L’ingénieur anglais Henry Bessemer est mort à Londres le 15 mars dernier. D’origine bretonne, il était né à Hartford en 1813. Son nom est resté attaché à l’un des plus importants progrès accomplis au cours de ce siècle dans la métallurgie du fer et de l’acier.
Rappelons qu’avant 1850 le procédé Hunstman, usité pour obtenir l’acier fondu, ne pouvait en donner que 20 à 25 kilogrammes à la fois. Vers 1850, Alfred Krupp, maître de forge à Essen (Prusse rhénane), prenant l’acier puddlé pour matière première, parvint à fabriquer de l’acier fondu par masses de plusieurs tonnes.
Il était réservé à Henry Bessemer d’obtenir des résultats plus remarquables encore par des procédés plus simples.
C’est pendant les années 1854 et 1855 qu’Henry Bessemer se consacra presque exclusivement à l’étude de la formation du fer malléable et de l’acier, démontant et remontant continuellement ses fourneaux, répétant chaque jour des expériences fatigantes sur des quantités importantes de métal.
Sa patience se serait lassée, si les nombreuses observations qu’il avait pu faire pendant cette période si peu encourageante, ne l’avaient poussé à continuer ses tentatives dans la voie nouvelle où il s’était engagé. Son attention se fixa sur ce fait que, sans fourneau et sans combustible, il lui serait possible de produire une température plus élevée qu’en employant l’une quelconque des modifications qu’il avait tenté d’apporter aux anciens appareils de fabrication. Par conséquent, il pourrait, non seulement éviter, pendant l’opération, tout contact entre le métal et le combustible minéral, mais encore supprimer toute dépense relative à ce dernier.
Partant de là, quelques premiers essais furent faits sur des quantités de fonte variant de 4 à 9 kilogrammes, et, malgré les sérieuses difficultés qu’il fallut surmonter, le nouveau procédé donna déjà des gages de succès assez certains pour déterminer immédiatement Bessemer à construire un appareil destiné à convertir 355 kilogrammes de fonte en fer malléable ; dans l’espace de trente minutes. En opérant sur une pareille quantité de métal, qui était relativement considérable, les difficultés qu’avaient présenté les expériences de laboratoire faites sur de petites quantités disparurent complètement. De cette nouvelle période d’essais, l’ingénieur anglais conclut : que la fonte contient 5 p. 100 de carbone environ ; qu’à la température du rouge blanc, le carbone ne peut se trouver en présence de l’oxygène sans se combiner avec lui et par conséquent sans brûler ; que la rapidité de cette combustion dépend de l’étendue de la surface de contact des deux gaz ; enfin, que la température acquise par le métal dépend également de la rapidité avec laquelle l’oxygène et le carbone se combinent, et que, par conséquent, il suffisait seulement de mettre les deux gaz en présence sur une large surface pour arriver à produire une température qu’aucun des plus grands fourneaux n’avait pu jusqu’alors donner.
C’est à la fin de 1855 et au début de 1856 que les recherches d’Henry Bessemer commencèrent à donner des résultats pratiques.
C’est, en effet, à 1855 que remonte le premier brevet pris par l’ingénieur anglais relativement à son procédé. Il avait pour objet d’apporter dans la fabrication de l’acier fondu des perfectionnements, consistant à injecter des courants d’air ou de vapeur dans une masse de fonte en fusion (soit fonte crue, ou fonte ayant déjà subi un premier affinage) jusqu’à ce que le métal ainsi traité fût devenu malléable et eût acquis les autres propriétés qui distinguent l’acier fondu.
La même année, Bessemer prit un second brevet relatif à l’application du même procédé, à l’affinage de la fonte avant le puddlage, ou mieux à la conversion directe de la fonte crue en fer, et au coulage de ce dernier en lingots, prêts à être transformés, au laminoir, en barres ou en plaques.
En février 1856, nouveau brevet donnant de plus amples détails sur le procédé de conversion en fer malléable ou en acier, soit de la fonte crue, soit de la fonte de seconde fusion, ou de la fonte déjà affinée, sans employer aucune espèce de combustible pour élever la température du métal en fusion - cette conversion étant obtenue en insufflant, au milieu de la masse liquide, plusieurs jets d’air ou de gaz capables de fournir assez d’oxygène pour brûler tout le carbone qui y est contenu.
