Livingstone, dans ses étonnants voyages, au centre du continent africain, a découvert, chemin faisant, la vraie orographie de l’Afrique australe. Elle est des plus simples. À partir du 15° de latitude méridionale environ l’Afrique forme un immense plateau déprimé au centre et bordé, vers les côtes, de collines ou de montagnes plus ou moins élevées. Le mur montagneux, qui enclot ce grand cirque, est coupé par de nombreuses brèches donnant issue vers les océans aux fleuves principaux. Le centre est une vaste plaine légèrement ondulée, dont le sol est souvent formé d’un sable fin, siliceux. Cette plaine centrale, fort mal arrosée, renferme un grand lac à fond plat, le lac Ngami, dont la circonférence très variable, selon les saisons, serait, en moyenne, d’après Livingstone, de 100 kilomètres. Beaucoup d’autres réservoirs, de moindre dimension, restent à sec pendant la saison chaude et forment alors des salines, qui ont parfois 30 kilomètres de circonférence. L’eau du grand lac Ngami même, douce en mars et en avril, quand le lac déborde, devient saumâtre, plus tard, quand il se concentre, alors que tous ses affluents sont desséchés. Naturellement le règne végétal suit ces grandes variations hydrologiques. Pendant les pluies, les grandes herbes, les sauges, les amaryllis, etc., foisonnent, les mimosas blanche-épine, les acacias généralement buissonneux poussent à l’envie. Le pays prend une teinte verte, luxuriante et est parcouru par des troupeaux d’antilopes, de buffles, de gnous, aussi des éléphants, en un mot par toute la faune exubérante de l’Afrique centrale. Pendant la saison sèche, la scène change, ce n’est plus un désert aride, une sorte de Sahara méridional. C’est le désert de Kalahari. Nous avons vu que vers les côtes, à l’est aussi bien a l’ouest, le sol s’exhausse. C’est vers le sud-est que cette sorte de circuit montagneux atteint sa plus grande altitude. En effet, du Cap de Bonne-Espérance jusqu’à la baie de Lagoa, une grande arête montagneuse, souvent bien boisée et bien arrosée, surtout dans sa partie moyenne, suit parallèlement le rivage dont elle reste distante d’une cinquantaine de lieues en moyenne. Cette chaîne forme la principale ligne de partage des eaux dans le sud de l’Afrique. Sur son versant du sud-est, coulent des fleuves nombreux mais peu importants, à cause de la brièveté de leur cours. Sur le versant du nord-ouest les fleuves sont bien plus considérables. Il faut citer parmi eux le grand fleuve Orange qui coupe transversalement presque toute cette extrémité de l’Afrique et va porter ses eaux à l’Atlantique. Il reçoit en route, sur sa rive droite, d’importants affluents, entre autres le Gariep ou Waal et le Kruman. L’Orange forme actuellement la limite actuelle de la colonie du Cap. Notons, pour mémoire, les autres établissements anglo-hollandais de cette région. Ce sont la terre de Natal et la Caffrerie anglaise, cette dernière constituée en colonie distincte, par lettres patentes de 1860 enfin deux autres petits États fondés par les Boers hollandais, la république d’Orange et celle de Transwaal.
Dans toutes ces colonies, celle du Cap exceptée, la population blanche est très clairsemée. En 1861, elle se composait seulement de 11950 individus à Natal et de 6705 individus dans la British Caffreria [1]. Ces rares colons sont noyés au milieu d’une population indigène dix fois plus nombreuse dont nous avons surtout à nous occuper [2].
L’ethnologie de l’Afrique australe est aussi, simple que son orographie. Deux types indigènes se partagent assez également la contrée le type hottentot et le type caffre. Le premier occupe surtout la région occidentale, le second la région orientale. Dans le nord, le désert du Kalahari sépare les deux races. Néanmoins un groupe d’origine caffre, le groupe des Damaras, a traversé ce désert et s’est établi au nord de la Hottentotie, entre les 20° et 24° de latitude.
Quoique voisines et depuis des siècles constamment en contact guerrier ou pacifique, les deux races hottentotes et caffres se distinguent l’une de l’autre par de nombreux caractères physiques et moraux.
