Tous ceux qui voyagent en chemin de fer ont appris à leurs dépens à avoir une profonde horreur pour les buffets organisés le long de la route. Ce repas auquel on est condamné, qu’il faut s’évertuer d’obtenir d’un garçon maladroit et surmené, qu’il faut absorber précipitamment au milieu du tumulte, des cris, des appels, du bruit et des sifflets de la vapeur, est un véritable supplice. Ne fait-il pas peine à voir le malheureux voyageur qui ayant enfin pu conquérir un bol de bouillon brûlant, se prépare à l’avaler, quand la terrible cloche du départ se fait entendre, et quand retentit l’appel : « En voiture ! En voiture ! »
Il y a longtemps que les Américains, gens pratiques et amis du confort, ont inauguré les wagons-Pullmann, où ils dorment, circulent, prennent leur repas en toute commodité : nos voisins d’outre-Manche viennent à leur tour de faire l’expérience de magnifiques wagons-restaurants, sur la ligne du Great Northern Railway ; nous allons parler aujourd’hui de cette intéressante tentative.
Les dispositions des nouveaux wagons sont luxueuses et l’appellent l’arrangement des wagons-dortoirs et des wagons-salons. Le salon d’un wagon-restaurant est garni d’une rangée de petites tables, à chacune desquelles peuvent se placer quatre convives. A l’une des extrémités de ce wagon se trouve une cuisine en miniature, où un chef apprête les mets les plus succulents et les plus propres à satisfaire les voyageurs affamés. Le premier essai, exécuté à la fin du mois d’octobre a parfaitement réussi. Un repas, composé de six plats chauds, a été servi durant tout le trajet de Londres à Peterborough, alors que le train marchait avec une vitesse de 65 milles (104 kilomètres) par heure.
Le wagon-restaurant est si bien posé sur ressorts qu’à peine s’aperçoit-on des oscillations du véhicule. Les voyageurs prirent leur repas avec la même aisance et la même gaieté que s’ils eussent été chez eux. Outre le restaurant-salon et la cuisine, il y a dans les nouveaux wagons un compartiment à l’usage exclusif des dames, un autre à celui des fumeurs, etc. Dix-neuf personnes peuvent dîner à la fois dans le restaurant, où deux garçons dont le plus jeune est costumé en page, s’empressent de répondre à toutes les demandes. Il y a de plus un conducteur, chargé de percevoir les prix quelque peu élevés des consommations, prix sur lesquels compte la Compagnie Pullmann pour payer ses frais, qui s’élèvent annuellement à 5 000 livres sterlings (75000 francs) par wagon-restaurant et pour réaliser des bénéfices qui seront considérables, comme il est impossible d’en douter. De nouveaux essais non moins heureux ont été exécutés ensuite sur le chemin de fer de Londres à Leeds. Dès les premiers jours de novembre, la Compagnie a attaché un wagon-restaurant à tous ses trains express.
Nos compagnies de chemin de fer imiteront-elles l’heureux exemples du Northern Railway d’Angleterre ?