L’eau est assurément celui des quatre éléments qui, après l’air, est le plus indispensable à l’homme : comme boisson, comme agent de propreté et de salubrité, comme dissolvant général, l’eau nous est absolument nécessaire. Aussi, lorsqu’il s’agit de choisir une demeure, de créer un établissement ou de fonder une ville, la question qui prime toutes les autres est-elle celle de l’eau. Presque toutes les villes du monde se trouvent sur le bord d’un cours d’eau ou d’un lac : sécurité contre les ennemis du dehors, voie de communication facile, satisfaction d’un besoin plus impérieux encore que celui de la faim, tels sont les avantages que présente le fleuve ou la rivière qui baigne une ville naissante. Dans les premiers temps, lorsque l’agglomération d’hommes est encore peu nombreuse, chacun puise directement à la rivière l’eau dont il a besoin ; les hommes y mènent boire les chevaux ; les femmes viennent y laver les vêtements de la famille. Mais bientôt la population s’accroit, les habitations se multiplient, et les derniers venus sont forcés de s’établir à une assez grande distance de l’eau. Que faire pour éviter des courses fatigantes, une perte de temps fort sensible ou des frais relativement considérables ? C’est alors que commence la phase de l’action individuelle. On construit des citernes pour y recueillir les eaux pluviales ; mais celles-ci manquent souvent, et l’on se décide à creuser des puits. Les nappes d’eau souterraines auxquelles on arrive ainsi sont fraîches et assez limpides ; mais presque toujours elles contiennent des sels terreux qui rendent les eaux dures et impropres aux usages domestiques. De plus, ces nappes d’eau peuvent ne se trouver qu’à une grande profondeur, ce qui est une nouvelle cause de difficultés et de dépenses.
Si la population est riche et la ville florissante, l’action collective entre en jeu, représentée le plus souvent par le pouvoir central, et l’on construit des aqueducs destinés à amener à la grande ville quelques sources éloignées, dont les eaux sont partagées entre le public et ceux que le souverain juge à propos de favoriser. En général, ce ne sont pas ces derniers qui reçoivent la plus petite part. Puis, l’insuffisance des résultats obtenus stimulant le génie des inventeurs, on demande à la mécanique ce que l’argent et le travail seuls n’avaient pas pu donner ; on revient au fleuve, pour y puiser non plus à bras d’hommes, mais avec des machines puissantes - les unes mises en mouvement par le courant lui-même, les autres mues par la vapeur — des masses d’eau que l’on pourrait appeler énormes, si les besoins de la population n’étaient plus grands encore.
Mais, lorsqu’il s’agit d’une grande capitale comme Paris, il arrive un moment où le fleuve, qui reçoit, malgré toutes les précautions, une partie notable des immondices d’environ deux millions d’êtres humains, ne donne plus qu’une eau, sinon empestée, du moins fort insalubre. Il faut renoncer à employer cette eau comme boisson, et aller chercher, au moyen de nouveaux aqueducs, des sources assez abondantes pour alimenter toute la ville. Si ces aqueducs sont construits d’une façon rationnelle et d’après les véritables règles de l’art, on réussira, avec une dépense relativement modérée, à assurer à la ville l’eau indispensable à tous les services. Telle est, en résumé, l’histoire que nous expose l’éminent ingénieur chargé, depuis plus de vingt ans, de la direction des eaux et des égouts de Paris. Son livre n’est pas seulement une œuvre consciencieuse, pleine d’intérêt pour les hommes spéciaux : il abonde en détails curieux pour quiconque tient à bien connaître notre ville, et, en ’ conservant le souvenir d’un état de choses qui a presque entièrement disparu, il devient, pour ainsi dire, un monument du passé. Ce travail, déjà si considérable et si complet par lui-même, n’est d’ailleurs qu’une partie d’un ouvrage plus important encore, et dont le titre, Les Travaux souterrains de Paris, suffit pour indiquer ce que l’auteur a entrepris de nous faire connaître. Dans le premier volume, intitulé La Seine, M. Belgrand étudie en détail le régime du fleuve, ainsi que celui de la pluie, des sources et des eaux courantes d’une manière générale ; dans le second, les Aqueducs romains, il fait rapidement l’histoire de ces œuvres gigantesques qui ont d’abord servi de modèles aux nôtres, et il pose, avec l’autorité que lui donnent ses grands travaux, les limites dans lesquelles cette imitation doit être restreinte pour ne pas cesser d’être rationnelle. En résumant le troisième volume, nous nous sommes proposé de présenter aux lecteurs de la Revue tout ce qui est indispensable pour montrer rapidement les phases successives par lesquelles ont passé les eaux de Paris, depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours, c’est-à-dire les anciennes eaux.
Les puits. - Dans l’origine, l’eau nécessaire aux Parisiens provenait de la Seine, de la Bièvre et surtout des puits qu’on creusait, sans grande dépense, dans les graviers qui tapissent le fond de la vallée. La possibilité d’extraire de l’eau de puits peu profonds a été une des causes du développement de la ville sur la rive droite de la Seine ; de ce côté du fleuve, elle a facilement franchi l’enceinte de ses premiers remparts, et elle s’étendait déjà, sous le règne de Louis XIII, jusqu’à la ligne des grands boulevards, tandis que, sur la rive gauche, elle restait renfermée dans les murs de Philippe-Auguste, dont le point le plus éloigné du fleuve, sur cette rive, passait un peu au sud de l’église Sainte-Geneviève. Les quartiers hauts de cette partie de la ville souffraient beaucoup de la rareté de l’eau, en raison de la grande profondeur des puits.
La nappe d’eau qui alimente les puits de la rive droite est à un niveau peu profond au-dessous du sol, tant qu’elle se trouve dans les terrains de transport du fond de la vallée. Ces terrains se composent de gravier, de sable et de limon ; leur limite suit, à très peu près, le pied des coteaux de la rive droite. Sur toute la rive droite, si l’on ne sort pas des anciennes enceintes de Paris, ou même des faubourgs qui s’y rattachaient, la profondeur des puits ne dépasse que rarement dix mètres ; souvent elle est comprise entre quatre et cinq mètres. Sur la rive gauche, la profondeur des puits est plus grande ; dans toute la partie basse occupée par l’ancienne ville, elle pouvait varier entre six et dix mètres ; mais si l’on considère les parties hautes de la rue Saint-Jacques et le plateau occupé autrefois par l’Université, qui s’étend à droite et à gauche de cette rue, on trouve que la nappe d’eau souterraine est à vingt-huit et trente mètres au-dessous du sol. Les puits les moins profonds sont ceux des rues qui longent la Seine et la Bièvre. C’est le contraire sur la rive droite : les puits les moins profonds sont peu éloignés de la rue Saint-Lazare. La nappe d’eau remonte plus rapidement que le sol à mesure qu’on s’éloigne de la Seine. Mais à partir du pied des coteaux de la rive droite, en s’élevant jusqu’aux anciens boulevards extérieurs, la profondeur des puits croît rapidement de cinq mètres (ancienne barrière de Bercy), à trente et un et même trente-trois mètres (anciennes barrières de Rochechouart et des Martyrs). Notons en passant que tous les faubourgs populeux étaient situés à une basse altitude, et que par conséquent le creusement d’un puits y était une opération facile et peu dispendieuse.
Toutes les maisons de Paris devaient donc être pourvues d’un puits. Il en a été compté 30000, lorsqu’on les a recensés au moment du siège de Paris ; la plupart se trouvent dans les vieux quartiers. L’eau de ces puits est malheureusement de la plus détestable qualité. Elle est chargée d’une quantité considérable de sels terreux surtout de sulfate et de nitrate de chaux. Elle contient en outre beaucoup de matières organiques, comme le prouvent les sels azotés qui s’y trouvent en plus grande abondance que dans la plupart des eaux connues.
En général toute eau dont le titre hydrotimétrique dépasse 40° fait des grumeaux avec le savon et est impropre au savonnage ; lorsque la proportion de sulfate de chaux est notable, l’eau devient impropre à la cuisson des légumes.
Les industriels n’admettent pas volontiers l’eau de l’Ourcq pour alimenter leurs machines à vapeur, et pourtant le titre de cette eau ne dépasse pas 30°. Lorsque l’eau contient, par litre, plus de 19 centigrammes de carbonate de chaux, elle devient incrustante à la température ordinaire et obstrue les conduites. Or, parmi les puits des anciens quartiers de Paris, ceux dont l’eau a le titre hydrotimétrique le plus faible sont les puits du quartier Saint-Germain-l’Auxerrois (de 136° à 152°) ; ceux qui présentent le titre hydrotimétrique le plus élevé sont les puits du quartier Saint-Thomas-d’Aquin (de 124° à 208°). C’est surtout aux sulfates de chaux et de magnésie que ces eaux doivent leur dureté.