Le Hottentot est de petite taille, cinq pieds à peine, dit Burchell. Sa peau est d’un brun jaune et de nuance assez claire pour laisser parfois poindre sur les joues une teinte légèrement rosée. La barbe est rare et laineuse. Les cheveux, laineux aussi, sont clair-semés, plantés par touffes sur le cuir chevelu. La racine du nez est à peine saillante et le nez moins proéminent que les lèvres lippues. L’orifice palpébral est oblique comme chez les Chinois les pommettes sont saillantes le menton est extrêmement rétréci, long et pointu. Les mains et les pieds sont très petits, féminins comme toute la personne.
Cet ensemble de caractères, commun à toutes les tribus des Hottentots, s’accentue encore plus chez les plus sauvages d’entre eux, les Bojesmans ou Bushmens, (hommes des buissons), errant par famille, sans maisons, sans asiles, se blottissant dans les cavernes, dans le creux des rochers, sous les arbustes, vivant de larves, de fourmis, de serpents, de racines, parfois des pièces de gibier ou de bétail, qu’ils tuent avec des flèches empoisonnées.
Disons, pour achever le portrait du Hottentot, qu’en général il mène une vie nomade et pastorale, habitant sous des huttes mobiles et se déplaçant suivant ses besoins d’eau et de pâturages. Les tribus Hottentotes sont fort peu nombreuses leur industrie est si peu avancée que le plus souvent elles achètent leurs ustensiles de fer aux Caffres, étant incapables de les fabriquer elles-mêmes. Néanmoins les Hottentots ont su résister, à la race caffre, ce qu’il faut attribuer pour une grande part à un fait particulier, intéressant à noter, car il montre combien, chez les peuples sauvages ou primitifs, les habitudes changent lentement et difficilement.Si le Hottentot a pu soutenir la lutte pour l’existence contre le Caffre, plus fort, plus hardi, plus civilisé, c’est qu’il se sert habilement de l’arc et de la flèche, souvent de la flèche empoisonnée, tandis que depuis des siècles le Caffre n’a d’autre arme de jet qu’une sagaie.
Nous connaissons maintenant dans leurs traits généraux et la patrie du Caffre et le compétiteur qu’il y rencontre, nous pouvons donc aborder, sans plus tarder, son étude anthropologique.
Disons d’abord que la dénomination Caffre est absolument vicieuse et peu ou point en usage parmi les indigènes. Caffre on Kaffir signifie simplement infidèle c’est une appellation usitée par les musulmans du Mozambique pour désigner les populations non mahométanes du littoral de l’Afrique australe. Aux yeux des musulmans, nous Européens, sommes aussi des Kaffirs, et l’on sait qu’il existe dans l’Afghanistan un petit peuple blanc, aux yeux bleus et aux cheveux blonds, qui porte le nom de Kaffirs par la même raison. Néanmoins la dénomination de Caffre, doit être conservée. Elle a conquis, dans le langage, le droit de cité. Elle est même acceptée par un bon nombre de tribus nègres de l’Afrique méridionale. Nous allons préciser seulement le sens restreint qu’il convient de lui accorder.
Nous avons vu que toute la région occidentale de l’Afrique australe est occupée par des hommes de race hottentote, Au contraire, toute la région orientale, du Zambèze à la colonie du Cap, est habitée par des hommes de race nègre, semblables ou analogues entre eux par Ies traits physiques, les mœurs et le langage. Les très nombreuses tribus disséminées sur l’immense espace que nous avons désigné portent chacune un nom spécial, sont indépendantes les unes des autres, en lutte perpétuelle entre elles, comme il arrive chez tous les groupes humains peu civilisés néanmoins, on peut les rattacher en deux grandes subdivisions ethniques, celle des Béchuanas et celle des Cadres proprement dits. Naturellement les limites géographiques de ces deux agglomérations d’hommes ne sont pas très précises, pourtant l’arête montagneuse orientale, que nous avons désignée comme étant la ligne de partage des eaux, peut aussi être regardée comme la ligne de démarcation des Béchuanas et des Caffres.
