Travail de l’eau et du feu dans la formation du globe

Lecouturier, Le Musée des sciences — 14 avril 1858
Dimanche 11 octobre 2020

Attention. En 1858, et au moins jusqu’en 1875 [1], l’hydrogène moléculaire se voyait attribuer le poids atomique 1. De ce fait, l’oxygène avait un poids atomique de 8 et l’eau avait pour formule OH. Ce qui explique une partie du début de l’article.

1. - Origine de l’eau sur la Terre.

Tout le monde connaît le rôle de l’eau dans l’économie du globe ; tout le monde sait que c’est en raison de l’absence de ce liquide que la lune est un astre aride et inhabité, et qu’il en serait de même de la terre si elle en était dépourvue. On sait, de plus, depuis les célèbres expériences de Lavoisier, que l’eau n’est pas un corps élémentaire comme le pensaient les anciens, mais seulement un corps composé. Depuis lors on est parvenu à savoir que cent parties de ce composé renferment en poids 11,11 de gaz hydrogène et 88,89 de gaz oxygène ; en volume, l’eau l’enferme deux parties d’hydrogène contre une d’oxygène.

L’eau est d’une telle importance dans la nature qu’il est intéressant de rechercher à quelle époque elle a fait sa première apparition sur la Terre, Un mémoire qui touche à ce sujet a été lu à la fin de l’année dernière, par M. Sorby, à la Société géologique de Londres, et communiqué récemment à l’Académie des sciences de Paris.

Si l’on veut rechercher le principe des éléments qui constituent l’eau, c’est une question de cosmogonie, et à ce titre une question très obscure et très difficile à traiter. Si l’on admet l’hypothèse de Laplace, qui fait de chaque planète circulant autour du soleil une masse gazeuse immense, il est évident qu’à cette époque primordiale les gaz de la nébuleuse terrestre contenaient en principe tous les corps qui ont existé depuis.

Mais dans cette nébuleuse, tous les corps existant aujourd’hui existaient-ils à l’état de gaz différents, d’une nature hétérogène et ayant des propriétés distinctes et des qualités opposées ? C’est un fait qu’il est difficile d’admettre, car si, dans le principe, des gaz, ayant entre eux des affinités chimiques, s’étaient trouvés en présence, ils se seraient combinés aussitôt : ainsi, deux volumes d’hydrogène en présence d’un volume d’oxygène se seraient combinés, pour peu qu’une étincelle en eût approché, et le résultat de la combinaison aurait été de l’eau.

L’eau n’ayant pu faire son apparition à l’époque où la Terre n’était qu’une masse gazeuse, on est obligé d’admettre le système si admirablement exposé par M. Dumas dans son travail récent sur les Équivalents chimiques des corps simples, et de dire que, dans cette masse gazeuse, il n’existait qu’un seul gaz, celui qui est l’unité, et dont tous les autres gaz sont le multiple.

Quel était ce gaz primordial, cet élément de tous les corps de la nature ? — M. Dumas ne donne pas là-dessus son opinion ; il cite seulement celle du chimiste anglais Prout, suivant lequel le gaz hydrogène aurait été cet élément. D’après cette opinion, l’hydrogène, c’est-à-dire le principal corps constituant de l’eau, serait aussi le corps constituant de la nature entière.

Il y a beaucoup de probabilités pour que l’hydrogène n’existât même pas dans le principe, et M. Dumas semble se ranger plus particulièrement à cette opinion, qui a été émise par M. de Marignac. On a trouvé que l’hydrogène n’est pas juste l’unité de poids spécifique dont tous les autres gaz sont le multiple, et l’on en a conclu que la matière élémentaire de la nature devrait être un corps inconnu d’un poids égal à la moitié de celui de l’hydrogène.

De degré en degré, nous en venons à trouver même que l’hydrogène, le corps le plus léger que l’on connaisse, ne saurait avoir existé à l’époque où notre monde n’était encore qu’une masse gazeuse sans consistance.

D’après la théorie chimique de l’isomérie, d’où il résulte qu’un corps ne se distingue de l’autre que par la différence d’arrangement ou de condensation de ses molécules, le gaz élémentaire inconnu, dont le poids spécifique est lamoitié de celui de l’hydrogène, donna naissance à ce dernier corps en condensant au double ses molécules. nous n’avons encore qu’un des principes constituants de l’eau, car il n’est pas encore question de l’oxygène. Le gaz élémentaire inconnu ne donna naissance à l’oxygène qu’en condensant seize fois ses molécules, et après avoir formé le carbone qui est le résultat d’une combinaison de douze fois.

