Et, quoique fasse le grand Homme,
il n’est grand homme qu’à sa mort.
Si je Cite, en tête de cette courte notice biographique, ces deux mauvais vers, c’est qu’ils demeurent toujours vrais,en notre pays. comme dans bien d’autres, malgré les révolutions et les progrès sociaux de tous ordres. Et ce récit de la vie si émouvante de. H.-A. Archereau, physicien presque ignoré de la génération actuelle, malgré Sa mort récente, va le prouver, une fois de plus, d’une façon qui ne saurait laisser place au moindre doute !
Puisse encore cet exemple, véritablement désastreux, servir d’enseignement aux inventeurs à venir et surtout aux législateurs de demain !
Henri-Adolphe Archereau, qui devait.être plus tard un des plus puissants semeurs d’idées industrielles de cette dernière moitié du XIXe siècle, naquit le 4 octobre 1819, à Saint-Hilaire de Vouhis, canton de Chantonnay (Vendée), au hameau de la Roulière, à une centaine de mètres des bords du Petit-Lay. C’était un Vendéen du Bocage, un Chouan ! Il en eut, comme. on le verra bientôt, toutes les qualités et tous les défauts. C’est en Vendée qu’il cornmença ses études classiques, à Chavagnes ; il les termina à Nantes. On voulait le voir prêtre : on ne réussit qu’à en faire un malheureux industriel et un chercheur de talent, peut-être même de génie.
Son instruction ne lui paraissant pas suffisante, Archereau se mit à voyager. Il se rendit d’abord à la Rochelle, puis à Bordeaux. Il parcourut ultérieurement le midi de la France, gagna Marseille, remonta le Rhône, arriva au Rhin et de là poussa jusqu’à Amsterdam. Il rentra en France par la Belgique. Quand, quittant Bruxelles, il vint se fixer à Paris, vers la fin de 1842, il n’avait que 23 ans. Il y est mort, après y avoir travaillé 50 ans, plus pauvre qu’il n’y était venu …
A son arrivée au Quartier Latin, Archereau suit les cours de chimie et de physique en Sorbonne. A cette époque, J.-B. Dumas et le physicien Pouillet y professaient avec le succès que l’on sait : ce furent les premiers maîtres du jeune séminariste manqué. Mais, à peine a-t-il assisté à quelques leçons, que le goût des inventions commence à se manifester chez l’étudiant novice. Il n’est encore qu’aux préliminaires de la science, et déjà il songe à utiliser, au point de vue industriel, le vide produit par la machine pneumatique.
L’année même de ses débuts, il achète, sur ses maigres mensualités, un appareil de ce genre et une machine électrique à plateau de verre, chez M. Deleuil, fabricant d’instruments de physique. Le feu sacré l’avait déjà pris tout entier … De nos jours, on trouverait, chez peu de nos jeunes physiciens de 23 ans, la chambrette envahie par des instruments aussi encombrants et aussi coûteux ! Il est vrai qu’en 18 2 la Sorbonne ne possédait pas les laboratoires merveilleux qu’elle va bientôt pouvoir offrir en exemple au monde savant tout entier.
Et, dès 1842, en effet, Archereau créait la vidange atmosphérique, qui a été longtemps appliquée dans les principales villes d’Europe, et pour laquelle il ne prit pas de brevet : il ignorait d’ailleurs à cette époque l’existence même de la brevetabilité.
Peu après, notre enthousiaste étudiant s’éprend de l’électricité : ce fut la maitresse adorée de la première moitié de sa vie. Il se passionne pour cette partie de la physique, en écoutant Dumas, en assistant aux expériences faites avec la pile de Bunsen, que M. Rizet venait d’importer en France. Il saisit immédiatement de quelle ressource peut être cette force nouvelle pour la production de la lumière, et sur-le-champ trouve le moyen de la faire servir à l’éclairage. Il transporte l’électricité du laboratoire dans le domaine de la pratique, par des essais qui sont des coups de maître.
Dès 1843, en effet, et le premier peut-être, à l’âge de 24 ans, il réussit à éclairer sa salle à manger au moyen d’une batterie de 50 piles Bunsen : ce fut presque une révolution dans le quartier qu’il habitait. La chose vaut d’ailleurs la peine d’être contée avec quelques détails, à une époque où l’on a déjà perdu de vue, grâce aux perfectionnements rapides de l’éclairage électrique, les modestes débuts de cette industrie nouvelle.