La Béchuanasie occupe le versant occidental la Caffrerie occupe le versant oriental et a pour limites, au nord le Zambèze, au sud la rivière du Grand-Poisson, à l’est le rivage de l’Océan. Chacune de ces deux subdivisions ethniques est constituée par de nombreuses tribus signalons dans la Béchuanasie, les Béchuanas proprement dits, qui confinent aux Hottentots, puis à l’est et au nord-est, les Bassoutos, les Bakouains, les Barolongs, les Maroutzis, les Métébélès, les Makololos, noms qu’il faudrait écrire en deux mots, car leur première syllabe Ma ou Ba n’est qu’un article (Métébélès Mé-Tébélès,les Tébélès). De même, les indigènes de la Caffrerie proprement dite se subdivisent en Amapondas, Amakosas, Zoulous ou Ama-Zoulous, ou Zoulas, etc.
Pour n’avoir plus à nous occuper que des traits communs à tous ces peuples, signalons d’abord les quelques différences qui les distinguent. Les habitants de la Béchuanasie sont plus petits, plus faibles, moins noirs que ceux de la Caffrerie proprement dite. Ils seraient aussi moins hardis, moins généreux. Ils ont des serfs appelés Balalas, Sauneys, qui leur servent, soit de bêtes de somme, soit de chiens de chasse et ne sont pas mieux traités que ces animaux. Les différences morales ou sociales varient d’ailleurs beaucoup selon les tribus. Les différences physiques doivent vraisemblablement s’attribuer à des mélanges plus ou moins intimes avec les Hottentots limitrophes.
Ces petites réserves faites, les indigènes orientaux de l’Afrique australe, ont assez d’homogénéité physique et morale pour qu’on les puisse décrire en bloc.
Les anthropologistes, que poursuit, comme une idée fixe, la manie de faire sortir de l’Asie toutes les races humaines, ont longtemps prétendu que les populations dont nous parlons avaient une origine arabe et des traits caucasiques ; mais les nombreuses relations publiées depuis quarante ans par les explorateurs de l’Afrique australe et l’étude des crânes de nos musées ont anéanti ce roman.
L’indigène de la région sud-orientale de l’Afrique appartient incontestablement à la race nègre. Il en a la peau noire ou d’un brun foncé, les cheveux crépus, le nez épaté, les grosses lèvres, le prognathisme. Cela est vrai pour les habitants de la Béchuanasie, aussi bien que pour ceux de la Caffrerie proprement dite. Au dire de tous les voyageurs, ces nègres sont vigoureux,bien musclés, de haute taille. Sur ce dernier point, nous manquons malheureusement de documents précis, mais telle été l’impression unanime des explorateurs. Un individu dont le crâne est conservé au Muséum avait une taille de 1,78m.
Grâce à l’obligeance de M. le docteur Bertillon, qui a bien voulu nous communiquer les résultats d’une minutieuse étude crâniométrique faite par lui comparativement sur des crânes caffres, hottentots et parisiens, nous pouvons donner ici les caractères crâniologiques du nègre caffre.
Les chiffres que nous allons citer résultent de mensurations prises sur des crânes caffres, dont quatre appartiennent à la collection du Muséum et trois à la Société anthropologique. L’un de ces trois derniers crânes provient d’un nègre né à Natal, les deux autres ont appartenu à des nègres de Mozambique. Les sept crânes sont des crânes d’adultes mâles de 30 à 45 ans. Les crânes hottentots comparés appartiennent tous au Muséum. Ils sont au nombre de six, se décomposant ainsi : un crâne de femme âgée, le crâne d’un homme âgé de 50 ans, un crâne de Hottentot Namaquois de 23 à 25 ans, trois crânes de jeunes sujets, d’environ 20 ans.
Tous les crânes caffres ont les attaches musculaires saillantes, les apophyses très marquées, les contours du crâne et de la face heurtés, les maxillaires volumineux.
Au contraire les crânes hottentots, quels que soient leur âge et leur sexe, ont une physionomie féminine, même enfantine. Leurs os sont minces, leurs contours arrondis, leurs arêtes et leurs apophyses sont effacées. La face est petite, les maxillaires exigus. Les os du nez sont assez développés, mais singulièrement aplatis, cachés entre les maxillaires.
Hottentotes et Caffres sont dolichocéphales, mais inégalement, puisqu’on a pour indices céphaliques moyens 75,4 chez les Caffres, et 76,2 chez les Hottentots. Le même indice moyen chez les Parisiens est de 78 à 79.
Le même indice déterminé par M. H. Welcker chez deux crânes caffres, d’après sa méthode (Voy. BRACHYCÉPHALES), n’était que de 64,5, d’où, en faisant la correction, on a 66,3 ou 67,5.
