Le 23 septembre 1877. une douloureuse maladie qui depuis plusieurs mois ne laissait aucun espoir enlevait aux astronomes français M. Le Verrier, que ses travaux de calcul sur le mouvement des planètes avaient rendu célèbre entre tous [1]. Quelques mois plus tard, le 26 février 1878, la mort frappait à son tour le R. P. Secchi, l’un de ceux qui dans ces dernières années ont le plus contribué aux progrès de la physique astronomique. Ainsi disparaissaient deux hommes qui, aussi différents par leur caractère que par la nature de leur esprit et de leurs tendances, auront cependant l’un et l’autre une place marquée dans l’histoire astronomique de notre siècle. - Depuis longtemps déjà la santé du P. Secchi donnait des inquiétudes à tous ceux qui, ayant eu l’occasion de le fréquenter, étaient devenus ses amis. — Au Congrès astronomique de Palerme, en août 1875, il était déjà atteint du cancer d’estomac qui devait plus tard le faire souffrir si cruellement ; mais son énergie et sa gaieté suffisaient encore à dissimuler le mal : quelques jours, après, lorsque je le retrouvai à Rome, il était alité, et depuis lors sa santé était toujours restée chancelante, sans le forcer néanmoins à interrompre complètement ses travaux.
Le P. A. Secchi, né à Reggio (près de Modène), le 29 juin 1818, fit son éducation dans les collèges des Pères de la Compagnie de Jésus et entra bientôt dans l’Ordre qui le chargea successivement des cours de mathématiques et de physique au collège de Lorette ; ses travaux de cette époque nous sont connus par deux mémoires de Rhéométrie publiés plus tard en Amérique et à Rome.
La révolution de 1848 éloigna le P. Secchi de l’Italie ; forcé, comme plusieurs de ses collègues, de s’expatrier. il se rendit au collège de Georgetown, où les jésuites venaient de fonder un observatoire el se mit à étudier l’astronomie sous la direction des Pères Sestini et Curley.
Rentré en Europe en 1850, il fut aussitôt mis à la tète de l’observatoire du collège romain qui fut presque entièrement reconstruit sur ses plans et dans lequel il eut la satisfaction de réinstaller d’une manière convenable un cercle méridien d’Ertel de 3 pouces 1/2 d’ouverture, une lunette parallactique de Cauchoix de 6 pouces 1/4 de diamètre, et enfin de placer un grand équatorial de 9 pouces, chef-d’œuvre de Merz, construit sur le plan de la célèbre lunette de Pulkowa etl donné par le P. Rosa.
Avec ce dernier instrument, le P. Secchi commença immédiatement une série de mesures des étoiles doubles des Catalogues d’Herschel et de Struve, en portant surtout son attention sur les systèmes ayant la déclinaison la plus australe ; trois mémoires sur ce sujet ont successivement été publiés par lui en 1855,1866 et 1875. — Au cours de ces recherches, il était parvenu à résoudre complètement les nébuleuses de la Lyre, d’Andromède et de l’Hydre, et il avait fait (1868) un dessin de la nébuleuse d’Orion, remarquable par son exactitude et la beauté de son exécution.
Antérieurement à cette époque, le P. Secchi avait également commencé ses études sur la constitution physique du soleil. Le premier objet de ses recherches fut l’éclipse de soleil du 18 juillet 1851, pendant laquelle il obtint une série de mesures photométriques et calorifiques qui, reprises en 1865, en projetant l’image amplifiée du soleil sur une pile thermo-électrique, démontrèrent que la chaleur rayonnée par le soleil diminue d’une manière continue du centre à la circonférence ; ce résultat prouvait qu’il existe autour du soleil, enveloppant de toutes parts la région rayonnante de l’astre, une épaisse atmosphère absorbante, atmosphère dont l’existence devait, trois ans après, être mise hors de doute par les observations de l’éclipse du 18 août 1868.
