On annonce que l’année prochaine, au mois de janvier [1], la ville de Presbourg va fêter le deuxième centenaire de la naissance de l’inventeur hongrois de Kempelen.
Ses inventions sont peu connues et son fameux automate, le Joueur d’échecs, qui a été l’occasion de discussions et de polémiques n’était pas un automate ainsi qu’on l’a longtemps cru. C’était une pièce d’illusion adroitement truquée et dont l’histoire est un véritable roman.
Wolfgang, baron de Kempelen, né à Presbourg, en 1734, conseiller aulique à la Cour de Vienne, souvent adversaire de Marie-Thérèse aux échecs, avait eu l’idée de construire un automate, une machine capable de placer et déplacer les pièces, mais sans trop approfondir la question. En 1769, il eut l’occasion de se rendre en Russie chez un ami ; là, il rencontra un officier polonais, nommé Woronsky, amputé des deux jambes à la suite d’une révolte contre les Russes et qui cherchait à gagner la frontière.
Woronsky était de première force aux échecs et de Kempelen vit le moyen de donner la vie à la machine qu’il avait projetée, et aussi de faire sortir de Russie le pauvre mutilé, en le dissimulant dans un simili-mécanisme. Le truc réussit parfaitement et de ville en ville, de Kempelen approchait de la frontière, lorsque la Grande Catherine, passionnée des échecs, fit parvenir l’ordre de lui amener le curieux automate. De Kempelen obéit et fut assez heureux pour écarter une proposition d’achat de l’extraordinaire automate, faite d’une façon assez impérative par la toute puissante souveraine.
Les deux compères reprirent la route du départ et réussirent à quitter la Russie.
On retrouve l’automate en 1784 à Paris, puis à Londres, présenté par un nommé Anthon à qui de Kempelen l’avait cédé. Sans doute que Woronsky, forcé de gagner sa vie, avait suivi l’appareil, car le succès continuait. Enfin un mécanicien, nommé Maelzel (frère de l’inventeur du métronome) l’acheta et le présenta en Amérique, où il eut peu de succès ; Woronsky était remplacé par un joueur beaucoup moins fort, nommé Mouret. L’automate revint à Paris où il fut examiné par Robert Houdin en 1844. Il repartit en Amérique et termina sa carrière à Philadelphie, où il fut brûlé dans un incendie le 5 juillet 1854.
Voyons maintenant ce qu’était exactement ce prétendu automate :
Les deux figures reproduites jointes le représentent très exactement, car elles ont été dessinées par de Kempelen lui-même pour illustrer un volume descriptif aujourd’hui très rare, signé C. de Mechel, membre de l’Académie impériale et royale de Vienne, et paru en 1783.
L’appareil consistait en un meuble de 1,20m de long, 0,70m de large, 0,85m de haut, monté sur roulettes et possèdant, fixé à l’arrière, un siège supportant un mannequin habillé en turc.
Ce mannequin tenait de la main gauche une longue pipe qui lui était retirée afin que la main pût, prendre les pièces ; l’automate était gaucher parce que Woronsky l’était.
Le meuble était divisé en trois parties : en bas un tiroir qui renfermait l’échiquier, un coussin sur lequel s’appuyait le bras du Turc pendant la partie et différents petits accessoires mécaniques et autres, clé de remontage, tournevis, etc. ; au-dessus le meuble lui-même était divisé en deux parties inégales par une cloison ; on ouvrait les deux portes et l’on voyait à la fois les deux parties intérieures du meuble ; celle de gauche, la plus petite, était complètement remplie par un mécanisme compliqué de bielles, de rouages, de cylindres, etc. ; le plus grand espace à droite était à peu près vide et ne contenait qu’un assemblage restreint de poids, tirages, contrepoids, etc.
Le meuble tournait sur ses roulettes et les vêtements du Turc étaient relevés comme dans la première figure ; de plus, on ouvrait des portes montrant que le corps de l’automate était vide, sauf quelque mécanique indispensable.
Pendant toute cette présentation Woronsky était caché, fort mal à son aise, moitié dans la partie gauche du meuble et moitié dans le corps même de l’automate ; pour masquer le bruit qu’il pouvait faire en prenant une position plus commode, de Kempelen remontait la machine à l’inutile mouvement.
Telle est l’histoire vraie et la description exacte du prétendu automate qui relève plutôt de la prestidigitation que de la mécanique.
Le prestidigitateur Alber