Le Naufrage sous-marin. Sauver les équipages est un problème international d’humanité

Le Matin, 17 janvier 1928
Dimanche 21 avril 2024

Le Matin, 17 janvier 1928

Une suggestion de l’aviateur Emile Aubrun qui fut classé second au circuit de l’Est du “ Matin”

LE NAUFRAGE DES SOUS-MARINS

SAUVER LES ÉQUIPAGES EST UN PROBLÈME INTERNATIONAL D’HUMANITÉ

Une suggestion de l’aviateur Emile Aubrun qui fut classé second au circuit de l’Est du “ Matin”

Le sous-marin est né le 22 septembre 1888. Depuis cette époque, les moyens de sauvetage d’un sous-marin qui coule pour une raison ou une autre, qui reste au fond de l’eau, qui se noie, n’ont pas changé… ou si peu.

Il faut, maintenant comme autrefois, que des scaphandriers se laissent glisser dans la mer, qu’ils se risquent à la forte pression de l’eau, que lourdement, maladroitement, avec effort, ils repèrent le sous-marin et qu’une fois la masse inerte trouvée, ils coopèrent à son sauvetage, si l’état de la mer le permet, en la ceinturant de fortes et solides chaînés, soigneusement arrimées pour que les milliers de tonnes que représente le poids de la machine noyée puissent être soulevés, amenés hors ide l’eau sans que les câbles se rompent et de telle sorte que l’équipage puisse être rendu à la vie. Car, à la rigueur, un sous-marin perdu est un désastre dont on peut se consoler. Il y a dans toutes les marines de guerre une sorte de compte d’amortissement où sont enregistrées les pertes de matériel : torpilleurs, destroyers échoués, éventrés sur des rochers ; avisos, vedettes qui ont sombré dans un gros temps, enfin sous-marins coulés.

L’horrible mort

Mais on ne peut se consoler de la perte, de l’agonie, de la mort lente d’un équipage. Les cheveux se dressent quand on se représente ce que dut être l’horrible fin des malheureux hommes du sous-marin américain S-4, ces hommes qui espèrent, puis entendent le secours qui est proche, qui est là, contre la coque et qui, peu à peu, s’éloigne, s’enfuit, s’évanouit, alors que de minute en minute la mort envahit la chambre où sont massés, hagards, épouvantés à demi asphyxiés ceux qui, fatalement, vont mourir.

Il faut donc sauver l’équipage. Il faut que toutes les marines de guerre à quelque nation, à quelque pays qu’elles appartiennent, sauvent les équipages. C’est un problème international d’humanité. La guerre est ce qu’elle est, brutale, terrible, une vraie guerre de mort à présent. Les guerres d’autrefois — Trente ans, Révolution, Empire — n’étaient qu’un jeu. La guerre de demain sera épouvantable. On y mourra de peur, d’effroi, de folie.

Mais il y a toujours la paix…

Autrefois, l’équipage, c’était 10 hommes. Pendant la guerre, c’était 30 hommes. Le S.-4 américain fut le cercueil collectif de 40 hommes. Demain, cent, cent cinquante hommes auront tous un poste à bord de grands sous-marins ou de croiseurs légers submersibles.

De plus en plus, le poids de la machine plongeante augmentera parce que la coque sera plus épaisse pour résister aux fortes pressions des fonds de quatre-vingts et cent mètres, parce que la machinerie sera plus puissante, parce que l’armement sera doublé.

Que faire alors quand un sous-marin de cette taille, de ce poids, de cette importance, avec ses cent hommes, se noiera par cent mètres de fond ? Quel désastre, quelle catastrophe !

Hélas ! les moyens de sauvetage n’ont pas été scientifiquement étudiés par les mêmes ingénieurs qui ont doté de tout leur savoir la merveilleuse machine submersible.

Ce que propose Émile Aubrun

Il n’est jamais trop tard. Car, que ce soit dix, trente, cinquante, cent ou cent cinquante hommes, il faut… il faut à tout prix sauver l’équipage. L’humanité l’exige.

— Il me semble impossible, nous disait tout récemment Émile Aubrun, l’aviateur de la première heure, le n°1 breveté en République Argentine, le second classé au circuit de l’Est du Matin, me semble impossible qu’on ne puisse pas trouver un moyen de sauver l’équipage.

Émile Aubrun peut parler de cela, car la marine lui doit l’idée du repérage par avion des sous-marins en plongée, idée suivie des expériences auxquelles il procéda à Cherbourg en 1911 et dont l’application rendit de grands services pendant la guerre.

— Vivant six mois de l’année à Belle-Isle, ajoute-t-il, près de cette admirable Bretagne qui fournit de si admirables marins, j’ai étudié et j’étudie de près cette question du sous-marin.

 » Je ne demande pas d’argent. Je demande seulement, simplement, deux minutes d’attention pour une idée que j’ai et dont la marine, le service technique de la marine, doivent tirer part et profit.

 » Pourquoi ne pas adapter aux sous-marins une chambre amovible. une Salle-refuge, faisant partie intégrante de la coque et faite du même métal, de même épaisseur pour résister aux fortes pressions ?

 » Cette chambre amovible, d’un cube proportionnel au tonnage du sous-marin et au nombre des hommes, serait fixée à la coque par des boulons. Elle y serait encastrée par des glissières et fixée au plancher par d’autres boulons.

 » Je suppose que le sous-marin coule. Impossible de le sauver. Il repose sur un fond que les scaphandriers peuvent difficilement atteindre. Il est d’un poids tel que les palans ne le soulèveront qu’avec peine. Les moyens de sauvetage sont impuissants. L’équipage ne peut hésiter plus longtemps. Il se réfugie dans la chambre amovible. Il enlève les deux boulons supérieurs. Il lance une fusée dont la poudre laissera une traînée de fumée au contact de l’air. Puis il enlève les derniers boulons du plancher… Le caisson, allégé du poids, obéissant à la loi d’Archimède, sera poussé de bas en haut. Il aura été étudié pour retrouver, dès son évasion de la coque, le niveau de eau. En quelques secondes, il flottera sur les vagues. Et le sauvetage de l’équipage ne sera plus qu’un jeu.

 » Je prétends encore que, même dans le cas où le sous-marin puisse être secouru par les moyens dont on dispose, le sauvetage de l’équipage doit s’effectuer d’abord. Scaphandriers, dock flottant pourront ensuite soulever et ramener le noyé hors de l’eau.

 » Une fois encore, c’est une idée que je soumets aux techniciens de la marine. C’est à eux de l’étudier, à la réaliser.

 » C’est un problème urgent qui se pose. »

C’est bien notre avis.

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