En outre, l’eau des puits de Paris est très chargée de matières azotées. Ainsi les analyses de M. Boussingault ont démontré que le puits de l’Hôtel de Ville contient plus de 34 grammes d’ammoniaque par mètre cube d’eau ; qu’un autre puits, situé rue Traversine, contient une quantité d’azotate équivalant à 2,165kg d’azotate de potasse par mètre cube d’eau, et qu’enfin la moyenne donnée par l’analyse des eaux d’un assez grand nombre de puits est de 0,737kg par mètre cube, ce qui correspond à un poids d’azote de 0,103kg. Or, un mètre cube d’eau de l’égout d’Asnières renferme en moyenne 0,043kg d’azote, de sorte que l’eau de certains puits de Paris renferme beaucoup plus d’azote que celle de l’égout collecteur.
Malgré tous ces désavantages, il est certain que, depuis l’époque la plus reculée de notre histoire jusqu’à l’achèvement du canal de l’Ourcq, en 1822, la plus grande partie de l’eau employée aux usages domestiques était de l’eau de puits, bien qu’autrefois elle fût, comme aujourd’hui, très chargée de sels terreux et de principes organiques de la nature la plus répugnante. Assurément l’eau des puits de Paris ne doit pas être considérée comme eau potable ; aussi ne sert-elle plus de nos jours ni comme boisson, ni pour la préparation des aliments. S’il y a des exceptions, elles sont rares.
Les aqueducs romains de Paris. - Paris possède les restes de deux aqueducs romains, celui de Chaillot et celui d’Arcueil. Le premier fut découvert en 1734 par Buache, au bas de Chaillot, et étudié en détail par le comte de Caylus ; il existait très probablement dès le milieu du troisième siècle, et servait à conduire l’eau des sources d’Auteuil dans un grand établissement thermal, occupant, peut-être alors l’emplacement du Palais-Royal, déjà déblayé à cette époque. C’était une conduite forcée, composée de tuyaux de poterie réunis entre eux par emboîtement sur les points où elle existe encore ; cette conduite est enveloppée dans un massif de béton rougeâtre, fort dur, de 0,50m de largeur sur 0,55m de hauteur.
L’aqueduc romain d’Arcueil n’était qu’une simple rigole, dans laquelle l’eau circulait exposée à la radiation solaire, à la gelée, en un mot à toutes les actions extérieures. Cette rigole débouchait dans la partie du palais des Thermes qui subsiste encore aujourd’hui, où elle desservait des établissements thermaux. Les sources qui l’alimentaient appartiennent au niveau d’eau des marnes vertes de Montmartre, terrains argileux qui couvrent tout le plateau compris entre les vallées de la Seine, de l’Orge, de l’Yvette et de la Bièvre, et affleurent sur les pentes à une assez grande hauteur au-dessus du thalweg des quatre vallées. Ces sources forment deux groupes : 1° sources dérivées plus tard par l’aqueduc moderne d’Arcueil ; 2° sources de Chilly. Leurs eaux donnaient à l’aqueduc une portée moyenne de 2600 mètres cubes en vingt-quatre heures.
Les sources du plateau de Rungis et de Chilly sont assez chargées de sulfate de chaux ; d’un autre côté, la quantité de carbonate de chaux qu’elles contiennent dépasse 19 centigrammes par litre, et par conséquent elles sont incrustantes, mais elles le sont très peu. L’eau de Rungis est très agréable à boire, mais, en raison de la notable quantité de sulfate de chaux qu’elle renferme, elle est peu propre à la cuisson des légumes.
La dérivation de ces sources était faite par quatre conduites secondaires, amenant l’eau à la tête de l’aqueduc principal :
1° Aqueduc découvert par le marquis d’Effiat, vers l’an 1626, entre Morangis, Chilly et le lavoir de Wissous ;
2° Prolongation de cet aqueduc entre le lavoir de Wissous et la tète de l’aqueduc principal ;
3° Rigole dérivant vers le regard de l’aqueduc la source du’ parc de M. Vallée, à Wissous.
4° Rigole conduisant au même point les sources de Rungis.
La longueur de l’aqueduc romain, de Morangis au lavoir de Wissous, est de 3486 mètres ; il est tracé avec une intelligence et une habileté qui justifient bien l’idée qu’on se fait du génie pratique des Romains, surtout si l’on tient compte des difficultés qui résultaient alors de l’imperfection des engins de nivellement et de l’absence, dans ces temps anciens, de toute connaissance sur les dispositions géologiques des terrains et celles des nappes d’eau souterraines. De plus, sur plusieurs points l’altitude du sol est à un peu plus de 81 mètres, tandis que le radier des pierrées est à peu près à l’altitude 75 mètres ; la profondeur des tranchées allait donc jusqu’à 6 mètres, et à cette profondeur on travaillait dans la nappe d’eau des marnes vertes, sans aucun des moyens énergiques d’épuisement dont nous disposons aujourd’hui.
La deuxième rigole secondaire se soudait à la précédente vers le lavoir de Wissous, et conduisait à l’aqueduc principal l’eau des sources de Chilly. Sa longueur totale est de 1700 mètres ; elle est entièrement construite en béton, qui est devenu très dur. La paroi intérieure est revêtue d’un enduit en mortier de chaux et de ciment de tuileau très fin. Dans la partie à pente rapide, la section de la rigole est un trapèze ayant 0,40m de largeur dans sa partie supérieure, 0,25m au niveau du radier et 0,30m de hauteur. Les épaisseurs correspondantes des pieds-droits sont 0,30m et 0,375m ; celle du radier est 0,30m. Cette cunette, qui est assez profondément enterrée, est recouverte d’une dalle de 0,10m d’épaisseur. Dans la partie à faible pente, la cunette est rectangulaire et de 0,30m de largeur sur 0,25m de hauteur. Les pieds-droits et le radier ont uniformément 0,30m d’épaisseur. Il n’y a pas de couverture en dalle : l’eau coulait à ciel ouvert.
La rigole numéro 3 est de très petite dimension. Sa plus grande largeur est de 0,17m, mais presque partout elle est réduite à 0,12m ; elle ne pouvait donc conduire une grande quantité d’eau, et s’est trouvée insuffisante lorsqu’on a voulu dériver à Lutèce les Sources de Chilly. Si les Romains avaient fait un projet d’ensemble pour dériver les sources de Chilly et celles du parc de Wissous, ils n’auraient construit qu’une seule rigole suffisamment grande, et ils auraient ainsi réalisé une assez forte économie, puisqu’il aurait suffi pour cela d’élargir convenablement le radier d’une des rigoles. C’est donc plus tard, lorsque le développement de leurs besoins l’a exigé, qu’ils ont construit la pierrée des sources de Chilly jusqu’à Wissous, et qu’ils l’ont reliée à l’aqueduc principal par la deuxième rigole.
La quatrième rigole ne dérivait que trois sur quatre des sources qui alimentent l’aqueduc moderne, celles du Grand-Carré, de l’Église et de la Pirouette. Entre le point où se réunissent les sources de l’Église et du Grand-Carré et le regard de l’aqueduc principal, la longueur totale est de 1186 mètres ; la pente totale, sur cette petite longueur, est de 10,73m. La cunette a 0,30m de largeur et une hauteur comprise entre 0,30m et 0,50m ; l’épaisseur de ses pieds-droits et de son radier varie de 0,30m à 0,40m. Elle est couverte d’une dalle au-dessus de laquelle s’élève une couche de béton ; elle est elle-même construite tantôt en béton, tantôt en pierre siliceuse du pays.
Le regard où se réunissent les rigoles est situé sur le thalweg même de la petite vallée de Rungis ; il a la forme d’un carré dont le côté extérieur a 4,70m de longueur, et le côté intérieur 3,10m. Les parements sont construits en petits moellons soigneusement appareillés, suivant l’usage des Romains. L’enduit intérieur est en mortier de chaux et de ciment de tuileau broyé très fin. L’eau y était à ciel ouvert, comme dans tout le reste de l’aqueduc, C’est la véritable tête de la rigole principale.
Le tracé de cette rigole est des plus simples : l’ingénieur romain a suivi toutes les inflexions de terrain en se tenant aussi près que possible de la surface du sol. La rigole se tient d’abord à flanc de coteau, sur une longueur de 2931 mètres à droite du ruisseau de Rungis, jusqu’au chemin de Fresnes à Antony, où elle entre dans la vallée de la Bièvre. Entre le chemin et le pont-aqueduc d’Arcueil, sur une longueur de 5207 mètres, le tracé se tient à flanc de coteau sur la rive droite de la Bièvre ; arrivé à la pointe du contre-fort d’Arcueil, c’est-à-dire au point le plus étroit de la vallée, il la franchit et se trouve du côté de Paris. Il ne reste plus qu’un pan de mur de la haute substruction qui supportait la rigole romaine, sur une longueur de 330 mètres environ, au-dessus de la vallée de la Bièvre. L’aqueduc romain passe sous l’aqueduc moderne à 25 mètres de l’extrémité d’aval du pont d’Arcueil, entre les piles 45 et 46 du pont-aqueduc de la Vanne.
Depuis le pont aqueduc jusqu’à la rue de la Glacière, avant les fortifications, les deux aqueducs se développent très voisins l’un de l’autre ; puis la rigole contourne la butte de Montsouris, traverse le parc, passe sous le chemin de fer de Sceaux et sous les maisons de la rue du faubourg Saint-Jacques et la rue Saint-Jacques, jusqu’à l’emplacement de l’église Saint-Benoit, d’où probablement elle se dirigeait vers le palais des Thermes. La longueur totale de la rigole principale est d’un peu plus de 16 kilomètres ; ses pentes sont irrégulières comme celles de la plupart des aqueducs romains.
