Si certaines branches de nos connaissances scientifiques ont, à l’origine, quelque peine à recruter des adhérents, il en est d’autres parfois, au contraire, qui ont l’heureux privilège de nous enthousiasmer vivement, dès le début, et d’attirer à elles un nombre plus ou moins considérable, mais toujours grand, d’adeptes sérieux. A ces dernières appartiennent les sciences anthropologiques. C’est ainsi que, dès les premiers temps, l’étude des races humaines fossiles ou sauvages, les recherches relatives à l’origine, à l’antiquité de l’homme, obtinrent un vif et légitime succès. Depuis lors elfes n’ont point déchu un seul jour, mais leur importance n’a fait que grandir, malgré certaines exagérations inévitables, inhérentes même à l’enthousiasme dont elles avaient été l’objet, malgré la voie extra-scientifique, voie toujours périlleuse, dans laquelle quelques chercheurs se sont parfois laissés entrainer.
Bien que l’anthropologie soit née d’hier pour ainsi dire, ses adeptes sont aujourd’hui des plus nombreux partout, non seulement dans notre propre pays et en Europe, mais nous pouvons dire dans le monde entier. Aussi les découvertes se succèdent-elles chaque jour, surtout dans quelques-unes des branches que ces études comportent, puis dans celles qui touchent aux peuples préhistoriques, dans la paléontologie des premiers temps où l’homme apparut sur la terre, enfin dans l’ethnographie. Et chacun, apportant sa pierre à l’édifice commun, le voit bientôt s’élever haut et majestueux, laissant seulement aux siècles à venir le soin de couronner l’œuvre et d’en fouiller les détails pour l’embellir encore.
Le savant qui, dans une vie déjà bien remplie, aura certainement le plus contribué à cette histoire de l’homme, est bien M. de Quatrefages, dont nous analysons ici l’ouvrage.
Sur les onze études que renferme son livre, deux sont consacrées à l’homme fossile. « La première », ainsi qu’il en avertit le lecteur en commençant, Il est essentiellement historique et rappelle » ce que nous disions plus haut, « avec quelle rapidité s’est constituée la paléontologie humaine … qui, dès ses débuts, a reporté nos origines à l’époque où les éléphants et les rhinocéros vivaient en Europe. La seconde étude, remontant plus haut encore, raconte le peu que nous savons de l’homme tertiaire, traverse les temps quaternaires. montre comment les premières tribus de l’époque actuelle se sont constituées par le mélange des races et fait connaitre une des plus curieuses de ces jeunes sociétés. »
M. de Quatrefages, convaincu par des observations nouvelles et précises, admet aujourd’hui comme démontrée l’existence de l’homme tertiaire, de l’homme miocène, prouvée par les traces de son industrie. Cette existence lui parait avoir pour elle un certain nombre de faits et notamment ceux qu’a fait connaitre M. Capellini, nous voulons parler des os incisés de balenotus trouvés au Monte-Aperto en Italie (fig. 25).
Mais là n’est pas la partie la plus importante du livre. Ces deux grands chapitres relatifs à l’homme fossile ont surtout pour but de donner une idée de ce qu’étaient les premières populations de l’Europe occidentale. Ils nous montrent les hommes de la pierre taillée, restés chasseurs et franchement sauvages, vivant par tribus isolées et se nourrissant exclusivement des produits de la chasse, de la pêche et probablement aussi des plantes qu’ils rencontraient à l’entour de leur demeure primitive ou sur leur passage. Ils nous montrent ensuite les hommes de la pierre polie arrivant « accompagnés d’animaux domestiques, peuples pasteurs présentant cet état intermédiaire entre la sauvagerie et la civilisation commençante, que l’on peut appeler l’état de barbarie »
Ces deux premières études nous conduisent ainsi à l’histoire des « populations qui se sont arrêtées soit à la première, soit à la seconde de ces deux étapes ». L’auteur s’attache surtout, comme nous le verrons tout à l’heure, aux peuples de la Mélanésie et de la Polynésie, « ce dernier monde maritime, dit-il, le dernier abordé par les Européens, qui a subi déjà des transformations si profondes et dont les races qui les peuplaient seules, il y a moins d’un siècle, sont en voie de disparition si rapide. » Et s’il ne consacre qu’un nombre de pages relativement restreint aux habitants de la Malaisie, « placée comme une large frontière entre le continent asiatique et les îles du grand Océan », s’il n’en parle guère que pour faire ressortir les caractères qui les distinguent des groupes ethniques auxquels ils touchent et qui parfois se mêlent à eux, cependant ces pages sont pour certaines questions de la plus haute importance. Tout d’abord, en effet, M. de Quatrefages combat vivement, comme peu d’accord avec les faits connus, cette opinion du savant naturaliste et voyageur, M .. Alfred Russel Wallace, qui, pendant huit années a parcouru en tous sens l’archipel Indien, cette opinion, dis-je, que les Malais, mal doués sous le rapport de l’intelligence, ne sauraient s’élever au-dessus des plus simples combinaisons d’idées. Il rappelle notamment, à l’appui de sa thèse, les merveilleux monuments élevés par la race malaise à une époque fort ancienne, bien que vaguement déterminée, tels que ces « cités de palais et de temples (BorôBoudour, ruine de Gounoug-Dieng, mont des dieux, à Java), ces chaussées gigantesques, aujourd’hui en ruines et cachées sous la végétation luxuriante des tropiques ».
