Paracelse

Alexandre Laboulbène, la Revue scientifique — 21 novembre 1885
Mardi 11 mai 2021

En commençant le cours de cette année, je tiens, suivant mon habitude, à vous en rappeler le programme et à vous dire le choix que j’ai fait pour la leçon d’ouverture. Déjà, pendant le semestre dernier, je vous ai exposé l’histoire des découvertes en médecine et en chirurgie. Je suis loin d’avoir épuisé le sujet, vous n’en connaissez qu’une partie. Je continuerai à vous montrer à la fois les œuvres et la biographie des médecins novateurs, dont le rôle a été si grand et si utile et auxquels la science doit être reconnaissante.

Dans cette première leçon, je veux appeler votre attention sur deux personnalités remarquables et vous faire apprécier Paracelse ainsi que Van Helmont. Ils ont été qualifiés de réformateurs, de fondateurs de l’iatro-chimie, de précurseurs du vitalisme, etc. Exaltés outre mesure par les uns, absolument dépréciés par d’autres, que devons-nous penser de ces hommes étranges et si discutés ?

Mais, avant de me livrer avec vous à celte intéressante et fort difficile étude, je ne puis oublier qu’un de vos maîtres, mon cher et éminent collègue, M. Bouchardat, acceptant l’honorariat, a donné sa démission et quitté la Faculté. Vous connaissez tous le professeur. consciencieux qui aimait à pénétrer jusqu’au vif des questions. Thérapeutiste précis, hygiéniste de premier ordre, auquel les sciences physico-chimiques sont familières, il mettait en relief dans son enseignement le point important, le côté étiologique, pour arriver à la meilleure application de l’hygiène. En votre nom et au mien, adressons à ce travailleur infatigable, dont l’ardeur peut encore servir d’exemple à bien des jeunes, notre vive et respectueuse sympathie.

Je souhaite la bienvenue à votre nouveau maître, M. Adrien Proust.

C’est avec une douloureuse émotion que je vous fais part de la mort du professeur Charles Robin, qui fut mon martre et mon ami. Le nom de Charles Robin est lié au mouvement scientifique de notre époque. Jeune encore, notre regretté collègue avait été l’introducteur, et en quelque sorte le créateur, des études histologiques à Paris. Dans ses cours particuliers, où ;’étais son préparateur, plus tard, dans son enseignement officiel, il avait embrassé et poursuivi avec une grande largeur de vues l’investigation des éléments anatomiques et des tissus de l’homme ainsi que des êtres organisés. Je puis vous dire que l’œuvre du laborieux chercheur est des plus importantes en anatomie générale, en anatomie comparée, en histoire naturelle, d’un mot, en biologie. Peu d’hommes arrivés au terme d’une longue carrière ont pu accomplir d’aussi nombreux et d’aussi utiles travaux que Charles Robin pendant une trop courte existence !

I.

Le vrai nom de Paracelse est Théophraste Bombast von Hohenheim, On le trouve désigné dans ses œuvres par l’ensemble de plusieurs prénoms : Aureolus Philippus Theophrastus Paracelsus Bombastus ab Hohenheim. Paracelse a signé souvent : Theophrastus ex Hohenheim eremita. Sur la pierre tombale de Salzzbourg, on lit seulement : Philippus Theophrastus. Il est possible que Théophraste de Hohenheim ait pris le nom de Paracelse pour marquer sa prééminence sur Celse et sur les médecins les plus élevés ; peut-être Paracelsus n’est-il que la traduction du mot Hohenheim.

Paracelse est né en 1491 (on a dit aussi en 1493), en Suisse, près de Zurich, à Einsiedlen ou Maria Einsiedlen, où se trouvait une abbaye ; l’épithète d’eremita prise par Théophraste est relative à son lieu de naissance.

La famille Bombast von Hohenheim était fort honorable et avait son château aux environs de Stuttgart ; mais, dès 1409, ce château était passé dans des mains étrangères. Le père de Paracelse, Guillaume Bombast de Hohenheim, avait étudié la médecine à Tubingue ; il était médecin de l’abbaye d’Einsiedlen ; sa mère, avant son mariage, était surveillante de l’hôpital annexé au couvent. En 1502, Guillaume émigra, suivi de sa famille, à Villach en Carinthie, et y exerça la médecine jusqu’à sa mort, arrivée en 1534, à l’âge de soixante et onze ans. Le premier maître de Paracelse fut son père qui lui donna des notions de médecine, d’alchimie Alchimie et d’astrologie ; il reçut également des leçons d’Eberhard Paumgartuer, de Mathœus von Scheidt et de Mathias Schlach. À l’âge de seize ans, Paracelse fut envoyé par son père à L’université de Bâle, où il étudia l’alchimie Alchimie sous la direction du célèbre Tritheim, puis dans le laboratoire de Sigmund von Fugger, à Schwatz, dans le Tyrol.

Esprit ardent, inquiet, agité, Paracelse visite alors les universités d’Allemagne, de France et d’Italie et les établissements métallurgiques ; il parcourt l’Espagne, l’Angleterre, la Prusse, la Pologne, et là, soit qu’il fut enlevé par les Tartares ou qu’il se fut mêlé à leurs bandes, il pratiquait, dit-il, l’alchimie Alchimie . Puis, il se rend en Égypte, vient à Constantinople où il se fait initier à toutes sortes de mystères ; il traverse la Valachie, la Transylvanie, etc. Pendant cette vie aventureuse, Paracelse fréquente toutes sortes de personnes, demandant leurs recettes ou secrets aux barbiers, aux baigneurs, aux devins, magiciens et astrologues, bohémiens, ainsi qu’aux bonnes femmes et même, dit-il, au bourreau. Il parait, en outre, que Paracelse a servi dans l’armée danoise, sous le roi Christian II.

De retour en Suisse après dix ans d’absence et grâce à la protection de Hausschein, son compatriote, Paracelse fut nommé en 1526 médecin pensionné à Bâle, et devint l’année suivante professeur à l’Université. Sa première leçon eut lieu le jour de [a Saint-Jean et il se servit de la langue allemande pour se mettre à la portée de tous les auditeurs, au grand scandale des savants de l’époque et rompant ainsi avec les vieilles habitudes universitaires.

Avant de commencer. il brûla publiquement les œuvres de Galien, d’Avicenne, de Razès, pour prouver que, grâce à lui, une ère nouvelle allait commencer pour la médecine, et proclamant que les boucles de ses souliers et les poils de son chignon pourraient en enseigner plus que de pareils maîtres. Théophraste se posait en réformateur comme Luther, qui, peu auparavant, avait détruit par le feu la Bulle du pape et les Décrétales, à Wittemberg. Parlant plusieurs heures de suite avec une faconde intarissable, employant les expressions les plus osées, les plus mordantes, souvent les injures les plus grossières, Paracelse passionnait la foule, toujours prête à applaudir comme à conspuer ce qu’elle ne comprend pas.

Après des cures heureuses, ayant guéri l’imprimeur Froben d’une maladie grave, le professeur de Bâle fut à l’apogée de sa gloire, entouré d’adeptes enthousiastes, appelé auprès des grands, traitant une foule de malades dans tous les pays environnants.