Enfin, en mars, mai, août, novembre 1856 et janvier 1857, Bessemer fit breveter différents modes d’introduction de l’air ; des moyens de favoriser la combustion par l’emploi de certains flux, et d’obtenir le coulage du métal en lingots ou son passage au laminoir, immédiatement au sortir de l’appareil convertisseur.
C’est en août 1856, à la réunion de l’association britannique pour le progrès des sciences, tenue à Cheltenham, qu’Henry Bessemer donna lecture d’un mémoire faisant connaître sa découverte d’une méthode entièrement nouvelle pour obtenir du fer et de l’acier d’affinage, par la décarburation directe de la fonte liquide à sa sortie du haut fourneau, en y faisant passer un courant d’air. Il exposa les perfectionnements complémentaires apportés à sa méthode, en mai 1859, à l’association des ingénieurs civils de Londres (minutes of proceedinqs of the Institute of civil Engineers, vol. XVIII, p. 535).
Ce sont ses propres communications originales que nous résumons ici.
L’affinage de la fonte s’opère dans un vaste et profond appareil spécial en tôle très forte, le convertisseur, qui a à peu près la forme d’une cornue à col tronqué, mobile sur des tourillons, ce qui permet de l’incliner et de le relever à volonté. Les tourillons sont creux et communiquent avec un gros tuyau amenant le vent d’une puissante machine soufflante. Le vent est conduit dans le fond de l’appareil par une multitude de petites tuyères qui l’y dispersent dans toutes les directions.
Le convertisseur, garni intérieurement d’une épaisse couche de lut argileux ou de briques réfractaires dont l’objet est de protéger les parois, reçoit directement du haut fourneau, de 3000 à 5000 kilogrammes de fonte en fusion.
On donne le vent. L’air, recevant une forte pression (2 atmosphères environ) de la machine soufflante, traverse la masse de métal liquide, à raison de plus de 14 mètres cubes par minute, et la fait bouillonner impétueusement.
L’énorme quantité d’oxygène en contact avec le métal, brûle tout d’abord le silicium et le manganèse contenus dans la fonte ; mais, au bout de quelques instants, le carbone et le fer lui-même sont en pleine combustion. La chaleur produite par cette combustion intérieure est tellement intense que le métal, loin de se refroidir, s’échauffe de plus en plus et dépasse le point de fusion de l’acier : aussi celui-ci reste-t-il parfaitement fluide. De la gueule de l’appareil sort un jet de flammes, de 30 centimètres de diamètre et de 3 à 4 mètres de longueur, d’un rouge bleuâtre dû à la combustion de l’oxyde de carbone. Elle s’allonge et devient d’un blanc de plus en plus éblouissant.
Dès qu’il n’y a plus de carbone à brûler, la flamme redevient jaune, se divise et tombe. Si c’est du fer bien décarburé que l’on désire obtenir, on arrête le vent et on coule : l’opération a duré 20 minutes.
Si l’on veut de l’acier, au lieu de couler le fer en fusion, pour lui rendre le carbone nécessaire, on y ajoute 7 p. 100 d’une excellente fonte manganésifère, très pure et fortement carburée. Cette addition produit une réaction tumultueuse de toute la masse liquide. En un instant l’oxyde est réduit et le fer recarburé dans une proportion connue, tandis que le manganèse rend le laitier plus fusible et entraîne le soufre en combinaison. Au bout de 17 minutes, l’acier peut être reçu dans des poches de fonderie pour être distribué dans des lingotières.
Le procédé Bessemer, universellement adopté, a produit une révolution économique dans l’industrie métallurgique, en permettant de couler des pièces d’acier de n’importe quelle dimension d’une manière courante.
Henry Bessemer avait réalisé une fortune considérable, et était considéré comme une sommité de l’industrie britannique.
Aux États-Unis, plusieurs localités importantes par leurs aciéries, dans les états d’Alabama, de Colorado, de Michigan, portent le nom de Bessemer.
Paul Combes