Il aborde ensuite cette autre question : le mélange des races et son rôle incontestable « dans la constitution des populations actuelles sur une foule de points du globe, dans l’archipel malais comme en Europe ». Il rappelle les documents fournis par les études préhistoriques, « les migrations humaines à l’aurore de l’époque géologique actuelle, les races quaternaires jusque-là distinctes, entraînées par les hommes armés de la hache polie, se mélangeant entre elles et avec leurs vainqueurs. C’est ainsi que les tribus du Petit-Morin, dans la Marne [1], celles de la caverne de l’Homme-Mort étaient déjà le résultat du métissage. Dès que s’ouvre l’ère accessible aux premières lueurs historiques, nous trouvons, dit-il, des faits tout pareils, nous les voyons se reproduire d’époque en époque et par places, si bien que toutes les populations européennes nous apparaissent comme composées de métis. »
Le chapitre IV est consacré aux Papouas et aux Négritos, aux Papouas, race exclusivement pélagique, que bien des anthropologistes regardent encore comme à peu près confinée dans la Nouvelle-Guinée et les archipels voisins, mais qui a eu aussi ses moments d’expansion et de dissémination. D’une part, en effet, elle apparaît comme conquérante dans quelques îles de la Micronésie ; d’autre part, elle se rencontre à l’est et au sud, aux extrémités de ce monde maritime, ainsi que le démontrent les quelques crânes qui lui appartiennent et qui sont positivement originaires de l’île de Pâques et de la Nouvelle-Zélande, Quant aux Négritos, qui constituent l’une des deux grandes branches représentant en Orient le tronc nègre, ils se sont, au contraire, étendus à l’ouest et au nord-ouest. A la fois insulaires et continentaux, ils ont peuplé jadis les deux presqu’îles gangétiques, atteint l’Himalaya et l’Indus. C’est ainsi qu’ils ont laissé des traces irrécusables de leur passage au Japon. C’est ainsi qu’on les retrouve encore aux Philippines et dans bien des îles de l’archipel malais, et qu’ils constituent seuls la population indigène des Andamans, en plein golfe du Bengale. Ces Négritos sont des individus de petite taille, brachycéphales, à l’encontre des Papouas, tous de grande taille et dolichocéphales ; leurs représentants ont été, dans le passé, le type des Pygmées asiatiques dont parlent Pline et Ctésias, et dont les métis étaient ces Éthiopiens à teint noir et à cheveux lisses qui figuraient dans l’armée de Xerxès. Placés dans des conditions normales de sécurité et se sentant protégés, les Négritos s’élèvent facilement au-dessus de l’état sauvage ; ils se civiliseraient sans difficulté. Mais chassés et traqués presque partout dans l’archipel Indien, ils finissent par présenter les caractères les plus prononcés de sauvagerie et de dépravation. A Bornéo, les Dayaks chassent au Négrito comme à la bête fauve, en cisèlent les crânes qui servent de trophées (fig. 26) et abattent à coups de sarbacane les enfants réfugiés sur des arbres, comme ils le feraient d’un singe.