II. - L’eau pendant la période d’incandescence.

Ces diverses formations de gaz nécessaires, soit en qualité de combustibles, comme l’hydrogène et le carbone soit pour entretenir la combustion, comme l’oxygène, durent être accomplies lorsque arriva la période ignée du globe, la première qui ait laissé des traces palpables dont la géologie puisse avoir notion.

Alors l’hydrogène et l’oxygène, mis en présence et animés par l’étincelle électrique, avaient fait explosion et donné naissance à un nouveau produit qui était l’eau. La masse gazeuse du globe se trouva enflammée du même coup et donna lieu à d’innombrables précipitations. Les eaux alors formées furent aussitôt vaporisées par la chaleur de la combustion du globe, et, ainsi que le disait récemment M. Faye à l’Académie des Sciences, « leur masse entière s’éleva dans l’atmosphère à l’état de vapeur, avec l’immense quantité d’acide carbonique dont les calcaires se sont emparés plus tard.

« Ces vapeurs transparentes près du noyau liquéfié allaient se condenser à une grande hauteur vers les limites d’une atmosphère beaucoup plus étendue qu’aujourd’hui, sous l’influence du froid des espaces célestes, et former ainsi une enveloppe continue de nuages blancs et brillamment illuminés par les rayons du soleil ; vue de loin, cette photosphère par réflexion constituait la forme visible de notre globe. »

Pour avoir une idée de l’intensité de la chaleur produite par la combustion du globe et qui tenait la masse des eaux à l’état de vapeur au haut de l’atmosphère, il suffit de savoir qu’aujourd’hui, malgré l’énorme refroidissement de notre planète, on trouve encore un accroissement de température de un degré centigrade, à mesure que l’on descend à une profondeur d’environ 33 mètres ; d’où il suit qu’en admettant la continuation régulière de la loi, on trouverait la chaleur de l’eau bouillante (100°C) à trois kilomètres au-dessous de la surface terrestre.

À 20 kilomètres de profondeur on aurait 666 degrés, chaleur suffisante pour fondre plusieurs des minéraux les plus réfractaires. Pour le centre du globe, à 1592 lieues au-dessous de la surface terrestre, la même loi d’augmentation de la température donnerait une chaleur de deux cent mille degrés centigrades ; chaleur qui dépasse tout ce qu’on peut imaginer.

Il n’est pas hors de raison de supposer que la température moyenne du globe, dans sa période d’incandescence, était au moins égale à cette dernière ; c’est ce qui explique comment aucun corps ne put lui résister, comment, les matières les plus réfractaires non seulement furent fondues, mais encore gazéifiées ; il en résulta un pèle-mêle de tous les éléments qui, sous l’influence du refroidissement, se liquéfièrent et donnèrent naissance aux produits minéraux qui formèrent les premières assises de la Terre.

La première époque de notre globe, lorsqu’il consistait entièrement en une masse nébuleuse démesurément étendue, aurait été une époque de précipitation chimique des premiers gaz comme l’hydrogène et l’oxygène qui donnèrent naissance à l’eau comme le carbone qui, en se combinant avec l’oxygène, donna naissance à l’acide carbonique, comme l’azote qui par sa combinaison avec l’oxygène produit l’acide nitrique, et par sa combinaison avec l’hydrogène l’ammoniaque.

Ce fut à la suite de ces combinaisons chimiques, toujours accompagnées d’un développement de chaleur et souvent d’une étincelle que les matières primordiales du globe s’enflammèrent ; période d’incandescence, du globe n’est donc, à proprement parler, que le deuxième âge de la Terre. Les matériaux qui en résultèrent furent les terrains dits plutoniens ou de fusion, parmi lesquels on compte les laves, les trachytes, les basaltes, les porphyres.

III. - Action combinée de l’eau et du feu.

Jusqu’à ce jour on avait compté parmi les roches plutoniennes, les granites et les roches granitoïdes, telles que les syénites, les diorites, les pegmatites, etc. ; mais voilà que M. Sorby vient de signaler les granites comme le premier terrain apparu à la surface du globe, sur lequel on remarque l’action évidente des eaux, La présence des eaux à l’état liquide sur la terre serait donc bien antérieure à l’époque qu’on assignait à leur apparition. En géologie, il en résulterait pour conséquence que le passage des formations par le feu aux formations par l’eau ne se serait pas opéré par transition brusque et subite, mais qu’il y aurait eu dans l’intervalle des premières aux secondes une formation intermédiaire tenant des unes et des autres, c’est-à-dire ignée en même temps qu’aqueuse ; cette formation serait celle des granites.

