Les bon et les mauvais cèpes

A. Acloque, La Nature N°1268 — 18 septembre 1897
Samedi 25 septembre 2010 — Dernier ajout samedi 15 novembre 2014

On n’accorde plus aujourd’hui aucune confiance aux formules vaguement générales qui, d’après les traditions perpétuées dans les campagnes, devraient servir à distinguer les bons champignons des mauvais, et tant de fois la prescription routinière de ne cueillir que les bleus, ou les rouges, ou les jaunes, ou ceux qui ont du lait, ou ceux qui n’en ont pas, a amené de si déplorables accidents que la prudence est devenue universelle.

Il n’y a pas de moyen sûr de distinguer les vénéneux des comestibles, autre que la connaissance des espèces, la notion de leurs caractères botaniques révélant en même temps leurs propriétés, grâce aux expériences qui ont été faites avec chacune d’elles. Il faut distinguer l’Amanite meurtrière de l’Oronge, comme on distingue la Ciguë du Persil, puis, cette distinction faite, on peut s’abstenir ou cueillir, si l’on sait que la première est dangereuse, et que l’autre se mange. Cela est vrai surtout pour les Agarics, ces champignons semblables à un parapluie, et dont le chapeau est doublé en dessous de lamelles rayonnantes, ou feuillets. Dans ce genre, extrêmement nombreux en formes, le poison et l’aliment se présentent souvent sous un vêtement presque identique, à tel point que l’œil exercé du botaniste hésite parfois à démêler certaines espèces très voisines, et qui, malgré cette étroite parenté de la forme extérieure, diffèrent complètement par leurs propriétés.

Encore qu’on ne puisse fixer en la matière aucune règle absolue, il serait peut-être plus facile de donner des indications générales pour édifier suffisamment les amateurs de cette friandise sur la valeur respective des Bolets ou Cèpes, champignons assez semblables d’aspect aux Agarics, mais d’ordinaire plus trapus, et ayant la face inférieure du chapeau doublée de tubes, de pores, au lieu de lamelles.

Les espèces comestibles de ce genre ont certains traits communs très faciles à apprécier : leur odeur est agréable, leurs pores sont blancs ou d’un jaune très pâle, leur chair est ferme, également blanche ou très légèrement teintée de jaunâtre, et ne change pas sensiblement de couleur quand on la met en contact avec l’air. Mais si le bolet que l’on a cueilli présente des pores orangés ou rouges, devenant verdâtres au moindre froissement, si sa chair passe rapidement au bleu foncé quand on la coupe, il faut s’abstenir.

Ce brusque changement de couleur, dû à la présence d’une substance résineuse qui tourne au bleu dans l’oxygène ozoné, est toujours très curieux à observer, et fait partie de cette foule de menues merveilles que la nature offre à notre admiration, trop souvent distraite.

Maintenant que vous voilà prévenus, nous vous engageons à faire à vos amis encore ignorants la surprise de placer sur leur passage, comme par hasard, au cours d’une promenade, quelque exemplaire de Boletus luridus sur lequel vous aurez au préalable tracé leur nom avec la pointe d’un canif ; la vue soudaine de cette inscription qui se détache en bleu intense, cause toujours quelque étonnement. Sans compter que le phénomène enseigne la méfiance vis-à-vis du champignon, car on a remarqué que les espèces qui passent au bleu, si elles ne sont pas toujours vénéneuses au sens propre du mot, imposent généralement à ceux qui les mangent la fatigue d’une mauvaise digestion.

A. Acloque

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