La capacité crânienne, évaluée en centimètres cubes, varie comme il suit chez le Hottentot, le Caffre et le Parisien.
Elle est en moyenne de 1170 centimètres cubes seulement chez les premiers et atteint 1455 centimètres cubes, chez le second, 1462 centimètres cubes chez le troisième.
Des nombreuses mensurations relevées par M. le docteur Bertillon, il résulte que la diversité des types s’accuse encore plus nettement alors que l’on étudie les détails de la conformation crânienne. Ces mensurations se peuvent classer en rayons, en angles et en courbes extérieures mesurées au ruban. Les angles et les rayons partent tous d’un point central qui est le milieu du diamètre transverse bi-auriculaire (point 0).
Ces mesures, minutieusement et méthodiquement prises, montrent que, pris dans son ensemble, le crâne caffre est très développé,puisque chez lui tous les rayons auriculaires aboutissant à la circonférence crânienne verticale antero-postérieure l’emportent sur les rayons correspondants du crâne parisien. Pourtant il est important de noter que cet excès est inégalement réparti. Les rayons faciaux surtout prédominent à cause du prognathisme considérable du crâne caffre, Puis l’excès de longueur s’atténue vers le bregma pour s’accentuer à nouveau dans la région cérébelleuse particulièrement développée chez le Caffre, si développée même que le plan tout entier du trou occipital descend chez lui à 6 millimètres au-dessous du môme plan chez le Parisien. De là vient chez le Caffre la grande hauteur verticale crânienne du bregma au trou occipital, quoique néanmoins la hauteur verticale du cerveau proprement dit soit assez peu considérable.
L’étude des rayons auriculaires aboutissant aux divers points de la circonférence transverse verticale, joignant les racines zygomatiques des deux côtés, apprend de son côté que le crâne caffre est plus haut et plus étroit que le crâne parisien.
La détermination des mêmes rayons sur le crâne hottentot met en relief l’extrême petitesse de ce crâne, qui, inférieur partout en dimension aux crânes caffres et parisiens, est surtout caractérisé par l’extraordinaire petitesse de la face, dont les proportions rappellent beaucoup la face de l’enfant européen.
Le tableau suivant permet de comparer d’un coup d’œil la longueur des principaux rayons auriculaires de la courbe verticale antéro-postérieure dans les trois races :
La comparaison des angles auriculaires verticaux et transversaux n’est pas non plus sans intérêt. Il en ressort que, chez le Hottentot, la face est fort peu développée et qu’au contraire la région cérébro-frontale est très développée d’avant en arrière ; ce qui, d’ailleurs, est compensé par un grand rétrécissement latéral. Enfin ces angles montrent que, chez le Caffre, le département frontal est moins développé que chez le Parisien, tandis que la relation est inverse pour les départements pariétaux et cérébelleux.
Enfin la comparaison des courbes crâniennes mesurées an ruban achève de démontrer que le crâne cérébral parisien est plus développé que le même crâne caffre, et qu’il l’emporte surtout dans la région antérieure.
Après avoir achevé, autant que le permettent les documents actuellement connus, la description physique du nègre de l’Afrique méridionale, il nous reste à parler de ses mœurs, de ses caractères moraux et intellectuels, car, pour être complète, toute étude anthropologique doit embrasser le côté vivant, dynamique aussi bien que le côté mort ou statique. Ce que nous allons maintenant exposer s’applique indistinctement à toutes les populations noires du Sud-Est africain, Caffres ou Béchuanas, à quelques variantes près. Pour la commodité du langage nous désignerons toutes ces agglomérations d’hommes par le nom commun de Caffres.
