Jetant un coup d’œil sur les gravures qui accompagnent cet article, sans en lire les légendes, le lecteur se demanderait sans doute quels bizarres instruments elles représentent : l’un, sorte de canif avec un manche en piédestal de forme anormale, l’autre à apparence de sécateur. C’est qu’il s’agit d’ustensiles démodés qu’on ne rencontre plus aujourd’hui que dans les musées et les collections, avec tant d’autres que le progrès a rendus inutiles. C’est d’ans les campagnes les plus reculées qu’il faut aller chercher d’ordinaire ces survivances des besoins passés, c’est là que l’on retrouve encore suspendus à la muraille les mouchettes, l’éteignoir et bien d’autres ustensiles dont la présence fait sourire et fait penser. On n’y trouve pas de taille-plumes, par exemple, et pour cause, l’écriture n’étant pas un art très pratiqué jadis à la campagne ; l’instruction n’y était pas alors obligatoire ! Les taille-plumes ont été pour.tant des instruments commodes, assez employés pendant la longue période où courut la plume d’oie dans la main de l’écrivain, Qui sait d’ailleurs si plus tard, la plume métallique, si répandue aujourd’hui, ne provoquera pas la même curiosité. Si l’emploi des machines à écrire se généralise, on n’apprendra plus aux enfants à tenir le porte-plume, mais à manier le clavier.
Le principal ustensile de l’écrivain a déjà, au cours des siècles, subi bien des métamorphoses.
Pour écrire sur le papier et le parchemin, les anciens se servaient de pinceaux ou de petits roseaux qu’ils taillaient en pointe fendue par le milieu. Les meilleurs venaient d’Égypte, sur les bords du Nil et aussi des environs du lac, Anaïtique, en Asie. Ces roseaux furent employés longtemps en Europe et le sont encore en Turquie et dans plusieurs contrées d’Orient où le progrès ne pénètre que lentement.
Les peuples d’Extrême-Orient se servent depuis la plus haute antiquité de petits pinceaux et ne sont pas encore des clients pour les fabricants de plumes métalliques. Le Japon y viendra peut-être cependant avant longtemps.
Pour écrire sur leurs tablettes de bois recouvertes de cire, les Latins employaient un style. L’usage du style a écrire se conserva même en Occident jusque vers la fin du moyen âge. Nos musées possèdent des styles du XIVe siècle, en ivoire très orné.
L’usage des plumes d’oiseau paraît a voir commencé du temps de Juvénal, c’est-à-dire au début de l’ère chrétienne ; elles remplacèrent peu à peu les roseaux. On sait, en effet, par le témoignage de saint Isidore de Séville, que les écrivains de cette époque employaient concurremment les deux espèces d’instruments. Peu à peu cependant, les plumes prirent le dessus et, au Xe siècle, les roseaux étaient entièrement abandonnés.
Les plumes à écrire firent dès lors partie de la trousse de l’écrivain. Au moyen âge, les clercs portaient toujours à leur ceinture l’écritoire consistant, d’ordinaire, en une corne d’abondance et la billette ou calemart, contenant les plumes et le canif pour les tailler, et aussi une série de grattoirs.
L’inventaire de Charles V mentionne une trousse d’or gravée d’armoiries, contenant grattoirs, compas, ciseaux, cornet à encre, plumes d’oie, etc.
Plusieurs oiseaux fournissaient des plumes propres à écrire, mais les plus employées, les plus commodes étaient les grandes plumes des ailes de l’oie. Des plumes d’oiseaux plus nobles furent parfois utilisées dans des circonstances solennelles. C’est avec une plume d’aigle arrachée à l’un des pensionnaires du Muséum que Napoléon III signa le traité de Paris.
Les plumes d’oiseaux avaient un inconvénient, il fallait les tailler, opération qui demandait, pour être bien faite, beaucoup d’habitude et … un bon canif’. Au beau milieu d’une phrase, dans le feu de l’inspiration, l’écrivain était parfois forcé de s’interrompre pour tailler sa plume. Il est vrai, au dire de certains écrivains du XVIIIe siècle, que cette opération assez souvent répétée, présentait aussi l’avantage de donner le temps de la réflexion et peut-être plus d’une de ces phrases lapidaires qu’on admire dans les anciens auteurs lui est-elle due.
