Au cours des dernières semaines, les marines alliées ont perdu un certain nombre de bateaux de fort tonnage ; le croiseur français Léon-Gambetta, de 12550 tonnes, les trois cuirassés anglais Goliath, Triumph et Majestic, de 12000 à 15000 tonnes et le paquebot Lusitania de 50000 tonnes. Pour douloureuse qu’elle soit, surtout en raison du grand nombre de vies humaines sacrifiées, la disparition de ces unités n’affecte aucunement l’ensemble de notre puissance navale. Cuirassés et croiseurs étaient d’un type déjà ancien et d’une valeur militaire très relative ; et bien que le Lusitania fût un des plus beaux et des plus rapides transatlantiques de l’Angleterre, son absence n’entrave point l’intensité du mouvement maritime qui nous assure, avec tant d’avantages matériels immédiats, un si précieux élément de force morale.
Mais si ces épisodes cruels de la plus cruelle des guerres sont sans répercussion sur notre succès final, ils prouvent, avec une nouvelle acuité, la terrible et décisive efficacité de la torpille. Sans parler des bateaux de commerce sans défense, frappés à coup sùr et sans péril par les pirates allemands, au mépris de toutes les lois traditionnelles de l’humanité et de la guerre, c’est à la torpille que, depuis dix mois, nos flottes de combat ont dû la majorité de leurs pertes. D’après la statistique de ces perles, officiellement reconnues, relevée dans la revue anglaise The Naval and Military Record, du 2 juin, nous constatons que, sur huit cuirassés et quatorze croiseurs, quatre cuirassés et neuf croiseurs ont été détruits par torpillage. Telle est la puissance offensive de la torpille que, sauf dans des cas exceptionnels, un navire atteint est un navire coulé, quels que soient d’ailleurs son mode de construction et sa protection.
L’invention de la torpille automobile [1] — la seule dont nous nous occupons pour l’instant — remonte à un demi-siècle. Le principe en fut conçu, vers 1865, par un officier de la marine autrichienne. On ne saurait, en effet, considérer même comme de lointains « ancêtres », les engins — formés de barils de poudre, flottant entre deux eaux au gré des courants des fleuves et que faisait sauter un mouvement d’horlogerie, — employés par l’Américain Bushnell pendant la guerre de l’Indépendance, et pas davantage les mines dérivantes plus perfectionnées, abandonnées, elles aussi, aux courants en amont des navires ennemis, utilisées par les Américains également, pendant la guerre de Sécession. Se déplaçant par la seule force d’entraînement de l’eau, ces engins rudimentaires ne faisaient entrevoir aucun des dispositifs essentiels de la torpille, dont les rapprochait seul le but à atteindre : « anéantir de loin un bateau au moyen d’une sorte de « projectile » produisant au voisinage immédiat de la coque une explosion sous-marine. »
En fait, c’est en 1866 que l’ingénieur anglais Robert Whitehead, directeur de l’usine des constructions mécaniques de Fiume, construisit les premières torpilles automobiles à air comprimé donnant des résultats pratiques. Longues de 3 m et d’un diamètre de 350 mm, elles portaient seulement 8 kg d’explosif et parcouraient, à une vitesse d’environ 6 nœuds (soit à peu près 11 km à l’heure), une distance ne dépassant guère 600 m. Si nous songeons que les types les plus récents ont un diamètre de 533 mm, une longueur de 6,500 m environ, une vitesse maximum de 45 nœuds (près de 84 km à l’heure, plus de 25 m à la seconde) et peuvent transporter à 10 000 m une charge explosive de 150 kg, nous voyons les progrès réalisés.
Même sans avoir atteint de loin son degré de perfection actuel, la torpille fut considérée, quelques années seulement après sa première mise au point, comme un agent destructeur redoutable et fut bientôt adoptée par toutes les marines de guerre. L’Angleterre acquit de Whitehead une licence de construction dès 1870 ; en 1872, la France traitait à son tour avec le célèbre inventeur. Divers arsenaux et ateliers d’État construisirent successivement des torpilles Whitebead ; seule, dans l’industrie privée, la maison allemande Schwartzkopf obtint une licence. En réalité, l’usine de Fiume conserva, pendant une longue période, une sorte de monopole et les puissances les plus diverses s’adressèrent à elle pour leur armement : la France en fut tout d’abord complètement tributaire. Vers 1890, un de nos arsenaux posséda un atelier pour la construction et le réglage des torpilles, mais cet atelier était loin de suffire aux besoins de l’armée navale. Afin d’accroître notre production nationale, le Gouvernement demanda en 1907 à MM. Schneider d’entreprendre l’étude et la fabrication de torpilles dans leurs établissements. Les premiers engins furent construits dans les usines du Creusot et d’Harfleur, à l’heure actuelle, une usine spéciale et un champ de tir sous-marin ont été établis en rade d’Hyères,
Sauf dans certains détails et pour quelques perfectionnements récents, dont l’importance en service n’est certes pas négligeable, mais dont la connaissance ajouterait peu d’intérêt à une description d’ensemble, forcément assez schématique, les types de torpilles actuellement employés dans la guerre navale ne présentent point de dispositifs qu’il puisse y avoir inconvénient à divulguer.