En établissant la réalité de l’influence des eaux sur la formation des granites, M, Sorby ne prétend pas dire que le. granite a été dissous dans l’eau, comme l’ont été plus tard les terrains sédimentaires ; il pense plutôt que l’eau il l’état gazeux a été dissoute dans le granite fondu comme dans un liquide ; et, en cela, il est d’accord, jusqu’à un certain point, avec les principes émis par M. Angelot [2]. M. Sorby complète son idée en disant que, par l’effet du refroidissement, l’eau a été mise en liberté à l’état liquide, de sorte que la roche fondue est devenue solide et cristalline sous l’influence de l’eau liquide. Les matières purement éruptives, comme les laves, les trachytes, les basaltes, les porphyres, qui forment les terrains plutoniens, sont, au contraire, devenues solides sans le concours de l’eau liquide agissant sur elles au moment de leur solidification, et si l’eau les a modifiées, ce ne peut être que par son dégagement à l’état de vapeur.

IV. — Règles pour reconnaître le milieu dans lequel s’est opérée la cristallisation des minéraux

En examinant au microscope des cristaux artificiels, M. Sorby remarqua qu’ils ont souvent saisi et enveloppé dans leur substance solide des portions de la matière qui les environnait lorsqu’ils étaient en cours de formation. — S’ils ont été produits par sublimation, ce sont de petites portions d’air ou de vapeurs qu’ils ont saisies et qui donnent lieu à de petites cavités qui paraissent vides. Si ces cristaux sont formés par une dissolution déposée dans un milieu aqueux, les cavités qu’ils renferment sont remplies d’eau. — Enfin, si des cristaux provenant d’une fusion ignée ont cristallisé dans un dissolvant de roche fondue, on y trouve des portions de cette roche fondue qui, en se refroidissant, se maintiennent à l’état vitreux de manière à produire ce qu’on pourrait appeler des cavités vitreuses.

Ces différentes espèces de cavités peuvent être vues aisément avec des pouvoirs amplifiants convenables et distinguées les unes des autres par des particularités bien définies.

De ces faits M. Sorby a déduit les lois suivantes, qui révèlent les circonstances sous l’influence desquelles a eu lieu la formation des cristaux des diverses époques géologiques :

1° Les cristaux contenant seulement des cavités avec de l’eau, proviennent d’une dissolution dans un milieu aqueux ;

2° Les cristaux contenant seulement des cavités vitreuses sont dus à la fusion ignée ;

3° Les cristaux contenant à la fois des cavités avec eau et des cavités vitreuses, ont été formés sous une grande pression due à l’influence de l’eau fortement chauffés et de la roche fondue ;

4° La quantité d’eau existant dans les cavités peut servir, dans quelque cas, à trouver à quelle température les cristaux ont été formés ;

5° Les cristaux contenant seulement des cavités vides, ont été formés par sublimation, à moins que ce ne soient des cavités remplies par de l’eau qui a été perdue, ou qu’elles n’aient été formées par des bulles dues à la fusion ;

6° Les cristaux qui contiennent un petit nombre de cavités, ont été formés lentement comparativement à ceux de la même substance qui en contiennent un grand nombre ;

7° Les cristaux qui ne contiennent pas de cavités, ont été formés très lentement ou ils sont dus au refroidissement d’une substance pure et homogène arrivé après la fusion.

V. - Cristallisation des minéraux de l’écorce terrestre.

Voici, d’après l’application de ces règles, la détermination du milieu dans lequel ont cristallisé quelques-uns des minéraux de l’écorce terrestre :

L’examen microscopique des cavernes du sel gemme, du spath calcaire, des dépôts tuffacés modernes, des filons et des calcaires ordinaires, ainsi que celui des cavernes du gypse, indique que ces minéraux, dissous dans l’eau, s’y sont déposés à une température qui n’était guère supérieure à la température ordinaire. Il en est de même d’un grand nombre d’autres roches et particulièrement des zéolithes [3].

Quant aux minéraux constituant le micaschiste et les roches qui lui sont associées, le grand nombre des cavités remplies d’eau, qu’on y observe, indique qu’ils ont été métamorphosés par l’action de l’eau chauffée et non pas simplement par une chaleur sèche et par une fusion partielle.

