Le Camphrier du Japon

Victor Delosière, La Science Illustrée N°483 - 27 Février 1897
Mardi 23 août 2011 — Dernier ajout dimanche 27 avril 2014

On trouve dans le commerce, sous le nom de Camphre, différents produits dont les principaux sont le Camphre de Bornéo ou Bornéol que l’on retire du Dryobalanops aromatica et qui vaut environ 250 francs le kilogramme, le Camphre de Ngai, extrait du Blumea Balsamifera, enfin le camphre ordinaire, popularisé surtout en France par les travaux de Raspail et dont beaucoup de personnes font une panacée.

Cette dernière substance provient d’un bel arbre, le Camphrier du Japon (Cinnamomum camphora), qu’on nomme aussi Camphrier de Chine. Il appartient à la famille des Laurinées ; il est donc très voisin, au point de vue botanique, de l’Arbre à cannelle et du Laurier noble, vulgairement Laurier-sauce, seul représentant du groupe en Europe.

Le camphre est mentionné pour la première fois dans un ouvrage de Siméon Sethus : Sur les aliments, qui parut vers la fin du XIe siècle. L’auteur dit que c’est « la résine d’un arbre indien d’une grandeur telle qu’il peut abriter une centaine d’hommes », Le Dr Hœfer, dans son Histoire de la Botanique, affirme que cette assertion est fausse, que le Camphrier est un petit arbre et que « Sethus tenait, sans doute, ses renseignements de quelques marchands qui se plaisent par leurs exagérations à cacher la véritable provenance du camphre »,

Le lecteur n’a qu’à jeter un simple coup d’œil sur notre illustration, faite d’après une photographie, pour constater que l’affirmation de Sethus est parfaitement exacte ; le Camphrier géant qu’elle représente pourrait aisément abriter une centaine d’hommes.

Le Camphrier du Japon croît sur toutes les côtes de l’Asie orientale, depuis 10° jusqu’à 34° de latitude Nord, de la Cochinchine à l’embouchure du Yang-tsé-Kiang, aux îles Haï-nam et Chu-Sang, à Formose, dans les régions méridionales de la Corée, et dans les provinces de Tosa, Hiriga et Satsuma, dans le sud du Japon.

Il est peu abondant et surtout peu exploité en Chine ; il existe dans notre belle colonie du Tonkin, mais il rapporte peu parce que le camphre du pays est mal soigné et que les indigènes ne savent pas le porphyriser pour en obtenir un beau cristal.

Le Camphrier ne se développe pas au delà de 600 mètres d’altitude ; il se plaît aussi bien dans les vallées que dans les plaines, il lui faut un climat humide, une exposition au midi ou au levant, et il s’éloigne rarement au delà de 40 kilomètres des côtes.

En sa jeunesse, il croît très lentement et demande beaucoup de soins ; plus tard, au contraire, sa croissance est rapide et il peut atteindre un grand âge qu’annoncent les dimensions de son tronc. L’ancien temple d’Osuwa, près de Nagasaki, est situé au milieu d’un magnifique bois de Camphriers dont certains atteignent jusqu’à 4,50m de diamètre, soit 14 mètres de circonférence à la base, et une hauteur de 35 mètres. C’est un de ces géants, âgé peut-être de 2000 ans, que représente notre gravure.

Dans les forêts du Japon, les Camphriers de 4 à 500 ans ne sont ras rares, et beaucoup ont de 15 à 20 mètres de haut. Les branches poussent à partir de 6 à 7 mètres au-dessus de sol ; elles sont nombreuses dans toutes les directions, ce qui donne à cette Laurinée une grande ressemblance avec notre Tilleul d’Europe.

Chaque arbre a sa physionomie propre. Le Chêne est rude, noueux ; son caractère de vigueur est des plus accentués ; le Camphrier a des formes élégantes, presque féminines pourrait-on dire ; il se termine partout en lignes douces. La couronne puissante, toujours verte, de ce bel arbre, qui apparaît de loin sur son tronc comme une colline de verdure au milieu d’un paysage, est d’une symétrie étonnante et touffue même dans l’extrême vieillesse.

