Sans vouloir médire des chemins de fer elevated de New York ou de Chicago, Londres me semble être la ville où les moyens de transport sont le mieux compris. Vous pourriez bien facilement aujourd’hui faire le voyage pour vous en rendre compte : si, arrivé à Douvres, vous prenez le train du « London Chatam and Dover Railway », vous allez entrer dans Londres par la gare de Victoria. Là vous n’avez que le choix : sur un signe, un hansom cab (un cab, comme nous disons) vient se ranger le long même du quai où vous avez mis pied à terre, et à la porte de la salle des bagages ; au trot rapide et léger de son cheval, il vous emmènera à votre hôtel. Si vous le préférez, vous n’avez qu’à traverser la cour de la gare, et vous descendez prendre un train du métropolitain, qui dessert pour ainsi dire toute l’agglomération et ses faubourgs, bien souvent même sans changement de train ; les gares souterraines du Métropolitain communiquent presque toujours par des passages et des escaliers avec les gares des grandes lignes qui pénètrent dans Londres, et aussi maintenant avec les stations des nouvelles lignes électriques métropolitaines et souterraines.
Quand vous traversiez tout à l’heure la rue, vous avez été croisé par toute une série d’omnibus légers, marchant à une allure d’autant plus rapide qu’ils appartiennent à des entreprises concurrentes : si vous voulez en prendre un, ne courez point après celui qui vous a dépassé, car, avant une ou deux minutes, peut-être dans une demi-minute, il va en passer un autre pour la même direction. Ce mouvement des omnibus en file ininterrompue est absolument fantastique dans le Strand (l’équivalent de nos grands boulevards), et peut-être encore davantage sur le fameux pont de Londres. Combien nous sommes loin là de nos lourds omnibus et tramways, se traînant péniblement, et ne se succédant souvent qu’à 10, 12, 15 minutes d’intervalle !
Ce qui fait la supériorité des moyens de transport à Londres, c’est qu’ils ont suivi la loi du progrès, qu’ils se sont développés en même temps que l’immense métropole, qui occupe une superficie formidable. Actuellement, la surface dépendant de la police de la Cité et de la police métropolitaine est de 1 761 kilomètres carrés, avec une population de près de 6 millions d’âmes ; la surface postale est de 622 kilomètres, comprenant à peu près 51/4 millions de personnes. Mais en réalité l’agglomération londonienne, telle qu’elle est desservie par les moyens de transport urbains et suburbains, est encore bien plus étendue que tout cela, et elle comptera sans aucun doute quelque 12 millions d’habitants avant trente ans.
Aussi ne doit-on pas s’étonner que les compagnies de chemins de fer amènent chaque jour dans la grande ville 900 000 voyageurs suburbains, sans parler de ceux qui débarquent des 5 170 omnibus et des 1 000 tramways. Des comptages récents ont relevé, dans une heure, 1 288 voitures et 5 660 piétons sur le Strand, 992 véhicules et 6 558 piétons dans Cheapside, une des rues principales du grand quartier des affaires, .
Mais c’est là le trafic immédiatement visible pour un observateur placé au niveau de la rue, qui ne voit point ce qui se passe au-dessus de sa tête, ni, à plus forte raison, sous terre. Un journal anglais, le Daily Mail, a eu une idée bien originale à ce sujet : il a donné ce qu’il appelle une « tranche de Londres » , c’est-à-dire une section transversale d’une rue de Londres, montant au niveau d’un second étage et descendant jusqu’à une trentaine de mètres de profondeur. On peut dire que c’est une vue complète des moyens de transport de Londres, et nous l’avons fait reproduire, pour l’édification de nos lecteurs.
Nous sommes dans Queen Victoria street, en pleine Cité, au carrefour de Q. Victoria street et de la rampe d’accès au pont bien connu de Blackfriars. Tandis que devant nous défilent d’innombrables passants, des camions sur roues élevées, les petits omnibus légers, les cabs rapides, sous la surveillance du policeman immobile, correct, sévère et complaisant, levons les yeux : nous apercevons un train roulant sur un viaduc et un pont, sous lesquels sont installés des magasins. C’est le « London Chatam and Dover Railway » (L. C. D. R.), qui vient de débarquer les voyageurs du continent à la gare de Saint-Paul et continue, en traversant Londres, vers les grandes stations d’autres lignes venant de la province.
Dans le sous-sol où il a fallu foncer des pilotis pour établir le viaduc du L. C. D. R., voici les conducteurs électriques, les tuyaux de gaz et d’eau ; à 6 mètres de profondeur nous trouvons la voûte de l’Underground, du Métropolitain primitif ; au-dessous sont les égouts, les collecteurs, dont l’établissement a été un travail assez malaisé. Nous pouvons descendre encore plus profondément, à 25 mètres environ, nous apercevons un tube métallique qui donne passage au « City and Waterloo Railway », ce chemin de fer nouveau dont il a été parlé récemment ici-même, la troisième des voies ferrées superposées en cet endroit.
Il n’y a sans doute pas à la surface du globe un seul point où se rencontre semblable multiplicité de moyens de transport, ce qui n’empêche pas les Londoniens de réclamer encore, parce qu’ils comprennent, eux, l’importance des facilités de communication pour le développement d’une grande ville. Et pendant qu’on leur achève deux lignes souterraines nouvelles dont nous aurons occasion de reparler, un ingénieur éminent, Sir John Wolfe Barry, insiste sur la nécessité urgente qu’il y a d’élargir les rues de Londres et d’y établir même des croisements à niveaux différents, pour y permettre une circulation encore bien plus intense des véhicules de toute espèce.