Bien sûr cet article extrait d’un quotidien n’est pas de haute volée scientifique. Mais il montre bien comment, à cette époque, on tentait de faire passer des informations scientifiques. L’article est d’ailleurs rédigé par un habitué de La Nature.
Les hommes de l’antiquité croyaient que la voûte céleste reposait sur les épaules du géant : Atlas notre science astronomique est aujourd’hui plus avancée, mais notre vertige reste le même devant les insondables merveilles du ciel. Depuis quelques années, mais surtout depuis les travaux d’Einstein et de ses successeurs, les conceptions des savants sont devenues tellement extraordinaires que nous ne comprenons plus le monde pareils à une fourmi arrivée à l’extrémité d’un promontoire dans l’espace. nous ne voyons plus au-dessous de nous qu’un océan de montagnes et de nuages divergeant en un immense éclatement : c’est l’expansion de l’univers.
Bornes kilométriques dans l’infini
Cela a commencé avec la mesure des distances astronomiques. Planter des bornes kilométriques dans l’infini n’est point commode : il faut faire choix d’une « unité » suffisamment grande. Cette unité est la seconde-lumière, autrement dit l’espace parcouru par la lumière en une seconde, soit 300 000 kilomètres, ou 7 fois et demi le tour de la Terre. La Lune, par exemple, se trouve à une seconde-lumière et quart, environ, de notre demeure.
Pour le Soleil, la distance se chiffre en minutes-lumière ; il faut 8 minutes à la lumière du Soleil pour parvenir à notre globe, en sorte que si l’astre du jour était éteint depuis 5 minutes, nous ne nous en douterions pas. Les planètes Mercure et Vénus gravitent plus près du Soleil, tandis que Mars vogue à 13 minutes-lumière du foyer ; vivifiant ; Jupiter à 40 minutes ; Neptune à plus de 4 heures-lumière du Soleil ; Pluton, dernière planète actuellement connue, se tient en. général plus loin encore. À ces extrêmes confins du système solaire, le Soleil n’est plus qu’une grosse étoile d’où viennent bien peu de lumière et de chaleur.
Au-delà, c’est le vide noir, puis apparaissent à d’immenses distances, les premières étoiles : la plus proche de nous fait partie de la constellation du Centaure et plane à plus de 2 années-lumière de notre Terre. S’il était possible de lui envoyer un message de T. S. F. — dont la vitesse est la même que celle de la lumière — la réponse se ferait attendre durant 5 ans. Les milliards d’étoiles, soleils lointains que nous révèlent les télescopes, s’échelonnent jusqu’au chiffre formidable et approximatif, de 100 000 années-lumière : 100 000 ans à 300 000 kilomètres par seconde, ne l’oublions pas !
L’apparition des spirales
Mais ce n’est là qu’une province de l’univers. Cent milliards d’étoiles — toujours à quelques petits millions près — constituent une vaste agglomération en forme de galette appelée Galaxie. Notre Soleil, accompagné de sa ronde de globes minuscules, est une étoile jaune, très moyenne comme dimensions et température, qui se trouve relativement près du centre. Quand nous regardons la ciel, nous apercevons naturellement beaucoup plus d’étoiles dans la tranche plate de la galette, et voilà comment s’explique ce ruban infusé d’astres et latescent qu’on appelle la Voie Lactée.
Est-ce là tout ? Point encore. Au-delà des gouffres vides, une pâle lueur s’allume : la première des nébuleuses spirales, dont le télescope révèle la forme en escargot c’est une autre Galaxie, sœur de la nôtre, située à 800 000 années-lumière, puis une autre et une autre encore, par milliards, aussi loin que portent nos instruments. Actuellement, le grand télescope du Mont-Wilson porte jusqu’à 500 millions d’années-lumière et le nouveau télescope de 5 m de diamètre en construction pour le Mont-Palomar portera jusqu’à 1 milliard d’années-lumière. À titre d’indication les géologues estiment que notre planète, jadis en fusion, s’est solidifiée il y a 2 milliards d’années.
Cent milliards de nébuleuses, formées chacune de cent milliards de soleils dont certains possèdent assurément des planètes, peut-être habitées par des humanités sœurs de la nôtre… telle est, d’après la science moderne, la constitution de l’univers.
La mesure des distances relativement aisée en ce qui concerne les planètes, se complique dès qu’il s’agit des étoiles. Au delà d’une vingtaine de celles-ci, il faut faire intervenir une approximation ingénieuse basée sur les étoiles gonflantes ou céphéides. Les céphéides sont des étoiles variables, tantôt très lumineuses, tantôt obscurcies, dont plusieurs figurent dans la constellation de Céphée. Il se trouve — sans qu’on sache très bien le pourquoi de l’affaire — qu’il existe une relation entre la durée séparant deux éclats consécutifs, l’intensité apparente de l’étoile et sa distance. De simples mesures de temps et de luminosité permettent par suite d’apprécier les distances des céphéides qui font partie de notre Galaxie ; comme la nature en a fort heureusement placé dans les autres nébuleuses, nous connaissons également la distance des spirales.
Et c’est ici que se précise le drame fantastique de l’explosion de l’univers.
Un merveilleux instrument d’optique, le spectroscope à prisme, permet de décomposer la lumière des étoiles. Placé derrière un télescope, à la place de l’œil de l’observateur, il fournit sur une plaque photographique un spectre irrégulier caractéristique des corps chimiques qui forment l’astre. Ainsi, la composition des étoiles nous est connue et le gaz hélium tire même son nom du grec helios, soleil, parce qu’il fut découvert dans le Soleil avant d’être connu sur la Terre !
L’explosion de l’univers
Mais le spectroscope nous donne en outre un renseignement fort curieux. Par un déplacement spontané du spectre vers le violet ou vers le rouge, il nous indique si le corps lumineux étudié se dirige vers nous ou s’en éloigne. Or, les astronomes ont reconnu avec stupéfaction que les spirales s’éloignent toutes de nous avec un touchant ensemble, et qu’elles s’éloignent d’autant plus vite qu’elles sont déjà plus lointaines. Tout se passe comme si nous habitions le centre d’une explosion dont les ultimes débris fileraient à 40 000 kilomètres par seconde !
Une telle identité dans le destin des spirales étant hautement invraisemblable, les astronomes en sont venus à l’idée que c’est l’espace lui-même qui éclate. Un ballon de caoutchouc à quatre dimensions, sur lequel l’univers apparent serait peint à trois dimensions, et qui gonflerait dangereusement avec une rapidité croissante, telle est l’image actuelle que les savants nous présentent du monde ! La périphérie de ce ballon mesure aujourd’hui 6 milliards d’années-lumière et la lumière, marchant toujours en ligne droite, se trouve ramenée au bout de ce laps de temps à son point de départ…
Vous ne voyez pas ? Moi non plus et sir Arthur Èddington, parlant de cette théorie, renchérit :
— Je suis presque indigné que quelqu’un puisse y croire à l’exception de moi-même !
L’univers clos et gonflant est une de ces conceptions ahurissantes, imposées par les équations, mais inhumaines, et qu’un homme de génie interprétera peut-être un jour.
Pierre Devaux