Une catastrophe sans précédent a ravagé, en 1926, la province de Léninagan, provoquant dans toute l’Arménie une stupeur qui n’est pas encore dissipée.
Cette destruction, achevée en quelques minutes, d’une région en voie de relèvement, où plus de quatre-vingt-mille personnes se trouvèrent sans abris, ne constitue pas seulement un des plus terribles désastres que les annales du séisme aient enregistrés. Par la façon instantanée dont elle s’est accomplie, elle mérite de passer pour le plus extraordinaire des cataclysmes dus à l’activité des forces souterraines de notre planète.
D’après les constatations déjà faites, on peut entreprendre de reconstituer, avec quelque vraisemblance, la série des épisodes qui ont abouti au désastre final. Tandis que de toute part avec un élan, qui fait honneur au gouvernement Arménien, les sympathies éclatent, et que les secours s’organisent aussi. efficaces que rapides, ce ne sera pas, pensons-nous, oublier le respect dû à une semblable infortune, que d’essayer de soumettre à une analyse scientifique l’ensemble des renseignements, naturellement assez confus, assez imprécis que nous avons pu recueillir sur le lieu où s’est manifesté le déchaînement des puissances aveugles de la nature.
Description du cataclysme
Le 22 octobre 1926, la ville de Léninagan, l’ancienne bourgade d’Alexandropole, devenue en moins de dix ans une cité de 60000 habitants, éprouvait une légère secousse vers 18 heures ; insoucieuse elle chantait l’hymne du travail en toute confiance lorsque vers 19 h. 40 des grondements sinistres se font entendre. Les habitants affolés cherchent à fuir. La nuit, vers 20 h. 50, des secousses encore plus violentes, précédées de grondements terrifiants, se déchaînent en quelques secondes, les maisons furieusement secouées s’écroulent et les habitants, à peine vêtus, cherchent à fuir sans direction et sans but. Il y eut comme un mutisme collectif, beaucoup furent frappés de stupeur. Ce qui fut remarquable alors, ce fut l’insensibilité complète de beaucoup de blessés, la douleur physique était comme abolie. On cite le cas de malades et de personnes portant des blessures ouvertes qui coururent pendant des heures sans s’en apercevoir. Une mère, son enfant dans ses bras, se jeta par la fenêtre. Une jeune fille dont le bras était cassé déclare n’avoir rien senti.
Ainsi la soudaineté du désastre, les émotions violentes, l’instinct de conservation se manifestèrent sous des formes variées non seulement chez les hommes, mais encore parmi les animaux. On raconte, que dans les villages, une vingtaine de minutes avant la secousse, tout le bétail des écuries cherchait à s’enfuir en poussant des mugissements d’angoisse. Dès le premier frisson, les chiens poussaient de longs et plaintifs hurlements. Dans leurs boxes les chevaux s’agitaient avec inquiétude. Il est à remarquer qu’en général les dépositions des villageois sont à peu près uniformes. Ils disent avoir entendu d’abord des bruits souterrains, semblables à ceux des chariots roulants sur des cailloux, des beuglements inusités de bœufs ou de chameaux comme à l’approche d’un danger, etc …. Ces bruits et ces cris étaient immédiatement suivis de secousses, de chocs dirigés du Nord-Ouest au Sud-Est qui les projetaient par terre. Ensuite se produisirent des ébranlements ondulatoires, « comme la barque sur l’eau ». Les témoins rapportent qu’ils étaient soulevés, puis projetés par terre, que « les maisons dansaient » que « tout se confondait », etc ….
Il est évident qu’à ce moment d’effarement, le caractère des secousses destructrices est resté peu net dans la mémoire des malheureux habitants ; mais néanmoins, il ’est pas impossible que les premiers chocs aient été suivis d’une série de mouvements obliques se transformant en mouvements ondulatoires.
Les effets du cataclysme et leur répartition
C’est ainsi que s’expliquent les effets particulièrement désastreux éprouvés par les villages Dharli, Payantour, Kélali, Tavchanguechla, Kazarabad et Svanverdi. On trouve dans ces villages plusieurs objets qui pivotèrent sur eux-mêmes. A Dharli et à Kazarabad les pyramides funéraires pivotèrent autour de leur piédestal de 43°. Au premier abord, on est porté à croire que ces faits sont le résultat de mouvements rotatoires. Mais li n’en est rien. En réalité, les ébranlements produits par les tremblements de terre affectent des directions très complexes ; il existe seulement une élongation maximum des multiples oscillations causées par l’ébranlement. On comprend dès lors pourquoi dans les villages dévastés, et particulièrement dans Léninagan, les façades orientées suivant une direction déterminée ont été épargnées à l’exclusion des autres. lei cette direction était du N.-W. vers le S.-E. ; elle sera très probablement la même au cours de plusieurs tremblements de terre survenant au même endroit. Et c’est à coup sûr le principal enseignement qu’on en doive tirer pour l’avenir.
