Les grues sont, d’après les dictionnaires, des machines destinées à soulever des fardeaux très pesants. Cette définition n’est point absolument exacte, car, à ce compte, un treuil, un levier, un palan, seraient des grues et il ne viendra cependant à l’idée de personne de désigner par ce terme les machines que nous venons de nommer. La propriété de soulever de lourds fardeaux est commune à toutes ces machines, mais ce qui distingue la grue, ce qui lui donne son individualité, c’est sa mobilité autour d’un axe vertical.
Les premières grues furent des grues à main, appliquant pour la multiplication de la force les principes du treuil et de la poulie. L’ensemble de la machine est établi sur un solide massif de maçonnerie dans lequel s’enfonce un pignon vertical. C’est sur ce pignon qu’évolue la machine, déterminant par la rotation sur cet axe le transport des objets d’un bateau sur un quai, par exemple. La combinaison du treuil et de la poulie permet l’élévation des fardeaux.
Ces grues à main étaient et sont encore fort employées lorsqu’il s’agit de petites installations, lorsqu’on n’a ;point de poids considérables à déplacer. Mais lorsqu’il s’agit d’une grande exploitation industrielle, du service d’un port de mer ou d’un arsenal, la force humaine ne suffit plus. On pourrait encore l’employer, à la rigueur, en augmentant la longueur des bras de levier, c’est-à-dire la longueur des manivelles du treuil ; mais ce que l’on gagne en force on le perd en vitesse et l’enlèvement d’un lourd fardeau demanderait un temps infini. Dans ces conditions, il n’y aurait plus économie à employer le travail de l’homme : le temps perdu à l’exécution annulerait l’économie de main-d’œuvre.
C’est cette raison qui a fait partout adopter les grues hydrauliques ou les grues à vapeur. Ces dernières surtout, par leur peu de volume, leur installation facile, leur rendement supérieur, leur manœuvre commode, ont conquis tous les suffrages et ce sont elles qui sont le plus universellement employées. Un seul homme, monté sur la plaque tournante sur laquelle repose la machine et son tender, fait marcher la grue, lui fait enlever des fardeaux,les lui fait déposer aux endroits désignés.
Beaucoup moins connue et moins employée est la grue hydraulique. Au premier abord, elle semblerait cependant préférable au point de vue de l’économie, mais cet avantage est largement compensé par une foule d’inconvénients, dont le moindre n’est pas l’installation coûteuse à laquelle oblige ce genre de machine.
Notre gravure représente un magnifique spécimen de grue hydraulique qui a été établi par la maison Armstrong de Newcastle dans l’arsenal de la Spezzia. Au moment des fêtes de Gênes tous les marins réunis pour le centenaire de Christophe Colomb ont admiré cette remarquable machine qui soulève un poids de 160 tonnes. La seule inspection de notre gravure rend compte de la puissance de cette grue, installée d’une formidable façon au-dessus d’un massif de maçonnerie circulaire. Ce qu’il y a de plus remarquable, c’est la douceur avec laquelle se meut cette masse énorme. Le canon, suspendu par des cordages à la tige d’un piston qui joue dans un cylindre vertical, semble aspiré par une force invisible et s’élève sans secousse et sans bruit au-dessus du bordage du navire. Puis les grands bras de la grue tournent lentement pour aller déposer l’engin à quelques pas plus loin.
Nous ne décrirons pas cette machine par le détail, il n’y aurait là aucun intérêt. Nous dirons seulement que sa force repose sur l’éternel principe de Pascal. Le corps de pompe dans lequel se meut le piston, communique avec une conduite d’eau ; celle-ci presse sur le piston et le fait facilement monter, tout comme elle fait gravir à un ascenseur chargé les cinq ou six étages d’une maison. Il suffit donc pour faire manœuvrer une telle machine de posséder une chute d’eau d’une hauteur et d’un débit suffisants.
Comme on le voit, la seule- dépense de ce genre de grue réside dans son prix d’installation, car, dans la suite, il suffit de lui fournir la quantité d’eau nécessaire pour la faire manœuvrer et ce liquide n’a jamais été regardé comme étant d’un prix inabordable. Du même coup, ces grandes machines deviennent à peu près immobiles, car on ne peut guère songer à transporter avec elles toute leur .tuyauterie ; cependant nous devons signaler le port d’Anvers dont les grues hydrauliques sont mobiles sur des rails, courant le long des quais. Ce sont surtout ces graves inconvénients qui ont fait renoncer à leur emploi en dehors des arsenaux où on peut les employer en un point fixe près duquel viennent se ranger les navires à armer.
B. Laveau