L’origine de l’astronomie se perd dans la nuit des siècles passés ; nous savons seulement que c’est la plus ancienne de toutes les sciences ; ses premiers adeptes sont de beaucoup les ancêtres des Chaldéens auxquels on attribue généralement les premières observations de ce genre. Sans nous attarder à rechercher si l’Atlantide a existé ou non, nous pouvons rappeler qu’un peuple inconnu avait incontestablement étudié ces savantes questions, avant même que les Égyptiens eussent acquis les connaissances qui ont fait de leur antique région le berceau des sciences.
Si nous en croyons Diodore de Sicile, c’est à ce peuple si problématique qu’on devrait les premières investigations faites dans le ciel. Après nous avoir montré les Atlantes comme très pieux et très hospitaliers, il ajoute :
« Leur premier roi fut Uranus qui détermina plusieurs circonstances de la révolution des astres : il mesura l’année par le cours du soleil, les mois par celui de la lune et il désigna le commencement et la fin des saisons. Les peuples qui ne savaient pas encore combien le mouvement des astres est égal et constant, étonnés de la justesse de ses prédictions, crurent qu’il était d’une nature plus qu’humaine, et, après sa mort, lui décernèrent les honneurs divins. »
L’historien Josèphe (Antiquités judaïques) raconte qu’on voyait chez les Syriens les débris d’une colonne sur laquelle, plusieurs siècles avant le déluge, les descendants de Seth auraient gravé leurs principales observations astronomiques.
Les Chinois nous donnent des observations vieilles de plus de quatre mille ans [1] ; à Babylone, on en trouve de sept cents ans avant Jésus-Christ ; enfin, des Grecs allèrent chercher en Égypte, trois cent soixante-dix ans avant notre ère, les principales notions de l’astronomie.
C’est donc à une antiquité très reculée que nous devons les premières idées émises sur les sciences cosmologiques. Bailly et Le Gentil ont trouvé aux Indes les images du zodiaque, qui reculeraient les bornes de l’âge assigné à cette science de plusieurs milliers d’années. On peut donc croire, avec quelque raison, que cette antiquité presque aussi savante que notre siècle n’a pas été réduite aux seules ressources de sa vue et qu’elle est arrivée à l’amplifier par des instruments dont le souvenir a péri.
Certains savants ont cru trouver des preuves de la connaissance des lunettes [2] chez les anciens : Démocrite, en effet, dit que la voie lactée est formée par la condensation d’une masse d’étoiles ; Sénèque annonce qu’il y a bien plus de planètes dans le ciel que celles qui étaient connues de son temps. Néanmoins, le cas de la disparition des instruments n’est plus applicable ici, car il serait bien étonnant qu’aucune notion ne nous fût restée sur ces expériences relativement récentes. Il y a donc là simplement une preuve bien puissante de la force que peut acquérir le raisonnement d’un philosophe ; par le simple jeu d’organes défectueux, l’homme peut percer la nuit qui environne ses sens et montrer au monde émerveillé des résultats que l’expérience viendra confirmer plusieurs siècles plus tard.
Dans un vieux manuscrit, on voit Ptolémée représenté un long tube à la main ; mais cela n’apporte aucune lumière sur la question ; on sait, en effet, que depuis bien longtemps on se servait de ces tubes sans verres, pour observer les étoiles et les objets lointains. Nous les trouvons représentés dans de vieilles sculptures sous la forme même de nos télescopes actuels.
Après cet exposé, nous ne pouvons qu’admirer les résultats étonnants que les anciens ont obtenus ; mais la pureté presque constante du ciel et probablement aussi une plus grande puissance de vision due à des causes multiples nous expliquent comment certaines observations qui nous semblent si bizarres leur étaient facilitées [3].
Les Japonais, dépourvus autrefois de moyens artificiels pour l’amplification de la vision, représentaient Jupiter avec deux satellites ; cependant ces lunes s’éloignent peu de la planète et se trouvent noyées dans son éclat. Ces mêmes satellites ont été aperçus un certain nombre de fois à l’œil nu, particulièrement lorsqu’ils étaient près l’un de l’autre ; même, le tailleur Schœn, de Breslau, voyait dans leur plus grand éloignement le quatrième et le premier de ces satellites :
Ce dernier était cependant plus difficile à séparer à cause de sa faible distance à la planète (deux minutes un quart environ).
