On étudie sérieusement la façon de transporter le public à l’aide de trottoirs roulants

E. Weiss, Sciences et Voyages N°321 — 22 octobre 1925
Dimanche 19 décembre 2010 — Dernier ajout mardi 29 mai 2018

De nombreux projets ont été soumis, en vue de réaliser un trottoir roulant à Paris, afin d’obvier à l’encombrement des véhicules de transport en commun. Beaucoup de systèmes ont été proposés, et ceux qui ont été retenus par la Commission présentent des particularités relativement nouvelles.

Tout d’abord, on rencontre le système à bandes parallèles continues, qui est une application de celui qui figurait à l’Exposition de 1900. On a plusieurs bandes parallèles qui se déplacent sur toute la longueur du parcours, chacune des bandes marchant à une vitesse différente. Pour arriver à la bande marchant à la plus grande vitesse, les voyageurs partent des quais, passent successivement sur les bandes intermédiaires, de sorte que la différence de vitesse au moment du passage se trouve réduite, tout en permettant d’assurer une circulation rapide sur la bande extrême.

Dans un deuxième système, la bande à grande vitesse emprunte seule la totalité du parcours, et l’on a prévu des installations spéciales aux stations pour l’embarquement et le débarquement des voyageurs. Ces organes accélérateurs ou retardeurs peuvent être soit des rouleaux à ailettes dont les vitesses vont en croissant et qui forment ainsi un circuit à vitesses progressives. Ces rouleaux à ailettes desservent un circuit accessoire qui aboutit finalement à la bande de circulation.

C’est le système le plus original.

Un inventeur a imaginé également des plateaux tournants dans lesquels le voyageur part du centre pour atteindre la périphérie, et il arrive par là à la bande de circulation.

Enfin, un système tout à fait spécial est celui qui a une vitesse de circulation variable sur une seule voie.

Il comporte alors des wagonnets qui sont jointifs au passage des stations et dont la vitesse augmente rapidement au fur et à mesure qu’ils s’en éloignent. Les wagonnets se séparent les uns des autres.

Ce système, inventé en 19II par M. Lewis, n’avait été essayé que dans de petites installations d’expériences. Une application vient d’en être faite au Kursaal de Southend on Sea (Angleterre), sur une ligne de 300 mètres de longueur ouverte au public. Les essais sont suivis par des experts de la Ville de Paris, car, ainsi qu’il est dit plus haut, ce système est l’un de ceux qui ont été proposés pour le transport du public sous les grands boulevards.

Le système à action continue est tout à fait commode pour le transport de matériaux, quand il y en a une grande quantité, comme par exemple par des transporteurs si la distance est courte et par des câbles aériens si la distance est grande. Dans les services de voyageurs, il sera de plus en plus employé, comme l’escalier continu remplace maintenant d’une façon intensive l’ascenseur avec arrêt et mise en marche.

Dans les deux cas, la vitesse doit être uniforme, constante ; de plus, elle doit être faible, spécialement pour les services de Voyageurs ; sans cela, les personnes ne pourraient pas marcher sur le chemin roulant.

On se rendra compte que, dans un système de transport à vitesse faible et constante, du genre convoyeur : 1° les passagers ne peuvent pas être conduits trop vite, ou à une vitesse excédant celle de la marche ordinaire, et 2° la courroie de transmission, la chaîne des augets, la plate-forme ou tout autre dispositif roulant doit couvrir la longueur entière du chemin ; par suite, le prix de revient élevé est prohibitif, sauf s’il s’agit de très courtes distances.

La plate-forme mobile du système « trottoir roulant » fût inventée il y a quelque trente ans, démontrée avec des installations aux expositions de 1900, de Chicago, de Berlin, et porta en service public des millions de voyageurs de toutes nationalités sans accidents. Il fût donc pleinement prouvé qu’il était possible de réaliser un moyen de locomotion de cette sorte pour l’usage du public.

Dans ce système de plate-forme mouvante,la difficulté de la petite vitesse est facilement surmontée par l’emploi d’un ensemble de trois séries de courroies de transmission adjacentes,. Les voies sont à des vitesses différant de 3km/h, de telle façon que la vitesse maximum de 9km/h peut être atteinte par un passager marchant successivement sur les plate-formes intermédiaires, de 3 à 6 km/h.