Toutes les parties de la plante dégagent une forte odeur de camphre. Les feuilles sont petites, oblongues, coriaces, luisantes et d’un vert foncé. Les fleurs, disposées en corymbe, sont petites, insignifiantes trimères, avec des étamines formant quatre verticilles, les deux couronnés extérieures sont fertiles et introrses, c’est-à-dire que les anthères s’ouvrent vers l’intérieur de la fleur , la troisième, fertile et extrorse ; les étamines du cercle interne sont stériles. Le fruit est une baie ressemblant à un grain de cassis ; il renferme une seule graine à embryon charnu, sans albumen.

Son bois très dur est blanc richement veiné de rouge ; il conserve toujours l’odeur du camphre. Ses usages sont variés et importants ; on l’emploie notamment pour les constructions navales et, dans ce but, le gouvernement japonais possède d’immenses terrains plantés de Camphriers ; cependant son prix de plus en plus élevé le fait peu à peu abandonner pour cet usage.

Le tronc est précieux pour l’ébénisterie ; on en fait des meubles, des coffrets pour la conservation des fourrures et des étoffes précieuses dont son odeur éloigne les insectes ; mais les branches et les racines servent surtout à la préparation du camphre dont l’industrie et la médecine emploient chaque jour des quantités plus grandes.

Pour cette préparation, on abat l’arbre ; on débite les branches en copeaux qu’on place en petits tas sur une planche percée de trous, chaque tas étant surmonté d’un pot de terre. Au-dessous, on chauffe de l’eau à l’ébullition ; la vapeur traversé les copeaux et entraîne le camphre qui va se condenser en petits cristaux au fond de chaque pot.

Quand la forêt est au voisinage d’une ville, on emploie une méthode un peu moins primitive. La sublimation se fait dans des chaudières en fer dont chacune est recouverte d’un chapiteau en terre, rempli de paille de riz ou de branchages, sur lesquels le camphre se dépose en cristaux qui sont recueillis et apportés dans des paniers recouverts de toile jusqu’au port d’embarquement. Ils sont alors mis en barils ou en caisses doublées de feuilles de plomb. Chacune en contient de 300 à 350 kilogrammes. C’est du Japon que provient la plus grande partie du camphre brut du commerce.

Du camphre brut s’écoule toujours un liquide huileux ou huile de camphre que les Japonais emploient pour l’ éclairage.

En 1891, la valeur de ces différents produits a été de 2,85 fr le kilogramme pour le camphre égoutté, 3,30 fr pour le camphre très sec et 0,40 fr pour l’huile de camphre.

La totalité des exportations faites du port de Hiogo, pendant la même année, a été de 2000 tonnes dont 650 en destination des États-Unis d’Amérique, 27 seulement pour la Chine, 170 pour Londres, 110 pour l’Allemagne, 100 pour la France et 900 pour l’Europe (pays non spécifiés).

Le camphre brut est ensuite raffiné aux États-Unis, en Angleterre, eu Hollande, à Hambourg et à Paris.

Le prix du camphre s’élève de plus en plus, car, pour l’obtenir, il est nécessaire de détruire l’arbre et malgré la loi japonaise très sévère qui astreint à en planter un autre à la place, le rendement diminue chaque année en raison du temps considérable que met la plante à se développer.

Au Japon, les Camphriers sont à l’état sauvage ou cultivés. Dans ce dernier cas, ils sont semés ou de préférence, marcottés. Les boutures prennent difficilement Les bois de haute futaie pour l’ébénisterie et les constructions navales sont exploités lorsqu’ils ont atteint 75 à 80 ans ; les autres destinés à l’extraction .du camphre, au bout de 15 à 20 ans.

On a réussi à acclimater le Camphrier en Europe sur les bords de la Méditerranée où il prospère admirablement ; en Californie, à Buenos-Ayres, aux îles Canaries, etc.

En France, on peut le cultiver en serre froide, soit en pot, soit en. caisse ; il doit être bien éclairé et placé en terre riche. La variété longifolia est plus rustique et, si l’on prend la peine de la couvrir, résiste très bien à nos hivers.

Victor Delosière

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