L’eau de l’aqueduc était distribuée, en partie du moins, dans le palais des Thermes, et ce qu’il y a de singulier, c’est que la partie de cet édifice qui est encore debout aujourd’hui est précisément celle où se trouvaient les thermes. Le palais lui-même occupait une grande surface et s’étendait au nord jusqu’à la Seine ; le service de ces grands bâtiments et des jardins exigeait évidemment beaucoup d’eau, et, si l’on tient compte du gaspillage qu’entraînaient les habitudes des Romains, on admettra sans difficulté que toute l’eau portée par l’aqueduc, c’est-à-dire 2600 mètres cubes par vingt-quatre heures, en eau moyenne, pouvait y être consommée. D’ailleurs une importante colonie avait dû s’établir autour du palais ; il est très probable que l’aqueduc d’Arcueil alimentait des fontaines pt des pièces d’eau à l’usage de cette population.
Les bords de la rigole que nous venons de décrire étaient au niveau de l’ancien sol ; elle pouvait donc être envahie sans difficulté par les eaux pluviales et les limons qu’elles entraînent. Évidemment son entretien exigeait des soins minutieux qui n’étaient guère dans les habitudes des Romains, et encore moins dans celles des Barbares qui leur ont succédé. Peu à peu les fossés, qui détournaient le cours des eaux pluviales dans les coteaux à pentes rapides, se sont comblés par l’éboulement de leurs talus, et cette invasion des limons s’est étendue jusqu’à la cunette de la rigole, malgré la protection du réseau des racines des forêts. Cet effet a dû se produire dès l’époque de l’invasion des Francs. L’aqueduc n’a point été détruit par les Normands ; il a été, faute de soins, envahi par les eaux extérieures ou rompu par le glissement des glaises, et ses eaux se sont perdues pour ne reparaître que plusieurs siècles après.
Aqueducs du Pré-Saint-Gervais et de Belleville. - Les deux aqueducs du Pré-Saint-Gervais et de Belleville furent, jusqu’à la reconstruction de J’aqueduc d’Arcueil, en 1624, la seule ressource des habitants de Paris dans la partie nommée la Ville ; on y comptait onze fontaines sous le règne de Charles VI, et l’on en ajouta six ou sept autres jusqu’au règne de François Ier ; c’est de ces fontaines que l’on avait, par des tuyaux, conduit de l’eau au Louvre, aux hôtels des princes et aux maisons des principaux seigneurs de la cour. Il est étonnant que ces sources, qui n’ont jamais été fort abondantes, aient pu suffire aux besoins du grand nombre d’habitants qui demeuraient dans cette partie de la ville ; aussi voit-on par les divers règlements de police de cette époque que les fontaines de Paris étaient souvent sans eau, et que cette disette était cause de la désertion des maisons de la ville, dont les habitants allaient chercher ailleurs des demeures.
Les sources des aqueducs du Pré-Saint-Gervais et de Belleville sont alimentées par la nappe d’eau des marnes vertes ; le plateau d’où elles jaillissent est compris entre les villages de Pantin, Noisy-le-Sec, Nogent-sur-Marne, Montreuil, Bagnolet et Charonne. Les deux aqueducs de la ville n’ont jamais pris qu’une bien petite partie des sources de ce plateau : les pierrées de l’aqueduc du Pré-Saint-Gervais n’occupent que la surface d’une dépression du sol située entre le fort de Romainville et les fortifications, sur quelques kilomètres ; quant aux pierrées de l’aqueduc de Belleville, elles sont encore moins étendues.
Comme les sources qui alimentent ces aqueducs sont situées à des profondeurs assez faibles, leur débit varie suivant que l’année est sèche ou pluvieuse : ainsi les années 1668 et 1858 toutes deux très sèches, donnent pour l’aqueduc de Belle ville des débits de 102 et de 117 mètres cubes par vingt-quatre heures, et pour celui du Pré-Saint-Gervais 98 et 104 mètres cubes par vingt-quatre heures ; au contraire, les années 1673 et 1854, toutes deux très humides, donnent pour l’aqueduc de Belleville 154 et 392 mètres cubes par vingt-quatre heures, et pour celui du Pré-Saint-Gervais 230 et 418 mètres cubes.
L’analyse démontre que les eaux des deux aqueducs sont impropres aux usages domestiques : l’eau de Belleville est chargée d’une telle quantité de sulfate de chaux et de magnésie que, dès le milieu du XVIIe siècle, elle a été retirée de la distribution, et réservée pour le lavage des égouts ; l’eau du Pré-Saint-Gervais est relativement meilleure, et a été distribuée à Paris jusqu’en 1861. Et cependant cette dernière eau n’est guère moins dure que celle des puits.
A une époque très ancienne, les prieurs de Saint-Lazare avaient conduit l’eau d’une source voisine du village du Pré-Saint-Gervais jusqu’à leur prieuré, qui occupait l’emplacement actuel de la prison de Saint-Lazare. La conduite était en tuyaux de poterie, auxquels plus tard la municipalité de Paris substitua une conduite en plomb. En 1182, Philippe-Auguste acheta la foire Saint-Laurent, qui alors appartenait au prieuré de Saint-Lazare, avec une partie des eaux du Pré-Saint-Gervais, qu’il employa à alimenter une fontaine dans les halles qu’il venait de faire construire. On sait aussi, par les documents du temps, que la fontaine des Innocents existait en 1274, et était également alimentée par l’eau du Pré-Saint-Gervais.
Les ramifications de l’aqueduc du Pré-Saint-Gervais se divisent naturellement en trois groupes. Le premier se compose de conduites et de pierrées ayant leur origine sous les glacis du fort de Romainville, et se dirigeant vers le regard du Trou Morin ; il a été cédé aux communes de Pantin et des Lilas. La longueur totale des pierrées de ce groupe est de 1322 mètres, et celle des diverses conduites, grès ou métal, d’un peu plus d’un kilomètre. Le deuxième groupe part du village des Lilas et se rend à la fontaine du Pré-Saint-Gervais la longueur totale de ses pierrées est de 1312 mètres, et celle de ses conduites de près de 1100 mètres. Enfin le troisième groupe va des fortifications à la fontaine du Pré-Saint-Gervais ; il se compose de 139 mètres d’aqueducs, 1745 mètres de pierrées et 1961 mètres de conduites. La longueur totale de l’aqueduc ancien jusqu’aux anciennes barrières est de 10300 mètres, dont il faut déduire 2367 mètres cédés aux communes.
On ne connaît pas la date précise de la construction de l’aqueduc de Belleville ; on sait seulement que la galerie principale, aqueduc maçonné et couvert d’une dalle, est antérieure à 1457, époque à laquelle le prévôt et les échevins de Paris en firent refaire une longueur de 96 toises. Depuis lors, aucune réparation n’a été faite dans l’aqueduc. Il captait les sources du ruisseau de Ménilmontant.
L’aqueduc se décompose en trois parties, qui étaient autrefois indépendantes : l’aqueduc principal, propriété de la ville de Paris ; l’aqueduc Saint-Louis, qui desservait l’hôpital de ce nom, et l’aqueduc Saint-Martin, propriété commune des religieux de Saint-Martin-des-Champs et des Templiers, puis des successeurs de ceux-ci. La section du grand aqueduc est un rectangle dont la hauteur varie de 1,72m à 1,92m, et la largeur de 1,16m à 1,20m ; on voit que ces dimensions permettent de le parcourir sans fatigue. Le toit est formé d’une dalle d’environ 0,22m d’épaisseur. L’eau coule dans une cunette d’environ 0,40m de largeur et de quelques centimètres de profondeur. La section transversale de l’aqueduc Saint-Louis présente des hauteurs qui varient de 1,31m à 1,70m, et des largeurs comprises entre 0,37m et 0,64m ; ces variations sont très singulières dans un ouvrage de 299 mètres de longueur. Il se relie maintenant à l’aqueduc principal par un tuyau en tôle bitumée de 0,054m de diamètre et de quelques mètres de longueur. La pente est de 4,82m, ce qui représente une pente kilométrique de 16,12m. Enfin l’aqueduc Saint-Martin, qui n’a que 15 mètres de longueur, offre des hauteurs qui varient de 1,40m à 1,60m, sur une largeur de 0m,70. Le reste de cet aqueduc se compose de pierrées.