Comme la lumière obtenue inondait non seulement son petit appartement, mais les rues voisines, éclairant une partie de la place Saint-Honoré, des curieux s’assemblaient tous les soirs non loin de Sa maison. Leur nombre allant croissant, Archereau, dont les essais intriguaient les gardes et les passants, fut un jour conduit, pour s’expliquer devant les autorités, au poste de police. Le commissaire était un homme de sens et d’esprit : il conseilla à Archereau, s’il voulait continuer ses expériences, de demander au Préfet de police .une permission d’illuminer, non plus sa salle à manger, mais la place du Marché-Saint-Honoré !
Le préfet d’alors, M. Delessert, au lieu de n’octroyer à l’ingénieux étudiant, que la grande place de son quartier, lui donna l’autorisation d’éclairer la plus vaste et la plus belle des places publiques de Paris : la place de la Concorde ! L’inventeur était au comble de la joie. Aussi acheta-t-il immédiatement chez Deleuil, auquel M. Rizet avait appris à fabriquer les charbons de Bunsen, une cinquantaine de piles, et en commanda-t-il immédiatement cinquante autres. Mais le fabricant d’instruments, mis en éveil - d’autant plus qu’il avait entendu parler des essais de la place du Marché, - résolut d’arriver bon premier et de devancer Archereau qui ne pouvait obtenir immédiatement la permission nécessaire. Utilisant un pavillon photographique qu’il possédait quai Conti, Deleuil lança sur le Pont-Neuf des rayons de lumière électrique. Archereau sut pourtant amener Deleuil à lui prêter cent piles nouvelles, et avec les deux cents éléments qu’il possédait dès lors, il tenta l’expérience, employant pour la première fois la lumière à arc.
Comme Deleuil avait vendu les piles et prêté ses ouvriers, plus experts que les autres en électricité, le mérite de ces essais a été attribué à ce fabricant. Mais c’est bien à Archereau qu’en revient et l’honneur et les dépenses qu’ils nécessitèrent.
Au cours de cette tentative, on constata hi en vite que la pile Bunsen, bonne pour les expériences de laboratoires, ne pouvait être utilisée quand il s’agissait d’un éclairage assez considérable et assez prolongé. Aussi, dès le lendemain des essais définitifs, Archereau proposa-t-il à Deleuil, qui entra dans ses vues, de faire exécuter des vases poreux à becs déverseurs, de façon à obtenir une pile marchant cinq ou six heures. Mais ce n’est qu’en 18 7, après maints essais, qu’il imagina Ile renversement de la pile qui porte son nom [1]
A cette époque, il put alors éclairer le passage Jouffroy, puis le théâtre du Palais-Royal, pendant 62 représentations consécutives (jusqu’au 22 février 1848). Puis il transporta tout son matériel du théâtre à la place du Carrousel. Sa boutique, transformée en salle de conférences, portait comme enseigne l’inscription : Éclairage électrique.
C’est alors qu’avec les ingénieurs des phares, dans l’atelier central des phares, situé à cette époque rue Notre-Dame-des-Champs, Archereau chercha à appliquer son système à ces moyens de protection de nos navires. Les derniers essais furent faits, avec l’aide de M. Mille, chez M. Henry Lepaute, rue de Vaugirard. C’est de l’établissement de ce célèbre constructeur que la lumière électrique fut lancée sur le Trocadéro, où se trouve aujourd’hui l’atelier des phares, alors en construction. 70 éléments Archereau produisaient la lumière placée derrière une lentille Fresnel, choisie parmi les plus puissantes ; la lumière produite, estimée à 800 000 lampes Carcel, parut aux ingénieurs si intense qu’ils furent presque effrayés des résultats obtenus et, craignant de se tromper dans leurs calculs, ils ne voulurent pas publier le résultat de ces expériences.
De la place du Carrousel, où il faisait ses conférences, Archereau gagna le n° 18 du boulevard Poissonnière [2] , fabriquant toujours de la lumière électrique, qui, projetée d’un des coins de la rue de Rougemont, éclairait tous les soirs jusqu’aux Variétés !