Des Papouas et des Négritos, M. de Quatrefages passe à l’étude d’une autre race noire, à celle des Tasmaniens, entièrement disparue depuis bientôt sept ans. Son dernier représentant, en effet, une femme, est mort en 1877. La destruction totale des Tasmaniens a été accomplie en soixante-douze ans au plus, sur une terre mesurant 4400 lieues carrées. Elle soulève un problème douloureux et au premier abord difficile à résoudre. On l’a mise tout entière sur le compte de la barbarie, dont les Européens civilisés ont trop souvent usé envers les sauvages et qui nulle part ne s’est exercée d’une plus terrible manière qu’en Tasmanie. « Mais je suis convaincu, dit M. Quatrefages, que c’est là une erreur ; je ne voudrais atténuer en rien les crimes des convicts et des colons contre lesquels ont d’ailleurs énergiquement protesté, en Angleterre et dans la colonie même, les voix les plus autorisées et en particulier celle de Darwin. Mais ni la guerre avec tous ses excès ni les désastres inséparables d’une expropriation forcée n’ont été la principale cause de l’anéantissement des Tasmaniens. Ils ont surtout péri de ce mal étrange, que les Européens ont transporté partout avec eux dans ce monde maritime, de ce mal d’Europe, de ce mal qui frappe, en pleine paix, des populations en apparence florissantes. »
Il semble, du reste, que celles-ci aient une sorte de prescience du mal que nous apportons involontairement avec nous. L’explorateur si regretté des fleuves de l’Amérique du Sud, Jules Crevaux, ne nous racontait-il pas, il y a trois ans, comme une des particularités bizarres des indigènes de la Guyane, que les habitants de ces contrées, attribuant les affections de poitrine, dont ils sont parfois atteints, à la présence des blancs, à la contagion résultant de leurs rapports avec eux, s’empressaient généralement de les fuir le plus loin possible dès qu’ils entendaient le moindre accès de toux ou le moindre éternuement. Enfin il n’est pas jusqu’aux pauvres habitants de la Terre-de-Feu, qui, par suite de leurs relations avec les quelques Européens établis depuis une quinzaine d’années à Ooschoowia [2], ne soient parfois atteints de phtisie. Témoin la jeune femme que M. le docteur Hyades , membre de l’expédition scientifique du cap Horn, a vue succomber, pendant son séjour à la baie Orange, à la tuberculose pulmonaire.
La phtisie, dont nos chirurgiens de la marine ont reconnu la généralisation, est donc certainement un des éléments de ce mal, comme le dit très justement M. de Quatrefages ; mais, si elle explique l’accroissement de la mortalité, elle ne rend pas compte de la diminution de la natalité. Or ces deux phénomènes sont aussi accusés l’un que l’autre. Le capitaine Jouan a vu aux Marquises, dans l’ile de Taïo-Haé, la population tomber en trois ans, en pleine paix, du chiffre de 400 habitants à celui de 250. Pour contrebalancer ces 150 décès on ne comptait, dans le même espace de temps, que trois ou quatre naissances. Il est donc évident qu’à ce compte les populations doivent fondre rapidement ; et là est certainement, ajoute l’éminent anthropologiste, la principale cause de la disparition des Tasmaniens, de cette race simple, vaillante et douée de nobles instincts, naguère encore florissante, et dont il ne reste plus aujourd’hui que des têtes osseuses, des moulages ou des dessins. Nous ne parlerons pas ici de la crâniologie des Tasmaniens, dont M. Hamy a donné dans les Crania ethnica une excellente description, et qui, tout en se rattachant au type mélanésien, constitue, d’après lui, une section ethnologique tout à fait à part. Nous nous bornerons à dire que leur capacité crânienne (fig. 27) « accuse un développement supérieur, non seulement à celui du crâne des Australiens, mais encore à celui des nègres nubiens, bien plus avancés pourtant dans la voie de la civilisation ; que la face osseuse possède des caractères tout aussi tranchés que le crâne, que les formes générales en sont brutales, comme heurtées, et présentent quelques traits exceptionnels, dont le plus frappant est la disposition des os du nez. On dirait que la portion médiane de ces os a été violemment enfoncée au-dessous du front, dont la saillie se trouve ainsi exagérée… » En somme, par ses caractères ostéologiques , le Tasmanien s’éloigne des autres races mélanésiennes, tandis qu’il s’en rapproche essentiellement, au contraire, et se rattache au tronc commun par deux caractères extérieurs dont l’importance est universellement acceptée : la couleur et la chevelure.