En 1528, Théophraste de Hohenheim dut descendre de sa chaire et s’éloigner. La jalousie et la haine à son égard s’étaient élevées, puis accrues, en raison de ses succès ; il avait excité la jalousie et l’inimitié en dénonçant l’esprit de routine et de lucre des médecins et des pharmaciens. A la suite d’un démêlé avec un malade rapidement guéri et qui, au lieu de lui donner cent florins, prix convenu, obtint de s’acquitter avec six florins d’honoraires, Paracelse proféra des invectives contre les magistrats, et sur le conseil de ses a mis, il se retira près de Stuttgart. Là, il fut encore en butte aux persécutions qu’il suscitait ; menacé de la prison, il s’enfuit de nouveau. Sa vie devint errante et misérable. N’ayant aucun frein, vivant au milieu de la populace. s’enivrant avec des paysans et des cochers, conservant il peine pendant quelques heures sa liberté d’esprit, il guérissait des malades sur sa route et dormait où il pouvait. Il parcourut ainsi l’Alsace, la Bavière, la Suisse, la Moravie, le Tyrol, l’Autriche, la Carinthie. Enfin, après une courte maladie, et quoiqu’il prétendît posséder le secret d’une panacée de longévité, il vint mourir li Salzbourg, le 24 septembre 1541 ; il avait dicté trois jours auparavant son testament, étant à l’hôtel du Cheval blanc, y succombant suivant les uns, ou à l’hôpital Saint-Étienne, d’après une autre version. Paracelse, inhumé, selon son désir, près de l’église de Saint-Sébastien, laissa ses manuscrits à André Wendl, chirurgien de Salzbourg.

Il faut connaître quelques-unes des opinions passionnées qui ont été émises sur la vie de Théophraste de Hohenheim. La date de sa naissance a été reportée de 1490 à 1493, même 1498 (Dezeimeris), mais par erreur d’impression ; il est sûr qu’il est mort âgé au moins de quarante-sept, au plus de cinquante à cinquante et un ans.

Les ennemis de Paracelse ont fait remarquer son peu de penchant pour les femmes et sa façon dédaigneuse ou méprisante de s’exprimer sur leur compte. On a prétendu que, dans son enfance, il avait été émasculé par le fait d’un porc ou d’une oie (Injuria suis vel anseris), ou maltraité par un soldat qui le rendit eunuque, ce qui est problématique.

La famille Bombast von Hohen heim était, comme je l’ai dit, de bonne extraction. Aussi, l’assertion d’Eraste : Fils de la terre ou du Tartare à la manière d’un certain Merlin (terræ vel tartari videtur filius instar Merlini cujusdam suisse) est-elle complètement imaginée. L’éducation première de Paracelse est loin d’avoir été nulle ; il a reçu les leçons de son père, de Tritheim, et de beaucoup de savants qu’il se plaît à citer. Toutefois, il est parfaitement vrai qu’il recherchait de préférence les hommes il secrets et les alchimistes ; il a peu ou point lu les Grecs et les Arabes, qu’il méprisait profondément. Hippocrate paraît avoir fait exception, puisque Théophraste a commenté les Aphorismes. Pendant le cours de sa vie errante, après avoir quitté Bâle, Paracelse travaillait peu, s’abandonnant à ses penchants vicieux, à toutes sortes de désordres et d’inconduite.

L’ivrognerie de Paracelse est notoire. Si les détracteurs conviennent que jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans, il fut sobre, s’abstenant de vin, c’est pour mieux accentuer son intempérance par la suite, Oporin, ou Oporinus, secrétaire de Paracelse, et qui le suivit au départ de Bâle, quittant femme et enfants pour l’accompagner, est fort explicite. Il raconte, dans une lettre à Veier, que Paracelse était pris d’accès de fureur pendant la nuit, que, saisissant une épée qu’il disait tenir du bourreau, il en frappait le plancher et les murailles. Oporin craignit plusieurs fois d’être atteint et d’avoir la tête fendue ; il montre son maître prodigue à l’excès, sans souci du lendemain, ayant à toute occasion des habits neufs qu’il donnait au premier mendiant venu ; souvent sans une obole dans sa bourse, celle-ci était bientôt remplie d’or ; comment le précieux métal y était-il venu ? Ce récit de l’ingrat disciple, qui croyait à la transmutation des métaux, vous fait voir Paracelse atteint d’alcoolisme nettement caractérisé.

La fin prématurée de Paracelse a beaucoup intrigué ses ennemis et ses biographes. On a été jusqu’à dire que, précipité du haut d’un rocher, il s’était brisé le crâne dans sa chute ; mais, avec une pareille fracture, comment aurait-il pu, débile de corps, mais sain d’esprit, dicter son testament ? L’empoisonnement a été invoqué ; mais les poisons ordinaires ayant peu de prise sur un pareil alchimiste, c’étaient des fragments de diamant, donnés dans un but coupable, qui avaient perforé les entrailles ; tel était le bruit répandu à la mort de Théophraste de Hohenheim. Nous devons, ce me semble, admettre que les émanations délétères, arsenicales, stibiées, mercurielles et autres, au milieu desquelles avait vécu ce fanatique manipulateur, ses luttes passionnées, son intempérance continuelle, expliquent sa mort à un âge peu avancé.

Les objets laissés par Paracelse étaient des manuscrits, quatre ouvrages théologiques, un livre imprimé de médecine, quelques instruments de chirurgie, plusieurs objets en métal précieux.

II.

Essayons de nous rendre compte du système de Paracelse. Je fais appel à votre patience ; le langage de Théophraste est obscur, véhément, souvent contradictoire, incorrect, avec des néologismes singuliers et embarrassants. Le titre de plusieurs travaux, dont vous avez sous les yeux la collection, a besoin d’être expliqué. Paramirum signifie très admirable ; Paragranum, graine par excellence ; Archidoxa, haute doctrine. Nous trouverons encore le Labyrinthus, la Berthéonée ou petite chirurgie, etc.

Comme frontispice, je prends le portrait qu’ont laissé les contemporains : personnage maigre, avec des mèches de cheveux frisés autour de la tête, chauve par le haut, l’œil vif, le nez court, un peu de barbe hérissée.

Théophraste de Hohenheim veut renverser et détruire tout l’édifice médical construit avant lui. Faisant table rase des théories anciennes, il est le monarque de la médecine et il dit dans Paragranum : « Vous me suivrez, toi Avicenne, toi Galien, toi Razès, toi Montegnana, toi Mésué. Ce n’est pas moi qui vous suivrai, mais vous qui marcherez à ma suite, vous médecins de Paris, de Montpellier, de Suède, de Misnie, de Cologne, de Vienne, des bords du Rhin et du Danube, des îles maritimes, médecins italiens, dalmates, athéniens, grecs, arabes, juifs. Je ne vous suivrai pas, mais vous me suivrez et aucun de vous, en quelque lieu qu’il se cache, n’évitera que le chien ne lève la cuisse sur lui. Je serai monarque, j’administrerai une monarchie. Voilà ce Cacophraste comme il vous convient de m’appeler… » (Præfatio in librum Paragranum, édition de Francfort, 1603, t 1e, p. 4 et 5 ; édition de Genève, 1658, t. 1e, p. 183.)