La structure des minéraux, contenus dans la lave éruptive, prouve qu’ils ont été déposés d’une seule masse par la fusion ignée, comme les cristaux renfermés dans les scories des fourneaux.

Dans quelques minéraux comme la néphéline et la méionite, trouvés dans des blocs rejetés par des volcans, il existe, en outre des cavités vitreuses, beaucoup de cavités contenant de l’eau, dont la quantité relative indique qu’ils ont été formés sous une grande pression, à la température du rouge sombre, en présence de l’eau chauffée et de la roche fondue. Les cavités remplies d’eau de ces minéraux aqueux-ignés contiennent généralement de très petits cristaux, comme s’ils avaient été détachés par le refroidissement de corps dissous dans une eau fortement chauffée.

Les minéraux contenus dans les roches trappéennes où dominent la pyroxène et l’eurite, ont aussi une structure indiquant qu’ils sont véritablement d’origine ignée, mais qu’ils ont été fortement altérés par l’action subséquente de l’eau ; on y trouve un grand nombre de minéraux formés dans de petites cavités par le dépôt d’une dissolution aqueuse, Le quartz des filons quartzeux est constitué de façon à prouver qu’il a été déposé rapidement par une dissolution dans l’eau ; dans quelques cas, la quantité relative de l’eau qui remplit les cavités indique que la température du milieu liquide était considérable ; le calcul a révélé que cette température s’était élevée jusqu’à 165°C (329°F). Il paraît que lorsque la chaleur était plus intense encore, il se déposait du mica, de l’étain oxydé et probablement du feldspath.

M. Sorby résume ses observations en disant qu’il existe, comme l’a pensé M. Elie de Beaumont, un passage graduel des filons quartzeux aux filons de granite et au granite lui-même. Il n’existe pas entre ces masses diverses une ligne de démarcation aussi distincte qu’on pourrait l’attendre, si les unes avaient été déposées par l’eau et si les autres l’avaient été par la fusion ignée, comme les scories de nos fourneaux et les laves éruptives.

Lorsqu’on examine les minéraux constitutifs du granite solide loin de leur point de contact avec les roches stratifiées, on voit qu’ils contiennent aussi des cavités remplies d’eau. Ces cavités sont en si grand nombra dans le quartz du granite à gros grains très quartzeux, qu’en les évaluant à mille millions par pouce cube, on ne tombe pas du tout dans l’exagération, l’eau qui s’y trouve renfermée constitue de 1 à 2 % du volume du quartz.

En dehors de ces cavités aqueuses, le feldspath et le quartz contiennent encore des cavités vitreuses parfaitement caractérisées et analogues à celles des cristaux des scories et des laves éruptives ; on voit ainsi que la structure caractéristique du granite est la même que celle des minéraux formés moitié par l’eau, moitié par le feu, dans les blocs qui ont été rejetés par les volcans modernes, et la présence fréquente de très petits cristaux dans l’intérieur des cavités aqueuses corrobore encore cette analogie.

« La conclusion à laquelle ces faits paraissent conduire, dit M. Sorby, c’est que le granite n’est pas une simple roche ignée, mais plutôt une roche aqueuse-ignée, produite par l’influence combinée de l’eau liquide et de la fusion ignée, dans des conditions physiques semblables a celles qui existent à une grande profondeur au-dessous de la surface de la Terre, à la base des volcans. »

Après avoir fait dater l’origine de l’eau de l’origine même du globe, nous avons montré son action combinée à celle du feu, à la fin de la période de fusion, préparant les matériaux qui devaient servir de base et surtout d’éléments aux formations sédimentaires. Le travail de l’eau allait prédominer sur celui du feu pendant cette nouvelle période ; en effet, tous les terrains postérieurs devaient commencer par être en suspension dans les mers ou dans les eaux douces pour se précipiter ensuite et se déposer au fond par couches stratifiées.

Lecouturier

[1Traité d’analyse chimique à l’aide de liqueurs titrée, par le Dr F. Mohr, Librairie F. Savy - 1875.

[2Bulletin de la Société géologique de France, 1e série, t, XIII, p, 178

[3On comprend sous ce nom une infinité de pierres (silicates albumineux hydratés) qui ont, comme la mésotype, la propriété de fondre en bouillant et de donner avec les acides un précipité gélatineux.

Revenir en haut