Quelques philosophes, entre autres Helvétius et Condorcet, ont essayé de caractériser les phases par lesquelles passe l’évolution progressive des sociétés humaines. Les hommes, ont-ils dit, sont d’abord chasseurs, puis pasteurs, enfin agriculteurs. Il y aurait bien à critiquer cette classification, car l’évolution des sociétés humaines est subordonnée à nombre de hasards et surtout aux conditions que lui fait le milieu physique où elle s’effectue. Néanmoins la classification est souvent vraie d’une façon général, mais il faut admettre que ces modes de vivre principaux s’engrènent, passent graduellement de l’un à l’autre et souvent cœxistent. À ce compte les Caffres seraient en voie de passage de la phase pastorale à la phase agricole. Comme tous les indigènes de la giboyeuse Afrique, ils sont chasseurs pour une bonne part. Ils traquent avec l’aide de chiens affamés les ruminants et les solipèdes, buffles, zèbres, gnous, antilopes, même l’éléphant, le rhinocéros et l’hippopotame ; ils creusent des fosses et tendent des pièges à ces animaux, surtout au voisinage des cours d’eau. Ils luttent même avec le lion, mais à leur corps défendant, pro domo sua. De plus les Caffres sont pasteurs, et agriculteurs, mais surtout pasteurs. Soigner les vaches est chez eux la première, la plus noble des occupations. La vache, c’est la perle à poil ; aussi c’est l’homme qui mène paître ce précieux animal, qui le traie, qui en travaille la peau avec laquelle on fera les vêtements de la famille. Disons à ce propos que ces vêtements sont fort simples. La pièce principale, souvent unique, est un grand manteau de cuir, le kaross. Les deux sexes le portent, et en plus diverses ceintures ou jaquettes dont usent surtout les femmes. Plus on approche de l’équateur, plus la température s’élève, plus aussi la pudeur diminue, aussi la nudité complète n’y choque plus personne.
Si l’élève de bétail est chez les Caffres l’occupation principale, l’agriculture n’est pourtant pas négligée. Dans certaines tribus les deux sexes s’y adonnent, mais presque partout les travaux agricoles sont exécutés par les femmes. Ce sont elles, qui fouillent le sol avec une mauvaise bêche, à quelques pouces de profondeur, pour y semer le sorgho ou maïs africain (Holcus Cafrorum, Holcus Sorghum), sorte de maïs ou de millet à grappes paniculées. À côté du sorgho on cultive encore le melon d’eau, la canne à sucre, le tabac, les arachides ; enfin, quelques tribus ont récemment essayé de cultiver le froment. Quand le sol devient moins fécond, quand il a vieilli, il est laissé en jachères. Cultiver le sol n’est pas la seule besogne de la femme Caffre. Elle est aussi architecte : c’est elle qui bâtit avec des pieux en bois les enclos, les maisons où toute la famille couche sur des peaux de bœuf. Ces cabanes sont invariablement circulaires, à toit débordant supporté par des poteaux.Elles sont hémisphériques ou cylindro-coniques et toujours entourées d’une palissade. Un fait curieux, c’est que la forme circulaire est invariablement adoptée par les Caffres dans toutes leurs constructions, clôtures ou enclos à bétail. Jamais, dit Livingstone, on ne peut obtenir d’un Caffre une construction carrée. Que l’on vienne après cela reprocher aux abeilles la forme perpétuellement hexagonale de leurs alvéoles ! La femme est en outre le vannier et le potier de la famille. Elle tresse des grands paniers où l’on entasse la réserve de sorgho, des petits paniers à tissu tellement serré qu’ils peuvent tenir le lait. Elle cuit, mais à demi et fort mal, des poteries grossières, faites à la main, sans anses. Enfin elle est parfois brasseur et tire du sorgho une boisson fermentée.
Pour finir la description des villages caffres, disons que les huttes sont toujours groupées autour d’un enclos circulaire où l’on enferme le bétail. Aussi tout village caffre a l’aspect d’une vaste grange à l’air libre, entourée de meules de blé. À côté de l’enceinte pour les bestiaux, il en est une autre plus petite,c’est la Cotla, le forum caffre, où les hommes s’assemblent pour causer ou discuter les affaires publiques. Les femmes ne sont pas ordinairement admises dans la Cotla. Les jeunes gens n’y sont reçus qu’après avoir subi la circoncision et une sorte d’initiation, pendant laquelle on leur enseigne, avec accompagnement de flagellation, les traditions, les poèmes, les règles morales de la tribu.