L’aqueduc de Belleville s’étend depuis le regard de la Lanterne, situé dans Paris, entre les rues Compans, Thierry et de Belleville, jusqu’au regard de la Prise des Eaux, occupant ainsi la dépression de terrain qu’on voit entre les rues de Belleville et de Saint-Fargeau, lorsqu’on suit la rue de Puebla. Chemin faisant, il reçoit l’eau de l’aqueduc Saint-Louis, puis les Grandes Rigoles, coupe les rues Levert et de Puebla, suit la rue de la Mare, reçoit les eaux de l’aqueduc Saint-Martin au carrefour des rues de Savies et des Cascades, et arrive au bord de la tranchée du chemin de fer de ceinture, où il est converti en un égout qui se relie à celui de la rue d’Eupatoria. L’eau de l’aqueduc se perd dans l’égout, à l’exception d’une petite quantité qui alimente un lavoir de la rue d’Eupatoria. Le 4 mai 1876, à la suite des grandes pluies de février et de mars, la portée de l’aqueduc principal était à peine de 21 mètres cubes en 24 heures ; le même jour, le débit de l’aqueduc Saint-Louis était de 20 mètres cubes ; celui de la pierrée des Grandes Rigoles, de 10 mètres cubes, et enfin celui de l’aqueduc Saint-Martin de 36 mètres cubes par 24 heures. Les eaux des affluents de gauche sortent de terrains marneux ; elles sont très dures, mais parfaitement limpides et agréables à boire ; celles des affluents de droite sortent de terrains sablonneux et sont moins dures que celles de gauche, mais ont un aspect jaunâtre peu agréable.
La longueur totale de la galerie principale, y compris les parties détruites, est de 1061 mètres ; celle de toutes les parties réunies de l’ancien aqueduc de Belleville, jusqu’à la barrière de Ménilmontant, était de 6686 mètres, dont il faut retrancher 1443 mètres pour les parties détruites ou abandonnées. Il reste donc, pour l’aqueduc en service, une longueur de 5243 mètres. Les deux points principaux où les eaux de l’aqueduc de Belleville se perdent, sont le carrefour des rues de Puebla et de Belleville et un puits au-dessus de la rue de Puebla, où disparaît une partie de l’eau de l’aqueduc Saint-Martin.
L’eau de Belleville alimentait autrefois les fontaines publiques situées à l’est de la rue Saint-Denis : fontaine Maubuée, fontaine Sainte-Avoie, fontaine Saint-Martin, qui toutes trois existent encore, et fontaine du Temple, aujourd’hui détruite, L’eau de Belleville fut retirée de la distribution en 1737 par Turgot, alors prévôt des marchands.
Les dimensions de l’aqueduc du Pré-Saint-Gervais sont tout à fait rationnelles et en rapport avec la petite quantité d’eau à débiter ; il n’en est pas de même des trois aqueducs de Belleville qui, avec leurs fortes pentes, pourraient débiter un volume d’eau égal à celui de la Vanne.
Aqueduc moderne d’Arcueil. - Malgré la pénurie d’eau dont souffraient les quartiers hauts de la rive gauche, aucun souverain n’avait pensé à rétablir l’aqueduc romain d’Arcueil, abandonné depuis si longtemps, lorsqu’au bout de huit siècles Sully songea à le reconstruire. Déjà, par ses ordres, des fouilles et des tranchées étaient commencées sur le coteau du Long-Boyau, pour y retrouver les eaux que les Romains conduisaient autrefois au palais des Thermes, quand la mort de Henri IV vint interrompre les travaux. Heureusement pour Paris, quelques années après Marie de Médicis faisait bâtir le palais du Luxembourg, et, comme cette demeure royale avait besoin d’eau, on pensa à construire le nouvel aqueduc d’Arcueil. Dès le mois d’octobre 1612 les travaux furent adjugés à Jehan Coing, maître maçon. Le 17 juillet 1613, Je roi Louis XIII se rendit à Rungis pour visiter les travaux et poser la première pierre du grand regard. Le 19 mai 1623, les eaux d’Arcueil arrivèrent au réservoir situé à l’extrémité méridionale de la rue d’Enfer ; le 18 mai suivant, elles furent introduites dans les conduites de la distribution, en présence du prévôt des marchands et des échevins de la ville. Les eaux concédées à la ville furent réparties dans quatorze fontaines. Les travaux de distribution et la construction de ces fontaines exigèrent environ quatre années, de sorte que ce ne fut qu’en 1628 que les eaux de Rungis furent réellement distribuées.
De nouvelles recherches faites de 1651 à 1655 par le sieur Bocquet firent découvrir deux sources nouvelles, celles de la Pirouette et de l’Église, qui arrivent au premier regard de l’aqueduc d’Arcueil par les aqueducs de Paray et de l’Église. Enfin, en 1671, la ville acheta à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés la source dite Fontaine pesée, qui sort des coteaux de Cachan.
Les sources qui alimentent l’aqueduc de Marie de Médicis se divisent naturellement en deux groupes, celui de Rungis et celui du Long-Boyau. Les principaux travaux de captation des sources de Rungis sont le carré des eaux, l’aqueduc de Paray et de la Pirouette et l’aqueduc de l’Église. Le carré des eaux est un grand quadrilatère où se trouvaient sans doute les sources principales ; les galeries qui en forment les côtés amènent toutes les eaux au sommet sud-ouest du quadrilatère, d’où elles entrent dans le premier regard de l’aqueduc proprement dit. Ces galeries ont bien près d’un mètre de largeur ; leur hauteur varie de 1,31m à 1,62m ; elles sont pourvues d’une cunette sans radier de 0,40m à 0,53m de largeur, et de 0,25m à 0,42m de profondeur. Le reste de la largeur de l’aqueduc est occupé tantôt par deux banquettes égales, tantôt par une seule. Lorsqu’on parcourt les galeries du quadrilatère dans une année humide, on voit sourdre l’eau presque sur tout le développement de la cunette ; lorsque l’année est sèche, ces petites sources ne sont plus visibles, et on ne voit au fond de la cunette qu’un petit filet d’eau qui va grossissant jusqu’au regard de prise d’eau de l’aqueduc, où se réunissent aussi les deux aqueducs de Paray et de l’Église. Le développement total de l’aqueduc du Grand-Carré est de 545 mètres.
La source de la Pirouette coule du sud au nord jusqu’au regard du même nom ; de là elle gagne, toujours vers le nord, le regard de la prise des eaux, en passant par une rigole d’origine romaine de 0,38m de hauteur et de largeur, dont la longueur est de 136 mètres. La galerie qui capte la source de l’Église, longue de 115,20m, se dirige aussi vers le nord, puis tourne au nord-ouest et débouche dans une rigole d’origine romaine, de près de 132 mètres de long, qui aboutit aussi au regard de la prise des eaux.
Les sources de Paray, également situées au sud du Grand-Carré, sont captées par une pierrée de 269 mètres qui débouche dans le puits de Paray, par un aqueduc de 873 mètres qui va de ce puits au regard de la Pirouette, et enfin par un tronçon d’aqueduc de 19 mètres qui semble se diriger vers l’aqueduc de l’Église. L’aqueduc de Paray a été construit de 1782 à 1784, en remplacement d’une pierrée qui devait dater de Louis XIV.
La longueur totale des ouvrages qui servent à la captation des sources de Rungis est de 2107 mètres.
Les sources du Long-Boyau descendent sur la pente du coteau qui s’étend de l’Hay à Arcueil ; comme l’aqueduc principal passe à quelques mètres au-dessous de leurs points d’émergence, la captation de ces petites sources s’est faite très facilement par des pierrées. La longueur totale de ces pierrées est de 1292 mètres.
A ces eaux il faut ajouter celles qui ont été trouvées en construisant l’aqueduc de la Vanne, dans la tranchée de la plaine de Paray et dans le souterrain de l’Hay, vis-à-vis du village de Chevilly ; elles sont recueillies par trois drains. Le drain de Chevilly a 1241 mètres de long ; il va de l’aqueduc de la Vanne au carré des sources ; le drain de Paray n’a que 841 mètres, et débouche dans le puits de Paray ; enfin le drain de l’Hay est une conduite en poterie de grès de 85 mètres de long, qui va se raccorder à l’aqueduc d’Arcueil.
La longueur totale des travaux anciens de captation des eaux d’Arcueil est de 3399 mètres ; celle des rigoles nouvelles et du drain de l’Hay est de 2173 mètres, ce qui donne un total de 5572 mètres.
L’aqueduc principal est une galerie formée de deux pieds-droits espacés d’environ 0,97m, et recouverts d’une voûte en plein cintre, entre lesquels s’ouvre une cunette bordée de deux banquettes. La hauteur entre la banquette et la clef est généralement de 1,75m ; la cunette a environ 0,40m de largeur et de hauteur ; les pieds-droits ont 0,65m d’épaisseur ; l’épaisseur à la clef de la voûte est de 0,46m ; la chape s’étend sur tout l’extrados de cette voûte ; les murs et la voûte sont construits en maçonnerie brute, avec chaînes en pierre de taille espacées de 3,90m d’axe en axe. Deux parties de l’aqueduc, de 70 mètres et de 37 mètres de long, ont été reconstruites, l’une en 1807 et l’autre vers 18li7. Les dispositions de l’aqueduc le rendent très difficile à parcourir.
Du Grand-Carré au château d’eau de l’Observatoire, la longueur de l’aqueduc est de 12956 mètres ; sur cette longueur on compte 28 regards et 258 cheminées ou soupiraux fermés par des dalles. De nombreuses bornes indiquent la position des soupiraux. Chaque regard fait saillie au-dessus du sol et est fermé par une porte verticale, ce qui est la meilleure disposition. Une chute de quelques centimètres a été ménagée sur le seuil de chaque regard : on a facilité ainsi le dégagement de l’acide carbonique en dissolution dans l’eau et la formation des dépôts calcaires.
