Le palais algérien à l’exposition universelle de 1889

Henry de Varigny, La Nature n° 858 — 9 novembre 1889
Jeudi 23 janvier 2014 — Dernier ajout dimanche 12 octobre 2014

Nous ne saurions avoir la prétention de passer en revue la totalité de l’exposition algérienne. C’est dire que nous ne nous astreindrons pas à tout signaler au passage, depuis la belle carte murale qui se trouve dans la galerie d’entrée, jusqu’aux milliers de bouteilles de vin algérien qui entourent la sortie du Palais. Nous noterons l’élégant et pittoresque aménagement des salles, égayées par les couleurs vives des tapis, des tentures algériennes, qui appellent le soleil clair d’outre-mer ; nous signalerons l’intéressante collection de brochures publiées par le commissariat général de l’exposition algérienne, dans lesquelles différents écrivains nous entretiennent des principales ressources et industries de notre grande colonie.

Au point de vue zoologique, j’attirerai l’attention sur l’exposition de plumes d’autruche. L’autruche existait autrefois à l’état sauvage en Algérie, mais voici vingt ans qu’elle a disparu, détruite par les chasseurs. Depuis cette époque, différentes tentatives ont été faites pour élever cet oiseau, comme cela se fait au Cap, pour l’exploitation des plumes. On sait qu’au Cap il se produit pour 50 à 60 millions de francs de ces plumes, dans les parcs consacrés à l’élevage. On peut obtenir, à peu près, le même résultat en Algérie, comme le signale M. J. Forest, non dans le Nord assurément, mais dans des parties plus chaudes, entre Biskra et Ouargla, où l’on trouve tout ce qui est nécessaire pour cette industrie, sauf l’autruche, qu’il faut, bien entendu. importer, comme cela a été fait d’ailleurs dans bien des cas plus difficiles : c’est ainsi qu’il existe aux États-Unis trois parcs qui ont fort bien réussi. Si l’on s’y prend bien, il semble que cette industrie soit capable de prendre rapidement de grands développements, car, en 1865, il y avait 8 autruches au Cap, et, en 1875, elles étaient plus de 32000 ! Actuellement, l’ensemble des parcs représente une valeur de plus de 200 millions, l’exportation des plumes atteint 75 millions de francs. Cet exemple est encourageant. L’autruche peut très bien vivre dans certaines parties de l’Algérie : il en existe quelques parcs et l’on peut voir les plumes obtenues au Palais algérien.

Au point de vue des ressources zoologiques encore, je signalerai les effets salutaires des règlements récents qui ne permettent l’exercice de la pêche qu’aux équipages français (d’origine ou naturalisés) et obligent les étrangers à acquitter certaines taxes. Le nombre des bateaux a un peu diminué, mais du moins les profits vont en entier a des nationaux. Il serait bon de surveiller beaucoup plus Ia pêche du corail, afin que le précieux polype ne vienne point à disparaître : en 1870, on en pêchait pour plus de 2 millions, et en 1888 on en a pris pour moins de 300000 francs. Le corail diminue beaucoup et il est urgent d’agir. On sait que le corail algérien est de belle qualité, et, de toutes façons, il faut ne pas le laisser détruire.

Après les ressources zoologiques, les richesses agricoles. Certes, chacun de nous a entendu parler des vins d’Algérie, et chacun a pensé avec satisfaction que nos vignobles tant éprouvés en France se reconstituaient peu à peu sur la terre d’Afrique ; mais nul, je le pense, parmi ceux qui ne se sont point spécialement occupés de la question, ne s’attendait à l’imposante manifestation de la viticulture algérienne qui s’est produite à l’Esplanade des invalides. Tous ont été surpris et émerveillés. Quelques chiffres justifieront cette admiration, La récolte de 1889 est de près de 3 millions d’hectolitres valant plus de 40 millions : or, en 1879, pour la première fois, l’Algérie exportait 6000 hectolitres. Enfin, l’Algérie compte actuellement plus de 85000 hectares de vigne. C’est là une œuvre qui s’est accomplie depuis peu et dont les progrès ont été superbes. Est-il à souhaiter qu’elle continue ? doit-on accroître encore la superficie du vignoble algérien ? M. Bertrand, le président de la Société d’agriculture d’Alger, n’hésite pas à se prononcer affirmativement, en montrant que les vignobles .algériens ne sont menacés d’aucun danger sérieux, et sont assurés d’une production lucrative. Il faut pourtant l’avouer : avec les règlements en vigueur, avec les armes excellentes, dont l’autorité dispose pour combattre le phylloxéra, il est honteux pour celle-ci que le phylloxéra ait pu, non pas prendre pied, mais prospérer en Algérie. Cela prouve une fois de plus qu’il vaut mieux faire ses affaires soi-même que de les confier aux mains d’autrui, Il est à souhaiter que l’on considère sérieusement cette question d’une haute importance.

