Les miroirs de verre doublés de métal

La Science Illustrée N° 580, 7 Janvier 1899
Samedi 28 février 2009 — Dernier ajout samedi 9 octobre 2010

L’antiquité employait surtout les miroirs métalliques, comme nous l’avons vu dans un précédent article. Elle connaissait cependant les miroirs de verre, mais ces derniers étaient toujours de petite taille. L’existence des miroirs de verre chez les anciens ne nous était connue, jusqu’à l’année dernière, que par quelques lignes de différents auteurs.

Pline signale les miroirs de verre inventés à Sidon, mais ne parle pas de leur revêtement métallique. Alexandre d’Aphrodisias, commentateur d’Aristote, dit, dans ses Problemata qui datent du IIIe siècle de notre ère : « Pourquoi les miroirs de verre ont-ils un si vif éclat ? Parce qu’on les revêt extérieurement d’étain. »

Les fouilles du camp romain de Saalbourg ont mis au jour un fragment de miroir doublé d’une feuille d’or, d’autres miroirs analogues ont été trouvés à Ratisbonne.

« L’usage des feuilles de métal, or, argent, cuivre, fer, étain, était courant dans les arts chimiques et dans l’orfèvrerie des anciens et du moyen âge, dit M. Berthelot qui a rétabli récemment l’histoire de l’industrie des miroirs. La fabrication des feuilles d’or et d’argent a été souvent décrite. On appliquait ces feuilles par encollage sur verre, entre autres. Les artistes ont dû s’apercevoir bien vite que les images étaient réfléchies par des objets ainsi doublés. Mais il est difficile d’obtenir ainsi des surfaces réfléchissantes parfaitement régulières. »

C’est pourquoi l’on imagina l’usage du plomb fondu. Ce dernier point a été montré, d’une façon magistrale, par M. Berthelot dans une communication à 1’Académie des sciences (4 octobre 1897).

M. Th. Robert, conservateur du musée archéologique de Reims, avait envoyé à l’illustre chimiste des débris de miroirs trouvés dans des nécropoles gallo-romaines des IIIe et IVe siècles de notre ère, découvertes aux environs de la ville. Le plus grand avait 5 centimètres de diamètre ; il était bombé comme un verre de montre, épais d’un demi-millimètre environ. Sa surface convexe, brillante et lisse, représentait une calotte sphérique répondant à une sphère d’environ 20 décimètres de diamètre. La surface concave était remplie de plomb transformé en grande partie en carbonate et en litharge, par suite de la longue action de l’air et de la terre humide. Les autres fragments donnèrent à l’examen et à l’analyse chimique des résultats analogues.

M. Berthelot explique de la façon suivante leur mode de fabrication. « On applique le métal en versant une couche mince de plomb fondu dans, la concavité du verre, probablement échauffé à l’avance … Cette application a pu se faire sur la calotte sphérique. déjà isolée, ou bien dans l’intérieur même du ballon primitif soufflé, ce qui serait peut-être plus prompt et plus régulier. On y aurait alors découpé le miroir a près refroidissement. En tous cas, la pose de couches de plomb aussi minces devait être accompagnée d’une oxydation considérable… »

Ces miroirs de verre doublés de métal étaient répandus dans tout l’empire romain depuis les Gaules et la Thrace jusqu’en Égypte. En effet, en août 1898, M. Berthelot eut l’occasion d’examiner un des treize miroirs de verre, trouvés trois ans plus tôt sur les bords de l’Hèbre, en Bulgarie, dans les ruines d’un temple en vogue aux IIe et IIIe siècles de notre ère et deux autres miroirs trouvés dans les ruines de la ville égyptienne d’Antinoé.

Le premier, envoyé par M. Dobrusky, directeur du musée de Sofia est circulaire, avec 47 millimètres de diamètre, il porte la trace d’un manche et est encastré dans une couronne métallique plate ornée d’une légère guirlande. Son épaisseur est d’un quart de millimètre ; l’enduit qui le recouvre, formé à l’origine par du plomb fondu, a un dixième de millimètre.

Les deux autres ont été envoyés par M. Guimet, le fondateur du musée. L’un d’eux était entouré d’un cadre pentagonal de plâtre ; il n’avait que 5 centimètres de diamètre. Le second, trouvé dans une tombe byzantine, entre les mains d’une fillette, fournit encore des images très nettes ; il est enchâssé dans une garniture métallique ornée de 14 petites roses saillantes et munie d’un anneau.

Tous ont le même mode de fabrication : ils sont petits, très minces, découpés évidemment dans des ballons de verre soufflés dans lesquels on coulait une mince couche de plomb fondu. On les ajustait ensuite dans une garniture de métal, de plâtre ou de bois .

Que devint ce procédé au début du moyen âge ? Fut-il perdu momentanément ou la tradition s’en continua-t-elle ? De nouvelles trouvailles éclaireront sans doute ce point.

Quoiqu’il en soit, en 1250, Vincent de Beauvais décrit la fabrication des verres à miroir et indique comment on versait le plomb fondu sur le verre chaud. Le moine John Paeklam, Roger Bacon et Raymond Lulle en parlent également.

Ce ne fut que vers la fin du XVe siècle, à Murano semble-t-il que le plomb fondu fut . abandonné. Il exigeait l’emploi de la chaleur et, par suite, celui de verre mince pour éviter toute rupture. Les propriétés de l’amalgame d’étain, récemment découvertes, permirent un nouveau mode de fabrication plus avantageux dont nous parlerons dans un prochain article.

Au début du XVIe siècle on employait encore concurremment les miroirs métalliques, les miroirs de verre doublés de métal et les miroirs étamés. Nous reproduisons un de ces derniers datant du XVIe siècle, début de la célébrité des glaces de Venise. Il est remarquable par son bel encadrement.

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