Autant qu’on en puisse juger à travers des contradictions et une orthodoxie plus que douteuse, Paracelse avait adopté des idées néo-platoniciennes et faisait tout dériver de la Divinité. Chaque créature présente le baume astral. L’homme renferme en lui toutes les formes de la vie extérieure ; il a le soleil, la lune, les astres, le ciel, la terre, l’eau, le feu, etc. « L’astronomie apprend à connaître les influences, le firmament et tous les astres, les étoiles, les planètes et le génie du ciel. Ceci nous conduit à dire que cette constellation, ce firmament et le reste que vous étudiez dans le ciel, se retrouvent dans l’homme. Vous appelez l’homme Microcosme et nous ne rejetterons pas cette dénomination, elle est juste ; mais vous ne la comprenez pas bien ; votre interprétation est obscure et pleine de ténèbres. Écoutez la nôtre : Comme le ciel, avec son firmament, ses constellations et le l’este, est en lui et par lui-même, ainsi l’homme sera constellé puissamment et par lui-même. » (Paramirum de Ente naturaii, IIIe traité, chap. I, édition de Francfort, 1603). L’homme est donc le Microcosme, en face de la nature extérieure ou Macrocosme. De même que le ciel a ses planètes et ses révolutions, l’homme a ses constellations, ses membres, ses équinoxes, son méridien. L’aliment ne sert à l’homme que comme le fumier sert au champ. « Il y a sept membres dans le corps : cerveau, cœur, poumons, fiel (vésicule), foie, reins, rate, qui sont en harmonie astrale, avec Lune, Soleil, Mercure, Mars, Jupiter, Vénus et Saturne… Ces membres ne demandent aucun aliment, mais se suffisent à eux-mêmes, comme les sept planètes qui se nourrissent elles-mêmes, sans que l’une demande son aliment aux autres et sans rien emprunter aux astres… Le corps est double : firmamental et terrestre. Je vous le dis en vérité, l’homme se compose de deux espèces de créatures : de celles qui se nourrissent et de celles qui manquent de nourriture… Le fumier réchauffe et engraisse le champ d’une manière occulte ; la nourriture produit le même effet dans le corps, d’une manière corporelle ; mais elle n’agit pas sur ce qui est dans le corps (chap. II, III et IV). » Ces citations abrégées vous montrent la manière dont Paracelse expose ses idées ; les rêveries y tiennent la plus large place.

Vous pressentez que si la connaissance du Macrocosme importe seule pour apprécier le Microcosme, en d’autres termes si le corps humain est connu par l’étude seule de la nature, à quoi sert l’anatomie humaine ? Elle devient absolument inutile, aussi Théophraste la méprise et la rejette : « Disséquer est une méthode de paysan » ; il s’élève contre « l’habitude puérile de disséquer les cadavres, dont se glorifient les prestidigitateurs italiens ». Et cependant il est question d’anatomie dans les écrits de Paracelse ; mais sous ce nom, il y a de tout, excepté l’anatomie vraie. L’anatomie est « l’effigie astrale externe », c’est encore « la signature pour les remèdes, la forme ou l’effigie des maladies », L’alchimie Alchimie conduit à trouver ce qui constitue le corps vivant (anatamia materialis) et comment le corps se décompose après la mort (anatomia mortis). Paracelse appelle encore l’anatomie vivante : anatomie essentielle, ou spagyrique, ou chimique. Et alors surgissent les idées fantastiques : de même que le monde entier est un seul corps, de même toutes les maladies des hommes forment un seul corps. Mais tous les hommes n’ont pas une seule maladie ; c’est l’anatomie vivante qui apprend les divers gisements des maladies, comme la métallurgie apprend ceux des divers filons de l’or qui, tout dispersés qu’ils sont, ne forment qu’un seul corps, Il est évident que Théophraste, n’ayant aucune connaissance anatomique sérieuse, imagine ou invente, en détournant les expressions reçues de leur sens habituel.

Avec une pareille anatomie, vous devinez une physiologie nulle. Que (lire des conceptions suivantes : « Le cœur répand son esprit dans tout le corps, comme le soleil sur tous les astres et sur la terre elle-même. Cet esprit est seul utile au corps pour sa subsistance et non les sept membres. Le cerveau pénètre seulement jusqu’au cœur et du cœur regagne son centre spirituel ; ce but est le seul auquel il tende. Le foie, par son esprit, marche seulement vers le sang et n’atteint pas autre chose. La rate se dirige vers les flancs et les viscères. Les reins s’ouvrent un passage à travers les lombes, les parties voisines et les voies urinaires ; le poumon autour de la poitrine et de la gorge ; le fiel a son mouvement vers l’estomac et les intestins. À l’aide de ces indications, vous connaîtrez si un de ces organes s’écarte de sa route et pénètre dans une voie étrangère, par exemple, la rate dans celle du fiel, car alors, de toute nécessité, il s’engendre des maladies (Paramirum, chap. VIII). » Je m’abstiens de tout commentaire. Paracelse repousse les anciens éléments galéniques, « les humeurs, qui ne sont qu’un produit de l’imagination ».

Voyons ce qu’il met à la place. L’homme ou le microcosme est formé comme le macrocosme ou l’univers par quatre éléments : le feu, la terre, l’eau, l’air ; c’est la théorie d’Anaxagore. Mais, pour Paracelse, ces éléments s’associent pour constituer des éléments plus immédiats. « Tout élément se divise en trois parties, lesquelles cependant existent sous la même apparence, la même forme, la même couleur, la même figure et la même manière d’être, à savoir : le sel ou baume, la résine ou soufre, et la partie liquoreuse ou gotaronium (mercure). Ces trois parties produisent toutes choses, c’est- à-dire les procréations des éléments du corps limon et semblablement celles du corps physique. Chaque corps est constitué par ces trois parties et n’en a ni plus ni moins. Elles produisent les métaux, les minéraux, les pierres, les arbres, les plantes, en un mot, tout ce qui a la vie ou ne l’a pas. La manière d’être est autre pour les métaux, pour la chair, le sang. le bois, etc. Le médecin ne considère pas cela, mais seulement l’intérieur, qui est son subjectum, et qui naît des éléments. » (Paragranum, V. - Labyrinthus medicorum errantium. chap, III.)

Ailleurs, il est dit : trois substances primordiales, Je soufre, le mercure et le sel, se trouvent dans ce limon dont l’homme est formé, l’homme n’est que ces trois substances. « L’alchimie Alchimie ou le feu de Vulcain, en dégageant ces substances après la mort, embrasse ainsi trois éléments, trois substances, quatre astres, quatre terres, quatre eaux, quatre feux, quatre airs et toutes les conditions, les habitudes, les propriétés et les natures de l’homme, sans lesquelles il n’y a pas de maladies, notion que vous avez perdue de vue, ô médecins ! lorsque vous écriviez que les maladies naissent des quatre humeurs, lesquelles cependant n’ont jamais eu rien de commun avec les éléments et les quatre ou les trois choses (De origine morborum ex tribus substantiis, I, II). » En résumé, les mots sel, soufre et mercure n’ont pas, dans Paracelse une signification précise ; ils ne répondent à aucune substance réelle. Voici ce qu’on finit par comprendre dans son exposé alchimique : ce qui brûle, il l’appelle soufre ; ce qui se volatilise ou se sublime, il l’appelle mercure (il ne saurait être question du vif-argent, ce qui reste à l’état solide ou terreux, il l’appelle sel. Ces mots sont des termes génériques ; il y a beaucoup d’espèces de sels, de mercures et de soufres.