Agréable ou non, l’opération était nécessaire et, comme on pouvait être un excellent écrivain et un exécrable tailleur de plumes, la nécessité d’un appareil automatique ; suppléant au manque d’habileté fréquent et opérant rapidement et sans ratés, se fit sentir de bonne heure. Les taille-plumes furent nombreux, car tout le monde, comme le czar Alexandre, ne pouvait se payer un tailleur de plume à 8000 francs par an.
Voici comment on se servait du curieux instrument en cuivre gravé que représente l’une de nos gravures. I date de la dernière moitié du XVIe siècle et fit partie de la célèbre collection Achille Jubinal.
Après avoir enlevé, au moyen de la lame de canif, représentée à moitié fermée pour montrer qu’elle est mobile, l’extrémité de la partie antérieure de la plume, on introduisait cette dernière dans l’ouverture figurée par la large bouche de la tête gravée sur la base de l’instrument et, au moyen d’un pas de vis qui mettait en mouvement un ressort intérieur, une petite lame tombait sur la plume qui d’un seul coup, se trouvait à la fois fendue et affinée.
Les anciens comptes rendus de l’Académie mentionnent différentes inventions, lames, canifs ou instruments pour tailler les plumes d’un seul coup.
C’est peut-être l’une de ces inventions qui est réalisée par notre deuxième figure. Cet instrument en acier, qui fit aussi partie de la collection Jubinal, date de la fin du XVIIIe siècle, il est disposé en une sorte de sécateur, dont l’une des branches se prolonge en un canif pour ébaucher le travail. On place ensuite la plume préparée entre les deux branches qui fonctionnent comme un emporte-pièce.
Les plumes d’oiseaux ne sont plus guère employées aujourd’hui et plusieurs auteurs, dont la fameux critique Jules Janin, leur ont fait une oraison funèbre digne des servies qu’elles ont rendus, Quelques écrivains pourtant, dont le plus célèbre est Victor Hugo, demeurèrent fidèles à la plume d’oie jusqu’à leur dernier jour.
Les plumes métalliques — deux mots qui hurlent d’être associés — ont remplacé dans tout l’Occident, la plume d’oie de jadis ; elles sont bonnes, n’ont pas besoin d’être taillées et sont d’un bon, marché extraordinaire comme la plupart des produits de l’industrie moderne.
On les croit origine récente, cependant les Romains connurent des plumes de bronze. Suivant le Père Mabillon, les patriarches de Constantinople, à l’époque du bas-empire, se servaient d’une plume d’or. Il semble aussi résulter de divers textes que l’usage des plumes métalliques existait, pendant le moyen-âge, dans quelques couvents.
Vers 1750, un mécanicien français, nommé Arnoux, se mit à fabriquer des plumes de cuivre qui n’eurent pas grand succès, à cause de la routine et aussi de la mauvaise qualité des nouveaux produits. Vers 1820, les Anglais commencèrent à employer des tôles d’acier. Le fameux industriel de Londres, James Perry, paya d’abord à ses ouvriers jusqu’à 6fr25 pièce chaque plume d’acier et les revendait jusqu’à 25 francs au détail. Après même que plusieurs manufactures de plumes eurent été établies, le prix d’une plume d’acier demeura longtemps de 5 francs, puis il descendit à 2 fr,50, enfin à 0fr,75 et pendant une assez longue durée ce fut le prix normal. Aujourd’hui, grâce au machinisme, on peut, pour le même prix, avoir une grosse de plumes d’acier, soit 144 de ces plumes.
Les plumes métalliques se font le plus souvent en acier laminé à froid. Cependant, on en fait aussi en argent, en or ou en platine et quelquefois même, pour en prolonger la durée, on munit ses plumes de luxe de pointes de rubis ou d’iridium.
G. Angerville