Les journaux relatant chaque jour les essais d’Archereau, il advint que le czar Nicolas 1er eut la curiosité de voir les installations de l’inventeur. Aussi ce dernier eut-il à s’entendre avec l’ambassade russe pour aller faire’ une démonstration à Saint-Pétersbourg. Il fit construire à cet effet une pile énorme, de 200 éléments de om ,50 de haut sur om,50 de large et quitta Paris fin août 1849 [3] .
De retour à Paris, Archereau, devançant son siècle, fait conférences sur conférences soit à Paris, soit en province, sur la lumière électrique. Il prépare, sans nul profit d’ailleurs, l’avènement’ du nouveau mode d’éclairage que l’Amérique, quelques années plus tard, devait adopter sur presque toute l’étendue de son territoire, en ne recourant plus, il est vrai, à la source utilisée et perfectionnée par le chercheur français. Certes, Archereau n’avait pas inventé la lumière électrique, obtenue avant lui, mais uniquement dans le laboratoire, au moyen de l’arc voltaïque ; mais il a transformé cette production de lumière en système d’éclairage, en assurant la régularité de production et la fixité de cette lumière, grâce à l’invention de son régulateur, grâce au charbon qu’il employa, et à la modification qu’il fit subir à la pile [4] .
En 1851, Archereau a fait des expériences sur l’arc de Triomphe du Carrousel.
Je me souviens de ces expériences, a dit un rédacteur du Figaro [5] , M. Laussedat, directeur du Conservatoire des arts et métiers de Paris. Elles avaient lieu sous la surveillance du général Charron, président du Comité des fortifications, au service duquel j’étais attaché comme capitaine de génie … C’était encore bien imparfait et bien sommaire, mais enfin le principe était trouve … Il est très vrai que le pauvre Archereau a été dans cette voie un précurseur.
En 1852, mêmes essais à Marseille par l’éclairage du port ; en 1853, à Langres, etc. [6] . A cette époque Archereau avait fait plus de 2500 conférences sur le sujet qui le passionnait ; et l’Éclairage électrique n’existait pas encore ! La voie dans laquelle il s’était engagé n’était pas, industriellement, la bonne : les évènements le démontrèrent plus tard. L’éclairage par la pile sombra devant les dynamos …
Aussi, dès 1853, Archereau, découragé d’ailleurs par les obstacles qui surgissaient à chaque pas devant ses , tentatives, obstacles qui ont persisté longtemps encore après qu’il eut abandonné à d’autres le terrain de dix ans de recherches favorites, se lança dans une autre voie, qu’il crut, un instant, devoir être plus fructueuse.
Après avoir été l’apôtre, méconnu aujourd’hui, de l’éclairage électrique, il prit brevets sur brevets : fabrication du sulfate de fer, application des éponges métalliques à la pyrotechnie, etc. Dès 1854, nous le trouvons occupé à l’étude des charbons ; mais ce n’est que le 26 décembre 1855, époque où il habite Chaillot, qu’il prend son premier brevet relatif à ’sa création principale, à celle qui, dans le monde industriel, assurera à son nom une survie qu’on peut prédire respectable, je veux dire à l’agglomération des menus de tous les charbons, et les années suivantes il perfectionne cette importante découverte.
Par des essais successifs, il établit la possibilité de faire à la filière des charbons d’une longueur indéfinie pour l’éclairage électrique ; puis obtient un aggloméré de charbon de bois avec les silicates de soude et de potasse, charbons d’une extraordinaire combustibilité, mais qui donnent un peu trop de cendres. Poursuivant ces recherches, après avoir abandonné les silicates et les charbons de bois, il agglomère les menus de houille, grâce à l’emploi de brai sec en poudre qu’il mêle aux poussières de charbon de terre, chauffé dans un malaxeur recevant à sa base de la vapeur d’eau surchauffée, soit en porrtant de 7 à 9 atmosphères la pression dans les chaudières chargées d’évaporer l’eau, soit en établissant des surchauffeurs de la vapeur produite.
Cette invention, capitale pour Archereau, ne causa que sa ruine … Ayant vendu son brevet à une maison du Havre, il ne fut payé qu’en monnaie de faillite et dut s’exiler en Belgique (1859).
