Les voyages en chemin de fer prennent tous les jours une extension nouvelle, et toutes les grandes lignes d’Europe sont parcourues aujourd’hui par des trains internationaux exécutant journellement des voyages qui auraient paru tout à fait exceptionnels il y a une vingtaine d’années seulement. Il n’est plus rare d’effectuer d’une seule traite des trajets traversant l’Europe de part en part, d’aller, par exemple, de Lisbonne à Paris, voire même à Berlin, Saint-Pétersbourg, Moscou ou Constantinople, et de passer ainsi sans interruption une série de plusieurs journées entières dans les trains en marche.
Pour répondre à ce besoin nouveau de locomotion à grande distance, on a dû modifier graduellement l’installation des voitures employées, afin de permettre au voyageur de réaliser ce parcours sans trop de fatigue. C’est ainsi qu’on s’est trouvé amené à créer des types de voitures de luxe, wagons-salons, wagons-lits, pour lesquels on a conservé d’abord, en les améliorant, les dispositions générales des voitures ordinaires à cloisons séparatives complètes telles que nous les connaissons ; puis on y a renoncé peu à peu en voyant que l’immobilité à laquelle le voyageur est condamné devient la principale cause de fatigue, et on est arrivé à adopter des types analogues à ceux des voitures américaines, voitures allongées avec couloir à circulation centrale permettant d’aller même d’une extrémité à l’autre du train en marche.
En outre, on s’est attaché à constituer des trains formés de wagons spéciaux dans lesquels les voyageurs puissent trouver la satisfaction de tous les besoins de la vie. Ces trains à long parcours comportent actuellement des cuisines-restaurants, salons-fumoirs, etc., de même que des wagons-lits. Ils sont organisés, en un mot, avec toutes les recherches du confortable.
La Compagnie internationale des wagons-lits s’est constituée à l’imitation de la Compagnie américaine qui effectue déjà depuis longtemps ce même service sur les lignes transatlantiques des États-Unis ; elle est en Europe, sur la plupart des réseaux, l’entrepreneur de ce service des trains internationaux ; elle possède un matériel propre, qu’elle a fait circuler d’abord à l’état de wagons isolés, dans les trains ordinaires, dining-cars ou sleeping-cars ; mais, depuis quelques années, elle est arrivée à constituer des trains complets à circulation régulière ; d’abord l’Orient-Express, dont nous avons donné la description [1] au moment de son inauguration, puis le Sud-Express, le Peninsular, et, plus récemment, le Club-Train qui fait le service de Paris à Calais.
L’ensemble des lignes internationales, actuellement desservies par les trains de la Compagnie, comprend les principales capitales de l’Europe, et traverse, en quelque sorte d’une seule traite, l’Europe entière.
Si l’on songe, d’autre part, à l’avancement si prodigieux que la voie ferrée a reçu dans l’Asie centrale sous l’impulsion des Russes, il est permis de penser que le temps n’est pas éloigné sans doute où les trains de luxe iront à leur tour à Samarcande, et plus tard probablement, lorsque la ligne transsibérienne aura pu être terminée, ils atteindront le fond de l’extrême Orient, et détourneront peut-être, par cette voie nouvelle, le courant des voyageurs allant en Amérique.
La Compagnie des wagons-lits a fait figurer, à l’Exposition de 1889, un train formé de wagons munis des perfectionnements les plus récents, tant au point de vue du confortable, que de l’attelage et de la suspension ; ce train a été mis postérieurement en service sur la ligne de Paris à Calais, et comme les voitures employées réalisent divers perfectionnements par rapport à celles de l’Orient-Express dont nous avons publié la description en 1884, nous avons cru intéressant de revenir, sur les types actuels, en donnant quelques détails empruntés à la Revue générale des chemins de fer.
Ce train est représenté dans la figure 1, il comporte quatre voitures spéciales, restaurant, salon, sleeping, et un fourgon-fumoir.