Théophraste parle beaucoup des semences pour la formation et la répartition des parties du corps. Comme toujours, cette idée-de semence, « matière première de toutes choses », est entourée de nuages et exprimée en termes bizarres. « Ce ne sont pas les éléments qui sont la cause des maladies, cette cause est la semence qui germe dans les éléments et s’y accroît jusqu’à la dernière essence et la dernière matière ; c’est ce qui nous fait croître nous-mêmes et de quoi aussi les maladies prennent accroissement. Cela même qui est accru est la maladie… Le médecin doit savoir que les semences des maladies sont de deux sortes : la semence iliastrum et la semence cagastrum ; en d’autres termes, toute semence a été semence dès le principe, comme celle de la pomme, de la noix, de la poire, etc., et cette semence est dite iliastre ; ou elle est née de la corruption et on lui donne le nom de cagastre… Ainsi les maladies iliastres sont l’hydropisie, la jaunisse, la goutte, etc. ; les maladies cagastres sont la pleurésie, la peste, les fièvres, etc. » (Labyrinthus, chap, XI.)

Cette conception des semences me fournit une trannsition aux influences causales dans la pathologie de Paracelse. Nous arrivons à l’Archeus et aux Entia.

L’Archée, Archeus, Alchimiste (venant soit d’αρχη, commencement, autorité, soit de iXPX-ôUCI), commander), a son siège dans l’estomac ; il préside aux actes alchimiques ; il sépare dans les aliments les principes nutritifs des principes vénéneux, donnant aux premiers la teinture nécessaire pour qu’ils soient assimilés. Archeus, l’alchimiste, équivaut et répond à la nature ; par sa puissance, il produit tous les changements en bien et en mal. Archeus a une tête et des mains ; c’est l’esprit de la vie, il permet ou non l’exercice des opérations cachées. « La nature peut pécher quelquefois par la vertu appétitive. En effet, avant que Mars soit produit tout entier, Archeus entretient en soi par son ilech (ilech, principe occulte) une inimitié cachée contre le microcosme… Mais le médecin ne doit point s’occuper de cela, car partout où Archeus simule du dégoût et prend en haine sa nature et son propre ouvrage, le médecin, comme son ministre, ne peut réprimer cet éloignement archéique. En conséquence, il faut savoir que, dans la manière de préparer les compositions, il arrive souvent qu’Archeus veut que son anatomie soit composée en une chose et point en une autre. » (De gradibus et compositionibus receptorum ac naturaliurn, t. VII, part. VII, édition Francfort, 1603.)

Dans cette obscurité, on trouve encore que l’Archée imaginaire n’est pas seul, chaque partie du corps a un estomac ou un alchimiste pour sa nutrition. Les fonctions sont expliquées par les archées et la force sidérale, la force dérivant des astres.

Le Livre des êtres fait partie du Paramirum, « Apprenez aussi qu’il existe cinq êtres (Enlia) par lesquels sont faites et produites toutes les maladies. Ces cinq êtres désignent cinq origines. Il y a cinq origines d’où sort une certaine origine respective, laquelle a assez d’efficacité en soi pour la production de toutes les maladies passées, présentes et futures (Libellus prologorum, II, 2). » Chaque ens, ou être, peut produire chaque maladie ; il y a donc cinq pestes, cinq hydropisies, cinq jaunisses, cinq cancers, etc. Des feux quintuples régissent notre corps ou le menacent.

« La vertu des astres s’appelle être des astres (ens astrorum, ou astrale). La deuxième vertu ou puissance qui nous remue violemment et nous jette dans la maladie est l’être du poison (ens veneni). À propos de cet être, vous remarquerez que quoique l’être astral lui-même ait une influence salutaire sur nous et qu’il ne nuise en rien au corps, cependant l’être du poison peut nous être préjudiciable. Étant sous sa dépendance, il nous faut subir son influence, et nous ne pouvons l’éviter. Il y a une troisième vertu qui abat et affaiblit notre corps, quoique les êtres dont on a déjà parlé aient sur nous une influence salutaire et favorable, c’est l’être naturel (ens naturale). Il est manifeste quand notre corps nous rend malades par son dérangement ou sa mauvaise complexion. C’est donc par lui que sont produites en grand nombre les maladies diverses, je dirai ’même toutes les maladies sans exception, quoique les autres êtres soient bien disposés. Le quatrième être s’entend de l’être des puissants esprits (ens de potentibus spiritibus), lesquels troublent et rendent malade notre corps d’après le pouvoir qu’ils en ont… Le cinquième être qui, tous les autres étant dans de bonnes conditions, agit sur nous, est l’être de Dieu (ens Dei)… Notez soigneusement que chacun de ces êtres a sous sa domination toutes les maladies. Et en ce sens, il y a cinq espèces de peste, l’une venant de l’être de l’astre, l’autre de l’être du poison, la troisième de l’être naturel, la quatrième de l’être des esprits, la cinquième de l’être de Dieu. Il en est de même pour toutes les autres maladies, et c’est à quoi vous devez faire attention et en conclure que les maladies viennent absolument de cinq principes et causes, et non d’un seul principe, comme jusqu’ici vous l’avez cru sans fondement et par une erreur palpable, en n’admettant qu’un être unique (Prolog., II, 4). » Les développements qui accompagnent cette exposition vous prouvent comment Paracelse divague, parlant de tout sans règle, de la façon la plus bizarre. Je vous fais grâce de l’espèce d’air désigné sous le nom de grand M, qui peut être souillé par l’émanation ou l’haleine des. astres. Je ne reviendrai pas sur l’Alchimiste, sur l’Archée ; je passerai sur la fascination, les figures du nécromancien qui font souffrir de tout ce qu’on fait à, ces images. On a voulu trou ver dans les divagations sur l’être astral des données sur le milieu météorologique ; dans l’être du venin, un aperçu des principes délétères mêlés à l’aliment ; dans l’être naturel, la force vitale ; enfin, dans l’être spirituel, l’influx magnétique ; dans l’être de Dieu, une punition. Les rêveries de Paracelse auront de la peine a autoriser de telles réalités ; mais, dans ses écrits, il ya matière à soutenir des opinions même opposées. On est frappé par quelque lueur soudaine, comme vous avez pu le’ voir ; mais bientôt il est impossible d’être fixé, tout échappe au moment où on croit saisir quelque chose de vraiment raisonnable ou de positif.

Avant de vous parler de la chirurgie et des idées thérapeutiques de Paracelse, je veux vous signaler un écrit curieux ainsi que les livres sur les maladies tartareuses et le mal français ou la syphilis.

