Objets ethnographiques de l’Asie centrale

G. Capus, La Nature N°475 — 8 juillet 1882
Vendredi 16 décembre 2011

Pendant le voyage d’exploration que nous venons d’effectuer, M. G, Bonvalot et moi, dans le Turkestan, le Bochara, le chanat de Chiva et la steppe turcomane (Oust-Ourt), voyage qui a duré dix-neuf mois et dont l’itinéraire est tracé sur la carte ci-dessus (fig. 1), nous avons souvent eu occasion de connstater les effets et les traces que le combat des civilisations successives qui ont envahi l’Asie centrale ont laissé sur ce sol, probablement le berceau de nos ancêtres. En proie aux invasions plus ou moins heureuses ries conquérants grecs, mongols, persans, turcs et slaves, ce foyer des révolutions a gardé du passage de chacune des peuplades conquérantes des traces que l’on retrouve aujourd’hui dans les langues, les mœurs et la religion, les arts et l’industrie. Les pratiques zoroastriennes de quelques peuplades montagnardes, les légendes d’Iskander (Alexandre le Grand) et les monnaies à l’effigie des fondateurs du royaume gréco-bactrien, les superbes édifices que l’art persan, plus ou moins mêlé d’élément étranger, a créés à Samarcande, Bochara, Kokâne, Schaar, i-Samàne, etc., jusqu’au samovar et aux cartes à jouer que nous avons rencontrés dans quelques bazars du Sehaar-i-çabz, de Bochara et de Chiva, rappellent le passage des éléments qui ont contribué à élever les peuples de l’Asie centrale au degré de civilisation qu’ils ont atteint aujourd’hui.

Il semble que, pour les peuples d’origine iranienne, le niveau actuel ne puisse être de beaucoup dépassé, tandis que les peuples d’origine turco-mongole, tels que les Khirghizes et les Turcomans, ayant plus de force intellectuelle et plus d’initiative, paraissent avoir plus d’avenir.

Nous avons pu rapporter de l’Asie centrale des dessins et des descriptions de presque tous les objets et ustensiles dont se servent les Khirghizes, les Tadjiks de la plaine et de la montagne, les Sartes, les Ouzbegs, les Turcomans, etc. Nous avons reproduit sur la figure 2 quelques vases et instruments d’un usage très répandu. Certaines poteries rappellent par l’élégance de leur forme les amphores et les vases grecs. Il y a un siècle on travaillait admirablement le cuivre : les aiguières, coupes couvertes d’arabesques, etc., qui datent de cette époque sont d’un grand fini de travail. Chaque ville importante avait quelques maîtres dont le talent était apprécié de Chiva à Caschgar et à Caboul. Aujourd’hui le travail est grossier et sans originalité, c’est un pâle reflet des belles œuvres des anciens maîtres. Les instruments agricoles sont en général très primitifs ; la charrue (fig. 2, n° 8) en est un exemple : c’est un simple tronc de bois coudé, à l’extrémité inférieure duquel on adapte un coutre en fer (n° 9). Par des raisons d’économie (le fer est apporté à dos de chameau de Russie), le laboureur enlève le coutre après le labour et le garde à l’abri des accidents et des voleurs. Les Sartes possèdent une grande habileté à travailler le bois à l’aide d’une petite hachette (n° 11), Ils se servent du même modèle, à dimensions plus grandes, pour l’équarrissage de gros troncs d’arbres.

Nous avons réuni sur la figure 3 un certain nombre d’instruments dl’ musique de l’Asie centrale.

Le rabôob (n° 1) est un instrument du Badakschàne : il a vingt et une cordes dont trois pour le doigté ; les autres pour la résonance. Nous ne saurions entrer ici dans les détails de la structure compliquée de cet instrument, qui est un des plus harmonieux et des plus remarquables que nous ayons rencontré.

Le kaousse (n° 3) est un instrument d’accompagnement pour les rapsodies ; il est surtout répandu à Bochara et à Taschkent. On en joue avec l’archet tendu (n° 14) ou l’archet non tendu (n° 15). Les cordes, formées d’un assez gros faisceau de crins de cheval, donnent des sons rauques et ronflants.

Le ridjak (n° 4) est joué à l’instar du violoncelle ; la boite de résonance est faite d’un fond de courge. Il donne, sous l’archet, des notes criardes, aiguës, pénétrantes.

Le kanoûne est un instrument caschgarien, espèce de grande cithare à trente-six cordes en boyau.

Le doutôr (fig. 3, n° 8)et le tamboûr (fig. 3, n° 9) sont, avec le ridjak, les instruments les plus répandus dans les différentes régions du Turkestan.

Le tamboûr est généralement pincé, parfois joué avec l’archet. L’ensemble de ces deux instruments, le premier avec ses cordes en hoyau, celui-ci avec des cordes métalliques, est, dans des mains habiles, très harmonieux même pour une oreille habituée à notre gamme. Les fifres et les flûtes sont surtout répandus dans le Chiva. Signalons encore un petit instrument dont se servent les Khirghizes, plus pauvres en instruments de musique que les Sartes (nous avons trouvé chez les Khirghizes du Tehotkal une espèce de mandoline à trois cordes, appelée tchertmèk. C’est (n° 7) une simple lame métallique vibrant dans l’anse d’un petit barreau de fer recourbé en fer à cheval. Cet instrument est placé entre les lèvres, et la lame qu’on fait vibrer avec les doigts, détermine un changement du timbre des notes chantées. C’est un instrument répandu également parmi les femmes sartes. On rencontre un joujou analogue dans nos campagnes.

Les Sartes emploient dans leurs industries quelques instruments fort remarquables.

G. Capus

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