Les carillons

A. Rameaux, La Science Illustrée N°527 - (1er janvier 1898)
Samedi 17 juin 2017 — Dernier ajout dimanche 18 juin 2017

Les carillons, aux XVe et XVIe siècles, existaient dans presque toutes les villes de la Flandre. Celui de Dunkerque était des plus renommés et les airs que jouaient les cloches étaient chantés et dansés en tonde par les paysans. Aujourd’hui, il est bien peu de villes qui en possèdent encore ; souvent même les clochers ou les horloges munis de carillons restent muets. Les causes de ce silence sont la plupart du temps un dérangement dans le mécanisme ou simplement un caprice des voisins du carillon qui ont trouvé que ce bruit musical les incommodait par sa répétition trop fréquente. C’est ainsi qu’à Paris Je carillon de Saint-Germain-l’Auxerrois n’a jamais pu fonctionner.

Les carillons ont ordinairement un double but.

D’une part, ils accompagnent d’une petite phrase musicale la monotone sonnerie des heures ; d’autre part les cloches qui les constituent peuvent encore être mises en mouvement par un artiste quelconque.

J’ai peut-être tort de dire un artiste quelconque, car ceux de mes lecteurs qui ont vu des carillons dans les Pays-Bas ne comprendront pas qu’une femme par exemple puisse mettre en branle le lourd attirail de cordes, de poulies et de leviers que nécessite la mise en mouvement des cloches qui constituent un carillon. C’est qu’aujourd’hui les conditions sont bien différentes de ce qu’elles étaient autrefois et que la fée Électricité est venue éviter au carillonneur toute dépense de force.

Lorsque le carillon doit simplement jouer une petite phrase musicale à chaque heure ou quart d’heure, le mouvement de l’horloge est relié à un cylindre portant des chevilles, analogue à celui des boîtes à musique ; les chevilles, à leur passage, accrochent des leviers qui mettent en branle les cloches. Mais, quand il s’agit de jouer un air complet, l’artiste doit agir sur les touches d’un clavier. On ne peut se représenter par la vue de la dame de notre gravure, assise devant un clavier analogue à celui d’un piano, le travail exigé par le jeu des anciens carillons. Voici d’après Fétis, Je tableau d’un carillonneur dans l’exercice de son art :

« Deux claviers sont placés devant lui, le premier est destiné aux mains pour exécuter les parties supérieures ; l’autre, qui doit être joué par les pieds, appartient à la basse. De gros fils de fer partent de toutes les cloches, et viennent aboutir à l’extrémité inférieure de chaque touche de ces claviers. Ces touches ont la forme de grosses chevilles, que le carillonneur fait baisser, en les frappant avec le poing ou le pied. L’artiste est assis sur un siège assez élevé pour que ses pieds ne posent point à terre, afin qu’ils tombent d’aplomb et avec force sur les touches qui appartiennent aux grosses cloches. Le poids de ces cloches exige une force musculaire peu commune pour les mettre en mouvement. Telle est la violence de l’exercice des deux bras et des deux pieds, qu’il serait impossible à l’artiste de conserver ses vêtements ; il ôte son habit, trousse ses manches, et, malgré ces précautions, la sueur ruisselle bientôt sur tout son corps. La rigueur de ses fonctions l’oblige quelquefois à continuer cette rude gymnastique pendant une heure, mais ce n’est jamais qu’avec la plus grande peine qu’il arrive jusqu’au bout. Il est rare aussi qu’un carillonneur ne soit pas obligé de se mettre au lit après avoir accompli cette longue et difficile tâche, et peut-être ne trouverait-on pas un seul homme en état de la remplir, si les occasions où il faut s’y soumettre n’étaient aussi rares. »

De nos jours ce sont les Américains qui, de tous les peuples, semblent ceux qui prennent le plus de goût aux carillons. Déjà à l’Exposition de 1867 on voyait un carillon destiné à la cathédrale de Buffalo et qui, à chaque heure, jouait soit le chœur de la Dame Blanche, « Sonnez cors et musettes, » soit l’air de la Reine Hortense. Celui que représente notre gravure est installé dans une des églises de New-York.

L’organisation de cette église de New-York est une nouvelle démonstration de la haute valeur de l’électricité dans la pratique. C’est elle qui met en branle les cloches les plus lourdes de l’église, qui remonte les poids de l’horloge, qui sonne les heures et les quarts d’heure et, qui joue une hymne vespérale quand vient la nuit.

Les poids de l’horloge sont mis en mouvement par un petit moteur électrique. L’horloge proprement dite, avec le clavier qui sert à faire mouvoir les cloches du carillon, est contenue dans une petite chambre séparée, dans ln tour de l’église. L’horloge en elle-même ne présente rien de bien particulier, si ce n’est qu’elle est mue par l’électricité, mais elle n’est pas la seule de ce genre. Le courant électrique qui actionne le petit moteur est fourni par une batterie d’accumulateurs qui sont chargés par les machines de l’église. Le courant fourni est assez fort pour faire marcher sans arrêt les aiguilles de l’horloge pendant quinze jours ; ce laps de temps permet de faire à la machine électrique génératrice toutes les réparations nécessaires sans que le service de l’heure s’en trouve interrompu. Il est bien entendu que l’horloge pourrait d’ailleurs être alimentée par toute autre source d’électricité, par le courant de la ville par exemple.

Le courant électrique fait avancer les aiguilles de minute en minute et à chaque quart d’heure fait tinter les cloches du carillon. Les électro-aimants sont en outre disposés de telle façon que chaque soir, à 9 heures, les cloches font entendre une phrase musicale qui est une sorte de couvre-feu. L’horloge va en effet rester ensuite silencieuse jusqu’au lendemain matin, de façon à ne pas troubler le repos du voisinage par ses carillons répétés.

La chambre qui contient le mécanisme de l’horloge possède aussi un clavier. Sur le clavier une dame vient chaque matin à 9 heures, et tous les dimanches aux heures des différents services religieux, exécuter des morceaux de musique. Ce clavier est, comme l’horloge, relié électriquement avec le battant des cloches. Dans le cas où, pour une cause quelconque, la communication électrique serait interrompue, le carillon pourrait encore être manœuvré au moyen du clavier.

Chaque partie de la communication électrique est en effet doublée par une série de leviers en bois qui transmettent aux battants des cloches les pressions exercées sur les touches. Bien entendu un système de contrepoids compensateurs vient en aide à la force du joueur qui n’a plus comme autrefois à faire acte d’athlète pour jouer un morceau de musique.

Le carillon en question se compose de 10 cloches dont la plus grosse pèse 3000 livres et la plus petite 250. On comprend sans peine que pour permettre aux dames d’Aire carillonneuses, il a fallu trouver des moyens mécaniques leur évitant de donner elles-mêmes la force nécessaire pour faire vibrer de telles masses. L’électricité, en permettant de résoudre la question avec la plus grande facilité, s’est faite une adhérente du mouvement féministe et a créé pour les femmes une profession de plus.

A. Rameaux

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