De tous les accessoires de la toilette, le miroir est le plus indispensable ; il est aussi ancien que la coquetterie féminine, c’est-à-dire vieux comme le monde. Nappe d’eau tranquille ou minerai brillant à l’origine, nous avons dans une précédente série d’articles suivi ses transformations jusqu’à l’apparition des belles glaces argentées au milieu du XIXe siècle. Nous avons insisté surtout sur les procédés de fabrication et sur sa valeur ornementale dans l’appartement. Nous voulons aujourd’hui parler de son rôle dans la toilette.
Pour les riches Égyptiennes, la toilette était une affaire tout aussi importante que pour beaucoup de dames modernes, à en juger par les nombreux objets affectés à cet usage qui sont parvenus jusqu’à nous.
Après les ablutions et les onctions venait un travail de peinture fort compliqué, puis enfin la coiffure ; le miroir, pendant toutes ces diverses opérations, ne quittait pas la main de la patiente. Il consistait en un disque de métal poli, sur le manche duquel était sculptée une femme nue occupée à sa toilette, ou un chat emblème de la propreté et des soins corporels, ou encore le grotesque dieu Bès dont les traits horribles servaient de repoussoir au visage gracieux qui se mirait dans le disque. Parmi les bijoux de la reine Aah-Hotep figurait un élégant miroir en forme de palmier avec un disque de métal jadis recouvert d’un vernis d’or.
Chez les Hébreux, les miroirs étaient aussi de métal poli. Moins coquettes sans doute à l’époque de l’Exode que du temps d’Isaïe, les femmes sacrifièrent les leurs à Moïse pour en faire la grande conque de bronze qui servait aux ablutions dans le temple.
En Grèce et à Rome, la toilette était aussi une affaire d’importance. « Un général sur le champ de bataille, dit Lucien, n’a pas plus d’officiers autour de lui qu’une coquette n’a, en ce moment, de servantes pour la réparer. »
Le coffret de toilette, tel que celui qu’on trouva à Pompéï, comprenait des broches d’or, des fibules, des épingles d’ivoire pour les cheveux, un peigne de buis, une boite à onguents, de petits pots à fard, des flacons d’essences, des cure-dents, des colliers, des ciseaux et bien entendu un miroir de métal poli enrichi au dos d’arabesques ou de fines ciselures. Les cosmétiques et les fards étaient tour à tour appelés à perpétuer la jeunesse des élégantes jusqu’à ce que, de guerre lasse, elles fussent forcées de suspendre leur miroir dans le temple de Vénus. Ces miroirs étaient de bronze ou d’argent, les uns étaient formés d’un disque simple où le manche seul et le cadre étaient ornés ; d’autres consistaient en deux disques dont le second formait couvercle sur le premier. Lorsqu’au moyen-age fut découverte de nouveau la fabrication des miroirs de verre doublés de métal, puis des miroirs étamés, des dimensions plus considérables purent être données à cet auxiliaire de la toilette et, en plus du miroir à main, on vit apparaître le grand miroir fixé à la muraille ou porté par un meuble élégant. Au Xe siècle, dans notre pays, la toilette d’une femme n’était guère moins compliquée que celle d’une grecque de l’antiquité, si l’on en croit la description tirée d’un poème de l’époque dans lequel un colporteur énumère tout ce qu’il vend : « J’ai aussi tout l’attirail qui sert à la toilette d’une femme, des rasoirs, des pinces, des glaces, des brosses à dents, des cure-dents, des bandeaux, des fers, des nattes, des peignes, des miroirs, de l’eau de rose pour s’embellir, du coton pour se rougir, du fard pour se blanchir. »
Tous ces objets se trouvaient réunis dans un petit meuble nommé damoiselle à atourner qui se composait d’un guéridon surmonté d’une tête et de deux bras ; les cosmétiques et les parfums étaient placés sur la table, un des bras portait le miroir ; l’autre, les peignes et les épingles, et sur la tête reposait le modèle de la coiffure. Ce petit meuble se faisait généralement en bois, mais plusieurs reines en possédèrent en argent.
La damoiselle à atourner est l’ancêtre de notre toilette actuelle dont le miroir est devenu la partie la plus importante. Après la toilette « duchesse » qui devint si gracieuse sous Louis XVI et la psyché qui eut tant de vogue sous le premier empire, les modèles les plus répandus actuellement sont les toilettes-commodes dont le nom, indique la double destination et les toilettes anglaises sortes de tables à dessus de marbre et pourvues parfois d’une petite étagère.
La psyché est un meuble dont la partie principale est un grand miroir mobile sur deux pivots latéraux entre deux colonnes formant cadre. De la taille d’une personne, ces miroirs et, par suite, le meuble qui les porte sont devenus inutiles du jour où l’on a commencé à se servir d’armoires à glace.
La psyché fut surtout en vogue au temps de l’empire, sa forme se prêtait aux ornementations gréco-romaines dont on décorait les habitations et le mobilier. Mais la psyché prenait une place assez grande, tandis que, peu à peu, les appartements devenaient plus étroits. On combina ce meuble encombrant avec l’armoire à portes-pleines ; de là, l’armoire à glace dont le règne dure encore.