L’organisation sociale de chaque tribu des Caffres est fort simple, c’est une grossière hiérarchie féodale dominée par un monarque absolu, dont l’autorité est tempérée par des représentations. Chaque homme est le chef de sa famille ; maître sans conteste de ses femmes, qu’il achète, maître de ses enfants, jusqu’au moment où son fils aîné est assez grand pour partager l’autorité paternelle. Chaque père de famille relève ordinairement d’un suzerain, près la Cotla duquel il a placé sa case. Enfin ce suzerain lui-même obéit au chef la tribu. Celui-ci est le maître suprême. C’est lui qui partage les terres de la tribu suivant les besoins de chacun, car la propriété territoriale est commune en Caffrerie. C’est lui qui conduit les hommes à la chasse et à la guerre, qu’il décide lui-même, car il est investi du droit de paix et de guerre. Pourtant ce roitelet, qui parfois domine dans des villes de huit à dix mille habitants, ne prend pas habituellement une décision importante sans convoquer une assemblée nationale ou Pitsho. Dans ces assemblées les orateurs parlent avec la plus grande liberté. Le roi doit tout entendre sans s’irriter. Il a pour se consoler le droit le ne point tenir compte de l’opposition, qui lui est faite.
Les rois caffres sont nécessairement riches, maîtres de troupeaux nombreux, car ils sont les grands pourvoyeurs de la tribu et ne prélèvent pas d’autres impôts réguliers qu’une part dans le gibier tué ou dans le butin guerrier. Il faut y ajouter les amendes infligées par eux aux condamnés, quand on a recours à leur justice, mais ces cas sont relativement rares, car le code caffre est purement traditionnel et fort élémentaire. Il ne punit qu’un petit nombre de crimes on de délits. Le vol est assez régulièrement châtié par l’amende et même la mort. L’adultère est assez souvent réprimé, mais simplement à titre de vol, car les mœurs sont loin d’être sévères. En revanche la vie humaine est fort peu protégée. Le mari peut tuer sa femme pour les motifs souvent les plus futiles. Le meurtre se produit dans les villes et villages caffres presque pas de sensation ; chacun se défend comme il peut et se venge à sa guise.
Comme il arrive dans toutes les civilisations primitives, la guerre est perpétuelle entre les diverses tribus. L’enlèvement du bétail d’autrui en est la raison ordinaire et l’on y procède par la ruse, la trahison, les embûches. La magnanimité caffre n’a jamais existé, que dans l’imagination de quelques voyageurs mal informés. C’est presque toujours pour voler le voisin que l’on saisit le bouclier en cuir de bœuf, la lance et le javelot à pointe en fer. De là une instabilité extrême dans les divisions ethniques de la Caffrerie, un état social horrible, mais intéressant à étudier, car il n’est pas de société humaine, qui n’ait eu à le traverser. Nulle tribu n’est sûre de son lendemain ; aussi les villes les plus grandes sont subitement abandonnées par leurs habitant, qui, redoutant une invasion,transportent ailleurs leurs pénates. Souvent la tribu est assaillie à l’improviste, alors la ville est détruite par les envahisseurs, le bétail enlevé, les habitants massacrés sans distinction, les enfants même sont égorgés ou brûlés vifs. Assaillis et assaillants sont également féroces. Moffat a vu lui-même à Littakou dans la Béchuanasie, après qu’une armée d’invasion eut été repoussée par le courage et les balles des métis Griquas, les Béchuanas se ruer comme des bêtes fauves sur les prisonniers et les blessés, les massacrer, décapiter les femmes, quand leurs colliers tenaient trop fort à leur cou ; cependant les femmes Béchuanas assistaient impassibles à cette boucherie.
Après un désastre de ce genre, la tribu vaincue est souvent radicalement ruinée et rayée de la liste des nations caffres. Les débris échappés à la destruction, parfois se réorganisent, parfois se fondent dans les tribus voisines, parfois retournent à la sauvagerie la plus complète, même à l’anthropophagie. D’autres fois, leur nombre est encore respectable, les vaincus émigrent en masse, se jettent à leur tour sur une tribu voisine et ainsi de suite, d’où un enchaînement de massacres et de ruines s’échelonnant à des centaines de lieues de distance.
Souvent le chef de la horde victorieuse s’assujettit les vaincus ainsi que leurs voisins terrifiés, et forme ainsi des monarchies despotiques comptant parfois soixante ou quatre vingt mille individus.
L’état de barbarie sociale, que nous venons de décrire, est nécessairement le fait d’une race peu élevée dans la hiérarchie du genre humain. C’est ce que confirme encore mieux l’analyse des penchants dominants chez le Caffre.
