L’empire cochinchinois ou annamite occupe, entre le 9e et le 23e degré de latitude nord, une longue bande de terre au pied de hautes montagnes qui le séparent à l’ouest du Laos ; au sud et à l’est, il a la mer de Chine pour limite, et au nord les provinces chinoises de l’Yunnam et du Kuang-Tong. Il est composé de la réunion de quatre territoires, savoir : le Tong-King, ou Dang-Ngoai ; la haute Cochinchine, ou Annam-Dray, connue aussi sous le nom de pays de Hué ; la moyenne Cochinchine, récemment formée des empiétements faits peu à peu sur le Cambodge. À leur tour, ces quatre grands territoires se subdivisent en provinces placées sous l’administration de mandarins appelés quan-tran.
La Cochinchine est à la fois agricole et manufacturière ; elle produit en abondance le riz, le maïs, le millet, le coton, l’indigo, la canne à sucre, le mûrier, etc., ses étoffes de soie, ses objets de menuiserie et de tabletterie ont une réputation universelle. La mise en œuvre des métaux laisse peut-être li désirer, mais elle suffit telle qu’elle est aux besoins du pays. EH revanche, la charpenterie est très-bien exécutée, et les constructions navales sont arrivées à un degré de perfection qui ne manque jamais d’étonner les navigateurs européens. Malheureusement le système de déprédation en vigueur dans ce pays empêchera longtemps encore en Cochinchine l’emploi des richesses dont la nature l’a dotée.
Le culte de Boudha, ou dieu Foo, est de tous les dogmes établis le plus populaire. Il diffère peu de celui qu’on observe en Chine. Ainsi les pagodes y présentent les mêmes dispositions, et y on adore la Divinité sous une forme pareille. De même qu’en Chine on y consulte le sort, et on y conjure le génie du mal, en brûlant sur son autel des papiers dorés et argentés. Astreints aux mêmes règles que les bonzes chinois, les prêtres du dieu Foo sont voués au célibat, mais ils en enfreignent assez généralement la loi. Ils ne s’occupent point de l’instruction du peuple, qui possède si peu de notions sur la religion nationale qu’on l’a vu plusieurs fois délibérer sur le choix d’une croyance, et souvent n’en admettre aucune. La seule coutume religieuse qu’il observe est la vénération des morts. Des funérailles, quelquefois magnifiques, les accompagnent à la dernière demeure, et des autels où le 1er et le 15 de chaque mois on dépose des mets que la famille mange ensuite, leur sont consacrés.
La religion catholique, introduite dans l’empire annamite par des jésuites portugais en 1624, compte aujourd’hui, sur une population de 15 millions d’habitants, 2 millions de croyants, dont la persécution augmente le nombre tous les jours. Elle est représentée par trente missionnaires environ, savoir : vingt missionnaires français et dix missionnaires espagnols. Il existe en outre, dans le pays, des prêtres indigènes dont on fixe le nombre à cent cinquante. C’est surtout chez le peuple qu’ils font des prosélytes, et cela se conçoit d’ailleurs dans un pays qui gémit sons la plus complète oppression.
Le Cochinchinois est de mœurs douces ; il est serviable, hospitalier, très démonstratif dans le témoignage de ses politesses ; mais, contenu par des supérieurs toujours prêts à le malmener, son caractère a contracté une certaine timidité vis-à-vis de l’étranger et une méfiance qui ne demanderait qu’un peu de sécurité pour disparaître. Patient, obéissant, sobre, dur à la fatigue, il aurait la plupart des qualités requises pour faire un bon soldat si une organisation militaire bien entendue en faisait un emploi intelligent.
Tous les Cochinchinois sont soldats de naissance, c’est-à-dire que tous sont tenus de consacrer seize années de leur vie au service de l’empereur. C’est à dix-huit ans qu’ils sont appelés sous les drapeaux, où ils reçoivent chaque jour une modique ration de riz, et à peu près deux francs par mois. Rien de grotesque comme l’équipement du soldat cochinchinois, dit un voyageur. Un petit chapeau conique en cuir de rhinocéros, fort étroit, et quelquefois surmonté d’un plumet ronge ou jaune, recouvre ses longs cheveux malpropres, ramassés sans art sur le derrière de la tête ; un pantalon de toile grise très grossière, ne descendant pas plus bas que le genou, laisse voir à nu sa peau sale et flétrie ; une tunique ou casaque, assez semblable pour la forme à celle de nos forçats, complète son habillement. La tunique est bleue, jaune ou rouge, selon que le soldat appartient à tel ou tel corps, et elle a toujours de larges parements d’une couleur différente. Tout soldat dont le chapeau est orné d’un plumet a un fusil. L’artilleur dont la coiffure est privée de cet appendice n’a qu’une lance longue de quatre à cinq mètres, mais au bout de laquelle flotte une éclatante frange rouge.