Il a, de plus, été établi que Mercure avait été vu sur le soleil ; mais alors les taches solaires n’étaient pas encore découvertes, et le baron de Humboldt rapporte plusieurs de ces observations qu’il a recueillies dans ses voyages et qui sont fort intéressantes.
Nous possédons aussi, il est vrai, de très vieux catalogues détaillés d’une fort grande richesse ; mais, d’après Heis à Munster, et Gould à Cordoba, on peut distinguer environ onze mille étoiles sans instrument.
Dans le groupe brillant des pléiades où des vues ordinaires ne distinguent que six étoiles, M. Heis en voit dix, Denning onze et Mœstlin, le maître de Kepler, en distinguait quatorze.
Nous ne quitterons pas ce sujet sans rappeler que l’illustre Hévélius faisait toutes ses observations à l’œil nu, avec une précision et une délicatesse remarquables.
Défié par l’homme le plus savant de son temps, qui se servait du télescope (qui venait d’être inventé), les deux observations concordèrent d’une façon vraiment remarquable. Le digne bailli de Dantzig continua à observer sans instrument, ce qui ne l’empêcha pas de doter la science d’observations précieuses. Nous avons encore d’autres exemples de la puissance de la vision humaine : Roger Bacon rapporte que César, des cotes de la Gaule, observait l’Angleterre au travers d’un long tube, et il ajoute que la connaissance de l’optique est nécessaire pour la fabrication des instruments astronomiques. Une tradition semblable à celle qu’il rapporte pour César semble exister pour Ptolémée Évergète. Mais nous ne nous arrêterons pas à ces recherches, car ces tubes ne semblent être autre chose ; comme nous l’avons dit plus haut, que ceux dont on se servait dans l’antiquité pour observer les étoiles, et qui étaient dépourvus de verres.
Il est certain que le génie éminemment pratique de Roger Bacon a pu produire une invention aussi puissante que celle du télescope. Il avait des connaissances très étendues pour son siècle (on lui attribue même l’invention de la poudre) ; dans un passage remarquable de son Opus majus il dit que de grandes images peuvent être formées par la lumière réfractée, et qu’il est facile de voir les grands objets très petits, les lointains très proches et vice versa.
Il avait une très grande connaissance des lois fondamentales, de la physique ; mais il ne semble pas qu’il se soit éloigné de l’expérience que l’on peut faire avec une simple lentille ; on lui attribue du reste l’invention des lunettes dites besicles [4].
Il est certain que ses immenses connaissances le firent considérer comme sorcier, et la récompense de ses superbes recherches, de ses immenses travaux, fut quatorze années de prison. Qui sait si une ingénieuse idée n’a pas été perdue pour la science, dans ces siècles de barbarie ? Nous n’avons cependant aucune preuve que le télescope ait apparu avant le commencement du XVIIe siècle ; à cette époque, les idées germèrent avec une rapidité remarquable, et c’est dans cette pléiade d’inventeurs que nous allons chercher celui qui, le premier, arriva à cette grande conception. L’œuvre est difficile, car les auteurs contemporains nous donnent peu de détails ; nous allons mettre les pièces du procès entre les mains du lecteur. A lui de juger.
Un noble napolitain, Baptista Porta, dans son traité Magia naturalis, qui fut publié en 1561, parle de la possibilité de grossir les objets au moyen de verres ; mais cette idée, émise en 1469, était si bien enfouie parmi d’obscures élucubrations que, vers 1589, Kepler, voulant les étudier, déclara « qu’il n’y pouvait rien comprendre ».
Mabillon dit que dans les manuscrits d’un moine de son ordre (bénédictin bourguignon), manuscrits du XIIIe siècle copiés par un certain Codanus, il est question d’une invention de cette sorte [5].
On a dit aussi que l’honneur de la découverte du grossissement des verres était dû à Sylvio di Glamarti, mort en 1317.
