LA PRESSE SCIENTIFIQUE sous la Révolution française

Albert Rang, La Nature N°3152 - 15 Janvier 1948
Samedi 7 mars 2009 — Dernier ajout vendredi 5 janvier 2018

Le départ n’est pas sans difficulté entre les publications scientifiques, instruments de travail des savants, la presse technique qui se préoccupe des applications des sciences à l’industrie, au commerce et à l’agriculture, la presse scientifique visant "la diffusion des sciences dans le grand public cultivé. Réserve étant faite sur la valeur absolue de toute classification d’ailleurs plus ou moins complète en la matière, nous pouvons dire qu’en 1789, Le journal des savants ( [1]), de 1665, les Observations sur la physique, sur l’histoire naturelle et sur les arts de 1752, le Journal de Médecine de 1754, la Gazette de santé de 1773, la Bibliothèque physico-économique de 1782, continuèrent à paraître et que les publications suivantes se créèrent au cours de la période révolutionnaire qui se termina en 1799 : les Annales de Chimie, en 1789 ; le Journal de Chirurgie, le Journal des sciences utiles, la Médecine éclairée par les sciences physiques, le Journal du Point central des Arts et Métiers, en 1791 ; le Journal d’histoire naturelle, le Journal des Sciences, Arts et Métiers, le Magasin encyclopédique, en 1792 ; le Journal du Lycée des Arts, en 1793 ; la Décade philosophique, en 1794 ; le Journal des Mines, le Journal d’agriculture et d’économie rurale, le Bulletin de Littérature, des Sciences et des Arts, le Journal Polytechnique, le Journal des Artistes, le Journal des Inventions et des Découvertes, en 1795 ; le Journal de santé et d’histoire naturelle en 1796 ; la Décade égyptienne, en 1797. Leurs respectives durées furent très inégales comme furent très différentes leur importance et leur présentation.

L’immense curiosité intellectuelle, principalement dans le domaine des sciences pures et des sciences « usageables » qui caractérisa de façon si singulière les années de notre histoire avant la Révolution engendra tout naturellement lorsqu’elle éclata une véritable effervescence des besoins d’information, de communication, de discussion que satisfirent précisément les journaux et les revues dont nous venons de donner la liste. Certes, en ces heures dures, la science maniérée qui s’était coulée dans les formes décadentes de l’Ancien Régime ne se manifesta plus ouvertement. Il en subsista toujours, mais très dilué, l’attrait des images pittoresques de l’observation première qui s’exerça en toute indépendance des événements politiques. Mais c’est vers les sciences appliquées que l’attention du public se polarisa, car il reconnaissait en elles le jaillissement originel de la puissance d’une nation victorieuse de ses ennemis de l’intérieur et de l’extérieur.

Dans son numéro de novembre 1793, les Observations sur la physique, sur l’histoire naturelle et sur les arts publient un avis aux ouvriers sur la fabrication de l’acier qui est un article de vulgarisation de la sidérurgie écrit par Vandermonde, Monge et Berthollet pour l’instruction des citoyens, mais aussi pour apprendre « à l’Europe que la France trouve dans son sein tout ce qui est nécessaire à son courage ». La même année, la Bibliothèque physico-économique, orienta toute une partie de sa rédaction vers l’agriculture, car « nombre de citoyens ont » acquis des terres dans le dessein de les cultiver « . La rédaction du Magasin encyclopédique fait savoir en 1795 qu’on insérera dans le journal les mémoires les plus intéressants sur toutes les parties des arts et des sciences en choisissant » surtout ceux qui seront propres à en accélérer les progrès On y publiera les découvertes ingénieuses, les inventions utiles dans tous les genres. On y rendra compte des expériences nouvelles ". Les citoyens Barthélemy, Daubenton, Fourcroy, Haüy, Lacépéde, Lagrange, Suard, Volney, s’intéressèrent à cette entreprise.

Le 10 floréal, An II de la République une et indivisible, une « Société de Républicains » proclamant a que les lumières et la morale sont aussi nécessaires au maintien de la République, que fut le courage pour la conquérir "entreprit la publication de La Décade philosophique, littéraire et politique. Dans ses premiers numéros qui parurent pendant le premier semestre de l’année 1794, on trouva un article sur les nitrières et la fabrication du salpêtre, des vues générales sur l’histoire naturelle, des observations sur les abeilles, un exposé des nouvelles découvertes astronomiques de Lalande, des études sur le sommeil des plantes, sur l’origine et la formation du charbon de terre, sur les avantages de la culture des arbres étrangers. Et la Terreur sévissait ! Pendant toute la période révolutionnaire, on y put lire des articles de Faujas de Saint-Fond, de Guyton de Morveau, de Fontaine, Lacépéde, Darcet, Herschell, Thourn, etc.