La Réponse à quelques accusations dévoile et met au jour le caractère de Paracelse, sa vie errante, le désordre de son esprit. Il est le Christ de la médecine, les autres médecins sont les faux prophètes et les antéchrists, tenant du diable le pouvoir de tromper le public. Il doit ses connaissances et ses succès à l’astronomie et à l’alchimie Alchimie  ; les recettes, les dénominations qu’on lui reproche, sont nécessitées par des révélations qu’il a eues. (Responsio ad quasdam accusationes et calummnias suorum æmulorum et obtrectatorum, édition de Francfort, 1603, t. II, p. 112 et suiv.)

Le Liber de morbis tartareis, qui fait suite au Labyrinnthus (id., t. II, p. 180 et suiv.), est un des plus célèbres traités de Paracelse. Vous en trouverez une analyse dans une thèse passée sous ma présidence l’année dernière. (G. Muleur, Essai historique sur l’affection calculeuse du foie, etc. Thèse de Paris, 1884, n°188.) Dans ce traité, Théophraste est plus compréhensible ; il indique une catégorie de maladies héréditaires, mais il mêle constamment le faux avec ce qui est à peu près exact. Voici ce qui constitue le Tartre ou Tartare : « Toute humidité terrestre a incorporé en elle une matière qui a été crée par la nature et disposée pour la coagulation. Un exemple vulgaire éclaircira ce point : le vin vient de la terre et porte, innée en lui, la matière susdite. Dans l’opération de la coagulation, le coagulé se sépare du vin et adhère à l’intérieur du vase ou du tonneau. Cette substance s’appelle Tartare du vin. L’eau contient aussi un Tartare qui se sépare subitement de l’eau, et qu’on appelle Tartare de l’eau. On appelle aussi Tartare du lait ce qui se sépare du lait. On tire aussi un Tartare du suc des fruits et des plantes, c’est le Tartare des fruits et des plantes (chap. 1). » Archeus intervient en nous, pour séparer de l’élément bon, l’élément mauvais, ce dernier rejeté par les organes excréteurs. Archeus, à la manière du charpentier qui rejette un morceau de bois pourri, fait assimiler les bonnes choses. Lorsque le travail est troublé, il se forme dans les substances liquides du corps une nouvelle substance visqueuse, imprégnée de sels terrestres, qui est le Tartare ou Tartre. Bientôt le Tartare devient une abstraction ; il est partout dans les viscères, sous toutes les formes, même celles qui ressemblent le moins aux concrétions. Il semble que chaque idée venant à l’esprit de Paracelse soit transformée en cause universelle de maladies. « Une certaine espèce de Tartare nait chez les femmes ; il est de deux espèces, c’est-à-dire qu’il se produit de deux manières chez elles : d’abord par la manière ordinaire, c’est-à-dire par la nourriture et la boisson, puis en recevant et concevant le tartare des hommes (chap. VI). »

Le Tartare imprègne l’enfant du premier au troiisième mois. Il y a quatre espèces de maladies tartariques, mais la division repose sur des caractères vagues ; toutefois la description des diverses espèces de goutte et des maladies calculeuses est intéressante, et Paracelse reconnaît leur hérédité.

Les traités de la grosse vérole sont au nombre de deux ; l’un, en huit livres, parait apocryphe (De l’origine, des causes, du traitement du mal français) ; l’autre est généralement reconnu comme paracelsique. « Pour réprimer et comprimer l’audace de ceux qui, depuis plusieurs siècles, par leur étalage orgueilleux, par leurs clameurs insensées et les titres extraordinaires dont ils se parent, se sont sottement arrogé la direction de la médecine, ;’ai résolu, lecteur bénévole, de dévoiler les erreurs innombrables qu’ils ont ,commises dans le diagnostic et le traitement du mal français… J’appelle cette maladie : mal français, nom du pays où l’on rapporte qu’il a pris naissance… On ferait preuve d’ignorance dans l’art médical, si l’on prétendait que ;’aurais dû donner à ce malle nom de pustules, et on montrerait qu’on ne comprend pas que ce dernier est une appellation générique. » (De tumoribus, pustulis, ac ulceribus morbi gallici, édition latine de Genève, 1658, in-folio.) Paracelse invective encore les médecins contemporains, puis il s’élève contre les fumigations de cinabre en faveur parmi les médecins de Montpellier et de Salerne, contre l’abus des lotions mercurielles, contre les corrosifs, et enfin contre le gaïac. Vous remarquerez combien il est erroné de dire que Paracelse a le premier opposé le mercure à la syphilis, mais il veut que l’on prenne le mercure à l’intérieur.

La propriété contagieuse du morbus gallicus est appelée transplantation par Théophraste ; mais, après cette idée juste, il prend le change en trouvant que la nature de ce mal est telle qu’il ne se transplante jamais dans aucun corps, à moins qu’il ne soit disposé à quelque autre maladie, soit externe, comme l’esthiomène, le cancer, la morphée, l’alopécie, soit interne comme la fièvre, l’arthrite, la paralysie. Paracelse n’en sait pas plus que ses contemporains sur les origines du mal français ; ce qu’il a dit du gaïac prouve que l’opinion d’une importation américaine était peu répandue : « Maintenant que je puis, comme médecin, faire connaître les causes et l’origine de l’épidémie vénérienne, d’après la nature du microcosme et les véritables sources de la vraie médecine, je dis que le mal français, comme toutes les autres maladies, vient primitivement du temps, puis de la corruption du sperme ; alors, en effet, diverses espèces de métaux reçurent une certaine corruption du sperme. Ce qui le prouve, c’est que depuis la création du monde, on n’a jamais vu une luxure plus grande, une plus grande licence, et plus de dérèglement dans les mœurs que dans le siècle où l’on observa pour la première fois chez l’homme ce genre de mal ; ce temps se rapporte à environ l’année du salut 1498. À moins de vouloir contredire à l’expérience, personne ne niera que la luxure ne soit la cause de ce mal (Morb. gall., IV, 3). » L’étude des formes et des complications de la syphilis est mêlée de telles fantaisies et d’expressions si étranges, qu’il n’est pas toujours facile de discerner ce que Paracelse a voulu dire. Je dois citer cette réflexion remarquable : « Toutes les fois qu’une maladie quelconque présente un caractère de malignité plus grand que de raison, il faut soupçonner l’intervention du mal français. »

La Chirurgie de Paracelse est contenue dans la petite chirurgie ou Berthéonée, dans la Grande chirurgie et dans le Traité des ulcères et des tumeurs contre nature en sept livres. Vous allez voir quelles sont les idées de Théophraste en pathologie externe ; sachez d’abord comment il jugeait les chirurgiens, de son temps. « Venez donc ici, ô vous tous, chirurgiens, parmi lesquels je n’en ai pas jusqu’ici trouvé un seul qui mérite ce titre ; hâtez-vous d’accourir tous ensemble, ô imposteurs, afin d’apprendre à connaître chaque degré séparément selon la prescription, dont vous vous êtes éloignés depuis quelques siècles pour vous livrer à la composition de vos réceptioncules, mendiées successivement de porte en porte aux Baucis couvertes de haillons et qui ne valent pas une écale de noix. Venez, je vous en conjure, à résipiscence, et, laissant vos onguents, vos sparadraps et vos cataplasmes, que l’on trouve çà et là, dans un mélange confus, revenez à la vraie manière de guérir ». (De gradibus et compositionibus, etc., liv. III, chap, VIII.)

