examinant attentivement une carte bien faite, on voit que sur les vallées principales, parallèles entre elles, s’embranchent un grand nombre de vallons également rectilignes, parallèles les uns aux autres. On y voit comment la mince pellicule, que nous appelons l’écorce terrestre, a cédé à des efforts ou torsions analogues à ceux que le tourne-à-gauche imprimait tout à l’heure aux lames de glace, et s’est ainsi fissurée suivant des directions coordonnées les unes par rapport aux autres. Dans la partie espagnole du massif du MontPerdu, les couches crétacées et nummulitiques, tout en étant restées horizontales, ont été soulevées à 5000 mètres environ d’altitude et se sont entaillée sur 1200 à 1500 mètres de profondeur par des vallées étroites dont les paroi sont à peu près verticales. Un autre exemple de système réticulé de ce genre, se présente dans les traits d’incision qui dessinent dans une parti de la Norvège les côtes, les fiords e les vallées principales.
On sait déjà que c’est à des laminages véritables qu’il faut attribue la structure schisteuse ou feuilletée présentée par tant de terrains dit métamorphiques. M. Daubrée étudie par l’expérience les déformations subies par les fossiles dont on trouve les vestiges dans les roches schisteuses. On sait qu’il est bien rare que les restes de trilobites et de mollusques des environs d’Angers ne se présentent pas avec un caractère déformé, qui en fait comme des caricatures d’animaux dont ils dérivent. L’expérience permet de les imiter complètement ; en enchâssant une tête d’écrevisse dans une masse de plomb qu’on fait ensuite passer au laminoir, on inflige au crustacé une déformation toute pareille à celle des trilobites siluriens, Un type remarquable d’altération de forme des fossiles contenus dans les roches devenues schisteuse est présenté par les bélemnites de diverses localités des AIpes qui ont été tronçonnées, et dont les segments se sont plus ou moins écartés les uns des autres. Il a été également reproduit par l’expérience, en laminant des blocs de plomb dans l’intérieur desquels on avait préalablement enchâssés des bélemnites, La figure 2 représente une semblable bélemnite B, enchâssée ainsi dans un bloc de plomb, dont on n’a représenté que la moitié. On voit (fig. 3) ce que produit le laminage :le fossile a été tronçonné, et ses tronçons ont été plus ou moins écartés les uns des autres, exactement comme dans les échantillons naturels.
C’est en poursuivant le même ordre de recherches que l’auteur arrive à imiter la structure si caractéristique des grandes chaînes de montagnes, que Saussure avait observée au Mont-Blanc. « Le massif du Mont-Blanc, dit le célèbre observateur, se divise en grands feuillets qui ont leurs plans exactement parallèles entre eux et qui sont parallèles à la direction de la chaîne. » De plus, Saussure constate que ces feuillets, à peu près verticaux dans le centre du massif, prennent des positions inclinées dans le parties latérales et plongent symétriquement vers l’axe central, de manière à présenter dans leur section transversale la forme d’un éventail entr’ouvert.
Or, on peut reproduire de petits monts-Blancs en miniature, dont la structure est celle que décrit Saussure Voici comment : de l’argile préalablement bien malaxée et à peu près desséchée a été coupée en forme de prisme carré. Après l’avoir placée entre deux plaques carrées de même dimension que la base du prisme, on l’a soumise à l’action de la presse hydraulique. Dans cette opération, il est sorti de chacune des quatre faces latérales une bavure, dont la forme évasée, par suite de changement de pression, se raccordait avec les faces du prisme, La masse ainsi déformée, présente dans sa cassure transversale une texture essentiellement schisteuse qui est ainsi disposée : dans toute la partie serrée entre les plaques, les feuillets sont à peu près parallèles aux deux parois, mais dans la partie qui dépasse ces plaques on voit les feuillets s’infléchir et s’éloigner de l’axe, de manière à être parallèles aux deux surfaces extérieures, pendant qu’elles vont elles-mêmes en s’écartant de plus en plus. Le feuilleté est surtout prononcé à proximité des deux surfaces externes ; il l’est, en général, beaucoup moins vers la partie centrale, Cette expérience fournit donc un fac-similé (fig, 4) en miniature de la structure feuilletée dite en éventail.
Enfin, parmi les sujets dont il nous reste à parler pour analyser le livre qui nous occupe, nous appellerons l’attention sur les actions mécaniques développées dans la croûte du globe, considérées comme source des mouvements de chaleur auxquels est dû le métamorphisme des roches.
C’est en effet à cette conclusion que M. Daubrée est amené par des expériences et c’est ainsi que la théorie du métamorphisme, peut espérer d’être prochainement déblayée d’une foule de considérations métaphysiques dont elle est encore encombrée. Il suffit en effet que des roches subissent les actions mécaniques propres à les rendre schisteuses, pour qu’elles s’échauffent à un degré très sensible. Or, on sait qu’une faible élévation de température suffit pour faire naître au sein de masses rocheuses des réactions chimiques. L’eau de carrière dont toutes les roches sont imprégnées et celle qui y trouve accès par les fissures, donneraient lieu à ces réactions, qui ont dû se prolonger un laps de temps fort long. L’expérience fait donc bien comprendre que certains effets du métamorphisme régional puissent simplement dériver de la chaleur que les actions mécaniques ont provoquée dans les roches.