L’Agence des mines de la République fit paraître en septembre 1794 le Journal des Mines. « La liberté prête de nouvelles forces comme de nouvelles vertus aux peuples qui combattent pour elle. Le besoin de vaincre a retrempé le caractère des Français, leur découvre chaque jour des ressources inconnues. Si nous profitons mieux des dons de la nature ; si nous comptons davantage sur notre sol et notre industrie, c’est » l’état de guerre que nous le devons. Ainsi des privations passagères nous assurent des avantages solides et durables « , dit Charles Coquebert dans une déclaration liminaire approuvée par le Comité de Salut public. Le Journal des Mines était destiné » recueillir tous les renseignements relatifs « l’art des mines, mais, pour être en accord avec les vues des représentants du peuple, il s’efforça d’échauffer les cœurs » pour qu’une fermentation générale utile à cet art succède à son long engourdissement et fasse aimer l’état de mineur « . A la même époque, Borrely commença la publication du Journal d’Agriculture et d’économie rurale et l’année suivante parut le premier numéro du Journal Polytechnique créé pour justifier l’emploi des moyens que la République fournit pour l’instruction des élèves de l’école centrale des Travaux publics, aussi pour »répandre des connaissances très utiles relatives aux arts et aux sciences« et provoquer »l’extension de leur domaine par des découvertes nouvelles ou des applications heureuses « . A côté des signatures de Lamblardie, Prony, Ballard, Barmel, Fourcroy, Chaptal, Guyton, Vauquelin, on y trouve celles de Monge et Berthollet qui voisinèrent avec les signatures de Fourier, Malus, Conté, Desgenettes, Dolomieu, Geoffroy Saint-Hilaire dans la Décade égyptienne publiée en 1798 au Caire par Tallien sous les ordres de Bonaparte pour faire connaître l’Égypte à la France et à l’Europe et montrer »tout ce qui, dans ce pays, est du domaine des sciences, des arts, du commerce sous ses rapports généraux et particuliers, de la législation civile et criminelle, des institutions morales ou religieuses ". La presse scientifique française avait passé les mers.

Les droits de l’inventeur et du découvreur furent formulés avec une impressionnante netteté dés 1791 dans le Journal du Point central des Arts et des Métiers dont le premier numéro portait en exergue : « Le travail seul constitue une nation, lui seul rend un individu indépendant et libre ». La propriété de la pensée, y est-il écrit, « est aussi sacrée que celle de l’existence et les droits du génie, plus imprescriptibles même que les droits de l’homme, sont encore plus inviolables ». Le génie est hautement respectable, « la vérité n’est-il pas le père des arts et des sciences ? C’est » lui seul que sont dues l’instruction et l’industrie, sources de toutes les prospérités. Dans ce journal, ainsi que dans le Journal des Sciences, Arts et Métiers, de 1792 furent défendues les idées qui nous sont familières des droits de l’inventeur, du brevet, d’encouragement et de récompense, d’organisation des recherches pour promouvoir découvertes et inventions, de diffusion des activités des travailleurs scientifiques et techniques. Un des principaux animateurs de ce mouvement, Charles Desaudiay, secrétaire général du Lycée des Arts, crée au mois d’août 1792, fit paraître courant 1793, le Journal du Lycée des Arts, puis, en 1795, le Journal des Artistes où il fut écrit : « Avouons de bonne foi que l’homme habile en théorie et qu’on appelait savant et l’homme savant en pratique qu’on appelait artiste, ont également besoin l’un de l’autre ; et qu’aujourd’hui, ils ne doivent plus songer qu’à se réunir et à s’éclairer fraternellement ». D’ailleurs, ajoutait-on, les véritables génies sont les premiers à rechercher, à consulter, à considérer, à apprécier les ressources heureuses d’une pratique éclairée. Lavoisier, Darcet, Borda, Berthollet, Vicq d’Azir, Lamarck, Lalande, etc., se sont empressés de s’associer au Lycée des Arts avec les artistes qui s’y sont réunis uniquement avec le but de contribuer au bien général et au progrès de l’art. Encore en 1795 et toujours autour du Lycée des Arts se créa le Journal des Inventions et des Découvertes. Dans un numéro de septembre, on trouve le texte d’un discours prononcé en 1793, « l’ouverture du Lycée des Arts par Fourcroy sur l’état actuel des sciences et des arts dans la République française » et qui était en quelque sorte un hymne à « l’union fraternelle des sciences et des arts » . Un numéro du mois d’octobre suivant contient un rapport élogieux de Kanakes à la Convention sur le Lycée des Arts, un des « phénomènes de la Révolution française », où sont remerciés pour le concours qu’ils lui ont apporté : Fourcroy, Daubenton, Lavoisier, Bertholet, Darcet, Lalande, Parmentier. Dans un autre numéro du même mois, le citoyen Delagrange publia une étude « sur les progrès de la chimie et sur ce qu’elle doit aux travaux de Lavoisier ».

Ce bref exposé de l’activité de la presse de divulgation des sciences pures et appliquées sous la Révolution française met en évidence un aspect bien intéressant de cette période étonnante de notre histoire dont l’illustre Biot, la jugeant sans aménité sous le Consulat, écrivit tout de même : « Que l’on parcoure les annales des peuples, que l’on rassemble, s’il le faut, plusieurs pays et plusieurs âges, on ne trouvera pas une nation, pas une époque où l’on ait tant fait pour l’esprit humain ».

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