« Il ne suffit point de tailler, encore faut-il coudre », dit un vieux proverbe français. Il s’applique d’une remarquable façon à la vaste industrie du fer et de l’acier dont les applications à la construction sont innombrables : chaudières, réservoirs, charpentes, navires, carapaces de métal de toutes sortes, demandent à être découpées d’abord, puis cousues au moyen des petits cylindres en fer ou en acier, munis d’une tête ronde, que l’on nomme rivets : on les pose, à chaud, dans les trous correspondants des deux plaques de tôle que l’on veut assembler, puis on écrase leur extrémité à coups de marteau, ou au moyen d’une machine, de façon à « pincer » les tôles entre les deux petits renflements ; car, an point de vue mécanique de la résistance des matériaux, c’est par ce pincement, et par lui seulement, que doit agir le rivetage ; jamais les rivets, après la rivure, ne doivent travailler au cisaillement.
En dehors du rivetage à la main et au marteau,fort usité comme on peut le penser, des machines à river puissantes et ingénieuses de divers systèmes ont été combinées : elles fonctionnent à l’air comprimé, par l’eau sous pression, par l’électricité. Ces machines demandant une installation assez coûteuse, en dehors de leur prix d’achat, ne sont employées que dans les grands ateliers. De plus, elles sont fixes, généralement en raison de leur poids et de la difficulté que l’on éprouve à les déplacer ; on préfère donc, autant que possible, leur apporter la pièce à river, ce qui n’est pas sans compliquer le travail.
M. Arnodin, grand constructeur de charpentes en fer, auquel on doit de nombreux ponts suspendus et les « ponts-à-transbordeurs » qui ont été un des progrès de la construction à notre époque, a cherché s’il n’y aurait pas moyen de créer un outil intermédiaire entre la riveuse mécanique et le marteau à main. Il est récemment parvenu à résoudre ce problème en combinant la « riveuse par pression à main » que montrent nos dessins.
Elle se compose de deux bras en acier coulé, articulés sur des tourillons que portent deux fiasques en acier également jumelées : le mouvement de mâchoire est commandé par une vis à double filetage qu’actionne un volant à main.
Sur les écrous de cette vis sont articulés huit leviers en acier solidaires des bras qui portent les « bouterolles » entre lesquelles le rivet sera écrasé.
Donc, en tournant le volant, les bouterolles se rapprochent ou s’éloignent l’une de l’autre : la pression à la rivure peut atteindre l’effort d’une trentaine de tonnes. M. F. Arnodin nous cite, comme exemple, au point de vue de la rapidité du travail, le montage d’un pont-transbordeur de son système en ce moment en construction à Marseille. Les équipes de riveurs sont de deux ouvriers dont l’un place les rivets dans les trous des tôles, et dont l’autre actionne le volant, de la riveuse ; ces deux hommes arrivent à poser, en deux minutes, un rivet de 25 millimètres, et cela sans effort apparent, sans le bruit assourdissant qu’occasionne le même travail effectué au marteau.
Les « machines à coudre la tôle de M. Arnodin » méritent les gracieuses qualifications de leurs petites sœurs à coudre les étoffes entre les mains des expertes couturières : « silencieuses, expéditives ».
Ne quittons pas ce sujet sans signaler un perfectionnement de détail important que l’inventeur vient d’apporter à ses riveuses à main sous pression. « Il consiste à ajouter, sur L’extrémité que l’on appelle en terme d’atelier « le nez de la contre-bouterolle », une « cloutière », c’est-à-dire une petite machine à faire les rivets : elle les découpe dans une tige de fer, ou d’acier, ronde, et leur fait la tête arrondie en goutte de suif ainsi que font les grosses machines spéciales à fabriquer les rivets. Un « bonhomme » passant dans la vis de réglage de la contre-bouterolle, percée à cet effet, permet de « chasser » le rivet préparé ainsi. Il en résulte que l’outil riveur, c’est-à-dire la riveuse, peut fabriquer lui-même les rivets dont il a besoin. Sans doute, ce ne sera qu’exceptionnellement, car il est plus simple, plus rapide, et plus économique de l’approvisionner en fabrique des rivets qui lui sont nécessaires. Mais enfin, il peut arriver, et cela se produit même assez souvent, que, vers la fin d’un montage, il manque quelques rivets pour le terminer, soit que l’approvisionnement ait été insuffisant, soit parce que des rivets ont été perdus, ou brisés en cours de travail. Il est alors fort, utile que la machine puisse faire elle-même son petit « réassortiment » et M. Arnodin lui a donné le moyen de le faire sans déplacement.
Max de Nansouty