La viticulture n’est pas la seule ressource agricole de notre colonie. Chacun a pu voir, à côté du Palais algérien, le petit pavillon consacré aux forêts algériennes. A la vérité, c’est plutôt le triomphe du liège qu’autre chose : les essences y sont peu nombreuses et c’est le chêne-liège qui domine. L’industrie du liège est en effet répandue en Algérie, comme en Tunisie, grâce aux 453 000 hectares qui s’y trouvent, plantés de quercus suber. D’ailleurs la superficie de la totalité des forêts, en Algérie, est de plus de 3 millions d’hectares, où le chêne vert, le pin d’Alep et le thuya dominent. Il est passablement de meubles exposés dans la section algérienne : les bois sont beaux, mais en général le travail est d’un goût très médiocre.

Au point de vue de l’agriculture générale, nous avons noté bien des échantillons intéressants en fait de blé, d’orge, de ramie, d’alfa. Mais ce qui nous intéresse plus encore, ce sont les tentatives faites, principalement du côté de Biskra et de Touggourt, pour créer des oasis, pour rendre la culture possible grâce aux puits artésiens. L’eau se trouve, dans cette région, à une profondeur qui n’a rien d’exagéré (de 50 à 80 mètres, et l’eau seule est nécessaire pour transformer le désert, sur les confins duquel on se trouve, en plaines fertiles, appropriées à diverses cultures ; aussi doit-on applaudir aux efforts de tous ceux qui cherchent, par les puits artésiens, à fournir de nouveaux champs à l’activité des agriculteurs. Nous renverrons à ce sujet nos lecteurs aux excellents articles publiés précédemment dans La Nature [1]. — Parmi les produits agricoles exposés, il en est un qui présente un grand intérêt : je veux parler non de la ramie, — qui prendra sans doute bientôt un essor superbe, — mais de l’alfa (ou halfa). Cette plante, la Stipa tenacissima des botanistes, est une graminée vivace, qui se rencontre en abondance dans toutes les parties de l’Algérie. Elle croit encore en Espagne, en Tunisie, en Tripolitaine et au Maroc : avec l’Algérie, ces différents pays en exportent par an 225 tonnes environ. A quoi sert donc cette plante, demandera-t-on ? Elle a des usages multiples. On l’emploie beaucoup pour fabriquer la pâte à papier, et elle fait une concurrence sérieuse à la pâte préparée avec le bois : la papeterie en absorbe environ 210000 tonnes par an. Presque toute cette énorme quantité va en Angleterre, soit 200000 tonnes ; la Belgique et la France se tiennent pour satisfaites avec le restant, et le motif en est tout simple : en raison des prix de transport, l’halfa revient, par 100 kilogrammes, à 10 francs en Angleterre et à 14 francs en France. Cela paraît absurde, mais cela est. L’halfa se prête encore à d’autres usages, en particulier à la sparterie et à la corderie. On en fait des nattes, des tapis, des corbeilles. des balais, des chaussures, des cordes, des tentures, du celluloïd. Si l’on veut voir du papier d’halfa, on en trouvera à l’exposition algérienne ; on en verra encore en regardant les beaux journaux illustrés anglais, et l’on sait que les papiers anglais sont de belle qualité. Il est regrettable que l’halfa, si facile à cultiver en Algérie, revienne si cher en France, car il y aurait manière d’utiliser avantageusement ce produit.

Un coup d’œil à présent sur l’exposition forestière, où les beaux échantillons de bois abondent, et nous pouvons regarder un instant les ressources minéralogiques auxquelles M. Pomel a consacré une excellente étude. On peut voir d’admirables échantillons de marbre de toutes couleurs, et surtout des onyx incomparables. De cette dernière roche, il y a deux blocs, l’un brut, l’autre poli, de grande beauté, et encore une coupe immense, montée sur quatre colonnes, avec socle en même matière, qui fait l’admiration de tous. Il est de fait que la pièce est digne de tous les éloges, et que l’effet produit par ce motif est saisissant. Remarquons encore, sur les murs, les cartes très intéressantes du département d’Oran, dressées au point de vue de la viticulture, de l’agriculture et enfin de la minéralogie. Un coup d’œil aussi sur les objets préhistoriques, sur les échantillons minéralogiques, sur les peaux d’animaux (lion, panthère, etc., sur le corail, etc. Signalons aussi l’exposition du sorgho à sucre. C’est une plante intéressante. Elle se cultive aisément en Algérie et contient passablement de sucre ; depuis quelque temps l’on fait des essais pour créer une industrie sucrière, et ces essais méritent d’être signalés. On tire de ce sorgho du beau sucre, qui ne le cède en rien au sucre de canne, et peut-être assistons-nous à l’éclosion d’une ressource nouvelle dont notre colonie tirera grand profit.

Aux environs du Palais algérien sont groupés des tentes arabes ; à côté une sorte de théâtre nous donne l’exhibition des Aïssaouas.

Irons-nous chez les AÎssaouas ? Cela n’en vaut guère la peine, et c’est un faible simulacre de scènes curieuses, mais assez répugnantes pour nos yeux.

Nous jetterons en passant un coup d’œil sur les bazars où des marchands débitent force petits objets orientaux et dont l’aspect est parfois très pittoresque (fig. 2).

Nous conserverons longtemps le souvenir de l’impression que nous a produite la belle exposition du Palais algérien, impression des plus encourageantes, qui nous permet d’espérer que nous saurons tirer de notre colonie un parti toujours meilleur.

[1Voy. n°823, du 9 mars 1889, p. 231.

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