La pente kilométrique moyenne est de 1,39m ; mais cette pente est fort irrégulière, et varie d’un regard à l’autre de 0,061m à 16,953m, ce qui est d’ailleurs sans inconvénient.
L’aqueduc franchit la vallée de la Bièvre sur un pont qui porte le nom de pont-aqueduc d’Arcueil ; la longueur totale de ce pont est de 379 mètres ; sa hauteur au-dessus du point le plus profond de la vallée est de 18,86m. n se compose de neuf arcades en plein cintre, toutes d’inégale grandeur, de 7 à 9 mètres d’ouverture. Aujourd’hui, ce pont ne porte plus seulement les eaux de Rungis et de Long-Boyau ; il sert, en outre, de support au pont-aqueduc de la Vanne. Ainsi l’aqueduc romain, celui de Marie de Médicis et celui de la Vanne se rencontrent à Arcueil, parce que c’est là la partie la plus étroite de la vallée. La hauteur totale des deux aqueducs au-dessus de la Bièvre est de 36,56m.
En quittant le pont, l’aqueduc tourne brusquement à droite et se soutient à flanc de coteau sur la rive droite de la Bièvre, au-dessus du village d’Arcueil ; il traverse des parcs et jardins d’agrément plus ou moins grands, franchit le fossé des fortifications à une altitude telle que l’extrados de la voûte est au niveau du chemin couvert, et arrive au bord de la chaussée du boulevard Jourdan, à 10420 mètres de son point de départ. De là, l’aqueduc gagnait autrefois le château d’eau de l’Observatoire, gênant à chaque pas les constructions ou entamé par elles ; cette partie à été supprimée. A partir du regard n°10 de l’aqueduc, l’eau passe dans une conduite forcée de 11325 mètres de longueur qui aboutit au réservoir du Panthéon. Cette conduite peut débiter 17 litres par seconde, ou 1470 mètres cubes en vingt-quatre heures.
La longueur totale de tous les ouvrages constituant l’aqueduc ancien est de 16355 mètres ; celle de l’aqueduc actuel et de ses annexes est de 19820 mètres. De même que l’aqueduc de Belleville, l’aqueduc de Marie de Médicis pèche par l’exagération de ses dimensions, exagération qui était chez nos pères une idée d’importation romaine. Un aqueduc n’est en réalité qu’une conduite d’eau qui ne doit pas plus être remarquée que les égouts qui passent sous le sol des rues. Comme nous l’avons déjà dit, un seul des anciens aqueducs de Paris, celui du Pré-Saint-Gervais, est construit avec des dimensions rationnelles ; dans les terrains aquifères, il se compose de simples pierrées ; dans les terrains secs, les pierrées sont remplacées par des conduites forcées de petites dimensions, en poterie ou en métal. Mais c’est surtout dans la construction du regard final que nos devanciers ont montré trop de respect pour la tradition romaine : chacun de leurs aqueducs se termine par un château-d’eau. Avec ce système, la répartition des eaux, à partir du château public qui termine l’aqueduc, doit nécessairement se faire par autant de conduites qu’il y a de châteaux-d’eau de quartiers à desservir, et, à partir de ces derniers, par autant de conduites qu’il y a d’abonnés. Il faut attendre la fin du dix-huitième siècle pour voir introduire en France la distribution avec réservoir, qui est aujourd’hui adoptée partout.
Les machines hydrauliques. - La Samaritaine. - Le service des palais royaux absorbait environ la moitié des eaux fournies par les aqueducs de la ville ; c’est pour mettre fin à cette situation, si préjudiciable aux intérêts du public, qu’Henri IV se décida à faire construire la machine connue sous le nom de la Samaritaine, destinée à fournir l’eau nécessaire au Louvre et aux Tuileries.
La Samaritaine était un édifice bâti sur pilotis à la deuxième arche du Pont-Neuf, du côté du Louvre ; sur la façade on voyait la figure de la Samaritaine, et au milieu se trouvait un bassin qui recevait l’eau de la machine. Le tout était surmonté d’un campanile contenant un carillon qui est resté célèbre. L’appareil hydraulique se composait de quatre pompes aspirantes et foulantes, entièrement plongées dans l’eau, et mises en mouvement par une roue pendante construite à l’aval de la deuxième arche du Pont-Neuf. L’arbre de cette roue portait, à chacune de ses extrémités, une manivelle aux coudes de laquelle s’adaptaient des tringles en fer, ou fourches, qui s’ajustaient à deux forts tirants en bois, formant bielle et mettant en mouvement les balanciers des pompes. Pour tenir la roue au niveau de l’eau, on la montait ou la descendait au moyen de crics.
La roue avait 16,33m de circonférence ; elle portait huit aubes de 5,85m de longueur sur 1,30m de hauteur, ce qui donne 7,60m2 de superficie. Le diamètre des pistons des pompes était de 0,24m et celui du tuyau de refoulement de 0,162m. La colonne d’eau refoulée avait 23,39m de hauteur. En eau moyenne, la roue faisait 2,80 tours par minute, ce qui correspond à une vitesse de 0,85m par minute au milieu de la hauteur des aubes. La machine montait 710 mètres cubes d’eau en vingt-quatre heures ; sa force était de 189 kilogrammètres ou 2 chevaux 52.
L’eau était refoulée sous les combles dans une rigole qui la conduisait dans une coquille d’où elle tombait dans un bassin situé au-dessous du cadran. Une conduite partant du fond de ce bassin dirigeait l’eau sous la chaussée du Pont-Neuf, puis le long du quai jusqu’au grand bassin octogonal du jardin des Tuileries.
Le groupe de la Samaritaine, fondu sur les modèles de Fremin et Bertrand, fut renversé en 1793 ; ce fut à la même époque que le carillon cessa de se faire entendre. Enfin la Samaritaine, dont les produits ne valaient pas les frais d’entretien, fut entièrement démolie en 1813.
Pompes du pont Notre-Dame. - A la suite de la grande sècheresse de 1667 à 1669, Jolly, ingénieur chargé de la pompe de la Samaritaine, proposa de faire, à l’aval de la troisième arche du pont Notre-Dame, du côté du quai de Gesvres, une machine semblable à celle de la Samaritaine. Cette machine fut en effet construite sur le modèle de celle de la Samaritaine, et fut terminée en 1671 ; elle est connue sous le nom de machine du petit moulin.
Elle se composait d’une roue pendante de 5,85m à 6,50m de diamètre, aux deux extrémités de l’arbre de laquelle étaient deux manivelles en bronze qui déterminaient, au moyen de bielles, le mouvement des balanciers et des pistons de quatre pompes aspirantes et foulantes. La roue devait faire environ trois tours par minute. La longueur de la course des pistons devait être d’un peu plus d’un mètre. La quantité d’eau à élever était de 575,85m³ en vingt-quatre heures ; le travail utile de la machine était de 175 kilogrammètres, ou 2 chevaux 33 comptés. en eau montée à la hauteur de 26,31m au-dessus du niveau des basses eaux. La dépense totale fut de 40000 livres.
En 1671, une nouvelle machine, celle du grand moulin, placée sous la deuxième arche du pont Notre-Dame, fut construite sous la direction de de Mance, gendre du célèbre ingénieur Riquet. Elle se composait de huit pompes, qui devaient élever 959,75m³ par vingt-quatre heures. Le prix fut de 40000 livres. Le rendement était bien loin d’être régulier, et en 1678 le grand moulin ne donnait en moyenne que 479,87m³, c’est-à-dire moitié du volume convenu.
De 1700 à 1708, les deux moulins du pont Notre-Dame furent remis à neuf par l’ingénieur Rennequin, qui aux anciennes machines en substitua d’autres composées chacune de deux équipages, dont chacun comprenait trois corps accolés de pompes aspirantes montant l’eau dans une bâche, et trois autres qui la refoulaient en même temps dans les cuvettes de distribution. En 1737, Turgot, prévôt des marchands, fit faire un équipage de relais qui permettait de faire les réparations nécessaires sans interrompre le service. Enfin, diverses autres modifications de détail, faites par Rennequin et Bélidor, portèrent à plus de 1900 mètres cubes par vingt-quatre heures le rendement du grand moulin.
En 1858, au moment de la démolition des pompes du pont Notre-Dame, celles du petit moulin ne marchaient plus depuis longtemps ; celles du grand moulin montaient de 1000 à 1500 mètres cubes d’eau par vingt-quatre heures, suivant que la machine travaillait avec deux ou trois équipages.
Les pompes à feu. - Dès la fin du XVIIIe siècle, on avait reconnu la nécessité d’ouvrages nouveaux qui permissent d’augmenter la distribution de l’eau, devenue absolument insuffisante pour une population d’un million d’habitants. Un assez grand nombre de projets différents furent proposés, et les uns rejetés par la ville, les autres abandonnés par leurs propres auteurs, lorsqu’en 1776 les frères Périer proposèrent d’élever 150 pouces d’eau [1] au moyen de machines à vapeur ou pompes à feu, construites en divers points de la ville, et de les distribuer à leurs frais, ne demandant en retour que la concession d’un privilège de quinze années. Leur proposition fut acceptée, et en 1777, le roi Louis XVI permit aux frères Périer par lettres patentes :
1° D’établir et de faire construire à leurs frais dans Paris des pompes à feu propres à élever l’eau de la Seine, et de la conduire dans les différents quartiers, pour être distribuée aux porteurs d’eau dans les rues et dans les maisons, au prix qui sera réglé de gré à gré ;
2° De faire construire, aussi à leurs frais, des fontaines de distribution, pour faciliter, à un prix modique, l’approvisionnement des petits ménages et des particuliers qui ne jugeront pas à propos d’avoir chez eux des réservoirs ;
3° De placer sous le pavé tous les tuyaux de conduite, trappes, regards, puisards et robinets nécessaires.