D’après une inscription latine gravée sur le tombeau d’Alexandre di Spina, mort vers 1313, il aurait « enseigné à construire les lunettes qu’un autre avait déjà construites et refusait de faire connaitre ».
D’autre part, le frère Jordanus de Rivalto, mort en 1311, écrivait en 1305 que depuis vingt ans on avait trouvé l’art de polir les verres à lunettes. Fracastor et Digge en avaient aussi parlé dans leurs écrits.
C’est donc vers la fin du XIIIe siècle que le pouvoir grossissant des lunettes ordinaires fut connu [6].
Dans son Oculus Enoch et Eliœ seu radius sidero-mysticus (1645), Schylœus de Rheita dit que le télescope est dû à Lippensus, que d’autres appellent Jan Lapprey ou Hans Lippersheim (1609).
Le 2 octobre 1608, voulant s’assurer la propriété de sa découverte, il faisait connaitre son invention aux Étals généraux.
Le marquis de Spinola acheta l’instrument et en fit don à l’archiduc Albert d’Autriche, alors gouverneur espagnol en Belgique. On croit que le marquis de Spinola a été dans ce pays vers l’automne de 1608.
Descartes rapporte dans sa Dioptrique (1637) que cette invention aussi illustre qu’utile est due à un certain Jacob Metius [7], qui n’avait jamais étudié, quoique son père et son frère fussent professeurs de mathématiques.
Il éprouvait un grand plaisir à faire des miroirs ; dans une caisse de verre il trouva deux lentilles et, les ajustant sur un tube, il avait ainsi inventé le télescope sans le rechercher.
Le vrai nom de cet inventeur, d’après Schott et Harsdëffer, était Jacob Adrianus, le frère de cet Adrien Metius qui détermina la relation $$$ \pi = \frac{355}{133}$$$ du diamètre à la circonférence,
Le 17 octobre 1608, il adressa d’Alcknnaar une pétition dans laquelle il invoquait le témoignage du prince Maurice de Nassau, ainsi que celui d’autres personnages auxquels il avait depuis longtemps montré une longue-vue, s’en occupant, disait- il, depuis deux ans.
Les ambassadeurs français tâchèrent d’avoir un télescope de Lapprey ; mais les négociations n’eurent aucun succès, car il s’était engagé à ne travailler que pour son pays.
Mais un soldat de l’armée de Maurice avait appris à construire des télescopes aussi bons que ceux que faisait l’inventeur. L’ambassadeur écrivait, le 28 décembre 1608, à Sully, qu’il était en marché pour acheter une longue-vue destinée au roi Henri IV.
Pierre Borel, physicien et mathématicien du roi de France, réclamait, dans son De vero telescopii inventore (1655), la priorité pour Zacharias Janssen, que d’autres écrivent Hansen, dont le fils racontait que dans son enfance son père avait toujours passé pour le véritable inventeur du télescope et qu’il avait déjà construit un de ces instruments en 1590.
Vers le mois de mai 1609, Galilée avait reçu une lettre de son ami Badovère qui se trouvait alors à Paris. Dans cette lettre, il lui révélait l’invention que venait de faire un lunetier de Middelbourg.
D’autre part, à cette époque, dans le nord de l’Italie, cette découverte était déjà connue.
Galilée établit lui-même qu’en 1609 il vit, à Venise, un lunetier qui construisait un instrument au travers duquel on voyait distinctement les objets. Pendant son retour à Padoue, il aurait formé par pure spéculation, dans ce temps fort court, le télescope qui porte son nom. Cependant l’invention lui fut contestée avec juste raison.
G. Fuccari écrivait à Kepler : « Galilée aurait désiré être considéré comme l’inventeur du télescope ; malgré cela, il savait, comme moi et les autres, qu’un certain lunetier avait fabriqué un de ces instruments à Venise, et ce qu’il a inventé est fort peu de chose [8]. »
Ces faits concordent, du reste, avec le caractère de Galilée, sans vouloir ternir en rien ce génie neuf et inventif qui, non content de ses belles découvertes dans les sciences exactes, s’attribuait encore volontiers celles des autres.