La petite chirurgie ou Berthéonée a été traduite en français par Daniel du Vivier en 1623 (ainsi que la Grande chirurgie traduite par Claude Dariot) ; je vous donnerai quelques extraits en reproduisant le texte archaïque. « Je ne veux pas que ceste mienne chirurgie soit intitulée le livre des playes, mais livre de mumie ou de la mumie. Que le livre des apostemes soit dit tel, mais le livre du baulme. Et je veux que le livre des ulceres s’inscrive le livre des liqueurs. Et le livre des esthiomenes celui du realgar (Berthéonée, préface paracelsique, p. 3). »

« Qu’est-ce que mumie ? La mumie est une liqueur esparse par tous les membres du corps, de telle vertu et force qu’il est requis, divisée toutefois de ceste façon : en la chair selon la nature de la chair, en l’os selon la nature d’iceluy, aux artères et ligaments selon leur nature, en la moëlle, aux veines et au cuir, comme es autres… D’où s’ensuit que la mumie de la chair guerit les playes de la chair, la mumie des ligaments les playes d’iceux, de sorte que chaque partie a besoin de sa propre mumie (Berthéonée, I, I, §2, p. 10). » Remarquez les trois substances, mumie, baume et réalgar, dont les maladies chirurgicales tirent leur origine. Quant à la mumie, appelée aussi par Théophraste : mercure doux, est-ce la lymphe plastique, la synovie, quelque liqueur gluante indéterminée ? Paracelse veut combattre son épanchement qui est un accident ; il a entrevu les fausses membranes, les pseuduyménes, peut-être la pourriture d’hôpital ; il a parlé d’esquinancie des plaies.

L’idée dominante est de tout abandonner à la mumie. Théophraste n’est pas opérateur, il conseille d’élargir certaines plaies avec des substances qui putréfient et corrodent les chairs. Il ne parle pas d’incisions à pratiquer. Sa manière d’envisager et de traiter les hémorragies, les fractures et les luxations est déplorable pour ne pas dire plus, Le développement des ulcères repose sur la théorie des sels corrosifs, terreux ou réalgaux. « Un ulcère ne peut être produit, si ce n’est par les corrosifs, et il n’y a pas de corrosifs en dehors des sels. Il est nécessaire que tous ulcères prennent leur origine des sels, mais non certes de ceste façon que le sel se change, qu’il devienne meilleur ou pire, comme on se l’imagine pour les tempéraments ; c’est pourquoy il faut que vous sachiez que rien n’est pire au corps, mais que le mal qui s’y troue vient de la naissance. Le sel peut demeurer en son tempérament, de façon que sa substance n’est nullement manifestée (Berthéonèe, II, I, p. 134). »

Je borne là ces données sur la petite chirurgie. Le professeur Malgaigne a dit de la Berthéonée : « Fatras abominable, où le mauvais goût, l’obscurité affectée, le charlatanisme, l’ignorance, forment d’épaisses ténèbres à peine sillonnées de temps à autre par des éclairs de haute raison et d’éloquence. » (Introduction aux œuvres d’Ambroise Paré, Préface, CCXI,) Ce jugement est juste, ;’ajoute que les éclairs de raison sont rares et que le bon de la Berthéonée est de source étrangère ou empruntée. La grande chirurgie que Malgaigne déclare plus calme n’est pas plus sensée. il L’intention de celui qui veut guérir doit être de combattre les étoiles et non de purger les humeurs (Grande chirurgie ; II, I,11)." On constate l’absence de vraies connaissances chirurgicales ; ici encore, les ulcères proviennent de l’influence des astres, de l’air, du chaos qui est en nous, de la corruption de nos sels. Il y a des ulcères et plaies de nitre, de vitriol, de sel gemme, d’alun, de réalgar, etc. J’ai hâte d’arriver à la thérapeutique proprement dite.

Dans le traité intitulé Archidoxa, Paracelse cherche les mystères du microcosme, la manière de séparer les éléments et d’extraire les quintessences et les arcanes. L’art consiste à faire subir il la substance diverses opérations pour fixer la quintessence. Il dit aussi dans un autre livre : « Outre les essences dont j’ai fait mention dans les livres précédents, il existe une autre nature ou essence des corps qui est dite quintessence, ou, comme parlent les philosophes, accident élémentaire, ou encore, comme disent les anciens physiciens, forme spécifique. On l’appelle cinquième essence, parce que les trois premières en comprennent quatre, par conséquent, celle qu’on nomme ici cinquième est un accident élémentaire ; sa nature n’est ni chaude ni froide et en dehors de toute complexion en elle-même. Un exemple nous fera mieux comprendre : la cinquième essence est la seule qui affermisse la santé ; de même que dans un homme la force ou la santé est menée à bonne fin en dehors de toute complexion, ainsi la vertu est latente dans la nature. Car tout ce qui chasse les maladies n’est autre chose qu’une sorte de confortation, de même qu’on repousse un ennemi par la force. » (De gradibus et compositionibus receptorum ac naturalium, III, I.) Les idées de Théophraste sur la quintessence rappellent ce que Galien disait de certains médicaments qui agissent, non par leurs propriétés élémentaires, mais par toute leur substance. Paracelse devient à peu près incompréhensible dans ses degrés et calculs des poids entre la maladie et le médicament. Les partisans de l’homéopathie pourront réclamer Paracelse pour un ancêtre. « Sachez que les choses de la nature ne sont pas graduées, quant à la dose, dans un rapport exact avec la maladie ; mais chacune de ces choses a son degré égal à sa maladie correspondante ; c’est le degré de la dose… Du reste, dans les choses de la nature et dans les maladies, il y a de chaque côté un degré… Il faut surtout chercher l’égalité entre la maladie et le médicament… La quantité de la maladie montre la quantité de la dose ; en conséquence, le médecin doit savoir quel est le poids de la maladie, car il faudra un poids équivalent pour remède. On administre le poids, non le degré ; c’est là Je principe à l’aide duquel on trouve la dose…. Quand la maladie est arrivée à l’égalité, il en résulte aussitôt que la nature guérit ce qui lui est contraire (De gradibus, etc., VI, I et II). On lit ailleurs »que l’action d’un médicament dépend non de Ja quantité, mais de la vertu".