Un des chapitres les plus intéressants du livre de M. de Quatrefages est certainement celui qu’il a consacré à la Guerre noire en Tasmanie, aux atrocités et aux représailles réciproques qui ont ensanglanté cette ile pour aboutir enfin à la captivité des derniers survivants, à la mortalité et à l’infécondité des prisonniers, à leur extinction successive, enfin aux deux derniers Tasmaniens, William Laune, mort le 3 mars 1864, et Truganina ou Lalla Rok, morte en 1877, et dont nous reproduisons ici le portrait d’abord dans sa jeunesse (fig. 28), d’après le buste moulé par Dumoutier, ensuite à un âge avancé, avec des favoris et une sorte de barbe en collier, d’après une photographie (fig. 29).
M. de Quatrefages, ayant déjà traité, dans un ouvrage spécial, de l’histoire des Polynésiens, n’accorde que quelques pages seulement à leurs migrations, mais en les faisant suivre d’une carte montrant qu’elles se sont étendues jusqu’aux extrémités de l’Océanie. Ici encore l’extinction marche à grands pas, grâce à l’augmentation de la mortalité et à la diminution des naissances, chez une race cependant si féconde jadis, et aujourd’hui tellement frappée de stérilité, qu’à la Nouvelle-Zélande, par exemple, sur onze chefs ou fils de chefs, mariés dans la même tribu, un seul avait des enfants. Aux Sandwich, sur quatre-vingts femmes du pays, légitimement mariées, on n’en comptait que trente-neuf devenues mères. Par contre, sur ces mêmes Iles où s’éteint la race indigène, les races européennes, comme le fait remarquer l’auteur, prospèrent merveilleusement. Ainsi, aux mêmes Sandwich, où les femmes stériles seraient au nombre de 48%, neuf familles de missionnaires comptaient soixante-deux enfants.
Les Maoris, qu’il ne faut pas confondre avec les Morioris, Bien qu’ils appartiennent les uns et les autres à la grande famille polynésienne, sont les habitants de la Nouvelle-Zélande ; mais ils présentent une telle variété de traits, de teint et de chevelure, comme l’a si bien signalé Colenso, l’un des premiers colons néo-zélandais, dans les Transactions, que l’on ne saurait mettre en doute le mélange des races avec prédominance cependant du sang noir. Ils sont d’une taille élevée et fortement constitués. Leurs traits sont parfois réguliers et rappellent les plus beaux types européens ; parfois, au contraire, ils se rapprochent du type nègre. Leurs cheveux sont tantôt lisses, tantôt bouclés, et parfois aussi franchement laineux ; enfin, comme teint, on trouve, à côté d’individu d’un blanc tirant sur le jaune et à cheveux lisses, des hommes noirs à cheveux laineux et des hommes basanés aux cheveux crépus. Des recherches d’un grand nombre de savants, il paraît à peu près avéré qu’ils ont été contemporains de ces oiseaux gigantesques, brévipennes, aujourd’hui éteints, auxquels les indigènes ont donné le nom de moas, et qui, incapables de voler en raison même de leurs ailes rudimentaires, remplaçaient les mammifères. C’est par milliers que l’on a recueilli leurs ossements fossiles dans la Nouvelle-Zélande, ossements appartenant à plusieurs espèces. La plus grande d’entre elles est bien connue maintenant sous le nom de Dinornis maximus, elle devait mesurer plus de 3 mètres de hauteur, atteignant quelquefois 4 mètres, et même les dépassant. Ces oiseaux présentaient une grande ressemblance avec l’autruche et le casoar, et, d’après les plumes que l’on a retrouvées, on peut dire que leurs teintes étaient variées de brun rougeâtre, de noir et de blanc, Nous ne suivrons pas M. de Quatrefages dans la description de ces animaux ; nous dirons seulement que les moas ont été détruits par les Maoris dans des pièges immenses, non pas pour assouvir leur faim, mais uniquement pour le plaisir d’une hécatombe absurde et imprévoyante. Leur destruction cependant n’explique en rien le cannibalisme de ces peuplades, « qui mangeaient des hommes en même temps que des moas », non pas pour se nourrir de chair humaine, mais pour « dévorer l’ennemi vaincu ».