Galilée se vantait hautement d’avoir, le premier, observé les taches du soleil tant à Padoue qu’à Venise et d’en avoir parlé à plusieurs personnes qu’il ne nommait pas. Scheiner [9], le véritable auteur de cette découverte, qui avait eu déjà à subir, en Allemagne, les attaques de Marc Welser, en était sorti vainqueur, trouva en Italie une résistance plus énergique ; c’est à ce moment qu’il en appela à tous les tribunaux. Mais Galilée, qui composait alors ces quatre mémoires immortels dans lesquels il donnait la préférence au système Copernic sur celui de Ptolémée, Galilée traita le jésuite avec le dernier mépris et parla de lui comme d’un visionnaire.
Il alla jusqu’à dire de Scheiner : « Cet homme Vit, figurant les causes dont il a besoin pour prouver sa proposition et n’accommode pas ses propositions aux causes qui existent. » Scheiner, piqué jusqu’au vif, se laissa entrainer par une idée de basse vengeance à dénoncer au tribunal de l’Inquisition les quatre dialogues de Galilée.
La récompense qu’il en tira fut sa nomination de commissaire de l’Inquisition.
Nous laisserons ces tristes événements de côté en même temps que le jugement de Galilée, et nous ferons remarquer que, par de justes représailles, s’il s’était attribué la découverte de Scheiner, s’il avait voulu passer pour l’inventeur du télescope, le tort qu’il fit au jésuite et à celui qui découvrit les lunettes lui fut rendu par Huygens, qui s’attribua l’invention du pendule simple, quoiqu’il sût parfaitement qu’avant 1639 Galilée l’avait employé dans ses observations et que son fils ; Vincent Galilée, l’avait appliqué aux horloges.
Pour continuer nos recherches sur l’invention du télescope, il nous reste à dire que les réclamations de Fontana n’étaient pas fondées, quoiqu’il assurât avoir fait l’essai du télescope en 1608 et produisit en témoignage deux autres jésuites ; mais il ne posséda d’instrument avec deux verres convexes qu’en 1614.
Le frère Paolo Sarpi, qui fut si cruellement persécuté pendant sa vieillesse et qui mourut à Venise (?) en 1623, est aussi indiqué comme l’inventeur du télescope et du thermomètre ; mais il ne put posséder ces instruments qu’en 1617, c’est-à-dire onze ans après les premières expériences.
Nous voici arrivés au moment de tirer une conclusion et la chose est fort embarrassante ; cependant, par l’étude approfondie des faits, on peut circonscrire à trois inventeurs seulement la découverte du télescope : Hans Lippersheim, Jacques Metius et Zacharie Jansen.
Il est croyable que tout l’honneur de la découverte doit se reporter sur Hans Lippersheim [10], quoique les titres de ses , concurrents soient des plus sérieux.
Cependant on peut voir que l’étude du télescope était amenée par les découvertes préalables qui avaient été faites dans la recherche des lunettes depuis le XIIIe siècle ; du reste, la rapidité avec laquelle cette idée se fit jour parmi les peuples semble prouver qu’elle germa dans plusieurs cerveaux à la fois.
En résumant ce court article, nous restons émerveillés de la puissance de ces imaginations auxquelles on doit les progrès de la science astronomique.
Sans instrument, par la seule observation du ciel, confiée à leurs collèges de prêtres et antérieurement par les études des Chinois et des Chaldéens, les anciens étaient arrivés à la connaissance des mouvements célestes dans leur plus grande rigueur (nous nous proposons de revenir sur cette importante étude).
Puis, abandonnant le génie spéculatif des philosophes, nous voyons l’astronomie arriver à des connaissances mathématiquement rigoureuses, grâce aux inventions pratiques de nos grands génies modernes ; car, loin de nous arrêter à cette légende où le hasard, guidant la main d’un enfant, rapprocha deux lentilles dont l’arrangement grossit le coq du clocher qu’il regardait, nous préférons voir, non une découverte fortuite, mais le résultat d’un ensemble de théories nées dans le cerveau d’un chercheur et mûries par le génie.
G. DALLET.