Chez lui ce sont évidemment les besoins nutritifs, qui priment tons les autres. Se gorger de viande est pour le Caffre la grande affaire et le plaisir des plaisirs. Parmi les faits nombreux que nous pourrions citer à l’appui de cette assertion, nous n’en choisirons qu’un, mais il est caractéristique. Moffat, entrant dans les États de Mossélé-Katsi, despote des Métébélès, en reçoit, comme présent de bienvenue, une jatte de sang frais, qu’il abandonne naturellement aux porteurs, lesquels, sans se faire prier, se mettent à laper comme des chiens le précieux breuvage.
Le côté artistique est nécessairement peu développé. Il se manifeste seulement par un amour forcené de la dame, plaisir que l’on mêle à tout, que l’on prend au son d’un tambour formé par une peau tendue sur une calebasse et qu’accompagne le son de la lyre monocorde du Hottentot (Gorach). M. Cazalis remarque que dans la musique caffre les demi-tons manquent toujours, et ce trait a aussi été noté chez les races mongoliques.
Nous avons vu que chez le Caffre la magnanimité est absente ; la sensibilité, la compassion, la charité font également défaut. Malades, blessés, infirmes et vieillards sont abandonnés. Les morts sont traînés dans la campagne et abandonnés à la dent des bêtes fauves. Parfois on rencontre un fils traînant ainsi hors de la ville, à l’aide d’une courroie, le cadavre de sa mère. C’est le privilège des chefs d’être inhumés dans la colta ou dans le parc aux bestiaux, et alors on a soin de leur tourner la face vers le nord. Tout nouveau-né difforme est mis à mort. On tue aussi un jumeau sur deux. Le même sort attend l’enfant à qui il arrive de faire les incisives supérieures avant les inférieures.
Au point de vue intellectuel, les Caffres paraissent un peu plus développés. Ils sont assez industrieux. Ainsi, la tribu des Marutsis, ruinée par une invasion des Métébélès, avait auparavant construit de vraies villes, avec enclos et maisons en pierre. Les maisons étaient toujours circulaires cet bâties suivant le plan usité en Caffrerie, mais elles étaient grandes et supportées par des colonnes ornées de cannelures. Les Caffres savent extraire et travailler le fer. C’est là un travail très estimé, et le forgeron ou médecin du fer est extrêmement considéré. Il prépare sa fonte en chauffant sur un âtre le minerai avec des charbons. La combustion est activée par le soufflet africain, composé de deux outres aboutissant chacune à un tube en terre et sur lesquelles on presse alternativement.
Tous les nègres du Sud-Est africain parlent des idiomes parents et se comprennent. Suivant M. Cazalis, cette langue est douce, expressive, métaphorique, riche en onomatopées. Les Bassoutos, dit-il, affectionnent les consonnes l et r ; les Caffres proprement dits usent surtout de la consonne z, Comment faire concorder cela avec une assertion de M. Max Muller, suivant lequel la lettre r manquerait aux Caffres ? Quoi qu’il en soit, les dialectes caffres diffèrent radicalement des langues hottentotes, tant par les mots que par l’absence du gloussement, qui commence la plupart des mots hottentots.
Les Caffres ont quelques poésies inspirées par les émotions de la guerre et de la chasse, mais complètement étrangères aux passions douces. Ils ont une numération rudimentaire ; ils divisent l’année en douze mois lunaires. Leur inaptitude aux travaux intellectuels est grande, mais elle n’étonnera que les personnes peu familières avec la psychologie des sauvages ; le fait suivant en donnera une idée. Burchell, étudiant la langue des Béchuanas-Bachapins, était obligé de renvoyer son maître de langue, quand il en avait obtenu l’indication d’une douzaine de mots. « Alors, dit-il, il cessait d’écouter, sa physionomie ne disait plus rien, et il semblait réduit à l’état d’un enfant dont la raison sommeille encore. Il se plaignait que sa tête lui faisait mal, etc. »
Signalons enfin un trait intellectuel maintes fois contesté, mais mis hors de doute par la relation de Livingstone et surtout par celle de Moffat, c’est l’absence complète d’idées religieuses chez le Caffre. Il faut lire à ce sujet le récit de Moffat, ses plaintes au sujet de la stérilité des efforts faits par lui pendant des années pour inoculer aux Béchuanas des idées religieuses. « Nulle prise sur eux, dit-il, nul vestige religieux, pas la moindre superstition. Vouloir les convaincre, c’était vouloir saisir un miroir poli, » etc. Tout en étant moins affirmatif, M. Cazalis rapporte des faits analogues au sujet des Bassoutos.
