M. Lacroix, Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences, a rappelé son œuvre en ces termes :
« Albert Calmette est né à Nice, le 12 juillet. 1863. Médecin de la Marine nationale, puis, à partir de 1890, du Corps de Santé des Colonies, il a atteint le grade de médecin-inspecteur, tout en professant à la Faculté de médecine de Lille, et ensuite à l’Institut Pasteur dont il était sous-directeur, nominalement depuis 1917, effectivement depuis 1919.
De 1883 à 1885, il a pris part à la Campagne de Chine, sous les ordres de l’amiral Courbet. Sans négliger ses devoirs militaires, il fréquentait avec assiduité les hôpitaux chinois de Hong Kong ; il eut la bonne fortune d’y rencontrer l’illustre médecin anglais Sir Patrick Manson, qui l’initia à ses travaux sur la filariose. ce furent là ses débuts dans la science.
Il fit ensuite campagne an Gabon et au Congo (1886 à 1887) et s’intéressa alors à la maladie du sommeil, ainsi qu’à l’hémoglobinurie d’origine paludéenne.
De 1888 à 1890, il sera à Terre-Neuve, Saint-Pierre et Miquelon, où sa curiosité scientifique le pousse à rechercher la cause de la coloration rouge que prend parfois la morue salée. Il fait voir qu’elle est d’origine bactérienne et due à des organismes apportés par le sel de certaines provenances. Le désir d’étudier plus à fond cette maladie et d’en chercher la guérison le conduit à l’Institut Pasteur récemment créé. Le Maître et le Dr Roux accueillent avec empressement cette recrue de choix qui allait faire tant d’honneur à la maison.
En 1890, la variole et la rage sévissaient parmi les indigènes de l’Indochine, Pasteur désigna Calmette au Sous-Secrétaire d’État aux Colonies pour aller les combattre. Afin de parer à la perte d’activité du vaccin jennérien au cours de son transport en Extrême-Orient, le jeune médecin imagine de le produire sur place par inoculation à des bufflons ; le succès obtenu est tel que Saïgon devient, et est resté, le centre de production de ce vaccin, comme aussi du vaccin antirabique, non seulement pour notre grande Colonie, mais aussi pour tout l’Extrême-Orient.
« De cette époque datent. encore les études de Calmette sur le venin de serpents, poursuivies ensuite en France, Elles l’ont conduit à la découverte de son sérum antivenimeux et à la rédaction d’un beau livre, bientôt devenu classique, dans lequel la question de la sérothérapie antivenimeuse est traitée à tous les points de vue, théoriques et pratiques. Depuis lors, des Instituts pour la production du sérum Calmette ont été créés un peu partout,
Pendant son séjour en Indochine, notre Confrère ne s’était pas contenté de démontrer par l’exemple quels services pouvait y rendre la microbiologie ; il était parvenu à prouver à l’Administration coloniale que l’étude de cette science devait être faite avec continuité, sous une direction stable. On sait, en effet, que la plaie dont souffrent, et quelquefois meurent, les organismes scientifiques de nos colonies, quels qu’ils soient, est le changement périodique du personnel qui y travaille. C’est ainsi que Calmette fut conduit à fonder l’Institut Pasteur de Saïgon, première filiale de celui de Paris, prototype de ceux qui, depuis lors, ont été créés dans diverses parties de la France d’Outre-mer.
Le séjour de Calmette en Cochinchine eut un résultat aussi imprévu qu’important pour une de nos industries nationales. Annamites et Chinois sont très friands d’alcool de riz parfumé. Calmette constata que la levure employée pour sa fabrication était une moisissure du genre Mucor qui sécrète une diastase transformant l’amidon en sucre : plus tard, Son mycélium se segmente en cellules arrondies qui se comportent comme une levure et changent le sucre en alcool.
A son retour en France, Calmette fit une étude approfondie de cette levure-moisissure et s’en servit pour révolutionner la fabrication de l’alcool de grain, si active dans le nord de la France.
Ses talents d’organisateur étaient alors employés à la création à Lille d’un Institut Pasteur, à la tête duquel il est resté Pendant un quart de siècle et auquel il a donné un développement de plus en plus grand. Il y a rendu d’inestimables services à la santé publique, à l’agriculture, à l’industrie.
C’est là, en effet, qu’il a poursuivi et mené à bien ses recherches sur l’épuration des eaux résiduaires, perfectionnant des procédés en usage en Amérique et en Angleterre. Les travaux de Calmette et de ses collaborateurs sur la constitution et le fonctionnement des lits bactériens ne remplissent pas moins de neuf gros volumes.
