L’été dernier, par une température plus supportable que celle année, nous avons revu Bozel en Tarentaise. Nous ne pensions pas avoir à parler ici de cette bourgade, aimable, riante et discrète.
Bozel est un de ces petits coins de Sa voie où le touriste avisé peul séjourner de long jours sans ennui. Il a à portée de main des montagnes où les ascensions sont faciles, où de longues heures se passent il travers les forêts de sapins, sur les pelouses émaillées de fleurs, vers Saint-Bon, le mont Charvet, et le mont Jovet. Le pays est d’autant plus agréable que l’air est pur ; que, le matin elle soir, une brise parfumée, descendue des hauts sommets, apporte aux organismes affaiblis des énergies nouvelles. Nous faisions ces réflexions en étant assis dans une salle fraîche de l’Hôtel des Alpes.
Mais, dans ces vallées de montagnes, un ennemi sournois veille toujours. c’est le torrent, d’autant plus redoutable que l’homme lui a rendu facile sa besogne de mort, en arrachant, les arbres, en installant la culture du blé sur des pentes dangereuses. À Bozel, passe la grande rivière descendue des glaciers de Pralognan, rivière tumultueuse, mais à lit large et bien dégagé. Elle reçoit, à droite, un affluent que le promeneur remarque à peine, tant il est insignifiant. C’est le Bonrieux, le « bon ruisseau » ; il ne paye pas de mine, son lit est constitué par d’énormes cailloux, enrobés de débris schisteux. Un mince filet d’eau erre à travers ces pierres ; on n’a aucune peine à l’éviter. Il semble un être mort ; ses réveils sont terribles. Son bassin est étroit, à berges abruptes ; les pluies qui s’y produisent sont d’une intensité effroyable. Elles apparaissent sous la forme de trombes persistantes. L’ouragan du 17 juillet commença à deux heures, il dura jusqu’à six heures : l’eau tombait avec une abondance effroyable, sur les alpages du mont Jovet.
Cette eau dévala dans les bois très clairs de la région, des arbres furent arrachés, des digues temporaires se formèrent ici et là, digues aussitôt rompues et reformées plus loin. Bientôt au bas du bassin de réception du torrent se forma une sorte de lave immense composée de rochers énormes, de sapins gigantesques et de terre liquide.
La lave emporta les digues qui canalisaient le Bonrieux, et apparut effrayante au-dessus de Bozel. Les maisons furent enlevées comme des fétus de paille. Le résultat : sur la place principale on se heurte à chaque instant contre de gros cailloux. Sur l’emplacement d’un hôtel on trouve d’énormes rochers. Et de tout cela se dégage une odeur de mort. Les objets à fleur de sol sont ensevelis dans une boue noirâtre. La catastrophe de Bozel ressemble à beaucoup d’autres : elle a une origine connue. Nous l’avons signalée ici bien souvent : elle n’a été causée que par la déforestation, fort ancienne, qu’on a fait subir à nos Alpes. Ne créons pas trop de pâturages, reboisons les pentes, consolidons les berges effritées des torrents, et les montagnards pourront dormir en paix.
J. Corcelle,
Agrégé de l’Université.