Nous avons déjà décrit, dans ces colonnes, le dispositif créé récemment par Louis Lumière, l’inventeur du cinématographe, pour réaliser la projection cinématographique en relief ; il repose, on s’en souvient, sur un perfectionnement remarquable de la méthode des anaglyphes.
Rappelons-en le principe : on projette sur l’écran deux images stéréoscopiques, de deux couleurs différentes de l’une à l’autre et complémentaires. Les mêmes couleurs servent à teinter différemment les verres d’une lunette à travers laquelle le spectateur regarde l’écran ; aussi chaque œil n’aperçoit-il qu’une image sur l’écran et précisément celle qui lui est destinée.
M. Louis Lumière, en reprenant cette méthode ancienne, a eu le mérite d’en voir les défauts et d’y remédier par le perfectionnement des écrans et des lunettes.
Les couleurs colorant les écrans et les verres des lunettes ne sont pas le vert et le rouge, comme dans la méthode ordinaire, mais un bleu pur et Un jaune légèrement verdâtre. On peut ainsi obtenir un équilibre de l’énergie lumineuse totale reçue par chacun des yeux.
La vision des images est donc parfaitement blanche, et ne provoque aucune fatigue oculaire. Le port des lunettes extrêmement légères n’est plus une fatigue oculaire, mais simplement une petite gêne physique sans importance, bien compensée par le nouvel agrément de la vision.
L’appareil de projection comporte un double objectif i qui superpose les images, et l’appareil de prises de vues spécial a dû subir une mise au point assez longue.
Les deux images stéréoscopiques sont placées l’une au-dessus de l’autre sur la surface du film occupée normalement par une seule image de format standard. On voit sur la figure 1 le fac-similé d’un film stéréoscopique et sonore, avec piste sonore de largeur normale.
Le film se déplace horizontalement dans l’appareil de projection, dont la manœuvre est, d’ailleurs, aussi facile que celle d’un appareil ordinaire, mais, néanmoins, il est probable qu’un dispositif à déroulement vertical sera bientôt réalisé.
La réalisation des lunettes à couleurs complémentaires améliorées, ajoutée à la création d’appareils pratiques pour prises de vues et projection, rendait immédiatement possible l’exploitation des films en relief. Pourtant, M. Louis Lumière, avec sa prudence habituelle, a voulu d’abord procéder à une série de mises au point et d’essais, avant d’organiser des démonstrations publiques, d’ailleurs encore restreintes, car il s’agit de déterminer, en réalité, toute une nouvelle technique, tant au point de vue artistique que pratique, comme cela a été nécessaire au début du cinématographe sonore, et le sera pour le cinématographe en couleurs.
Une salle de projection des grands boulevards à Paris « l’Impérial Pathé », a donc été équipée pour ces projections. Il avait été question de supprimer les lunettes portées obligatoirement par les spectateurs et de les remplacer par des systèmes optiques disposés sur le dossier des fauteuils, de manière que chaque spectateur puisse avoir devant les yeux les verres colorés nécessaires, sans tenir à la main un appareil quelconque et sans avoir de lunettes à porter. Ce projet a été abandonné pour l’instant.
La disposition des appareils sur les dossiers des fauteuils aurait gêné le passage des spectateurs, et constitué un danger en cas d’accident nécessitant l’évacuation de la salle. La position fixe de ces systèmes optiques aurait, d’autre part, obligé le spectateur à maintenir constamment la tête dans une position déterminée,d’où une gêne et même une fatigue au cours d’une projection assez longue.
La présentation des premiers films en relief a eu lieu le 30 avril 1936, devant une assistance des plus brillantes et a remporté un grand succès.
Le programme, encore réduit, comportait une comédie de genre, « l’Ami de Monsieur », et un documentaire, « Riviera ». Ces deux films, de métrage moyen, ont été réalisés par un technicien, metteur en scène habile, M. Pierre de Cuvier.
La sensation de relief obtenue est tout à fait saisissante. Le documentaire, en particulier, avec ses lointains qui s’étagent à perte de vue, et ses « gros plans » qui semblent percer l’écran et se trouver dans la salle donne une impression de naturel admirable, bien propre à renouveler tout l’intérêt de ce genre de film. Il est certain qu’un documentaire artistique sur des monuments, des églises ou des œuvres d’art acquerra une nouvelle valeur avec la vision en relief. La comédie, dont certains tableaux ont provoqué, dans le public, des réactions très caractéristiques, soulève déjà des problèmes techniques et artistiques très intéressants.
Tous les sujets au premier plan, provoquent, en effet, chez le spectateur, l’illusion qu’une partie de l’action a lieu dans la salle elle-même. Lorsqu’une jeune fille jette des fleurs devant soi, on a l’illusion de les voir tomber dans la salle.
Des serpentins lancés dans un dancing paraissent tendus dans la salle ; lorsqu’un personnage lance devant soi une paire de souliers, les spectateurs se reculent instinctivement par crainte d’être blessés.
Cette « mise en relief » littérale de l’image donne à cette dernière une importance qu’elle avait quelque peu perdue depuis l’apparition du cinématographe parlant, et que les essais de cinématographie en couleurs n’avaient pas encore réussi à lui rendre.
Il est, d’ailleurs, de nombreux procédés classiques de cinématographie qu’il devient dès lors impossible d’utiliser. Les effets de « fondu » ou « de volet », dans lesquels les images disparaissent graduellement, ou brusquement, lorsqu’on passe d’un développement à l’autre de l’action, doivent ainsi être proscrits.
On peut faire disparaître graduellement ou placer « un cache » qui se déplace devant une image plate, mais l’effet change complètement avec une image en relief. Le spectateur aurait l’impression qu’il se trouve devant une scène de théâtre, dont le rideau a été disposé au milieu de la scène. Lorsque ce rideau se ferme, une partie des acteurs reste d’un côté, et une partie de l’autre !
Sans insister sur les détails de ces questions, on voit que ces premières projections en relief soumettent déjà aux techniciens et aux artistes de nouveaux et fructueux sujets d’étude.
P. Hémardinquer