Toutes ces voitures sont formées de caisses allongées montées sur deux boggies en fer à deux essieux distants de 2,50m. La distance d’axe en axe des boggies atteint 11,900m sur le wagon salon dont la longueur totale hors tampons est de 18,54m. Ce wagon pèse 28 000 kilogrammes.
Notre plan permet d’apprécier immédiatement la disposition générale de chaque voiture, et nous n’avons pas à y insister. Notre figure 2 donne le détail du mode de jonction des wagons entre eux afin de permettre commodément la circulation dans toute la longueur du train.
La voiture à lits comprend dix-huit places réparties entre deux compartiments à quatre places, et cinq à deux places communiquant deux à deux, avec des cabinets de toilette aux extrémités. Les sièges des lits sont placés transversalement, chaque banquette correspond à deux lits superposés. Les lits inférieurs sont à bascule, et les lits supérieurs sont formés par les dossiers qui se relèvent pour être mis en place.
Les matelas et la literie sont dissimulés pendant le jour sous la banquette et derrière les dossiers (fig. 3). Une cabine pendant la nuit forme quatre lits (fig. 4).
Tous les véhicules sont à lanterneaux avec châssis mobiles garnis de vitraux. Quant à l’aménagement intérieur dont les dessins ne peuvent donner l’idée, il ne laisse rien à désirer au point de vue du confortable, il peut rivaliser de luxe avec celui des paquebots les plus récents.
Le wagon-restaurant comporte une cuisine avec ses accessoires, un office, un water-closet et deux salles à manger dont l’une peut recevoir vingt-quatre personnes (fig. 5) et l’autre douze. Les voyageurs sont groupés par tables de deux et quatre personnes. Les wagons de l’Orient-Express ne comportaient que vingt-quatre places en tout.
La voiture-salon se compose de deux salons, l’un de huit places (fig. 6) et l’autre de dix-huit, comportant quatre fauteuils fixes, et quatorze fauteuils pivotants. Elle renferme, en outre, une chambre à bagages pour les colis à la main, et deux cabinets de toilette.
Les divers wagons constituant le train sont rattachés entre eux par une inter-communication à soufflet avec passerelle garnie de caoutchouc, ce qui permet de circuler d’une extrémité à l’autre du train en restant absolument à l’abri du vent, de la pluie ou de la fumée.
Au point de vue de la traction proprement dite, en ce qui concerne la suspension, le roulement et le mode d’attelage, les véhicules de la Compagnie des wagons-lits ont fait l’objet, de la part des ingénieurs de cette Compagnie, d’expériences nombreuses et prolongées qui ont amené à réaliser des perfectionnements intéressants.
Dans les anciennes voitures du type ordinaire avec trois essieux, on à reconnu la nécessité de ne pas dépasser l’écartement de 7,500m, et, pour assurer le passage d ans les courbes, les boites à graisse sont munies d’un double jeu longitudinal sur l’essieu et transversal sur les plaques de garde, suivant une disposition recommandée pour les locomotives. On remplaça en même temps les tiges de suspension verticale par des tiges inclinées à 30°, munies de ressorts à spirale ou en hélice.
La suspension sur boggies est la seule pratiquée actuellement avec les grandes voitures allongées mises en service, et on a dû se préoccuper de créer un type de boggie bien stable et capable d’amortir les vibrations. Le boggie est exécuté presque entièrement en fer, et il est muni d’organes élastiques multipliés : on y trouve, en effet, six ressorts doubles à pincettes, quatre ressorts à lames reposant sur les boîtes à graisse, et huit ressorts en spirale montés sur les tiges de suspension.
Pour l’attelage, la Compagnie est arrivée à créer pour le Club-Train un type qui permet à l’agent chargé de ce soin d’effectuer l’accouplement sans avoir besoin de s’introduire entre les voitures. Cette disposition, qui facilite si grandement le service, a permis en même temps de réduire la saillie du tamponnement et a facilité par suite l’installation de l’intercommunication couverte à soufflets.