Cependant ce système de chauffage est aujourd’hui utilisé partout : il a fait la fortune de l’industrie minière, des Compagnies de chemin de fer et de navigation, et il a rendu les plus grands services à notre flotte, à notre marine à vapeur. Archereau y a certainement été conduit par ses premières recherches sur l’électricité, lorsqu’il s’efforçait de trouver un moyen d’agglomérer les poussières charbonneuses pour les besoins de l’éclairage électrique. Ses travaux industriels se tiennent donc, aussi bien que ceux d’un savant qui serait resté confiné dans son laboratoire.
Comme toujours, cette innovation rencontra au début les plus grandes difficultés, qui ont déjà été contées par les biographes d’Archereau [7] ; mais nous n’insistons pas. N’est-ce point là le sort ordinaire et fatal de tout produit nouveau ? Pourtant, il faut le dire, les Compagnies de chemins de fer, qu’il devait ,enrichir plus tard, ont été particulièrement dures pour notre pauvre inventeur. Archereau n’avait guère qu’un défaut ; mais il était capital : celui de ne pas sortir d’une de nos grandes écoles !
Quittant les usines d’agglomérés de Belgique, Archereau revint en France vers 1861. Et le voici à nouveau à Paris, s’efforçant, à l’instar de ce qu’il avait fait pour le charbon, de trouver un ciment agglomérateur destiné à la fabrication des pierres artificielles. Malgré le succès réel de cette tentative, cette création fut encore étouffée dans l’œuf, faute de capitaux. Toujours poussé par le démon de l’invention, il abandonne la pierre et se reejette sur le plâtre vers 1862. Il trouve le moyen de le rendre insoluble, puis de le cuire à bas prix ; de la sorte les fabricants voient leurs dépenses diminuer de moitié. Au lieu de 15 à 17 heures, on cuit désormais le plâtre en 7 minutes.
Du plâtre, Archereau passa à la métallurgie, sans plus de succès pour sa fortune personnelle. Malgré les beaux résultats obtenus lors des expériences faites aux forges de Guerigny, appartenant à la marine, où on arrive à fondre 300 kilos de fer en 5. minutes, grâce à l’emploi de l’oxygène [8] , notre infatigable chercheur ne reçoit ni récompense honorifique ni commande sérieuse (1865-1867).
Durant la guerre, il met son travail, son talent, son génie inventif au service de la patrie. Il fait au four chinois 250 sacs de charbon par jour. Le bois manquant, il agglomère 3 millions de kilogrammes de poussière de coke perdue, chauffe tous les hôpitaux et toutes les ambulances et permet aux chocolatiers, par la fourniture de ce charbon, de fabriquer par jour 600 000 rations de chocolat.Il lui faut à peine quatre jours et quatre nuits pour transformer l’usine de MM. Chevalier et Bouju, briquetiers, rue de Rennes, et la mettre en état de faire 50 tonnes de coke aggloméré par jour, et quatre jours après d’en produire 80 tonnes. C’était le seul combustible qui restât dans la capitale assiégée. En quelques jours, il avait transformé de même un chantier de bois de 80000 francs en charbon et Paris pouvait dès lors se garantir du froid, ses hôpitaux préparer les boissons et les remèdes nécessaires. En récompense, l’Assistance publique servit plus tard à Archereau une pension de vingt sous par jour !
Après la guerre, Archereau revient un instant à ses chères études ; il continue ses recherches sur le plâtre et le charbon. Il fabrique les charbons pour la lumière Davy. Puis il trouve un moyen de produire de l’électricité par combustion du carbone, un procédé de désétamage des fers-blancs, une façon d’obtenir l’étain à des prix inférieurs à ceux obtenus jusqu’ici ; plus tard il fait connaître une manière d’utiliser les ferrailles de fer-blanc, et prend des brevets pour des piles hydro-électriques, pour une méthode permettant d’obtenir des cokes moulés, etc.
A partir de ce moment, Archereau s’épuise en inventions que personne ne réalise et tombe dans une situation très précaire. C’est un enchaînement ininterrompu de déceptions et de misères. Et le vieux rêveur invente toujours ; et toujours il est trahi par un hasard malheureux ou volé par quelqu’un.
Vers 1883, tous ses papiers furent dispersés dans une saisie d’huissier et l’officier ministériel ne laissa, paraître, à celui qui avait fait gagner quelques millions à plusieurs centaines de Français qu’un bois de lit d’une valeur de cent francs à peine. Tous les documents que possédaient l’inventeur furent vendus à l’encan à cette époque, à l’insu de sa famille habitant toujours la Vendée.