Les secousses sismiques n’ont pas seulement eu comme effet de renverser les édifices et de causer la mort d’un grand nombre de personnes, mais encore elles ont eu des conséquences géologiques importantes.
Ainsi aux environs des villages Kéali, Dharli, Payantour et Kazarabad le sol s’est crevassé en plusieurs endroits.
Dans le village d’Alexandrovka les deux bords d’une crevasse, qui traverse le village non loin de l’église russe, ont subi, l’un par rapport à l’autre, un changement de niveau d’une quinzaine de millimètres. Du côté d’Alaghöz , le bord de la crevassé s’est relevé, tandis que du côté d’Arpatchaï il s’est affaissé.
D’importants glissements de terrain se sont produits sur la rive gauche d’Arpatchaï. Des sources d’eau, dégageant de l’acide carbonique, se sont formées aux environs du village Tavchan-Guéchla (fig. 10).
Il y a eu également des épanchements boueux sur différents points des deux rives d’Arpatchaï. Ces épanchements boueux proviennent sans doute du pétrissage des couches inférieures dans l’eau.
La région qui a le plus souffert se trouve circonscrite par l’ellipse de la première courbe isoséiste, sur le prolongement du grand axe de l’ellipse. Dans cette région les traces de chocs verticaux sont bien manifestes. Leurs effets ressemblent à ceux que produit une explosion de mille.
Vu le manque de stations séismiques et d’observateurs intelligents qui auraient pu se rendre compte des phénomènes, l’auteur n’a pu se guider que par les traces dans les édifices et cimetières. Il faut ajouter que les traces de destructions des bâtisses ne dépendent pas tant de la direction d’une secousse que de la solidité des différentes parties de l’édifice ébranlé. Il a fallu en conséquence examiner, autant que possible, tous les endroits endommagés. Les observations ont été faites sur les maisons d’habitations, les bâtisses, dans les cours, sur les églises et surtout dans les cimetières.
Des secousses verticales suivies d’oscillations horizontales, sont nettement apparentes dans la région circonscrite par la première ligne isoséiste. Dans cette région on ne trouve point de bâtisses restées intactes. Il n’y subsiste que des amas de décombres. D’après l’auteur, l’épicentre serait compris dans cette zone.
L’isoséiste suivant renferme des maisons restées debout, mais sérieusement endommagées. Les constructions qui sont détruites de fond en comble sont nombreuses.
Dans le troisième isoséiste, des constructions solides sont restées debout, mais présentent des crevasses dans le plâtrage, à travers les murs de séparation. Les constructions peu solides sont tombées en ruines. Un bon nombre de murailles sont renversées.
Le quatrième isoséiste présente çà et là des dégâts partiels dans les bâtisses peu solides restées debout. Au delà de cet isoséiste, les désastres sont rares et sans importance.
Il est à noter que des dommages éprouvés par les constructions, l’ébranlement sismique n’est directement responsable que pour une petite part. Sans doute, on avait commis la faute de construire des villages sur des terrains meubles et de ne pas assurer une certaine élasticité aux fondations. Mais, presque partout, le mal est venu de la méconnaissance presque absolue de l’art de construire et aussi de la mauvaise qualité des matériaux de construction.
D’après notre étude il ressort nettement que les maisons construites entièrement en bois se sont montrées les plus résistantes ; viennent ensuite celles ayant une carcasse en bois remplie d’argile ; puis celles bâties en briques crues, toujours plus fermes, plus stables que les bâtiments en pierre où le frottement des pierres irrégulières était moins fort que celui des briques à faces régulières, Parmi les constructions en pierres, les plus résistantes ; les plus solides étaient celles en pierres de taille, les moins résistantes, les moins stables celles en galets.
En général, les indigènes, surtout dans les villages, construisent leurs maisons sans chaux. Ils emploient comme mortier de l’argile plus ou moins sableuse. Les murailles de leurs bâtisses se composent d’un revêtement extérieur et d’un mur intérieur enduit d’argile. Ce mur consiste en pierres taillées ou non taillées, souvent en galets fluviaux disposés en entiers. L’intervalle de ce mur est rempli de pierrailles, ce qui fait que le mur extérieur est pour ainsi dire détaché du mur intérieur. Un heureux avantage de ce défaut de construction est que le revêtement est tombé toujours en dehors et non à l’intérieur de la maison et qu’un bon toit peut rester debout sur les coins du mur.