Un des modèles courants — celui de 533 mm de diamètre, que nous avons cité, n’est pas encore d’un emploi général — est la torpille de 450 mm de diamètre, dont la longueur moyenne est de 6 m et le poids de 700 kg. La charge explosive est de 100 à 120 kg, et son rayon d’action varie de 1000 m environ, pour une vitesse de 45 nœuds (près de 80 km/h - 22 m/s), à 8 000 et même 9 000 m pour une vitesse de 28 nœuds (52 km/h, 14,50 m/s). Ces régimes extrêmes de vitesse et de portée, qui correspondent à une utilisation tactique différente, ne peuvent être réalisés dans un même engin et, suivant la destination prévue, les bateaux sont dotés, en fait, soit de torpilles à grande vitesse, soit de torpilles à longue portée.
La force vive de ces torpilles, qui atteint environ 170 000 kilogrammètres pour les torpilles de 450 mm à grande vitesse, leur permet, dans bien des cas, de traverser la coque des navires avant d’exploser, ce qui peut accroître encore dans des proportions considérables leur puissance destructrice. La profondeur d’immersion des torpilles est réglée en particulier de manière que l’explosion se produise normalement sous une colonne d’eau qui forme « bourrage » et dont la hauteur est un facteur très important de la violence même de l’explosion. L’immersion la meilleure est de 3 m à 5,50 m contre les cuirassés et les croiseurs.
La torpille diffère essentiellement des autres « projectiles » par ce fait qu’elle ne reçoit, au départ, de l’appareil dont elle est lancée, qu’une quantité d’énergie très faible ; elle renferme à la fois l’engin d’attaque et la source d’énergie qui permet à ce dernier d’atteindre l’objectif.
C’est en réalité un véritable petit sous-marin avec son moteur complet, ses appareils auxiliaires, son arbre de couche et ses hélices : il n’y manque que l’équipage et, pour suppléer à la volonté directrice permanente de celui-ci, il a fallu coordonner l’action d’un ensemble de mécanismes aussi ingénieux et précis que complexes et délicats.
On a voulu même aller plus loin et certains inventeurs ont établi des modèles de torpilles que des ondes électriques permettaient de continuer à diriger à distance après le lancement. Ces dispositifs, très intéressants en principe, n’ont pas reçu jusqu’ici d’applications pratiques.
Même sous sa forme automatique seule en usage, la torpille est une merveille de mécanisme qui résout d’une manière assez parfaite de multiples problèmes, en particulier ceux de la constance de la profondeur d’immersion et de la rectitude de la trajectoire.
Extérieurement la torpille se présente sous la forme d’un corps cylindrique terminé à l’avant par une surface sensiblement hémisphérique et à l’arrière par une surface conique beaucoup plus effilée, prolongée elle-même par une queue (gouvernails et hélices). Autrefois l’extrême avant était conique et assez allongé ; le profil actuel a permis d’augmenter notablement la capacité en explosif de la torpille.
Au point de vue de son organisation intérieure, la torpille comprend, de l’ayant à l’arrière : le cône de charge, le réservoir d’air et le mécanisme.
Le cône de charge, dont le nom a conservé trace de sa forme primitive, contient la charge explosive et son détonateur. Il peut être facilement détaché du reste de la torpille. Au début la charge explosive était elle-même placée dans une enveloppe amovible que l’on introduisait dans le cône au moment du combat. Aujourd’hui, l’explosif est placé directement dans le cône qu’il remplit presque complètement. Pour les manœuvres et les tirs d’exercice du temps de paix, et bien que les explosifs employés soient peu sensibles, on utilise, au lieu des cônes chargés, appelés cônes de combat, des cônes lestés ou cônes d’exercice. Cette substitution a également pour but de diminuer la flottabilité négative de la torpille dans les manœuvres afin qu’elle flotte sûrement à la fin de son trajet.