Théophraste employait les substances les plus actives, les poisons minéraux, et il leur devait des succès, mais aussi des revers qui lui étaient sévèrement reprochés. Il répond à ses adversaires : « Les médecins inhabiles et ignorants me poursuivent encore de leurs clameurs en disant que mes recettes sont des poisons, des corrosifs et un extrait de toutes les malignités toxiques de la nature. Pour repousser cette accusation, je leur demanderais, au cas où ils fussent eux-mêmes capables de répondre, d’abord s’ils savent ce qui est poison et ce qui ne l’est pas, ou si aucun mystère de la nature ne se cache dans le poison… Celui qui dédaigne le poison ignore ce qui se cache dans le poison. En effet, telle est la bénédiction et l’efficacité de l’arcane du poison, que le poison lui-même ne peut rien en enlever ni y ajouter… Vous savez que la thériaque est tirée du serpent vipère : pourquoi donc n’attaquez-vous pas votre thériaque qui contient le venin de ce serpent ? Maintenant, si ma médecine est comme la thériaque, pourquoi la rejeter uniquement parce qu’elle est nouvelle ?… Tout est poison et rien n’existe sans poison… Si le bien peut produire le mal, le bien peut aussi naître du mal. .. Quant à mes recettes, remarquez seulement que tout ce que ;’emploie dans leur composition contient un arcane qui sert à expulser ce qui est contraire, voyez aussi comment je procède : je sépare ce qui est arcane de ce qui ne l’est pas et j’assigne à l’arcane lui-même la dose fixée. Il me parait maintenant certain que ;’ai suffisamment défendu mes recettes ; ce n’est que par jalousie que vous les calomniez, leur préférant les vôtres, quoiqu’elles ne soient bonnes à rien. Si votre conscience était loyale, vous vous abstiendriez désormais de cette manière d’agir (III, CXXIII). »

À côté des médicaments spagyriques ou chimiques, Théophraste admettait que les maladies se guérissent par les sortilèges, les talismans ; il propose pour découvrir les vertus spécifiques des remèdes, ce qu’il appelle la signature des choses. Les partisans des sciences occultes dont nous allons bientôt parler désignaient par là certaines marques, figurées ou colorées, indiquant les propriétés de ces substances : les taches de l’euphraise, compares à la prunelle de l’œil, indiquaient la vertu curative de cette fleur dans les maux d’yeux ; les grains de grenade, ressemblant aux dents, sont utiles dans les maladies dentaires ; la pulmonaire, à cause de son tissu spongieux et des maculatures noirâtres de ses feuilles, avait une grande efficacité dans les maladies du poumon ; les citrons, ayant la forme du cœur et la couleur dorée du soleil, sont d’excellents médicaments cardiaques !

Le fougueux thérapeutiste, attaquant la polypharmacie, a simplifié la préparation des médicaments, qui étaient, à cette époque, des mélanges confus de toutes sortes de drogues. Les extraits, les essences, les sels minéraux, les préparations métalliques soigneusement faites ont été un progrès ; on doit à Paracelse la teinture d’aloès composée ou élixir de propriété, la teinture d’hellébore, un laudanum qui n’a rien de commun avec celui de Sydenham, des opiats, un opodeldoch. « Autant de maladies, autant d’arcanes » qu’il recherchait et qui devaient agir sous la direction d’Archeus. Celte entité favorite, cet alchimiste n’était pas oublié en chirurgie, où Archeus est Vulcain ou le fondeur, le destructeur des corps (Grande chirurgie, II, II, 11 et 12).

La thérapeutique chirurgicale de Théophraste est, du reste, presque nulle. La mumie suffit à tout. Les ulcères seraient guéris par l’usage des sels qui leur ont théoriquement donné naissance. Les hémostatiques sont insignifiants ; par contre, les escharotiques sont fort énergiques. Les moyens de contention des fractures sont d’une simplicité extrême, deux anneaux et une vis de rappel éloignant les extrémités du membre fracturé. La Grande chirurgie de Paracelse ne mérite pas tous les éloges que Malgaigne lui a donnés.

III.

Afin de porter un jugement impartial sur Paracelse, il faut examiner le milieu où il a vécu. Sans cela, on s’expose à le trouver plus grand ou plus petit que sa mesure. À l’époque où paraît Théophraste de Hohenheim, douze siècles se sont écoulés depuis la mort de Galien, dont la doctrine avait fini par régner seule, d’abord teintée de méthodisme, ensuite altérée par les Arabes. Puis, les écrivains grecs dévoilés, admirés jusqu’au culte, on pensait comme les anciens, on voyait comme ils avaient vu. Le danger d’immobilité scientifique devenait menaçant.

Pendant que des travailleurs infatigables dégageaient cette lumière du passé longtemps obscurcie, d’autres chercheurs, pleins d’ardeur et d’audace, voulaient renverser le vieil édifice de la philosophie et de la médecine. Plongés dans les rêveries de la théurgie, de la magie, de l’astrologie, de l’alchimie Alchimie , plusieurs d’entre eux sont devenus célèbres par leurs bizarreries, leurs travers, les désordres de leur vie. Ces sectateurs des sciences occultes ne redressent rien par eux-mêmes ; mais leur révolte contre la science reçue, révolte qui aurait abouti à une direction folle, a eu pour résultat de faire abandonner l’ornière du passé et de provoquer par d’autres mains la révision de nos connaissances. Nous pouvons placer à côté de Paracelse deux hommes qui ont mêlé à la médecine l’ensemble des sciences occultes et les extravagances de la cabale : Agrippa et Cardan.

Corneille Agrippa de Nettesheim (1486-1535), issu d’une illustre famille et né à Cologne, avait reçu une éducation soignée ; il possédait des connaissances fort étendues et variées. Son inconstance naturelle, son humeur caustique, lui suscitaient des ennemis et l’empêchaient de se fixer nulle part. Secrétaire de l’empereur Maximilien Ier, qu’il accompagne à la guerre, il se distingue par sa bravoure et mérite d’être fait chevalier. Bientôt Agrippa quitte Maximilien pour étudier la jurisprudence, la théologie et la médecine ; ses écrits provoquent des querelles incessantes ; il parcourt en vagabond l’Allemagne, l’Angleterre, la Suisse. Il s’arrête à Lyon, où Louise de Savoie, mère de François Ier, le nomme son médecin ; peu après, il prédisait à sa bienfaitrice des revers qu’il lisait dans les astres, et il fut exilé. Arrivé dans les Pays-Bas, deux traités d’Agrippa, De l’incertitude et de la vanité des sciences, ainsi que sa Philosophie occulte, le firent jeter en prison. Revenu à Lyon, il y fut enfermé à cause d’un libelle contre Louise de Savoie. Accusé d’être en commerce avec le diable qui le suivait sous la forme d’un petit chien noir, n’ayant pu avoir ni bonheur ni richesses, Agrippa mourut dans un hôpital à Grenoble, n’ayant pas atteint cinquante ans.

Supérieur à son siècle, Agrippa reconnaissait l’unité dans le monde. Tous les corps, disait- il, envoient et reçoivent des atomes ; les éléments sont identiques dans le ciel et sur la terre ; toutes les formes dérivent des archétypes, des intelligences, des constellations, des éléments corporels en harmonie avec les idées archétypes. Celui qui peut extraire des corps les esprits ou essences servant d’instrument aux intelligences parvient à créer des êtres nouveaux, à faire de l’or et autres merveilles. Tous les corps de l’univers sont liés par des sympathies ou des antipathies naturelles, les nombres ont aussi leur puissance. Agrippa établit dans une échelle septénaire, employée par Paracelse, les correspondances de toutes choses. Ces données servaient à Agrippa pour construire la science entière, la médecine et la thérapeutique. Dans son ouvrage Sur la vanité des sciences, il renverse tout son édifice, critique toutes les sciences connues et décrie toutes les professions. Comme écrivain et comme philosophe, Agrippa est au moins égal, sinon supérieur à Paracelse.