Il est à remarquer que la maison d’école du village Payantour (fig. 12) est restée debout à côté de maisons complètement écoulées qui n’avaient cependant qu’un étage. Cette anomalie s’explique par le fait que le bâtiment en question, mieux construit, possède un. toit saillant bien consolidé, et que le mur avant de crouler est obligé de lutter contre le frottement du (toit. Un autre fait remarquable, c’est que dans Léninagan, les maisons situées sur les versants de Kédak-tchaï se sont démolies essentiellement dans la direction de l’escarpement. De même la rivière d’Arpatchaï se fait remarquer comme barrière à l’extension des secousses. Le rôle qu’a joué cette grande vallée fluviale apparaît avec une évidence frappante surtout en des points situés en face l’un de l’autre sur les deux rives, tels que les villages Payantour et Aralyk. Dans la première tout n’est qu’un amas de décombres. Dans la seconde on constate çà et là des murs restés debout, mais sérieusement endommagés.
Il n’a pas été possible d’arriver à discerner où se trouve exactement le foyer d’ébranlement. La disposition des isoséistes obtenus restreint en tout cas le cercle des hypothèses admissibles tant en ce qui concerne le point d’issue du tremblement que sa cause probable.
L’hypothèse la plus vraisemblable est celle que l’épicentre se trouve sur le grand axe de la première ligne isoséiste et qu’il n’a pas été fixe. Il s’est déplacé le long de cet axe. Cette hypothèse est fondée d’un côté sur la position centrale de la région des plus fortes secousses et de l’autre sur la circonstance que les villages fortement éprouvés se trouvent alignés le long du même axe.
La structure géologique de la région éprouvée
Voyons maintenant comment un tel désastre a pu se produire et prendre une telle proportion.
La configuration actuelle de la vallée du Chirak est de très fraîche date, et son établissement a précédé de bien peu le moment où les hommes se sont établis en Arménie. Vers la fin de ce que les géologues appellent les temps tertiaires (fig. 3), alors que l’Arménie tout entière avait rejeté la mer hors de son territoire, la dépression de Chirak était occupée par la mer sarmatique, dont l’eau se dessale peu à peu et contient de nombreux Mollusques d’eau saumâtre : en particulier des Congéries, sortes de Moules qu’on trouve aujourd’hui dans presque. toutes les eaux douces d’Europe. Les restes de ces animaux ont été trouvés aux environs des villages Kélali, Svanverdi et Kazarabad. Ce qui prouve que le rivage méridional s’écartait peu de la ligne marquée par ces villages. La mer s’étendait librement sur toute la surface qui correspond aujourd’hui à la plaine de Chirak.
Cette mer, par un soulèvement lent, se dessèche peu à peu et laisse des lagunes qui vont déposer du gypse et du sel. L’un des gisements de sel les plus importants est celui de Koulpé dont la formation remonte à cette époque. La mer sarmatique se morcelle avec le temps et finit par se réduire à la mer Caspienne et au lac d’Aral.
C’est à l’aurore des temps appelés quaternaires, au cours desquels devait se produire l’apparition de l’homme sur le globe, que les forces volcaniques entrent de nouveau en jeu et modifient l’état des choses existantes. En même temps, de grands cours d’eaux torrentiels charrient des ossements d’Hipparions, de Mastodontes qui ont été trouvés dans les gisements de Kazadjipost à Leninagan, qui, à ce moment, n’était plus qu’un vaste lac. Les bouleversements auxquels les couches sarmatiques furent soumises au Caucase, et la hauteur à laquelle elles furent portées en quelques points, montrent que les dernières dislocations de la dépression de Chirak sont postérieures à ces formations, et c’est à la faveur de ces dislocations que l’activité volcanique a repris dans cette région.
Une épaisse formation de tufs noirs, composés de matières terreuses, produit de l’altération de ponces et de scories, a recouvert les formations lacustres. Ces matériaux ont été vomis par des bouches primitivement immergées auxquelles ont succédé plus tard des cratères émergés. Les débris retombaient en pluie sur le fond du lac qu’ils ont fini par combler.
Toute la région présente donc une conquête opérée sur la mer, à la faveur des mouvements orogéniques et épirogéniques, qui provoquèrent de nombreuses dislocations par où des éruptions, d’abord sous-marines, puis aériennes, ont accumulé sur place de grandes épaisseurs de débris projetés.