Un privilège exclusif fut accordé aux frères Périer pour quinze années à partir du jour où les machines commenceraient à fonctionner.
Les frères Périer étaient donc autorisés à conduire l’eau dans les maisons, ce qui permettait de relier les réservoirs privés aux conduites publiques par de courts branchements : ainsi disparaissaient en même temps et ce fouillis de petits conduits qui encombraient le sous-sol des rues, et l’aliénation à perpétuité des eaux publiques. Mais en même temps on établissait les fontaines marchandes, qui ont certainement entravé le développement des concessions particulières.
En 1778, MM. Périer constituèrent la Compagnie des eaux de Paris ; puis ils se mirent à l’œuvre et construisirent d’abord les pompes à feu de Chaillot, exactement à la place où sont les deux grandes machines actuelles. Cet emplacement avait l’inconvénient d’être situé à l’aval de Paris ; mais, d’un autre côté, il se trouvait très voisin du coteau de la Seine et du point où l’on a pu construire les quatre réservoirs qui, jusqu’à ces dernières années, ont réparti l’eau sur la plus grande partie de Paris.
En 1781, les machines de Chaillot et une partie de la canalisation étaient terminées ; la prise d’eau se faisait au-dessus du grand égout de Paris, qui se jetait alors dans la rivière vis-à-vis de la manufacture de la Savonnerie à Chaillot. Les dimensions de chaque pompe étaient telles, qu’à chaque coup de piston elle devait élever1,053m³ d’eau, ce qui donnait environ 13 700 mètres cubes en 24 heures ; sa puissance, comptée en eau montée, était de 5196,62kgm, ou de 69 chevaux ; la hauteur à laquelle l’eau était portée en moyenne, en temps de basses eaux, était de 32,89m au-dessus des basses eaux de la Seine. Elle arrivait ainsi dans quatre réservoirs égaux construits sur le haut de la montagne de Chaillot, d’où partait une conduite principale en fonte de fer de 0,325m de diamètre intérieur, qui suivait la rue de Chaillot, la rue de Berri, et celle du faubourg Saint-Honoré, jusqu’à la porte Saint-Honoré, où elle se divisait en deux branches de 0,216m de diamètre intérieur. Beaucoup des conduites secondaires étaient en bois. De celles-ci partaient des embranchements destinés à fournir l’eau, par de petits tuyaux de plomb, à tous les abonnés. Le prix de l’abonnement était de 50 livres par an et par muid de 238 litres, ce qui mettait le mètre cube délivré par jour à 206 livres pour un an. Rendu à domicile par le porteur d’eau, au prix de 2 sols par voie de 29 litres, le mètre cube délivré chaque jour, revenait à 1277 livres 10 sols par an : on voit quelle énorme économie le système des abonnements offrait aux consommateurs.
L’eau de Chaillot fut distribuée pour la première fois en juillet 1782, à la fontaine publique établie par la Compagnie près de la porte Saint-Honoré ; d’autres fontaines de distribution furent érigées successivement à la chaussée d’Antin, à la porte Saint-Denis, à l’entrée de la rue du Temple.
Entre 1781 et 1786 furent établies au Gros-Caillou deux machines du même système que celles de Chaillot, mais beaucoup plus petites : leur force ne dépassait pas 14 à 16 chevaux. L’eau était élevée dans une cuvette située au-dessus d’une tour à l’altitude 60,01m, c’est-à-dire à 2,52m au-dessus du niveau du château d’eau d’Arcueil ; dans cette partie plate de la ville il avait été impossible de trouver un emplacement assez élevé pour un réservoir, et force avait été de conserver l’ancien système de distribution. La conduite maîtresse partant du pied de la tour, dont l’emplacement est actuellement englobé dans celui de la manufacture de tabac, suivait d’abord la rue de l’Université, puis la rue de Grenelle et se prolongeait jusqu’à la place Maubert.
Bien que le système inauguré par la Compagnie des eaux fût le seul véritablement rationnel, il n’était pas destiné à prévaloir sans une lutte prolongée : en 1786, les ventes d’eau ne donnaient encore qu’un peu plus de 112,000 livres par an. L’année suivante, la dépréciation des actions commença, et la ruine de la Compagnie fut rendue complète par les événements politiques et surtout par l’hostilité de Mirabeau. En 1788, la Compagnie Périer fut remplacée par l’Administration royale des eaux de Paris. Enfin, en 1807, les pompes à feu de Paris furent réunies aux autres établissements hydrauliques de la ville, et rattachées à l’administration des ponts et chaussées. A cette époque, les pompes à feu de Chaillot donnaient 4165 mètres cubes d’eau par 24 heures, et celles du Gros-Caillou 1344 ; et cependant on n’utilisait pas le tiers de leur force.
Vers 1850, les pompes à feu de Chaillot ont été remplacées par des machines de Cornouailles, nommées Iéna et Alma qui existent encore aujourd’hui. En 1858, les machines du Gros-Caillou, qui donnaient une eau infecte, ont été démolies.
C’est ici que se termine l’histoire des travaux faits depuis la domination romaine jusqu’à la fin du XVIIIe siècle pour donner à Paris les eaux indispensables à sa vie. « Ces anciennes eaux ne comptent pour ainsi dire plus dans la distribution : l’aqueduc du Pré-Saint-Gervais est envahi par les exploitations de gypse, et à moitié ruiné ; l’aqueduc de Belleville est recouvert aujourd’hui par la populeuse cité qui s’est étendue du village de Belleville-sur-Sablon jusqu’aux anciens boulevards extérieurs ; les fondations de ces bâtisses ont asséché les pierrées ; les égouts, le chemin de fer de ceinture, la rue de Puébla en dernier lieu, ont découpé l’aqueduc en tronçons qui ne peuvent plus se rejoindre. En un mot, la ville ne reçoit plus une seule goutte d’eau de l’aqueduc de Belleville. Les clochettes de la Samaritaine ont cessé depuis longtemps de faire entendre leur carillon, et la forêt de pieux des pompes Notre-Dame n’encombre plus le lit de la Seine. Les deux pompes à feu de Chaillot, Augustine et Constantine, ont cédé leurs places à des machines plus puissantes ; depuis 1858, les pompes à feu du Gros-Caillou ont cessé de refouler dans Paris l’eau la plus immonde de la Seine. Seule l’eau d’Arcueil se distribue encore à Paris, mais sur une étendue bien restreinte, autour du Panthéon. »
Pour terminer ce résumé des premiers pas et des tâtonnements de ceux qui ont précédé nos grands ingénieurs modernes, il ne nous reste plus qu’à exposer rapidement le mode de distribution des anciennes eaux.
Mode de distribution des eaux. - Les anciennes eaux se distribuaient, soit par les porteurs d’eau, soit au moyen des ’fontaines publiques ; enfin quelques concessionnaires privilégiés recevaient l’eau à domicile, chacun par une conduite spéciale qui était sa propriété. Dès le moyen âge, les porteurs d’eau se divisaient en deux classes : les porteurs d’eau à bretelles et les porteurs d’eau à tonneaux. Les premiers portaient deux seaux suspendus au moyen d’une bretelle en cuir passant derrière leur cou, et maintenus écartés à l’aide d’un cerceau. Ils parcouraient les rues de Paris en criant leur marchandise. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, la voie d’eau était de deux seaux contenant ensemble 29 litres ; depuis 1860 elle est réduite à 23 litres. Le porteur d’eau à bretelles prenait autrefois son eau en des points déterminés de la rivière et aux fontaines publiques ; mais on sait que jusqu’à la fin du XIlIe siècle il n’existait, dans l’enceinte de Philippe-Auguste, que trois ou quatre de ces dernières. Quant aux tonneaux à eau, avant le pavage des rues, qui commença vers 1184, ils ne circulaient qu’à grands frais dans les rues de la ville. Les agrandissements successifs de Paris sous Charles V et sous Louis XIV ne firent qu’augmenter la pénurie d’eau, malgré la construction de l’aqueduc d’Arcueil. Jusqu’en 1673, date de la construction des pompes du pont Notre-Dame, la distribution d’eau à domicile fut faite surtout par les porteurs d’eau à tonneaux ; à partir de cette époque, les porteurs d’eau à bretelles leur ont fait concurrence. En outre, les habitants de la classe ouvrière puisaient eux-mêmes aux fontaines l’eau de Seine dont ils avaient besoin. L’accès de certaines fontaines, celle des Halles par exemple, était interdit aux porteurs d’eau. De nos jours, sur 33 fontaines de puisage et 306 bornes-fontaines à repoussoir, les premières seulement sont fréquentées par les porteurs d’eau à bretelles ; les autres sont réservées au public.
