Le mois dernier [1] a vu disparaître un savant qui laissera dans le monde astronomique, en même temps que des travaux de grande valeur poursuivis au cours d’une vie laborieusement remplie, le souvenir d’une rare élévation de caractère.
Dans cet Observatoire de Lyon qu’il dirigeait, Charles André ne comptait que des élèves dévoués, qu’il aimait à appeler ses enfants, heureux de se dire le « père » de ses astronomes. Ce seul trait peint l’homme tout entier : simple, modeste et bon. Aussi lorsque, pour lui rendre tout particulièrement hommage, l’Association amicale des Observatoires français résolut en 1911 de tenir à Lyon sa 2e séance, cette décision fut-elle accueillie avec une faveur qui montrait bien toute la popularité dont jouissait le vénéré Directeur.
Né à Chauny (Aisne) en 1842, il commença ses études dans son pays natal, à l’Institution Saint-Charles, et il garda toujours une vive reconnaissance à l’un de ses premiers maîtres dont le généreux appui le conduisit à l’École Normale en 1861. Agrégé des Sciences Physiques en 1863, il débuta dans la vie scientifique sous les auspices de H. Sainte-Claire Deville et de Mascart ; mais, après un court passage dans l’enseignement, il se sentit attiré par la vocation astronomique, et c’est à l’Observatoire de Paris, dans le service de M. Wolf, qu’il passa son Doctorat avec une thèse concernant la diffraction dans les instruments d’optique et son influence en Astronomie (1876). Ce beau travail le fit connaître : il est depuis resté classique. Bientôt après, en 1877, Charles André était nommé directeur de l’Observatoire de Lyon, nouvellement créé, puis presque aussitôt professeur d’Astronomie physique à la Faculté.
Dans cette première période de sa vie, celle d’ailleurs où l’on voyage peut-être au loin le plus volontiers, se placent les missions qu’il remplit successivement à Nouméa, en 1874, lors du passage de Vénus sur le disque du Soleil, et, quatre ans plus tard, à Ogden, dans les Montagnes Rocheuses, pour le passage de Mercure. On fondait autrefois de grandes espérances sur ces passages en vue de la détermination précise de la parallaxe solaire. Le phénomène de la « goutte noire » venait fâcheusement troubler l’exactitude des observations de contact, et c’est dans le but d’éclaircir ce point mystérieux, alors de toute première importance, qu’André entreprit ces deux lointains voyages : il devait y rencontrer son ami M. Angot, maintenant directeur du Bureau Central Météorologique, avec lequel il publia une partie de ses recherches sur la question.
L’Observatoire de Lyon, dont, à trente-cinq ans, il assumait la direction, l’occupa bientôt tout entier avec les soucis d’installation d’un établissement à fonder. La perfection avec laquelle il en organisa les Services méridien et météorologique est en particulier bien connue. Mais, dans un Observatoire, le matériel n’est pas tout : la formation d’un personnel d’astronomes a peut-être plus d’importance encore, et l’on peut dire qu’André fit rapidement de tous ceux qui passèrent sous ses ordres ses élèves, ses collaborateurs et ses amis. Il était en effet de cette école de chercheurs qui, dédaignant la satisfaction un peu égoïste de signer seuls leurs travaux, préfèrent la partager avec autrui et se sentir ainsi plus sûrs d’éviter toute idée préconçue : heureuse modestie qui, à une époque oit la production scientifique devient chaque jour plus abondante et aussi plus diffuse ; en augmente bien souvent le rendement véritable ! C’est ainsi que Rayet, Wolf, Gonnessiat, Angot, Marchand, Le Cadet, Lagrula, Jules Baillaud, sans compter les astronomes actuellement à Lyon, et d’autres sans doute aussi, devinrent tour à tour ses compagnons de travail.
Les sujets les plus divers l’attiraient : dans tous il apportait la même ardeur, le même esprit d’observation, le même sens de la mesure aiguisé à l’occasion d’une pointe d’humour. Outre ses travaux d’Astronomie proprement dite [2], le Magnétisme terrestre, l’Électricité atmosphérique, la Télégraphie sans fil, la Météorologie l’intéressèrent successivement : il faillit même périr en 1892 au cours d’une ascension en ballon et ne dut la vie qu’à la présence d’esprit de M. Le Cadet. Son Traité d’Astronomie stellaire, terminé en 1900, si plein d’aperçus ingénieux, si nourri de faits difficiles à trouver ailleurs, résumait son cours de la Faculté : il fera longtemps autorité parmi les spécialistes. Dans un autre ouvrage d’ensemble, paru en 1909, sur Les Planètes et leur origine, il tâchait de mettre au point quelques-unes des questions les plus controversées de ce temps. On n’a pas oublié à ce propos la polémique ardente, animée des deux côtés du même esprit caustique, qu’il eut il y a deux ans avec M. Percival Lowell, le défenseur des canaux de Mars et des :Martiens. La question n’est pas près d’être tranchée : elle est de celles qui portent en elles-mêmes des germes de durée indéfinie. Mais il est juste de reconnaître que, malgré le talent de l’adversaire, le terrain sur lequel se mouvait avec tant de vaillance Charles André avait pour lui l’avantage de la solidité.
D’une façon générale d’ailleurs, ennemi de toute présomption comme il l’était d’autre part de toute vanité et de toute intrigue, il n’était pas par tempérament favorable à ces théories quelque peu aventureuses qui, expliquant avec aisance l’inexplicable, empruntent une partie de leur ascendant à la personnalité de leur auteur : la simplicité laborieuse d’André, sa franchise allant parfois jusqu’à la rudesse faisaient au contraire de lui le type de ces qualités si caractéristiques de notre race.
La plus heureuse moitié de sa carrière s’était passée au milieu de collaborateurs dévoués, dans ce bel établissement qu’il avait fondé, à la fois son orgueil et sa vie, dans ces allées où il aimait à se promener tout en travaillant : quoi d’étonnant à ce qu’il n’ait pu facilement se résoudre à quitter tout cela ? L’heure de la retraite, qui eût été ainsi particulièrement pénible pour tout autre, fut pour lui l’occasion d’un douloureux serrement de cœur qui, malgré l’affection des siens, hâta sa fin : les choses du Ciel l’avaient tant passionné qu’il ne pouvait plus vivre en cessant d’y plonger son regard.
Déjà plusieurs fois Lauréat de l’Institut, Membre Correspondant depuis 1902 comme il l’était déjà du Bureau des Longitudes depuis 1889, Officier de la Légion d’Honneur en 1906, il ne lui restait plus guère qu’une dignité à recevoir, à laquelle s’opposait son éloignement de Paris. Aussi l’Académie des Sciences l’aurait-elle sûrement compris parmi les premiers de ces Associés nationaux que l’on a proposé de créer et qui seraient entièrement assimilés aux membres habitant Paris. La mort ne lui laissa pas la temps de jouir de cette consolation.
Jean Bosler, Astronome à l’Observatoire de Meudon