D’un autre côté, le savant et regretté directeur de l’observatoire du collège romain avait, l’un des premiers, repris, dès 1860, les recherches de Fraunhofer, Lament et Donati sur le spectre des étoiles. — Admirablement secondé par les qualités optiques de son équatorial et par la transparence du ciel de Rome, le P. Secchi a, de 1863 à 1876, publié sur le spectre des étoiles et des comètes une nombreuse série de notes disséminées dans les bulletins météorologiques du collège romain ; les comptes rendus de l’Académie des sciences de Paris ; les mémoires de la Société des Spectroscopistes italiens, et quatre mémoires qui ont paru en 1867, 1868 et 1870, dans les Actes de la Société des XL de Modène, et, en 1872, dans les Atti dei Nuovi Linceï. — Tous ces travaux, aujourd’hui classiques et que tous les astronomes physiciens ont lus et étudiés, ont abouti à la classification en quatre types du spectre des étoiles ; cette détermination du type des spectres du plus grand nombre des étoiles visibles sur l’horizon de Rome, est déjà un travail d’une haute importance ; mais le P. Secchi est allé plus loin encore. Dans certains cas, il a pu démontrer par des mesures précises que les étoiles contiennent, comme le soleil, quelques-uns de nos corps simples, et il a constaté en même temps, à l’exemple de Huggins, le changement de réfrangibilité des raies provenant du mouvement propre de l’étoile dans l’espace.
Lorsque la mort est venue le surprendre, le P. Secchi terminait un magnifique ouvrage sur les Étoiles, destiné à la Bibliothèque scientifique internationale et dont l’édition française va paraître dans quelque temps. Il y résume l’ensemble de ses recherches précédentes et les idées philosophiques que lui avait inspirées son commerce long et intime avec les corps célestes.
Des étoiles au soleil, la plus éblouissante d’entre elles et la plus voisine de nous, la transition est facile, et le P. Secchi ne pouvait négliger l’étude de l’astre central de notre système. J’ai déjà indiqué que, dès 1851, il observait les variations de son pouvoir rayonnant et les transformations de ses taches. Plus tard, lorsque les éclipses totales de 1860 et de 1868 eurent démontré à tous que les protubérances sont des flammes gazeuses du bord solaire, le directeur de l’observatoire du collège romain fut l’un des premiers à étudier la composition chimique et la distribution de ces corps. Je ne ferai pas ici l’historique de ses travaux sur ce sujet ; on le trouvera écrit par le P. Secchi lui-même dans son important ouvrage sur le Soleil, ouvrage que nul ne pouvait mieux écrire que lui et qui est en quelques années arrivé à sa troisième édition. Publié pour Ia première fois en français par M. Gauthier-Villars, il fut bientôt après traduit en allemand par le docteur Schellen ; enfin, il y a deux ans, M. Gauthier-Villars en a donné en deux volumes une dernière édition augmentée dans de larges limites et accompagnée d’un atlas d’une remarquable exécution [2].
Outre ces travaux d’astronomie physique, le P. Secchi a fait faire, depuis 1850, une suite non interrompue d’observations météorologiques directes ou enregistrées avec un météorographe, combiné par lui-même, que l’on se souvient encore d’avoir vu figurer à l’Exposition universelle de 1867, où il faisait l’admiration des visiteurs par la régularité de sa marche.
Tel est le résumé succinct des travaux accomplis par le P. Secchi dans une courte carrière de vingt-huit ans. Quand on songe au nombre de découvertes qu’il a su réaliser dans cette période, la plus brillante de toutes celles qu’a traversées l’observatoire du collège romain, on ne sait vraiment ce qu’il faut le plus admirer de l’énergie et de l’activité de l’homme ou de la sagacité de l’observateur. Au tempérament d’un véritable astronome, le P. Secchi joignait d’ailleurs toutes les qualités qui attachent, et parmi ceux qui auraient pu être ses rivaux il ne comptait que des amis.
G. Rayet
Professeur d’astronomie physique à la Faculté des sciences do Bordeaux.