Les porteurs d’eau à tonneaux ne pouvaient prendre l’eau gratuitement qu’à la rivière, sur les points désignés par le bureau de la ville. Au XVIIe siècle, ces puisoirs étaient au nombre de cinq, sur les bas ports suivants : au port au plâtre (quai de la Rapée), au port au blé (quai de l’Hôtel-de-Ville), au port de recueillage, au port de l’hôpital général (quai d’Austerlitz), et au port des Invalides (quai d’Orsay). Les chevaux et les voilures descendaient dans la rivière, et le puisage était fait avec des seaux, ce qui rendait nécessairement l’eau trouble et d’un aspect peu agréable. En 1771, des spéculateurs établirent sur des bateaux cinq pompes aux puisoirs déjà nommés ; le remplissage des tonneaux s’y faisait à raison de 10 ou 12 centimes et demi par tonneau de 476 litres environ. De nos jours, ces puisoirs sont tout à fait abandonnés ; ils sont remplacés par des fontaines exclusivement affectées aux porteurs d’eau à tonneaux, dont les premières furent établies par les frères Périer, de 1781 à 1786 ; ces fontaines ont reçu le nom de fontaines marchandes ou de ventes d’eau ; les porteurs d’eau y payent, au profit de la ville, une rétribution qui s’élève aujourd’hui à 1 franc par mètre cube d’eau. Au commencement du XIXe siècle, il y avait en tout sept ou huit fontaines marchandes : cinq dues aux frères Périer, situées ; 1° à Chaillot, à l’ancienne entrée du terrain où étaient établis les réservoirs ; 2° place Bauveau ; 3° à la porte Saint-Denis ; 4° rue du Temple, presque en face de la rue Notre-Dame de Nazareth ; 5° place de la Bastille ; et trois dues à Frochot, rue de la Chaussée-d’Antin, rue de Sèvres et rue de l’Université. La plupart de ces fontaines marchandes sont aujourd’hui détruites ou remplacées par d’autres : le nombre de celles actuellement en service est de 26, dont le produit brut a été, en 1876, de 150314,30 fr.
A la fin du XIVe siècle, la ville de Paris ne disposait que de l’eau des aqueducs de Belleville et du Pré-Saint-Gervais, qui donnaient, en temps ordinaire, 346 mètres cubes d’eau par 24 heures, et en temps de grande sécheresse à peine 200 mètres cubes. N’oublions pas qu’à cette époque Paris comptait déjà 274000 habitants, de sorte que la moyenne fournie par les aqueducs ne représentait pas même un litre et demi par tête. L’eau du Pré-Saint-Gervais alimentait toutes les fontaines publiques sises rue Saint-Denis et à l’ouest de cette rue ; les fontaines situées à l’est recevaient l’eau de Belleville.
Vers la fin du XVIIe siècle, en 1673, les choses étaient bien changées. Le volume d’eau distribué à Paris en temps moyennement humide était estimé à environ 1920 mètres cubes par 24 heures. L’eau fournie par les machines du pont Notre-Dame figure dans ce nombre pour 1152 mètres cubes ; celle d’Arcueil pour 426 mètres cubes ; celle du Pré-Saint-Gervais pour 223 mètres cubes, et enfin celle de Bellevile pour 166 mètres cubes par 24 heures. On sait que le rendement attribué aux pompes Notre-Dame était bien au-dessus de la réalité ; mais, ce qui est certain, c’est que les fontaines publiques recevaient les quatre cinquièmes de l’eau distribuée, et les concessions, alors au nombre de 200, un cinquième seulement. Plus du tiers des concessions était accordé aux communautés religieuses, aux collèges et aux hospices.
Les fontaines ou regards qui distribuaient ces eaux étaient au nombre de 46 ; depuis 1624 la distribution s’y faisait par bassinets. Dans ce système, qui permettait de jauger exactement la quantité d’eau fournie à chaque concessionnaire, chaque bassinet était percé à sa partie inférieure d’un orifice plus ou moins large, auquel était adaptée une conduite spéciale pour chaque concessionnaire. Un seul de ces châteaux d’eau existe encore ; c’est celui du Pré-Saint-Gervais. La distribution par bassinets ne serait plus possible de nos jours, parce que nos rues seraient trop étroites pour le réseau considérable de conduites que ce système exige lorsque les concessions sont nombreuses. Une autre amélioration qui date également du XVIIe siècle, est la construction, pour chaque fontaine, d’un petit réservoir permettant d’emmagasiner les eaux qui se perdaient autrefois pendant la nuit et aux heures de petite consommation.
Il n’est pas nécessaire de dire que le nombre des fontaines publiques de Paris a nécessairement varié avec la quantité d’eau dont la ville pouvait disposer. L’auteur en a dressé un tableau détaillé fort intéressant, dont nous allons donner le résumé :
1 ° Les fontaines construites antérieurement au XVIe siècle, dans les limites de l’enceinte actuelle de Paris, étaient au nombre de dix-neuf ; dix recevaient les eaux du Pré-Saint-Gervais, et neuf celles de Belleville. Sur ce nombre, quinze ont disparu, et quatre seulement sont encore en activité ; ce sont les fontaines des Innocents, Maubuée, Sainte-Avoie et du Vert-Bois.
2° Les fontaines construites depuis le commencement du XVIe siècle jusqu’à la distribution des eaux d’Arcueil (1501-1623), sont au nombre de quatre. Trois étaient alimentées par l’eau du Pré-Saint-Gervais, et une par celle de Belleville. Une seule de ces fontaines subsiste encore ; c’est celle qui portait autrefois le nom de fontaine de la Croix-du-Tirouer, et qui est maintenant connue sous celui de fontaine de l’Arbre-Sec.
3° Depuis la distribution des eaux d’Arcueil jusqu’à la construction des pompes du pont Notre-Dame (1623-1671), nous voyons s’élever vingt fontaines nouvelles, dont quinze étaient alimentées par l’aqueduc d’Arcueil, deux par celui du Pré-Saint-Gervais et trois par celui de Belleville. Sur ce nombre, dix ne sont plus en activité, six sont remplacées par des bornes-fontaines à repoussoir, et quatre subsistent encore. La plus importante de ces dernières est la fontaine Cuvier. En résumé, sur les quarante-trois fontaines érigées avant la construction des machines hydrauliques, dix seulement subsistent de nos jours.
4° Depuis la mise en service des pompes du pont Notre-Dame jusqu’à la fin du XVIIIe siècle (1671-1800), quarante et une fontaines nouvelles ont été érigées : quatorze recevaient les eaux de la Seine, douze celles de Belleville, dix celles d’Arcueil et cinq celles du Pré-Saint-Gervais. Sur ce nombre, vingt-six ne sont plus en activité, et quinze subsistent encore de nos jours.
5° Enfin, depuis le commencement du XIXe siècle, vingt-quatre fontaines de puisage ont été construites ; sur ce nombre, quatorze ne sont plus en activité ou ont entièrement disparu, et celles qui sont encore en service sont actuellement alimentées par l’eau de l’Ourcq.
Cinq autres regards ou fontaines, dont l’origine n’est pas bien connue, ont été omis dans le résumé ci-dessus, ce qui porte à 113 le nombre total des fontaines et regards constituant le système de distribution des eaux anciennes. Sur ce nombre, quatre-vingts ne sont plus en service et trente-trois sont encore en activité ; ces dernières se décomposent ainsi : vingt-six ,sont des fontaines de puisage, quatre sont devenues des fontaines monumentales, et enfin trois sont remplacées par des bornes-fontaines à repoussoir.
Outre les vingt-six anciennes fontaines de puisage qui restent encore, on comptait dans l’ancien Paris, au 31 décembre 1876, 75 bornes-fontaines à repoussoir et dans la zone annexée, 231, indépendamment de cinquante-quatre fontaines Wallace répandues dans tonte la ville, ce qui donne en tout 386 appareils de puisage. Au commencement du siècle on n’en comptait que cinquante-sept, pour une population trois fois moindre, il est vrai. De plus, les deux tiers des maisons reçoivent aujourd’hui les eaux de la ville. Les fontaines et les châteaux d’eau ne distribuaient, au commencement du XIXe siècle, que 8081 mètres cubes d’eau par jour, ainsi répartis :
Eau du Pré-Saint-Gervais | 173 mètres cubes. |
… de Belleville | 115 |
… d’Arcueil | 960 |
… de la Samaritaine | 403 |
… de la pompe Notre-Dame | 921 |
… des pompes à feu de Chaillot | 4165 |
… des pompes à feu du Gros-Caillou | 1344 |
… Total | 8081 m³ |
De nos jours, on dépense jusqu’à 300000 mètres cubes d’eau par vingt-quatre heures, et avant peu d’années ce volume sera porté à 400 000 mètres cubes.