Quelques mots sur Jérôme Cardan (1500-1576), de Pavie. Son père, médecin et jurisconsulte, fut son premier instituteur, mais n’aimait point son fils. Cardan étudiait avec ardeur et faisait les progrès les plus rapides ; il se rendit à l’Université de Pavie, à vingt-deux ans, il y expliquait Euclide ; à vingt-quatre ans, il était docteur. Exerçant la médecine en divers endroits jusqu’à l’âge de trente-trois ans, il fut ensuite nommé professeur de mathématiques à Milan ; mais il ne conserva cette place que deux années. Alors il voyagea, parcourant l’Allemagne, la France, l’Angleterre ; puis 11 revint dans sa patrie. Retenu en prison pendant six mois à Bologne, pour dettes, Cardan vint finalement à Rome où le pape lui accorda une pension, et il s’éteignit dans cette dernière ville.

Doué de hautes facultés, Cardan appliqua les sciences occultes à toutes les branches de la médecine. Partant du système de la vie universelle, il admet que les minéraux s’accroissent en se nourrissant, que les plantes ont des passions. Partout sont des forces vitales et des sympathies. Le Soleil est en harmonie avec le cœur et l’air, la Lune avec les humeurs et l’eau. Les signes de la valeur sont dans le pouce répondant à Mars, la chiromancie est souveraine. Les éléments sont l’eau et la terre, de là proviennent tous les corps sous l’action du feu qui n’est pas un élément, mais résulte d’un mouvement moléculaire. Un ouvrage des plus curieux est celui De vita propria, où Cardan explique ses actions, mélange de contradictions bizarres, et dans lequel il expose ses torts, ses faiblesses, même ses vices. Il avait composé deux cent vingt-deux traités ; son immense savoir, son style mâle, en feraient un auteur hors ligne sans son penchant pour le paradoxe, pour le merveilleux, avec une crédulité d’enfant, une vanité sans bornes. Leibniz dit que, malgré ses défauts, Cardan était un grand homme et que, sans ses défauts, il eût été incomparable. Plus mathématicien et plus philosophe que médecin, Cardan est au moins égal à Paracelse.

D’où vient donc la suprématie de Théophraste de Hohenheim faisant pendant sa vie plus de bruit que des savants d’un mérite égal, sinon supérieur au sien et devenant un chef d’école ? On en trouve les causes dans ses déclamations retentissantes, sa persévérante énergie, son étrangeté, qui le mettaient vigoureusement en relief. Beaucoup d’hommes ont eu plus de succès par leurs défauts que par leurs qualités très réelles, par exemple Galien.

Voyons d’abord ce que les contemporains ont dit de Théophraste, ainsi que ceux qui ont vécu peu après : Thomas Eraste, devenu ennemi de Paracelse, l’appelait « bête féroce, suppôt du diable, ignorant ivrogne, homme en délire », Dessenius le qualifie de magus monstrosus, superstitiosus, impius et in Deo blasphemus, mendacissimus, infandus impostor, ebriosus. Il est sûr que, pour plusieurs, Paracelse était un charlatan, un fou, et qu’il passait pour magicien, ayant pactisé avec Le Démon.

La Faculté de Paris l’avait nommé un second Luther, et Paracelse répondit : « Non, je ne suis pas Luther, je suis Théophraste… Je suis plus que Luther, qui n’était que théologien ; je connais la médecine, la philosophie, l’astronomie, l’alchimie Alchimie . Luther n’est pas capable de délier le cordon de mes souliers. »

Le chancelier Bacon a été des plus rudes : « Les chimistes ont à leur tête une espèce de monstre, c’est Paracelse. Singe d’Épicure dans la météorologie, il nous donne comme des oracles ce que l’autre ne propose que comme une opinion. Le destin règle tout dans Épicure ; mais, plus aveugle que le destin, plus capricieux que le hasard, Paracelse ne s’en rapporte qu’à lui-même. Plus une chose est absurde, plus il est prompt à l’assurer. » Bacon appelle encore Théophraste : « enfant adoptif des ânes ». Il le compare à un sanglier fouillant le sol avec sa hure. À côté de ces qualifications, plaçons l’opinion de Ramus : « Paracelse a tant fait pour tirer les remèdes des métaux que la médecine semble née de lui », Joseph Duchesne (Quercetanus). persiflé par Guy-Patin, prétend que Paracelse était doué d’une sorte de divination.

Il importe de connaître l’opinion des chimistes sur Paracelse. André Libavius assurait qu’il « abusait une multitude de gens avec ses remèdes et ne les a pas guéris ; qu’il en a tué un bon nombre ou les a mis dans un état pire que celui où ils étaient ; qu’enfin il n’a pas pu se débarrasser lui-même de la toux, de la goutte et d’une contracture dont il était affecté ». À ce sujet, Oporin, le secrétaire, observait que son maître appelé dans une localité ne pouvait jamais y demeurer plus d’un an, ayant coutume de dire qu’il ne devait pas exercer plus longtemps son métier dans un même lieu. Ceci nous prouve qu’avec les moyens chimiques et une pratique téméraire, Paracelse faisait au moins autant de mal que de bien.

Les historiens de la chimie ont constaté que les alchimistes du XVIe siècle ne reconnaissent pas pour leur chef Théophraste de Hohenheim ; ses écrits, d’après Hœfer, ne renferment rien qui n’ait été dit avant lui. Notre vénéré Chevreul estime que Paracelse avec ses bizarreries n’a rien d’original, qu’il tient de la manière la plus intime à Basile Valentin et aux deux Isaac Hollandais. D’un autre côté, il ne vient, ajoute Chevreul, comme applicateur de la chimie à la médecine, qu’après les médecins arabes. Je dois ajouter qu’il a fait beaucoup plus qu’eux et leur est très supérieur. Théophraste de Hohenheim commence la série des chimiâtres où l’on trouve Van Helmont et Sylvius de Le Boe.

L’influence de Paracelse a été considérable. Je vous l’ai dit, son langage animé, burlesque, provocant, attiirait la foule, passionnait ses adeptes ; les revers de sa thérapeutique ne suffisaient pas à effacer des succès inespérés, éclatants. Ses essais répétés, ses tentatives hardies, ont fait la fortune des médicaments chimiques, finalement adoptés, malgré une opposition tenace, où notre ancienne Faculté se faisait remarquer au premier rang. En décrivant des substances peu connues avant lui, Paracelse a contribué à les introduire dans le traitement des maladies.

L’expérimentation ou l’expérience si souvent invoquée à son profit par Paracelse est illusoire. Il en parle, au point d’avoir séduit Bordes-Pages, Malgaigne, Bouchut et d’autres ; mais, en réalité, il n’a point mis en pratique les préceptes scientifiques indiqués dans ses œuvres et jamais suivis. Paracelse a été un grand démolisseur, ayant peu fait pour les progrès réels de la médecine, l’arrêtant plutôt avec les systématiques qui la voulaient rattacher aux sciences occultes. Je partage l’opinion de IL Sprengel, de Daremberg, de L. Boyer sur le rôle de Paracelse au plus comme novateur, mais non comme fondateur et véritable réformateur.

A. LABOULBÈNE

Revenir en haut