Évidemment, cette manière d’obtenir une grande vitesse, cependant encore trop peu élevée pour le service des voyageurs, accroit les difficultés ; le trottoir devient trop large, trop Incommode et coûteux ; le projet de la plate-forme mobile est presque impossible à adopter.

Le système Lewis semble vaincre ces difficultés d’une manière originale. On fournit des vitesses initiales suffisamment peu élevées quand cela est nécessaire pour la montée et la descente des voyageurs, une grande vitesse en route, entre deux stations, de telle manière que les vitesses atteintes approchent et même dépassent celles des trains électriques.

L’appareil comporte, sur une route-circuit, une disposition de série de voitures indépendantes contrôlées positivement, et dirigées par un arbre fileté, avec des spirales, disposé entre les rails ; les voitures sont engagées sur l’arbre par deux galets, un de chaque côté du filet.

L’arbre suit toute la longueur de la route ; il tourne à une vitesse constante. En conséquence, la vitesse communiquée à la voiture est proportionnelle au pas de la spirale qui travaille.

Pour donner une plus petite vitesse aux endroits de stationnement, le pas est court ; pour donner une grande vitesse en route, le pas est six à huit fois plus grand ; les pas intermédiaires gradués donnent l’accélération et la diminution de vitesse progressivement.

Ainsi, le ralentissement et l’accélération de Steinmetz sont atteints, ainsi que la récupération d’environ 80% de l’énergie cinétique des voitures au ralentissement, au lieu de perdre cette énergie au freinage comme dans la traction électrique. nDe plus, aucun frein, aucun appareil à signaux ne sont nécessaires ; beaucoup des accessoires des trains électriques sont évités.

L’arbre est formé de courtes longueurs bout à bout, avec du jeu pour la poussée et l’allongement. Il est porté par des paliers à billes qui diminuent la consommation de l’énergie. La consommation totale, en comprenant l’arbre, les résistances et toutes les pertes, est seulement le quart en watts-heure de celle demandée pour la traction d’un train électrique de même valeur.

Les moteurs sont disposés à des intervalles d’un peu plus de 250 mètres. Le diamètre de l’arbre dépend des vitesses à obtenir ; il est beaucoup plus fort qu’il n’est nécessaire pour la quantité d’énergie à transmettre. Les détails de construction sont simples ; ils ne présentent aucune difficulté particulière.

Ce système n’est pas seulement applicable aux routes droites comme on les trouve en Amérique et dans les cités coloniales ; il peut être également adapté à des dénivellations de terrain, à des courbes par de très simples arrangements.

À la fin de la route, on dispose Un demi-cercle de petit rayon, les voitures étant mises hors prise de la dernière hélice sur l’arbre, et en prise avec la première hélice, de la tige de l’arbre de retour. On n’a trouvé aucune difficulté dans les expériences faites avec le transporteur de ce genre construit par Ransomes et Rapier.

A première vue, la question d’usure et de cassures peut être considérée comme une des plus sérieuses ; ici encore, le système se montre favorable. On substitue des voitures indépendantes très légères aux trains lourds employés dans les systèmes intermittents généralement en usage. Le matériel en roulement est divisé en petites unités, distribuées d’une façon uniforme sur les voies. Comme il n’est pas nécessaire de recourir à de très grandes vitesses pour obtenir une grande capacité de transport, le poids du matériel roulant par siège, au lieu d’être de 400 à 800 kilogrammes comme avec les trains électriques, n’est pas plus de 150 à 200 kilogrammes.

Bien que les voies ne demandent donc que des rails relativement légers, elles durent bien plus longtemps que les lourds rails en acier employés pour les trains électriques.

On a proposé d’utiliser des voitures pesant environ 2 tonnes et demie avec vingt passagers. Dans ce cas, la pression entre les rouleaux d’embrayage et le bord de l’hélice de l’arbre est au-dessous de 10 kilogrammes à toutes vitesses constantes, grandes ou petites, c’est-à-dire sur 70% de la longueur quand il y a une gare tous les 400 ou 500 mètres.

Pour l’accélération et le ralentissement, la pression augmente graduellement jusqu’à un maximum de 750 kilogrammes, si l’on a une progression graduée idéale, jusqu’aux valeurs finales de 21,5 et 35 kilomètres à l’heure. Ces pressions sont insignifiantes, et on peut conclure d’une façon raisonnable que l’usure des hélices en résultant est très petite. En aucun cas, d’ailleurs, une usure considérable n’empêcherait le fonctionnement du système, qui ne dépend pas (comme dans les escaliers roulants, par exemple) de la perfection des différentes parties qui le composent.