Dans l’origine, toutes les eaux amenées par les aqueducs ou fournies par les machines élévatoires étaient destinées soit aux résidences royales, soit aux fontaines publiques ; les concessions privées n’étaient que des dons gracieux faits par le souverain aux princes de sa famille, à quelques courtisans favorisés, aux maisons religieuses, hospices et collèges, ou bien encore accordés par la ville en récompense de services rendus. Ce ne furent d’abord que des exceptions : à la fin du XVe siècle, on n en comptait que dix-neuf, et en 1610 il n’y en avait encore que quarante-une. La plus ancienne de toutes était probablement celle accordée en 1265 par saint Louis aux Filles-Dieu : l’orifice de leur prise d’eau avait un diamètre égal à celui d’un anneau attaché aux lettres patentes du roi, et, comme l’ouverture était pratiquée directement sur la conduite de la rue Saint-Denis, sans tenir compte de la charge de cette conduite, le volume d’eau concédé était nécessairement indéterminé. Ce mode de définition des concessions fut d’ailleurs le seul en usage jusqu’à la fin des Valois. Celles de moindre importance, au lieu d’être réglées par un anneau, l’étaient par la grosseur d’un pois, d’un grain de vesce ou d’un ferret d’aiguillette. Vers la fin du XVIe siècle le diamètre des orifices pratiqués dans les conduites publiques fut réglé en lignes [2] ; on remplaça la prise d’eau de la grosseur d’un pois par une ouverture de 2 lignes 1/2 de diamètre ? et le grain de vesce ou le ferret d’aiguillette par 1,5 ou 2 lignes. Plus tard, on substitua au diamètre une superficie égale au carré de celui-ci ; ainsi, pour 3 lignes de diamètre on écrivait 9 Iignes en superficie. Chaque ligne en superficie débitait 1/144e de pouce fontainier ; le pouce fontainier, en usage dès le règne de Louis XII, débitait 19195 litres par vingt-quatre heures, sous une charge de 7 lignes d’eau au-dessus du centre de l’orifice. A partir de 1618, les concessions sont réglées par le diamètre de l’œil du robinet d’arrêt, dont, la vérification ,était toujours facile ; c’était un pas fait vers l’adoption du robinet de jauge. Enfin un dernier progrès, qui date de 1624, est l’adoption par Guillain de la distribution par châteaux d’eau, avec auget ou bassinet en cuivre du fond duquel partait la conduite. Le centre de l’orifice qui donnait l’eau au bassinet était à 6 ou 7 lignes au-dessous du plan d’eau. Ce mode de distribution est rigoureusement exact : on donne à l’usager le volume d’eau qui lui est concédé, ni plus ni moins. Mais il devient inapplicable dès que les concessions sont nombreuses, parce que les rues sont trop étroites pour contenir le réseau des conduites privées. Vers la même époque, pour diminuer le gaspillage de l’eau, on imposa à chaque concessionnaire l’obligation de faire mettre un robinet à l’orifice du tuyau de sa concession, de manière à ne laisser couler l’eau qu’aux moments où l’on s’en servait réellement.
Ce fut à partir de 1499 et pour empêcher les usurpations, que tous les titres des concessions furent transcrits sur les registres de la ville ; on constata alors, comme nous l’avons déjà dit, que les concessions existantes étaient au nombre de 19. Toutes étaient à titre gracieux, et il faut attendre encore un siècle pour voir apparaître les concessions à titre onéreux, premier germe des abonnements modernes. La première concession à titre onéreux date de 1598 ; elle fut accordée à Martin Langlois en échange d’une rente de 35 livres 10 sols.
En 1554, à la suite d’une sécheresse qui durait depuis 1538, Henri II supprima par un édit toutes les concessions existantes ; il est vrai que cette suppression fut plutôt nominale que réelle. La même mesure fut prise en 1578, 1587 et 1594, toujours avec des résultats illusoires. En général, les souverains étaient les premiers à violer eux-mêmes les ordres qu’ils venaient de donner. A partir du XVIIe siècle, on procède d’une manière plus raisonnable, et, lorsqu’il y a disette d’eau, on se contente de restreindre les concessions ou de les retrancher pour un temps limité, souvent pour deux mois.
De 1617 à 1624, on avait fait vingt-six concessions des eaux de Rungis qui allaient entrer en service ; sur ce nombre, neuf étaient accordées à des communautés religieuses et cinq à des collèges et établissements publics. Cette augmentation des concessionnaires fit songer à vérifier les titres, et les abus étaient si nombreux que sur 48 prises d’eau particulières 33 exigèrent des réformes graves. De 1619 à 1635, nous constatons encore 53 concessions nouvelles des eaux de Belleville, du Pré-Saint-Gervais et de la Samaritaine, parmi lesquelles il faut en signaler une de 76,78m³ par vingt-quatre heures, en faveur du cardinal de Richelieu, pour son hôtel de la rue Saint-Honoré. De 1635 à 1660 on accorde 102 concessions nouvelles, puis en 1666 toutes les concessions sont révoquées par un arrêt du conseil d’État. Néanmoins, en 1673, le nombre des concessions s’élevait à 201, sur lesquelles 74 étaient accordées aux communautés religieuses, aux collèges et aux hospices, que l’on peut considérer comme de véritables établissements publics ; les 127 autres appartenaient à des particuliers.
C’est vers cette même époque que fut prise une mesure des plus importantes au point de vue de l’extension des concessions à titre onéreux : le bureau de la Ville décida que, pour faire rentrer la Ville dans les déboursés faits par elle pour les pompes du pont Notre-Dame, on vendrait au public 20 pouces d’eau, c’est-à-dire 384 mètres cubes par vingt-quatre heures. Le prix du pouce d’eau fut fixé à 500 livres de rente, rachetable à 10 000 livres, ce qui mettait le mètre cube à 0,07fr. Malgré la modicité de ce prix, il s’écoula vingt ans avant qu’aucune concession à prix d’argent fût accordée, ni peut-être même demandée ; ce fait doit, sans doute, être attribué à la cherté des prises d’eau par bassinet, le concessionnaire étant forcé de poser une conduite spéciale en plomb depuis le regard le plus voisin de son immeuble jusqu’à sa maison. Les frais étaient d’au moins 3000 livres, et souvent de beaucoup plus.
En 1709, le prix de la ligne d’eau fut porté par le bureau à 200 livres pour les concessions à perpétuité et à 100 livres pour les concessions à vie. Ces prix furent même souvent dépassés ; mais, malgré ce renchérissement, nous voyons se développer peu à peu l’habitude d’acheter l’eau, soit à prix d’argent, soit par des cessions d’immeubles. En 1837, le nombre total des concessions était de 315, et, quoique ce nombre ne fût pas considérable, la nouvelle distribution que l’on voulait faire des anciennes eaux en rendait la suppression indispensable, avec ou sans indemnité. Si nous consultons le tableau du rachat des concessions à titre onéreux, nous y voyons qu’en 1837 le nombre de ces concessions dans Paris était de 110 ; sur ce nombre, 93 furent rachetées de 1837 à 1863 ; une seule subsiste, desservie par la fontaine Cambrai. A peu près dans le même laps de temps, de 1837 à 1868, 202 concessions gracieuses furent supprimées sans indemnité ; 2 subsistent encore. Enfin il existe, en dehors de Paris, 17 concessions à titre onéreux que la Ville n’a aucun Intérêt à supprimer. Ces 315 concessions débitaient 1056 mètres cubes par 24 heures.
A l’époque où disparaissait la dernière concession gracieuse qui eût été supprimée (en 1868), celle de messire Hiérosme Bignon, prévôt des marchands de 1708 à 1716, aqueducs, machines, usages de l’eau, tout était changé ; c’est donc bien vers 1868 que se termine l’histoire des anciennes eaux de Paris, histoire dont nous venons de donner le résumé. Mais, ce qu’il est impossible de reproduire ici ce sont les détails curieux, les traits de mœurs, les pièces authentiques sur lesquels l’auteur a pris soin d’appuyer à chaque pas son travail, et qui fait, pour ainsi dire, revivre sous nos yeux l’histoire intime de la Ville. Ce qu’il faut lire dans le livre de M. Belgrand, c’est la lettre adressée par le roi François Ier au bureau de la Ville, pour solliciter en faveur de l’évêque de Castres une concession d’eau « de la grosseur d’un poix tant seullement », avec la réponse qui réduit la prise d’eau « à la grosseur d’un grain de vesce » ; ce sont les lettres de Catherine de Médicis et d’Henri IV ; c’est le prospectus de la Compagnie Périer, probablement rédigé par Beaumarchais ; ce sont enfin les Mémoires par lesquels Mirabeau attaque la Compagnie avec un acharnement inexplicable, et détermine sa ruine ; ce qu’il faut voir dans le superbe atlas joint au volume, ce sont les belles hélio-gravures qui reproduisent, avec une exactitude que la photographie seule peut donner, les plus anciennes fontaines de Paris, jusque dans leurs moindres détails.
« Les anciennes fontaines, si célèbres autrefois si surveillées par nos pères, disparaissent l’une après l’autre sans qu’on s’en occupe, nous dit l’auteur avec le regret d’un homme dévoué à son œuvre ; les traditions se perdent : quand j’aurai disparu avec trois ou quatre collaborateurs et autant d’anciens serviteurs qui surveillent les tronçons d’aqueducs comme chose sacrée, qui en jaugent l’eau comme si elle était encore indispensable à Paris, il ne restera pas même un souvenir de ces vieilles choses … C’est pour cela que j’ai considéré comme un devoir d’écrire ce livre. »