Jusque dans les dernières années de sa vie, malgré la misère croissante, Archereau invente. C’est ainsi qu’en 1887, il prend un brevet pour des procédés et appareils pour la production industrielle de l’aluminium pur ; qu’en 1891, il fait connaître un système pour la combustion des gaz carburés ou autres et décrit un procédé perfectionné pour la fabrication d’un charbon artificiel, et qu’avec Ducretet il indique un nouveau système d’électro-métallurgie industrielle.
Six mois avant sa mort, il prend un dernier brevet : Procédé permettant d’obtenir des précipites chimiques faciles à laver, applicable notamment à la préparation de l’alumine.
On peut dire qu’Archereau a, attendu la mort à la table de travail, la fortune à l’entrée du cercueil.
En 1892, un journaliste en traçait le sympathique portrait que voici :
« C’est un vieillard au visage aimable et doux. Les joues, proprement rasées, sont encadrées de petits favoris blancs : traits réguliers, crâne chauve ; une fine tête de vieux notaire retraité. »
A cette époque, chargé d’années, quoique jeune encore de cœur et d’intelligence, il dut, à bout de ressources, implorer les soins de ses amis qui réussirent à peine à attirer l’attention du public sur sa poignante infortune. Et, quelques mois plus tard, Archereau succombait à Paris, à Ménilmontant, dans un réduit de la rue du Retrait, le 9 février 1893.
Comme tous les grands inventeurs il est mort pauvre, ignoré de la foule, oublié de tous ceux qu’il a enrichis. Ignorant de la réclame, modeste, de goûts simples, insouciant du lendemain, ne songeant qu’à ses recherches et à ses travaux, il a négligé tous les moyens de s’assurer une fin tranquille. C’était un de ces cerveaux que l’inactivité tue, que le génie de création ne quitte pas un instant et hante jusqu’au tombeau. 11 a été la victime inconsciente de ses capacités elles-mêmes. Toujours indulgent pour les autres, sans ambition, ne sachant rien garder pour lui, ce fut un semeur d’idées et de trouvailles, qui les abandonnait sans amertume, au coin de chaque rue, sans s’inquiéter de ceux qui ramassaient les trésors dédaignés.
Ce qui a fait le malheur d’Archereau, c’est que vivant en France, dans un pays où chacun est catalogué et classé d’après une foule de circonstances plutôt que suivant ses mérites, il a toujours voulu travailler en dehors de toute coterie. Son tort principal est d’avoir seul appris à se servir des notions de physique entendues sur les bancs, et d’avoir agrandi le domaine de ses applications industrielles de sa seule initiative, sans recourir aux capitalistes ou plutôt sans consentir à les mêler à ses découvertes et à ses recherches, sans céder à des Maîtres le mérite d’aucune de ses trouvailles … Il était Vendéen.
Il n’a pas compris que, pour réussir, dans une nation civilisée comme la nôtre, il ne sert à rien d’avoir une confiance aussi grande dans l’initiative privée qu’un citoyen yankee. Il a tout sacrifié aux décrets et lois impitoyables qui chez nous enserrent de tous côtés la liberté industrielle. Et pourtant ce dévouement sans borne aux nobles idées n’a pas été remarqué : la boutonnière de sa redingote râpée est restée vierge de toute marque distinctive !
Cet homme, d’une nature hardie et tenace, d’une activité sans égale et que rien ne parvint à lasser, qui sous l’Empire était connu de tous, est mort absolument ignoré vingt ans après ! Que ce siècle va vite ! Il n’en fut pas moins le véritable apôtre de la lumière électrique, en substituant les charbons artificiels aux crayons de graphite, et l’inventeur admiré des agglomérés de houille, source de tant de richesses. Toute sa vie, il fut un inventeur et toute sa vie il resta pauvre, en lutte perpétuelle avec les difficultés les plus élémentaires de l’existence … Il était né inventeur.
Respectons sa mémoire, puisqu’on n’eut pour lui qu’indifférence ou mépris. Mais ce n’est pas un titre de gloire pour la société moderne, reconnaissons-le sans honte, que de n’avoir pas de remède à opposer à de semblables maux [9]
MARCEL BAUDOUIN.