Ainsi la structure du pays, dont la ville de Léninagan était la métropole, est d’une simplicité remarquable, mais justement faite pour inquiéter ceux qui savent dans quelle mesure la stabilité d’une contrée peut être liée aux circonstances de son relief.
Si d’une façon générale l’écorce terrestre a pu être comparée à une vaste pièce de marqueterie, dont les divers compartiments, limités par des cassures, sont exposés à jouer, les uns par rapport aux autres, il est peu de régions où ce jeu soit plus à redouter a priori, qu’à Chirak. En effet, comme le montre la carte (fig. 2), une série de grandes lignes de fractures, toutes jalonnées par des volcans imposants, traversent en plusieurs points cette région. Un d’entre eux, l’Alaghöz, situé précisément sur la grande fracture Sipan-Elbrouze, s’élève à plus de 4500 mètres de hauteur. A cette imposante masse volcanique fait suite précisément la dépression de Chirak où le désastre s’est manifesté.
Si d’autre part, on tient compte de la loi formulée par Montessus de Ballore, que l’activité sismique est proportionnelle à la jeunesse géologique des territoires disloqués, de ce côté encore, la destinée de la plaine de Chirak apparaît pleine de menaces ; car, comme nous venons de le voir, les terrains qu’on y observe appartiennent aux formations les plus récentes et les dislocations dont ils sont affectés sont de date si peu ancienne, que plusieurs d’entre elles se sont produites sous les yeux de l’homme.
Les recherches géologiques ont montré ce fait très important qu’à la phase marine et saumâtre de la plaine de Chirak , a succédé une phase lacustre par suite des mouvements orogéniques intenses de la fin de l’époque tertiaire, auxquels ont succédé de nombreuses oscillations verticales. Au pliocène supérieur, ce n’est pas seulement la plaine de Chirak qui existe, comme dépression lacustre, c’est une grande partie du plateau arménien qui se couvre de lacs, dont la plupart communiquent entre eux. Cette dépression lacustre, toujours peu profonde et occupée par une faible épaisseur d’eau, finit par se combler.
La cause des séismes — Influence de la nature géologique du sol
Il est indubitable que cette dépression limitée accuse un effondrement de l’écorce terrestre. Il doit donc y avoir, du côté méridional, une cassure de premier ordre, mettant en contact deux compartiments bien différents de’ l’écorce terrestre, et qui ne cessent de jouer l’un par rapport à l’autre ; le premier pour se relever, ce serait l’Alaghöz ; l’autre pour s’enfoncer, ce serait la dépression de Chirak. Le tassement général de cette fosse suffirait pour donner naissance à un glissement relatif des deux compartiments le long de la cassure ; et chaque reprise du mouvement’ engendrerait un tremblement de terre. Comme, d’ailleurs, il est vraisemblable que la cassure n’est pas unique et doit être accompagnée de diverses fractures secondaires, on comprend sans peine que le jeu de ces dislocations compliquées puisse amener des secousses plus ou moins violentes.
Si l’on désigne par sismicité le degré de fréquence et d’intensité des secousses, on peut dire qu’en chaque point du globe, cet élément est en rapport immédiat avec la raideur du relief terrestre. Partout où le terrain s’abaisse brusquement d’une grande quantité, il y a chance pour que les tremblements de terre soient fréquents. Au contraire, on n’en rencontrera que peu ou point sous les grands plateaux, les plaines basses très étendues, terrestres ou, sous-marines, et les régions des collines doucement ondulées.
Il est clair que les principales d’entre ces dislocations doivent s’accuser au dehors par les dénivellations les plus importantes entre les compartiments en contact. Ain si quand une très haute chaîne de montagnes fera directement face à de grandes profondeurs maritimes, comme c’est le cas, par exemple, pour les Andes du Chili, du Pérou, et de la Bolivie, on devra s’attendre à de fréquentes secousses sismiques, dues au glissement qui se produit le long de la cassure principale, et qui .tend à approfondir l’abîme, tandis que la saillie continentale tendrait au contraire à s’exagérer. C’est ce que l’expérience vérifie pleinement.
De même les pays où des plaines fortement déprimées viennent buter contre des chaînes d’altitude considérable sont exposées aux secousses sismiques, telles que l’Alaï et le Fien Chan. La plaine de Chirak qui vient buter contre le massif volcanique de l’Alaghöz entre également dans cette catégorie.