Un des explosifs le plus fréquemment employé est le fulmi-coton ou coton-poudre humide. Il est comprimé en galettes de forme convenable que l’on superpose dans le cône, A l’état humide, cette matière ne brûle pas au contact d’un corps enflammé et l’este insensible à des chocs très violents. Si l’on évite un échauffement local, elle peut même se travailler à l’outil. On a employé le coton-poudre à divers degrés d’humidification ; le taux de 25 % d’eau, longtemps utilisé en France, parait trop élevé, en raison de l’augmentation de poids qui en résulte sans accroissement de la puissance explosive.
Pour provoquer l’explosion, on a recours à un relai de coton-poudre sec, enfermé dans une gaine étanche, qui détone très violemment sous l’influence de la détonation initiale d’une amorce de fulminate de mercure. La charge d’amorçage est placée, au moment du tir, dans une cavité ménagée en avant et dans l’axe de la charge. L’amorce de fulminate de mercure détone elle-même sous le choc d’un percuteur qui vient la frapper par inertie au moment où la torpille rencontre un obstacle. Des dispositifs de sécurité empêchent le fonctionnement du percuteur non seulement avant le lancement de la torpille, mais tant que celle-ci n’a pas frappé violemment un obstacle. Le mécanisme percutant est placé dans la « pointe percutante » vissée à l’extrémité avant du cône de combat.
En arrière du cône de charge se trouve le réservoir d’air dont la longueur varie, pour les torpilles de 450, de 1,950 m à 2,150 m, suivant les modèles. L’air comprimé, employé par Whitehead comme source d’énergie, dès la construction de ses premières torpilles, n’a pas été détrôné jusqu’ici dans cet emploi. Mais à mesure que l’on cherchait à accroître le rayon d’action et la vitesse de la torpille, on a constamment augmenté la pression de l’air, dans les limites permises par les progrès de la métallurgie pour la résistance des réservoirs, dont les parois doivent rester minces afin de ne pas trop alourdir l’ensemble de l’engin. Dans les torpilles en service, on atteint une pression de 150 kg par centimètre carré. Les organes annexes du réservoir d’air comprennent les soupapes de remplissage et de débit, ainsi qu’un régulateur de pression.
En sortant du réservoir, l’air, ramené à une pression de 37 à 38 kg, est considérablement refroidi par détente. Avant de l’envoyer au moteur, on élève sa température dans un appareil spécial, le réchauffeur. Dans cet appareil sont injectés un combustible liquide (on emploie de l’alcool, du pétrole ou de l’essence) et de l’eau douce finement divisée. Le réchauffage par le combustible liquide porte la température de l’air aux environs de 300°, et l’injection d’eau pulvérisée ramène cette température à 200°. Le réchauffage de l’air et la vaporisation d’eau pulvérisée, d’application récente, ont beaucoup amélioré le rendement et ils ont augmenté, dans des proportions notables, la vitesse et la portée des torpilles. Le réchauffeur et les réservoirs d’eau et de combustible liquide qui l’alimentent font partie des organes logés clans la partie arrière de la torpille.
Cette partie arrière, très complexe, est divisée en plusieurs compartiments : compartiment étanche des régulateurs, compartiment de la machine motrice, compartiment étanche du flotteur arrière et du gyroscope. À la suite de ce dernier compartiment, se trouve le cadre de la queue de la torpille.
La machine motrice, actuellement employée, est un moteur Brotherhood à quatre cylindres opposés deux à deux, qui commande l’arbre axial des hélices. Cet arbre, creux, sert à l’échappement du gaz venant des cylindres. Le compartiment de la machine motrice est mis en communication libre avec l’eau ambiante au moyen d’un certain nombre d’orifices ; on assure ainsi le refroidissement du moteur.
Les hélices sont au nombre de deux et tournent en sens inverse ; l’une d’elles est calée directement sur l’arbre moteur, l’autre, montée sur un tube concentrique à cet arbre, est actionnée par l’intermédiaire de pignons dentés. La rotation en sens contraire des deux hélices, dont la vitesse est égale, a pour but d’éviter tout mouvement de rotation de la torpille autour de son axe, mouvement qui tendrait forcément à se produire avec une seule hélice.