L’une des questions sur lesquelles M. de Quatrefages a surtout insisté, comme un des résultats les plus importants obtenus par l’Institut de la Nouvelle-Zélande, touchant l’histoire des races néo-zélandaises, est celle des chants historiques conservés chez les Maoris par les Tohunqas ou Hommes sages, qui représentaient ici les Arépos de Tahiti. C’est grâce à ces archives vivantes qu’on a pu reconstruire, dit-il, l’histoire des indigènes, préciser, il bien peu près, l’époque de la première arrivée des Polynésiens sur cette terre si distante de leurs autres centres d’habitation et déterminer leur point de départ. Ainsi les premiers immigrants polynésiens vinrent à la Nouvelle-Zélande des Iles Manaïa, dans les premières années du XVe siècle, c’est-à-dire postérieurement au peuplement de Tahiti, des Sandwich, des Marquises ; mais ils avaient été précédés par une autre population de race fort différente, de race papoua, qui s’est mêlée à eux et a donné naissance à de nombreux métis. Le Muséum possède des crânes de Maori papoua et de Maori polynésien (fig. 30), de même que les têtes desséchées d’un chef maori papoua (fig. 31) et d’un chef maori polynésien (fig. 32). La première au nez saillant, à la chevelure franchement laineuse à la peau noire, aux tatouages dont le nombre, la complication et l’étendue attestent qu’elle appartenait à un chef occupant un rang élevé, comme celle, du reste, qui est représentée par la figure 32. En effet, ce tatouage, consistant en des lignes à la fois élégantes et bizarres qui, par leur multiplicité, finissaient par couvrir la figure entière des chefs, n’était pas simplement le fait de la coquetterie ; il parait avoir eu encore une signification plus haute, et, comme le dit M. de Quatrefages, il était chez les Maoris une sorte de blason.
Mais, de même que les autres races dont nous avons déjà parlé dans le cours de cet article, les Maoris sont en voie d’extinction rapide. Du chiffre de 109000, auquel leur nombre était déjà descendu en 1849, il s’abaissait en 1858 à 55970 en 1874, à 45 470 et en 1877, M. Barstow, dans les Transactions, n’en trouvait plus que 30 000 ! et cela toujours par suite de guerres d’exterminations, par suite de redoutables épidémies, par suite enfin de ce mal mystérieux, dont parle M. de Quatrefages comme ayant une influence prépondérante sur la mortalité, par suite enfin d’une natalité allant chaque jour en s’affaiblissant.
Les deux dernières études du livre de M. de Quatrefages sont consacrées à des populations fort différentes des précédentes et fort éloignées d’elles aussi. La première nous conduit en Asie, chez une très petite tribu des monts Nilghéries, chez les Todas, Todars, Thautawars ou Todaurs, comme on les appelle encore. Ce peuple, pasteur par excellence, sans armes de chasse ou de guerre, vit sur un plateau isolé et accidenté à une altitude d’environ 7000 pieds, où il a été précédé par un peuple qui n’a laissé aucune trace dans les plus anciennes traditions, mais dont l’existence est attestée par des monuments analogues à ceux que l’on rencontre sur tant de points du globe, par des cairns, par quelques rares cromlechs et de nombreux cercles de pierre.
Contrairement à ce que nous avons vu aussi pour les races précédentes, les Todas, loin de s’éteindre, semblent manifestement en voie d’accroissement. C’est ainsi qu’en vingt ans le nombre des membres qui constituent cette tribu a plus que doublé. De 337 individus dont elle se composait en 1847, elle s’était élevée, en 1867, à 704, dont 455 du sexe masculin et 249 du sexe féminin, et cinq ans plus tard, en 1872, Mme Janssen, la femme de l’éminent astronome, qui avait accompagné son mari dans l’Inde, où il allait observer une éclipse totale de soleil, estimait à 800 environ le chiffre de cette population.
Enfin le dernier chapitre nous ramène en Europe, chez les Finnois de la Finlande, dont M. de Quatrefages étudie les caractères distinctifs et les ressemblances crâniologiques avec certaines races fossiles, l’industrie et les mœurs, leurs remarquables instincts poétiques, d’où est sortie la célèbre épopée finlandaise, le Kalevala, si bien traduit par M. Léouzon-Leduc.
De ces études anthropologiques, nous n’avons pu donner à nos lecteurs qu’une analyse succincte. On nous saura gré d’avoir insisté sur l’importance d’une œuvre dont l’auteur est à juste titre considéré comme le plus illustre parmi les anthropologistes.