L’arbre de Judée

Louis Contard, La Science Illustrée N°708 — 22 juin 1901
Vendredi 3 septembre 2010

Il est, pour chaque arbre, un moment de l’année où sa splendeur s’affirme même au moins observateur et au plus indifférent. Pour certains, aux fleurs petites et de couleur verte, cette heure de beauté sonne au moment du développement complet du feuillage ; pour d’autres comme le sorbier des oiseaux, le buisson ardent, le houx, le fruit est la parure éclatante qui charme l’œil du promeneur et… attire la gourmandise de l’oiseau. Pour beaucoup enfin, l’époque de la floraison est celle où la plante réalise l’idéal de beauté dont elle est susceptible. Sans doute, le spectacle qu’elle présente quand la couleur des fleurs tranche sur le fond vert du feuillage est fort joli, mais il ne peut rivaliser avec celui qu’offre à nos yeux ravis la floraison qui précède l’apparition des feuilles. L’arbre uniquement paré de fleurs est tout entier d’un rose tendre, comme le pêcher ou l’abricotier, d’un blanc pur, comme le cerisier ou le prunellier, coup d’œil charmant, mais éphémère, hélas !

Au nombre des arbres d’ornement dont les fleurs s’épanouissent avant la formation des feuilles figure l’arbre de Judée. Au milieu de mai, son tronc noueux, ses branches rugueuses et irrégulières sont couvertes de fleurs d’un rose foncé, presque rouge.

L’aspect est d’autant plus étrange qu’elles semblent sortir directement du vieux bois.

Quand les fleurs tombent, les feuilles poussent et leur forme seule permet de différencier l’arbre des autres arbres voisins.

L’arbre de Judée ou de Juda, comme on l’appelle encore, ne mérite en rien son nom ; car il semble originaire des Antilles. Son nom scientifique est Cercis siliquastrum, du grec Kerkis, signifiant navette, par allusion à la forme de ses gousses. On le nomme aussi Gainier.

Le Gainier siliquastre se rencontre dans tout le midi de la France, mais il vient fort bien dans tout notre pays ; même dans le nord, il croît en pleine terre et fait l’ornement des parcs et des jardins. C’est un arbre au tronc noueux et tortu, atteignant jusqu’à huit mètres de hauteur, mais qu’on peut maintenir en buisson à la condition de le tailler fréquemment. Planté isolément sur une pelouse ou tout près d’un mur on même dans les rocailles, son aspect tourmenté anime le paysage et le sauve de la banalité.

Si nous abandonnons le côté pittoresque pour le point de vue botanique, nous voyons que l’arbre de Judée appartient à la famille des légumineuses, tribu des césalpinées.

Les plantes de cette tribu diffèrent des papilionacées, autre tribu des légumineuses, parce que les deux pétales inférieurs sont libres, ils ne sont pas soudés, formant une carène.

Les feuilles de l’arbre de Judée sont alternes, simples, grandes, arrondies, un peu en cœur et glabres. Elles commencent à se développer un peu après, les fleura et, à la fin de la floraison, sont presque complètement formées.

Les fleurs qui, comme nous l’avons déjà dit, s’épanouissent en mai, groupées en faisceaux sur le vieux bois, sont d’un rose foncé, tirant sur le rouge.

Le calice est formé de cinq sépales soudés, un peu bossus à la base. La corolle comprend cinq pétales libres dont trois supérieurs plus petits, redressés, et deux inférieurs droits.

Les étamines, au nombre de dix, sont disposées suivant deux cercles concentriques et sont entièrement libres jusqu’à la base. Le pistil ressemble à celui du pois ou du haricot.

La gousse, large d’un centimètre environ, sur 6 à 11 centimètres de longueur, est très aplatie et se termine en pointe aiguë, elle présente une membrane ailée.

En dehors de son rôle ornemental, l’arbre de Judée a peu d’usages. Ses graines sont parfois utilisées par les paysans comme rafraîchissantes et astringentes ; nous n’oserions nous porter garant de leurs vertus. Quant au bois, il est très dur, veiné, peut se polir d’une façon superbe ; c’est un bon bois d’ébénisterie.

Les jardiniers connaissent plusieurs variétés de l’arbre de Judée, notamment celles dites varieqata, dont les feuilles sont lavées de blanc ; carnea, aux fleurs couleur de chair ; alba, aux fleurs blanches.

Le Gainier du Canada (Cercis canadensis) qui croît spontanément le long des rivières de l’Amérique du Nord, est encore plus rustique que l’arbre de Judée proprement dit, auquel il ressemble beaucoup. C’est un arbre de même grandeur, il en diffère cependant par ses feuilles plus pointues, et parfois pubescentes en dessous ; ses fleurs sont plus petites et plus pâles.

Deux autres espèces, mais plus délicates, ont été introduites et acclimatées récemment ; le Gainier de Chine (Cercis chinensis) à feuilles très pointues, à fleurs rose strié de blanc, et sans pédoncule et le Gainier du Japon (Cercis japonica) aux fleurs d’un rose vif.

Les gainiers s’accommodent de presque tous les terrains ; cependant au gainier du Canada, il faut un sol frais. Dans les terres très pauvres, leurs branches se contournent et sont souvent d’un effet peu agréable.

Il en est de même lorsqu’ils deviennent vieux. Nos jardins botaniques français, notamment le Jardin des Plantes de Paris et celui de Montpellier en possèdent des exemplaires fort curieux à ce point de vue.

Ces arbres supportent bien la taille, leurs feuilles restent vertes jusqu’au moment de tomber et ne sont attaquées par aucun insecte. La transplantation en est difficile cependant ; elle doit être effectuée à l’automne et compte bien des insuccès. On multiplie les gainiers de graines ou par greffe sur le gainier commun.

Ajoutons que l’arbre dé Judée est proche parent du caroubier, aux longues gousses sucrées, qui croît sur le littoral de la Provence, et, d’une manière générale, sur tout le pourtour de la Méditerranée.

Nos gravures montrent deux aspects différents de l’arbre de Judée. L’une représente une jeune branche sur laquelle les fleurs en plein épanouissement coexistent avec les feuilles. C’est l’emblème de la force et de la jeunesse. L’autre nous donne l’aspect d’un vénérable doyen de l’espèce, au tronc noueux et décrépit, qui retrouve cependant encore un peu de vigueur à chaque printemps. Heureux arbres !

Louis Contard

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