Une visite à la Carrière d’Agate, l’une des plus fameuses stations paléontologiques des deux mondes

Victor Forbin, Sciences et Voyages N°231 — 31 janvier 1924
Samedi 21 novembre 2009

C’est au centre géographique des États-Unis, dans le Nebraska, qu’est située la Carrière d’Agate, l’une des plus fameuses stations paléontologiques des deux mondes.

Il suffira de dire qu’elle fait partie du comté des Sioux pour rappeler qu’elle était comprise dans ce mystérieux territoire que les premiers colons de l’Amérique du Nord appelèrent pittoresquement le Far-West - l’Ouest lointain.

Ce fut en 1877 qu’un colon, M. James H. Cook, qui avait servi dans sa jeunesse comme army scout (nom donné aux éclaireurs qui aidaient les troupes dans leurs combats contre les Peaux-Rouges), s’établit dans cette région, alors inhabitée par les blancs. En défrichant le terrain, il ne tarda pas à mettre à jour des quantités d’ossements, qu’il signala bientôt aux savants américains.

Des fouilles, organisées méthodiquement par des institutions scientifiques, et, notamment, par l’American Museum of Natural History de New-York, révélèrent que M. Cook venait de découvrir l’un des plus riches gisements de fossiles du Nouveau-Monde !

Depuis lors, la carrière, devenue la propriété de M. Harold Cook, le fils de l’ancien scout, est un lieu de pélerinage pour les savants du monde entier.

M. W. D. Matthew, l’éminent savant qui dirige le département de minéralogie et de géologie à l’American Museum, et qui vient de publier sur le sujet un remarquable article dans Natural History, nous y apprend que M. Harold Cook, qui, bien que fermier, se passionne aux études de paléontologie, reçoit fréquemment la visite des représentants des principaux muséums d’Europe et d’Amérique, à qui il fait les honneurs de sa fameuse carrière.

Il nous apprend, en outre, que la plupart des grandes collections paléontologiques des deux mondes possèdent dans leurs galeries des spêcimens qui proviennent de la ferme de M. Cook.

Les ossements que livre la carrière appartiennent presque tous à trois espèces. que 1’00 a pu reconstituer, et dont une n’a pas laissé de descendance. Ce sont :

  1. Le Rhinocéros nain à deux cornes, connu de savants sous le nom de Diceratherium Cooki ;
  2. L’Entélodonte, ou cochon géant (Dinohyus Hollandi) ; .
  3. Le Chalicothère, aux sabots en forme de griffe (Moropus elatus), qui est celle des trois espèces qui s’est éteinte sans laisser de descendance.

Avec l’autorisation de l’American Museum, nous reproduisons une composition d’Erwin Christman, jeune savant dont la science pleure la disparition prématurée, et qui s’était spécialisé dans la reconstitution des animaux fossiles.

Ce magistral tableau représente le « trou d’eau » où ces créatures venaient s’abreuver, et qui était entouré de sables mouvants où s’enlisèrent celles dont on trouve les squelettes fossilisés dans la Carrière d’Agate.

Les quatre rhinocéros nains forment un groupe compact au centre de la composition. Derrière eux, à droite, un cochon géant paraît s’apprêter à leur chercher noise.

Enfin, au second plan, quatre Moropus sont représentés en diverses attitudes, que le savant a déduites de leur squelette. Très haut sur ses jambes antérieures, il devait, à l’instar de la girafe, prendre la posture grotesque que nous voyons ici, avec celui des quatre géants qui s’abreuve.

Un autre montre à quoi leur servaient leurs sabots armés de longues griffes : à creuser la terre pour en arracher des racines comestibles.

C’est le petit rhinocéros qui se rencontre le plus abondamment dans cet ossuaire vieux de millions d’années : ses squelettes sont répandus dans toute l’étendue du gisement.

Le Moropus n’apparaît guère que dans une partie de la carrière. Et c’est l’entélodonte qui est le moins abondant.

Un bloc extrait de cette carrière, et dont les dimensions sont de 9 mètres cubes, contenait 22 crânes du petit rhinocéros, et 4 556 os de la même espèce !

D’après les calculs de plusieurs savants, calculs basés sur des sondages et sur des prises d’échantillons, le gisement renfermerait 16 400 squelettes de rhinocéros nains, 500 de Moropus, et 100 d’entélodonte !

La partie exploitée jusqu’à ce jour ne représente que 5 p. 100 de l’étendue du gisement, et les dépenses d’exploitation ont monté à 20 000 dollars. On calcule qu’il ne faudrait pas moins d’un million de dollars pour terminer la tâche !

M. W. D. Matthew nous donne une description scientifique des trois espèces trouvées dans cette carrière. Nous résumerons brièvement cette partie de son très intéressant article, de peur de lasser l’attention du lecteur.

Le rhinocéros nain appartient à une famille qui habita la France, toute l’Europe occidentale, et toute la partie tempérée de l’Amérique du Nord.

Il différait des rhinocéros modernes par la disposition de ses deux cornes nasales, qui étaient plantées côte à côte sur le nez, et non l’une derrière l’autre.

Le Moropus, qui, nous l’avons dit, représente un genre éteint, eut des ancêtres en commun avec le cheval, le rhinocéros, le tapir, et une espèce également éteinte : celle du titanothère.

Comme on peut le Voir sur l’admirable reconstitution d’Erwin Christman, le cou et la forme générale de la tête rappellent le cheval.

Le dos court et très arqué, les banches tombantes, la petitesse de la queue, l’apparentent avec le tapir.

L’anatomie des jambes le fait ressembler aux grands rhinocéros modernes.

Mais les pieds sont uniques dans le règne animal, vivant ou fossile, avec leurs sabots terminés en forme de griffes. C’est ce qui explique pourquoi les paléontologistes ont hésité longtemps à les attribuer au squelette de l’animal, car ces griffes sont celles d’un édenté, alors que le Moropus est incontestablement un ruminant !

Cette étrange créature n’avait été trouvée jusqu’en ces dernières années qu’en Europe et en Asie. On a maintenant la preuve qu’elle se répandit aussi en Amérique.

Quant à l’entélodonte, s’il tenait au sanglier par son apparence générale, il était armé de crocs formidables comparables à ceux du loup. Il devait être omnivore.

D’autres espèces sont représentées dans l’ossuaire, mais en très petites quantités. M. Matthew mentionne un petit cheval primitif, dont les sabots avaient trois doigts ; un ancêtre du chameau ; un ancêtre du cerf ; et des formes ancestrales du loup, du renard., du castor, du blaireau.

Nous regrettons de ne pouvoir traduire en entier son remarquable article. Les extraits que nous lui avons empruntés suffiront pour montrer au lecteur combien est passionnante l’étude des gisements de fossiles, étude qui ressuscite pour nous l’étrange faune qui habita notre planète avant l’apparition de l’homme.

Vicotr Forbin

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