Le vieux dogme de l’universalité de la croyance en Dieu et à la vie future est donc fortement battu en brèche ce fait, duquel on pourrait rapprocher beaucoup d’autres.
Les rares renseignements médicaux que nous possédons relativement à la Caffrerie et aux Caffres nous ont été fournis par le docteur Livingstone. Suivant lui, l’albinisme est assez commun chez les Béchuanas ; en revanche, on n’y connaît presque pas la phtisie, ni la scrofule, ni la folie. Le cancer et le choléra y seraient totalement inconnus. Le docteur Livingstone affirme en outre que, dans l’intérieur de l’Afrique, la syphilis guérit spontanément. Les maladies habituelles des Béchuanas sont la pneumonie, les pleurésies, les phlegmasies des organes digestifs, les rhumatismes, les affections du cœur, la coqueluche, les ophthalmies. Pour combattre ces dernières, les indigènes emploient des ventouses appliquées sur les tempes à l’aide d’une petite corne d’antilope, par le procédé de la succion. Le climat de l’intérieur de l’Afrique australe serait, selon Livingstone, extrêmement sain et réparateur. La chaleur n’y est jamais étouffante ; les nuits y sont délicieuses. Dernier renseignement donné par Livingstone, et avant lui par d’autres explorateurs, les Caffres, surtout les Caffres béchuanas, pratiquent tantôt la vaccine, tantôt l’inoculation. Dans les deux cas, l’opération se pratique sur la peau du front, entre les yeux.
Nous terminerons ici notre petite monographie anthropologique, avec le regret d’avoir dû nous borner à enregistrer les faits généraux, à peu près communs à toute la race. Le lecteur curieux de détails, et il en est beaucoup de fort intéressants, devra se procurer les ouvrages suivants.
Bibliographie
- Bulletins de la Société d’anthropologie de Paris. Passim, et spécialement les tomes I, II, IV.
- La collection de The Anthropological Review of London. Passim. Le numéro d’avril 1869 contient de curieux détails sur les cavernes de cannibales au pays des Bassoutos. En outre Prichard : Histoire naturelle de l’homme.
- Kolbe (P.) : Description du cap de Bonne-Espérance. Amsterdam, 1743. Tr. française, 3 vol. in-12.
- Thunberg (C.P.) : Voyage au Japon par le cap de Bonne-Espérance, etc. 2 vol. in-8°. Paris, an IV (1796).
- Sparrmann (A.) : Voyage au cap de Bonne-Espérance et autour du monde avec le capitaine Cook et principalement dans le pays des Hottentots et des Caffres. 3 vol. in-8°. Paris, 1787.
- Le Vaillant : Voyage dans l’intérieur de l’Afrique par le cap de Bonne-Espérance. 2 vol. in-8°. Bruxelles
- Burchell : Voyage dans l’Afrique méridionale, 1810-1815.
- Thomposon : Voyage dans l’Afrique méridionale, 1823-1824
- Cooper-Rose. Quatre ans de séjour dans l’Afrique méridionale, etc.
- Campebell : Voyages dans l’Afrique méridionale, etc., 1820. (Ces cinq derniers ouvrages ont été publiés dans l’Histoire générale des voyages de Montémont.)
- Moffat (Robert) : Vingt-trois ans de séjour dans le sud de l’Afrique, etc. Paris, 1846, in-8°
- Cazalis (J. E.) : Les Bassoutos ou vingt-trois années de séjour et d’observations au sud de l’Afrique. Paris, 1859, in-8°.
- Baldwin (W.C.) : Du Natal au Zambèze, Paris, 1868, in-12. [3]
- Livingstone : Explorations dans l’Afrique australe. 1 vol. in-8° ou 1 vol. in-12.
- Baines (Thomas) : Voyage dans le sud-ouest de l’Afrique, 1868. in-12.
- Chapmann : Travels in the Interior of South Africa. 2 vol. in-8°.
- Delegorgue : Voyages dans l’Afrique australe. Paris, 2 vol. in-8°.
Ch. Letourneau