Il n’y a donc pas à en douter : la liaison entre les tremblements de terre et les dislocations de l’écorce terrestre ne saurait être contestée. Elle éclate partout avec évidence.
Mais, objectera-t-on, c’est aussi le long des dislocations principales de l’écorce que s’alignent les volcans actifs.
C’est incontestable. De même qu’il faut des cassures pour faciliter et traduire le jeu relatif des compartiments terrestres, de même il faut des fractures d’une certaine importance pour que l’expansion des matières ignées internes puisse se faire au dehors.
Les deux phénomènes , sismicité et volcanisme, auraient ainsi le même principe initial. Les volcans se formeraient quand les gaz acquièrent assez de tension pour soulever avec eux la lave dans les cheminées qu’elle a coutume d’utiliser. Les ébranlements sismiques se produiraient quand pour diverses causes, l’équilibre relatif de deux compartiments, séparés par une fracture viendrait à être troublé.
Il est à noter que le désastre de Chirak a été particulièrement grave dans les villages situés au pied de l’Alaghöz, c’est-à-dire à la jonction de deux couches de nature distincte. En effet, les villages situés en ce point s’élèvent sur des terrains tendres qui reposent en discordance sur les formations volcaniques de l’Alaghöz.
Des faits analogues ont été constatés lors du tremblement de terre de Messine : les parties basses de la ville, bâties sur une alluvion marine, furent beaucoup plus maltraitées que les parties hautes reposant sur un sol granitique, De même, en Calabre, les localités situées sur la chaîne d’Aspromonte souffrirent peu, tandis que la plaine de grès grossier et de cailloux eut à subir de grands ravages, surtout à la jonction de cette plaine avec le granite. En 1887, le tremblement de terre de Ligurie qui se propagea jusqu’à Nice fit surtout des dégâts au contact des formations meubles des rivages avec les massifs compacts et anciennement consolidés de la Corniche. II faut donc en pays instable s’éloigner des failles et des sols meubles et récents.
Les enseignements de la catastrophe
En nous appuyant sur les observations scientifiques faites jusqu’à ce jour, ainsi que suries études géologiques et sismologiques de l’auteur concernant la vallée de Chirak, il nous parait indispensable d’insister sur deux questions intéressantes : le choix du site, et le choix de l’architecture.
De cette étude il ressort nettement que la nature géologique du sol a eu une influence manifeste. En général les bâtiments élevés. sur terrain d’alluvion ont particulièrement souffert ; ceux qui étaient édifiés sur des formations sédimentaires peu épaisses ont été aussi très maltraités. Au contraire, ceux qui se trouvaient sur des formations volcaniques solides ont été beaucoup plus épargnés. Les villages situés dans le voisinage immédiat de deux sols de nature différente ont beaucoup souffert. La logique exige donc de reconstruire Léninagan et les villages en dehors de cette zone dangereuse et sur des formations présentant le maximum de stabilité.
Quant au choix de l’architecture, l’observation seule devrait nous guider ; malheureusement jusqu’ici les architectes arméniens ont peu étudié la question de résistance des habitations.
Au Japon, dont la terre tremble presque. continuellement, les maisons sont établies suivant des règles déterminées. Autrefois elles étaient faites de bois et de papier, pat suite plus légères et plus élastiques, donc plus résistantes et moins dangereuses ; mais on a renoncé à ce système pour préconiser celui du ciment armé.
A San-Francisco, dès le lendemain du désastre, des savants et des ingénieurs en étudiaient les effets, et les conclusions qu’ils publièrent ont été utilisées par les architectes qui ont reconstruit la ville.
On pense que la véritable maison capable de supporter une secousse violente, c’est la maison « monolithe », c’est-à-dire faite d’une seule pièce par l’emploi du ciment armé. De plus, pour mieux résister aux secousses, une telle maison devrait être solidement ancrée dans le sol, et les meubles fixes (buffets, armoires) pourraient être faits de la même matière.
Devant l’immensité d’une catastrophe aussi subite, l’esprit reste confondu ; on ne peut, sans une profonde émotion, évoquer l’aspect de cette contrée pittoresque et, industrieuse, hier prospère, aujourd’hui couverte de ruines, et où l’œuvre admirable de relèvement, à peine commencée, est détruite en quelques instants.
Le monde entier sympathisera avec ce vaillant peuple si durement frappé et voudra l’aider à effacer les traces de ce désastre. Car malgré la gravité de la situation et les perturbations qu’elle entraîne, l’Arménie voudra se relever rapidement de ses ruines et elle y réussira.
S. Abdalian
Professeur à l’Université d’Erivan.