Après un service intensif, toutes les pièces, même les plus délicates, peuvent être enlevées et remplacées par une nouvelle, en quelques heures.

Il faut remarquer que le système assure des conditions de fonctionnement parfaites par l’emploi de paliers à billes et à rouleaux, ce qui réduit la surveillance, l’entretien, la lubrification et évite des frais généraux. La construction de cette sorte de paliers a depuis longtemps atteint le summum de la solidité et de la perfection.

Une route équipée avec ce système n’a pas besoin d’avoir de vastes bâtiments aux extrémités pour le garage des voitures, car le matériel roulant reste toujours sur la voie. La puissance est fournie par les réseaux installés le long de la route, ce qui est un avantage au point de vue du facteur de charge.

Examinons la sécurité. Chaque véhicule est normalement sous le contrôle de l’hélice ; comme les voitures qui se suivent. sont toujours à la même distance, il leur est impossible de se rejoindre.

L’embrayage comprend deux rouleaux, de manière que si, par hasard, l’un se détache. la voiture pourra seulement dévier de la longueur d’une hélice, et ceci ne peut pas avoir de graves conséquences.

Chaque voiture peut rapidement être retirée du service et remplacée. Le système entier peut être automatiquement mis au repos, s’il est nécessaire, dans le cas de quelque irrégularité. Tous les moteurs générateurs de courant peuvent être contrôlés, surveillés par des ouvriers spéciaux qui peuvent, par de très simples moyens, être en liaison avec toutes les parties du système.

Les voitures peuvent être agencées avec des portes s’ouvrant automatiquement aux gares. La possibilité d’un déraillement doit être écartée presque entièrement, et le fonctionnement du système est tout à fait indépendant de l’action humaine.

Le système Lewis combine les avantages des convoyeurs continus et des trains intermittents sans aucun des désavantages sérieux de ceux-ci. Par exemple, combiné avec les chemins de fer électriques, il procure environ une vitesse plus élevée de 20 % lorsque les stations sont séparées et à la même distance, ou une vitesse égale avec deux fois plus de stations par kilomètre.

Ceci constitue des facteurs importants pour les prévisions des transports. le long des routes à trafic intense, car la capacité est plus élevée que celle du train et de tous autres systèmes intermittents.

Ce système, grâce à son mécanisme d’une simplicité élémentaire, est d’un prix de revient relativement bas ; le fonctionnement est silencieux, exempt de vibrations. On peut aussi l’appliquer au transport des paquets, bagages et de légers chargements, tels que pour le service des postes, des entrepôts, des factoreries et des docks, car on peut opérer d’une manière continue, semi-continue ou complètement intermittente, selon ce que l’on désire transporter.

On ne sait encore quel est le projet qui sera adopté pour la réalisation.

On pense évidemment qu’un système de transport de ce genre contribuerait à décongestionner les autobus, les voitures des métropolitains, etc. Malgré tout, il en résultera des travaux considérables, surtout qu’il ne suffit pas d’assurer le transport d’une grande quantité de voyageurs, mais qu’il est nécessaire de prévoir aussi des dégagements suffisamment vastes pour éviter tout encombrement. Il ne faut pas renouveler les fautes qu’on a faites dans la construction du métropolitain, où les voyageurs sont quelquefois obligés de passer à la file indienne entre deux barrières de fer.

Il est évident qu’il n’est pas toujours possible de prévoir sous les rues, au milieu de l’enchevêtrement des égouts, des câbles d’électricité, des câbles téléphoniques, des conduites de gaz, de grands emplacements pour permettre d’y circuler à l’aise. La question a été particulièrement délicate à résoudre pour certaines stations du métropolitain. Et ceci nous amène à penser que le problème ne sera pas moins compliqué pour l’établissement d’un trottoir roulant, surtout si l’on prévoit aux stations des dispositifs d’un encombrement fatalement important pour l’embarquement et le débarquement des voyageurs.

Il est donc à prévoir que, lorsqu’on étudiera une réalisation pratique de système acceptable en principe, on se heurtera à de grandes difficultés dont la solution entraînera des frais d’installation que les budgets actuels ne pourraient supporter.

E. Weiss

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