Le moteur assure la propulsion de la torpille, mais il n’a aucune action sur sa profondeur d’immersion qui doit rester constante et sur sa direction qui doit être rectiligne. Ce réglage de la trajectoire, automatique, est obtenu par les réactions sur l’eau de gouvernails horizontaux et verticaux, placés sur le cadre de la queue de la torpille, et commandés les premiers par le régulateur d’immersion et d’assiette et son servo-moteur, les seconds par un appareil gyroscopique.
La constance de la profondeur d’immersion est indispensable pour obtenir le rayon d’action maximum et pour éviter que, dans un mouvement sinusoïdal, la torpille ne rencontre l’objectif en un point trop élevé ou ne passe au-dessous de sa quille. Le régulateur d’immersion et d’assiette est constitué par un piston hydrostatique, un pendule et un servo-moteur. Le piston hydrostatique est en contact, par une de ses faces, avec l’eau ambiante ; sur l’autre face agissent des ressorts antagonistes. Si la torpille plonge trop profondément, la pression de l’eau sur la face libre du piston augmente et déplace celui-ci qui est relié aux gouvernails horizontaux de profondeur dont l’inclinaison est ainsi modifiée. Cette inclinaison sera modifiée en sens inverse si, la torpille remontant trop près de la surface, les ressorts antagonistes du piston hydrostatique peuvent agir à leur tour, sous une pression extérieure devenue plus faible. Les oscillations de la torpille sont encore réduites par l’addition d’un pendule vertical. Ce pendule, autrefois indépendant du piston hydrostatique, commandait des gouvernails distincts. Maintenant l’action des deux organes, solidaires, est conjuguée ; elle réduit au minimum et de plus en plus l’amplitude des oscillations. La force de déplacement du pendule et du piston hydrostatique étant faible, on interpose entre eux et les gouvernails un servo-moteur dont les dimensions sont calculées de manière que l’effort de quelques grammes transmis par le régulateur corresponde à l’effort nécessaire pour faire varier l’inclinaison du gouvernail, effort estimé à environ 30 kg. On règle, suivant la nature de l’objectif, la profondeur normale à laquelle devra naviguer la torpille. La rectitude de la trajectoire dans un plan horizontal est encore plus importante.
Depuis une vingtaine d’années seulement, on est parvenu à chercher à l’obtenir automatiquement ; auparavant, on réglait par tâtonnements, dans des lancements d’exercice, la position fixe à donner à un gouvernail vertical. Ce réglage initial était assez peu précis et difficile à maintenir. L’appareil actuel, utilisant la propriété du gyroscope, a été inventé par un dessinateur, M. Obry, dont les brevets sont devenus d’une application générale. Dans les premiers modèles, le gyroscope était lancé par un ressort, bandé à la main, avant le tir. On n’obtenait ainsi une vitesse de rotation suffisante du gyroscope (3600 tours à la minute) que pour des trajets inférieurs à 1000 m, étant don né les vitesses alors réalisées sur les torpilles, L’emploi de l’air comprimé, agissant au départ sur une petite turbine adjointe au gyroscope, fut un progrès sensible. Au moment du lancement de la torpille, l’axe du gyroscope, jusque-là fixé dans une position parallèle il l’axe de la torpille, est libéré ; en vertu des propriétés gyroscopiques, sa direction reste invariable, quels que soient les déplacements des deux cercles, mobiles autour d’axes perpendiculaires, qui le supportent. La dépendance des variations angulaires de l’axe du gyroscope autour de l’axe vertical et du déplacement des gouvernails verticaux est assurée au moyen d’un tiroir à air et d’un piston commandant les gouvernails.
En dehors des organes principaux, dont nous venons de donner un aperçu, la torpille présente un certain nombre d’autres dispositifs secondaires, parmi lesquels nous citerons le mécanisme de stoppage, destiné à permettre de retrouver l’engin après un certain parcours dans les tirs d’exercice, et le mécanisme de submersion ayant au contraire pour but de le faire couler si, dans les tirs de guerre, il n’a pas atteint son but. Sans l’addition de ce dernier mécanisme, une torpille en tenue de combat, qui ne frappe pas son objectif, continuerait à flotter au hasard des courants et deviendrait ainsi une sorte de mine dérivante, constituant un danger pour les navires de commerce et les navires neutres.
Il paraît que, se souciant peu de cette question de sécurité générale, les Allemands n’ont pas muni toutes leurs torpilles du dispositif en question ou l’ont peut-être même supprimé, enfreignant une fois de plus les règles admises dans la guerre maritime. La submersion est obtenue par l’ouverture d’une soupape et le remplissage par l’eau du compartiment arrière, ou flotteur arrière de la torpille, normalement rempli d’air.