Pendant cette même période de son activité, il a résolu le difficile problème du maintien de la virulence du vaccin jennérien, en le faisant passer de la génisse au lapin.
Il faut encore noter les nombreuses missions dont il a été chargé et en particulier celle de Porto, lors de l’épidémie de peste bubonique de 1899 ; en collaboration avec le Dr T. Salembeni, il perfectionna le sérum antipesteux découvert par Yersin et sauva ainsi beaucoup de vies humaines. Il organise ensuite l’Institut Pasteur d’Alger, aujourd’hui brillamment dirigé par notre correspondant le Dr Edmond Sergent, puis, sur la demande du gouvernement hellène, il va en créer un autre, à Athènes.
Si importants que soient les travaux qui viennent d’être brièvement rappelés, l’œuvre principale de Calmette n’est pas là. Elle réside dans ses recherches sur la tuberculose, poursuivies avec une inlassable persévérance pendant plus de vingt-cinq ans. Elles dérivent des découvertes de Pasteur et de ses élèves sur l’atténuation des virus et les vaccinations préventives. Innombrables avaient été les tentatives faites dans cette voie, depuis la découverte du bacille de la tuberculose par Robert Koch.
Mettant à profit les enseignements résultant des insuccès de ses émules et aussi des siens, aidé par son fidèle collaborateur C. Guérin, Calmette s’est livré, tout d’abord, à l’étude de la marche de la maladie sur les petits animaux de laboratoire et sur les Bovidés. Ayant acquis la certitude que la pénétration des bacilles dans l’organisme se fait par le tube digestif, il s’est efforcé de trouver un bacille tuberculeux incapable de produire une tuberculose évolutive, ne faisant courir aucun danger à l’animal qui le reçoit et à l’homme qui le manie et ayant cependant les propriétés antigènes qui assurent la prémunition. Calmette et Guérin l’ont trouvé en cultivant un bacille d’origine bovine dans un milieu alcalinisé par de la bile de bœuf glycérinée.
Des expériences répétées pendant de longues années ayant démontré l’innocuité de ce bacille pour tous les animaux domestiques, ce qui déjà était d’un grand intérêt pour la défense du cheptel bovin, Calmette l’a appliqué à l’homme. Il l’a fait ingérer (1921) dans du lait à des nouveau-nés. On sait que, dans les premiers jours de leur existence, ceux-ci sont particulièrement sensibles à la tuberculose et s’infectent en grand nombre.
Le succès de ce vaccin B.C.G. a conduit à l’appliquer déjà dans les pays les plus divers, à plusieurs centaines de mille d’enfants. Des statistiques soigneusement contrôlées, et portant sur onze années, ont fourni des résultats impressionnants, en montrant son efficacité et son innocuité. Cette découverte, si pleine de promesses pour l’avenir, est donc d’une importance capitale pour l’humanité. Calmette l’a défendue avec une indomptable énergie contre verts et tempêtes. Son dernier effort aura été de créer, à l’Institut Pasteur, un grand laboratoire équipé d’après les derniers enseignements de la science moderne et spécialement destiné à la préparation et à la diffusion de ce vaccin.
Notre Confrère ne s’est pas contenté de ces recherches de laboratoire. Pendant les années passées au milieu des populations industrielles du nord de la France, où la tuberculose fait de grands ravages, témoin de l’étendue des misères et des ruines qu’elle cause, il a mis toute son activité et tout son cœur à la combattre à l’aide de diverses œuvres sociales dont le principal organisme fut le préventorium, ayant pour but de dépister l’infection, dispensaire dont le type a été bientôt imité et reproduit dans un grand nombre de points du monde.
Par ailleurs, son dévouement et son besoin de prosélytisme pour toutes les causes qui lui étaient chères se sont manifestés par la plume et par la parole dans de nombreuses conférences faites souvent au-delà de nos frontières. Il avait l’art de grouper autour de lui de fervents disciples qu’attirait le charme se dégageant de sa personne autant que sa science.
En terminant, je ne saurais oublier de rappeler le rôle bienfaisant que le Directeur de l’Institut Pasteur de Lille a rempli durant les quatre dures années de l’occupation de cette ville par les Allemands ; dans ces circonstances tragiques il a prouvé que la modestie dans le caractère peut s’allier à la fermeté et au courage sans défaillances.
On trouvera clans le prochain numéro l’évocation de la vie du Dr Roux.