Les appareils destinés au lancement des torpilles sont aériens ou sous-marins. Les tubes aériens, tubes de pont, ou tubes d’étrave, sont en réalité des canons d’un type spécial et approprié, s’ouvrant il l’arrière pour l’introduction des torpilles et projetant celles-ci dans l’eau au moyen de gargousses de poudre. (Au début on utilisait pour ces lancements l’air comprimé.) Simples ou jumelés, les tubes de pont sont montés sur des circulaires qui permettent de les pointer dans un large secteur de tir.
Les tubes d’étrave, fixes, entièrement installés il l’intérieur du bateau et dont l’ouverture avant seule fait saillie sur la coque, ne permettent, au contraire, de lancer les torpilles qu’en chasse.
Les appareils sous-marins se classent eu deux catégories distinctes : les uns sont des tubes d’allure générale analogue à celle des tubes aériens, mais présentant à l’avant une fermeture étanche, que l’on ouvre après introduction de la torpille, au moment même du lancement. Comme les tubes d’étrave, ces tubes sont établis à l’intérieur des bateaux et la porte étanche avant est à l’aplomb du bordé.
Après les lancements, l’eau qui a rempli les tubes en est chassée au moyen d’air comprimé. La deuxième catégorie d’appareils est constituée par des armatures à claire-voie, placées à l’extérieur des bateaux, ou dans de petits compartiments d’où ils émergent par des mécanismes à éclipse.
Ces appareils à orientation variable, auxquels appartiennent les systèmes Drzwiecki, Snuders, les tubes-carcasses, lancent les torpilles au moyen de dispositifs spéciaux.
Les tubes proprement dits, aériens ou sous-marins, portent généralement à l’avant un prolongement fixe ou mobile, la cuiller, qui a pour but de guider la torpille, au moyen de tenons engagés dans une rainure, jusqu’à ce qu’elle soit, suivant le cas, au-dessus de l’eau ou complètement dans l’eau, afin d’éviter les directions initiales fâcheuses.
Cette description sommaire de la torpille permet de se faire une idée des difficultés à vaincre dans sa construction et sa mise au point. Des essais minutieux des mécanismes doivent être faits en cours de fabrication et, une fois le montage terminé, on doit encore procéder à de nombreux lancements de réglage. La Nature a donné il y a quelques années un certain nombre d’indications sur la question des essais des torpilles [2] à propos de la construction, par MM. Schneider, de leur établissement de la Batterie des Maures. Il n’est peut-être pas sans intérêt, dans les circonstances présentes, de les rappeler et de les compléter, les installations visées ayant été développées depuis lors d’une manière considérable. Près du polygone sous-marin, destiné aux lancements, se sont, en effet, élevés des ateliers importants où sont centralisés l’usinage, le montage et les essais des torpilles. De spacieux bureaux d’étude sont affectés à la préparation des projets. L’atelier principal, de 80 m de longueur sur 75 m de largeur, renferme la forge, la chaudronnerie, les diverses sections de machines-outils, dont un nombre élevé de machines spéciales et très précises, les sections d’ajustage et de montage, les bacs de lestage. Un laboratoire de recherches et d’essais sert à la fois à la création de dispositifs nouveaux et à la mise au point des différents organes. Divers autres ateliers sont affectés aux services annexes.
Une fois les torpilles achevées, on les envoie, pour les tirs, à la batterie de lancement, curieuse construction en béton armé, immergée dans la rade d’Hyères. L’aménagement d’un polygone sous-marin doit satisfaire à de multiples desiderata ; il faut disposer d’une portée et d’une largeur libre suffisantes pour exécuter tous les lancements ; on cherche à établir la ligne de tir, autant que possible, au-dessus de fonds sur lesquels on puisse retrouver les torpilles qui coulent parfois en cours d’essai.
On recherche, de plus, des eaux claires et des fonds sans roche, même un peu élastiques, l’absence de marée et de courants et un endroit suffisamment abrité contre les mauvais temps. Le point d’où l’on procède aux lancements doit être à proximité de l’atelier de réglage et du magasin de dépôt des torpilles.
Enfin le champ de tir, avec ses ouvrages, appontement, station de lancement, radeaux, ne doit pas constituer une gêne pour la navigation. La Batterie des Maures réunit d’une manière satisfaisante ces différentes conditions.
L’îlot de la Batterie comprend, à la partie inférieure, la grande chambre de tir , de 14,500 m de longueur et de 7,500 m de hauteur. Cette chambre contient des tubes de lancement sous-marins et aériens de 450 et de 533 mm. Au-dessus de la plate-forme de l’îlot est construite une superstructure, contenant tous les locaux nécessaires à la manœuvre et au réglage des torpilles, des salles de machines et le poste d’observation. Ce poste, établi en encorbellement, est terminé à l’avant par une véranda, close par des châssis vitrés, pour faciliter les observa : ions au départ des torpilles ; il est muni d’une collection d’appareils optiques et enregistreurs.
La ligne de tir est balisée par des radeaux que l’on amarre à des bouées placées à diverses distances. Ces radeaux sont constitués par des charpente, montées sur des flotteurs. À la partie supérieure, ils comportent une passerelle sur laquelle se tiennent les observateurs qui indiquent aux agents de la Batterie le passage des engins. Des filets suspendus aux radeaux permettent de vérifier les immersions.
Les torpilles sont amenées de l’appontement des ateliers à l’îlot dans des chaloupes, remorquées par des vedettes, qui vont également les rechercher sur la ligne de tir. Ce n’est qu’après avoir subi tous leurs lancements d’essai et les retouches de mise au point reconnues nécessaires que les torpilles sont livrées à l’armée navale.
L’examen des diverses questions, relatives aux modes d’emploi des torpilles dans la guerre navale, nous entraînerait hors des limites de cette courte étude et nous nous bornerons à en indiquer quelques traits généraux. Dans certains cas spéciaux, afin de doubler l’action des mines sous-marines pour la défense des passes étroites, les torpilles sont lancées de tubes analogues aux tubes de pont, installés sur le rivage et soigneusement dissimulés.
Les Turcs doivent posséder de telles installations aux Dardanelles et dans le Bosphore, Mais cette utilisation est très limitée et c’est à bord des unités de combat que la torpille est normalement appelée à jouer son rôle.
Les torpilleurs de faible tonnage (50 à 100 tonneaux), qui furent construits tout d’abord comme unités lance-torpilles ont été successivement remplacés par les torpilleurs de haute mer et par les destroyers, à plus grand rayon d’action et à vitesse supérieure, dont le déplacement atteint près de 1000 tonnes dans les types récents.
Nous n’avons qu’à mentionner les sous-marins dont le rôle considérable s’est affirmé depuis le début des hostilités.
À côté de ces bateaux dont la torpille est l’arme exclusive ou principale, on ne doit pas oublier que les cuirassés et les croiseurs portent un certain nombre de tubes lance-torpilles ; nos récents dreadnoughts ont une batterie de six tubes.
En général une seule torpille ou deux torpilles seulement sont lancées par un bateau contre le bateau ennemi à détruire. On a cependant prévu, à bord des grands destroyers et des cuirassés, l’emploi des torpilles par bordées, lancées de toute une escadrille ou d’une escadre, contre une file de bateaux ennemis au cours d’un combat naval. Dans ces conditions, les chances de toucher les objectifs, aux vitesses actuelles des bateaux et aux distances de combat, sont relativement faibles, mais les résultats possibles, si deux ou trois engins seulement l’ont au but, seraient tels qu’ils ont paru de nature à justifier cette tactique. Il ne faut pas oublier que, pour remarquable qu’elle soit, la vitesse de la torpille, aux distances voisines de 10 000 m, n’est pas même de 15 m/s, ce qui correspond à une durée de trajet de plus de 10 minutes. (La vitesse initiale des projectiles des grands canons de bord est environ de 800 m. à la seconde et l’obus met 15 à 20 secondes pour franchir 10 000 m). La guerre actuelle n’a pas encore permis d’apprécier les résultats pratiques de la torpille dans des combats d’escadre, hors du rayon d’action des sous-marins, mais elle a confirmé ceux que l’on peut réaliser à plus courte portée avec les torpilleurs et surtout arec les sous-marins. La flotte allemande n’ayant pas osé sortir de ses repaires nous n’avons pas, nos Alliés et nous, eu beaucoup à employer la torpille, mais nos sous-marins et nos destroyers n’ont pas à craindre une lutte qui ne saurait tourner qu’à leur avantage et nos ennemis venaient comment nos équipages utiliseraient contre eux cette arme redoutable qui, par exception, nous devons le reconnaître, a été créée par eux.
René Blactot